La môme néant
Quoi qu’a dit ? – A dit rin.
Quoi qu’a fait ? – A fait rin.
A quoi qu’a pense ? – A pense à rin.
Pourquoi qu’a dit rin ?
Pourquoi qu’a fait rin ?
Pourquoi qu’a pense à rin ?
– A’ xiste pas.
Jean Tardieu, Monsieur Monsieur
Copie oulipienne
(Voix de santons, voix de bergers de crèche, bien propres, enrhubés, mouchés, toussotants, inspirés, contraints.)
Quoi qu’i compose ?
– Compose rin.
Quoi qu’i verse ?
– I verse rin.
Quoi qu’i chante ?
– I chante à rin.
Pourquoi qu’i compose rin ?
Pourquoi qu’i verse rin ?
Pourquoi qu’i chante à rin ?
– (A eu ’xisté.)
Jacques Jouet, Livre d’Aliénor
Poète de l’expérimentation, Tardieu est un explorateur du sens et des sens, du langage et des sons. Se considérant comme étranger à lui-même, il interroge la place de l’individu dans l’espace et le temps. Entre burlesque et lyrique, le Rien occupe une place particulière dans son œuvre résumant à lui seul le tragi-comique de la vie. Pour cet autoproclamé «fils de rien», le vide comble le néant de sa présence et conditionne l’ensemble de son paysage poétique ; seul le Rien peut réconcilier à la fois l’espoir et la désillusion comme un mince, mais oh combien nécessaire, trait d’union. Considérant le langage comme un outil, il brutalise les mots, les déforme et les arrange, cherchant un au-delà ou un par-delà de leur sens pour essayer de «leur donner une valeur affective qui ne passe pas par le circuit cérébral».
D’après Laurent Flieder, Jean Tardieu ou la présence absente.