Adrien et Daniel passent quelques jours dans un mas en Provence et confrontent leur approche de la vie du moment...

 

– Adrien en off : N’ayant donc pour la première fois depuis dix ans plus rien à faire du tout, j’avais entrepris de ne rien faire effectivement ; c’est-à-dire de pousser l’inoccupation à un degré jamais atteint au cours de mon existence. Je m’efforçais même de ne plus penser. [...] Cette recherche du rien, du vide, Daniel la poursuivait à sa manière, beaucoup plus franche et brutale que la mienne et je le considérais sur ce point un peu comme mon maître.
– Daniel : Rien ?
– Adrien : Rien.
– Daniel : Rien, rien ?
– Adrien : Absolument rien. Positivement rien. D’ailleurs depuis que je suis arrivé je n’ai rien fait. Je fais même de moins en moins. Je veux en arriver au rien absolu.
– Daniel : C’est très difficile. Il faut une application et un soin énorme.
– Adrien : Tandis que moi ça me vient tout naturellement. C’est ma pente.
– Daniel : Oui mais suivre sa nature c’est plus éreintant que de la contrer. D’ailleurs tu ne fais pas rien, tu lis.
– Adrien : Mais si je ne lisais pas je penserais, et penser c’est au fond la chose la plus pénible et la plus accaparante qui soit. Je crois qu’on pense toujours trop. L’important ce n’est pas de penser mais de participer. Un bouquin ça me fait penser dans une certaine direction qui est celle du bouquin. Ce que je ne veux pas c’est penser dans ma direction à moi. Je veux me laisser mener, je veux faire comme l’Arabe, dans la rue il ressent la rue, tandis que nous on pense au but. C’est l’Arabe qui a dit : «Un, c’est le premier chiffre du nombre qui ne se termine jamais...»

Éric Romher, La collectionneuse