Rester à la maison était devenu pratiquement impossible.
De ma chambre, où j’essayais de me concentrer sur la Naissance de la tragédie de Nietzsche, j’entendais gueuler :
– Où est ton fils ?
Ma mère repassait dans la cuisine sans rien dire.
– Il devrait chercher du travail au lieu de lire ces conneries. Lire ne sert à rien dans la vie.

Depuis toujours, mon père cultivait quelques idées, rares mais claires, sur la vie.
– Les livres, c’est rien que des conneries. La carrière, il n’y a que ça qui compte.
Se concentrer constituait une entreprise désespérée.
– Je parie qu’il ne décrochera pas un seul examen dans ce merdier d’université. Tu verras si je me trompe.
Je savais où se trouvait le fusil du grand-père. J’allais le chercher. Avec l’arme, je pris des cartouches. C’était un fusil de chasse à cinq coups. Un automatique. Je le chargeai. Je traversai le corridor. Je m’arrêtai un instant devant la porte de la cuisine. Mon père hurlait. Sa voix couvrait le vacarme de la télévision. C’était l’heure du jeu de midi présenté par TéléMike.
– C’est un bon à rien. Un raté. Une tête de nœud.
J’ôtai la sécurité. Je mis le doigt sur la gâchette. J’ouvris la porte. Ma mère et lui me regardèrent, ahuris.

Giuseppe Culicchia, Patatras

 

Que faire quand on a vingt ans à Turin, à la fin des années 80, qu’on est fils d’ouvrier, et qu’il faut se jeter dans un monde cynique et morne, dominé par la consommation, le mythe de la réussite, le conformisme, le culte de l’image, le vide ? Rien. Walter, héros paumé d’une génération où la communication n’est plus que la juxtaposition de solitudes, quitte ses parents et s’accorde un délai. (D’après la quatrième de couverture)