Et cet autre, naturellement, que dire de cet autre, qui divague ainsi, à coups de moi à pourvoir et de lui dépourvu, cet autre sans nombre ni personne dont nous hantons l’être abandonné, rien. Voilà un joli trio, et dire que tout ça ne fait qu’un, et que cet un ne fait que rien, et quel rien, il ne vaut rien.

Samuel Beckett, Textes pour rien



Le théâtre permettait à Beckett d’effectuer «un passage vers l’ailleurs, un passage avec une zone de marge : là où s’aménage un neutre, un autre vide plus créateur où il suffit d’attendre et de jouer à rien» :

 

Tout se joue sur le seuil, les frontières entre le temps passé et le
temps à venir, […] entre l’ici et l’ailleurs, […] entre le moi et
l’autre, […] dans l’entre-deux du champ bipersonnel (dans et entre
les couples) mais toujours avec une zone de marge : un ni… ni…,
ni vie, ni mort, ni présence, ni absence, ni sens, ni non-sens, ni avec
Godot, ni sans Godot.

 

Les nombreux textes-partitions, ou textes pour rien pour reprendre le titre que Beckett donne à son recueil de nouvelles, suggèrent les notes fantômes que le chef d’orchestre appelle «la mesure pour rien». Le texte pour rien auquel arrive Beckett lorsque qu’il devient le chef d’orchestre de ses œuvres, pour reprendre l’analogie, peut se lire alors in absentia.

Comment dire, le dernier texte que Beckett écrit quelques semaines avant sa mort, ressemble d’ailleurs à des notes tapotées sur le clavier d’un piano mais dont la musique ne serait pas audible :

 

rien nul
n’aura été
pour rien
tant été
rien
nul

 

D’après Nadia Louar, Samuel Beckett, vers une poétique du bilinguisme et Ciaran Ross, Jeux d’absence ou vers une lecture de l’autre.