Les Enragés désignaient une tendance insurrectionnelle de la Révolution française. N.d.é.

 

Le 19 juin 1790, l’Assemblée nationale de la toute jeune Révolution française abolit toute espèce de distinction entre les Français. C’est ce jour que choisit Anacharsis Cloots, né en Allemagne d’une famille hollandaise, pour se présenter et faire une allocution en qualité d’orateur du Comité des étrangers. Dans un style emphatique, le modeste représentant se transforme alors en Orateur du genre humain et chantre d’une humanité débarrassée de tous ses oripeaux nationaux. Pour être Homme il fallait n’être rien, ni Français, Turc ou autre ; mais Homme à part entière comme le suggère par ailleurs ce passage (Adresse d’un Prussien à un Anglais (!)) :

 

Soyons Hommes, et laissons les bœufs pour ce qu’ils sont. J’en parle pertinemment, car j’ai été bœuf comme un autre. Je veux désormais être homme ou rien.

 

L’égalité mérite un dépassement de soi sinon c’est rester l’éternel soumis aux êtres et aux choses... Porteur de bien d’autres considérations aussi originales que parfois confuses, celui qui était aussi l’«ennemi personnel de Jésus-Christ» finit sur l’échafaud, condamné, ironie de la chose, plus pour sa qualité supposée d’étranger que pour ses idées perçues comme farfelues. Montant à son supplice, Cloots récite une poésie de Pierre Patry, obscur auteur du XVIIe siècle, qui sur un mode naïf parlait d’égalité :


Je songeois cette nuit que, de mal consumé,
Coste à coste d’un pauvre on m’avoit inhumé ;
Et que, n’en pouvant pas souffrir le voisinage,
En mort de qualité je luy tins ce langage :
Retire-toi coquin ; va pourrir loin d’icy :
Il ne t’appartient pas de m’approcher ainsi.
Coquin, ce me dit-il, d’une arrogance extresme !
Va chercher les coquins ailleurs ; coquin toy-mesme :
Icy tous sont égaux ; je ne te dois rien :
Je suis sur mon fumier, comme toy sur le tien.