Vers d’Exil

Paul, il nous faut partir pour un départ plus beau !
Pour la dernière fois, acceptant leur étreinte,
J’ai des parents pleurants baisé la face sainte.
Maintenant je suis seul sous un soleil nouveau.

Tant de mer, que le vent lugubre la ravage,
Ou quand tout au long du long jour l’immensité
S’ouvre au navigateur avec solennité,
Traversée, et ces feux qu’on voit sur le rivage,

Tant d’attente et d’ennui, tant d’heures harassées,
L’entrée au matin au port d’or, les hommes nus,
L’odeur des fleurs, le goût des fruits inconnus,
Tant d’étoiles et tant de terres dépassées

Ici cet autre bout du monde blanc et puis
Rien ! – de ce cœur n’ont refréné l’essor farouche.
Cheval, on t’a en vain mis le mors dans la bouche.
Il faut fuir ! Voici l’astre au ciel couleur de buis.

Voici l’heure brûlante et la nuit ennuyeuse !
Voici le Pas, voici l’arrêt et le suspens.
Saisi d’horreur, voici que de nouveau j’entends
L’inexorable appel de la voix merveilleuse.
L’espace qui reste à franchir n’est point la mer.
Nulle route n’est le chemin qu’il me faut suivre ;
Rien, retour, ne m’accueille, ou, départ, me délivre.
Ce lendemain n’est pas du jour qui fut hier.

Paul Claudel, Premiers vers

 

 

Dans le voyage jusqu’à rien
Ils sont tous de bons voyageurs.
Il n’y a ni chemin ni route
Mais sans exception tous arrivent.

Dans le voyage jusqu’à rien
Tous conversent tout en marchant ;
Il n’y a ni chemin ni route
Et ils s’occupent en parlant.

Dans le voyage jusqu’à rien
Certains, muets, marchent tout seuls.
Mais à l’heure de l’arrivée
On ne secoue pas la poussière.

Fernando Pessoa, Cancioneiro