Rien, mot sans contenu, qui se biffe lui-même. Se biffe en étant pourtant mot. Fortune rare parmi les mots.

Roger Munier, Vision

 

 

À sa mort, on trouve sur la table de travail de Roger Munier une chemise contenant les textes d’un bref manuscrit intitulé Vision. Vision est son véritable testament. Il y aborde de face ce qui a été l’unique objet de sa méditation, autour duquel il n’a cessé, tout au long de son œuvre, de déplacer l’angle de vue, jusqu’à en acquérir ici, si près d’y faire son entrée, la claire "vision" : le Rien. De quoi d’autre parler ? Tel est le paradoxe obsédant : «Le rien n’est pas rien. Mais il n’est pas non plus quelque chose. L’inverse du quelque chose.» De tout l’inverse. Inutile donc d’essayer de le saisir ou d’en attendre quelque chose : «Je n’attends que mon anéantissement. Sans rien attendre de mon anéantissement.» Le Rien donne lieu à ce constat : «On est sans pouvoir sur le Rien. C’est lui qui a pouvoir sur nous, étant pouvoir, le Pouvoir.» Interminablement, Munier contemple, saisit l’essence et dit la présence, la lumière. II frôle, il apprivoise le "fugitif", l’obsessionnel Rien de sa quête. Il questionne sans cesse la réponse, en la réduisant à une nouvelle question comme dans Éden :


Qui ou quoi nommez-vous ?
– Je ne nomme rien.
Je nomme.

D’après un texte des éditions Arfuyen, éditeur de R. Munier.