Par contre, les esprits simplistes et dogmatiques ont l’ironie en abomination. Beaucoup la regardent, ainsi que le pessimisme, son compagnon, comme une tare intellectuelle. Nous sommes trop portés, en effet, à qualifier de morbides les manières de sentir ou de penser que nous ne pratiquons pas. Aux yeux du rationaliste, du dogmatique et de l’optimiste, l’ironiste est, comme le pessimiste, un aigri, un ambitieux ou un sentimental déçu, ou encore c’est un malade, un neurasthénique. Cela est commode ; mais cela ne dit rien et ne prouve rien.
Employer le même mode de réfutation vis-à-vis des dogmatiques et des optimistes, leur reprocher leur bonne santé ou leur réussite relative dans la vie ou telles autres conditions ou circonstances génératrices d’optimisme, serait également vain. D’ailleurs, on peut constater aussi qu’il y a parfois des gens bien portants et favorisés du sort qui sont pessimistes et ironistes, et d’autres, de santé ou de fortune médiocres, qui sont résolument optimistes, et c’est là sans doute encore une application de la loi d’ironie.
Tout ce qu’on peut faire, c’est constater l’existence de ces catégories différentes d’intelligence sans se prononcer sur la valeur des métaphysiques qu’elles inventent. Disons seulement qu’en notre temps de dogmatisme social et moral à outrance, d’évangélisme et de moralisme sous toutes les formes, l’ironie joue le rôle d’un utile contrepoids et qu’elle doit être la bienvenue auprès des intelligences qui s’efforcent d’être désintéressées.
Georges Palante, La sensibilité individualiste