Manu est allongée sur le ventre. C’est fini. Elle sent son dos et ses genoux qui font mal. Est-ce que c’est vraiment fini ? Elle est encore vivante. Ils vont partir. Elle a mal à la tête aussi. Avec sa langue, elle sent une dent qui bouge.
L’autre remet son pantalon. Ils retournent à la voiture. Manu se retourne précautionneusement sur le dos. Elle n’a pas trop mal quand elle bouge, en tout cas sûrement rien de cassé. Elle regarde le ciel. Elle entend Karla gémir à côté, vague envie de vomir. Mal aux seins aussi... Putain, pourquoi ils l’ont autant cognée alors qu’elle n’a pas résisté ? Elle entend Karla ravaler sa morve. Pas envie qu’elle soit là, pas envie de lui parler. Karla réussit à articuler : – Comment t’as pu faire ça ? Comment t’as pu te laisser faire comme ça ?
Manu ne répond pas tout de suite. Elle sent qu’elle dégoûte Karla encore plus que les mecs. Comment elle a pu faire ça ? Quelle connerie…
Elle les entend démarrer. C’est fini. Elle répond : – Après ça, moi je trouve ça chouette de respirer. On est encore vivantes, j’adore ça. C’est rien à côté de ce qu’ils peuvent faire, c’est jamais qu’un coup de queue…
Karla hausse le ton, annonce la crise de nerfs ? – Comment tu peux dire ça ?
– Je peux dire ça parce que j’en ai rien à foutre de leurs pauvres bites de branleurs et que j’en ai pris d’autres dans le ventre et que je les emmerde. C’est comme une voiture que tu gares dans une cité, tu laisses pas des trucs de valeur à l’intérieur parce que tu peux pas empêcher qu’elle soit forcée. Ma chatte, je peux pas empêcher les connards d’y rentrer et j’y ai rien laissé de précieux…

Virginie Despentes, Baise-moi