En 1729, le curé d’Etrépigny, près de Mézières en France, meurt. En quarante ans de sacerdoce, il n’a fait que peu parler de lui mais à sa mort ses confrères découvrent effarés l’œuvre de ses nuits et ce n’est pas rien : un ouvrage énorme légué à ses contemporains pour les «désabuser d’une religion dans laquelle il avait eu le déplaisir de les entretenir». Son plan d’attaque se déroule en huit preuves compactes et lourdes de style dans lesquelles, avec forces citations, il démonte pièce par pièce les idées reçues, prônant en vrac la révolte violente, l’union libre ou le socialisme en blasphémant tant et plus. Au terme de ce pensum, recopié en trois exemplaires à la plume d’oie, il s’en remet à ce constat :
Après cela que l’on en pense, que l’on en juge, que l’on en dise et que l’on en fasse, tout ce que l’on voudra dans le monde, je ne m’en embarrasse guère, que les hommes s’accommodent, et qu’ils se gouvernent comme ils veulent, qu’ils soient sages, ou qu’ils soient fous, qu’ils soient bons, ou qu’ils soient méchants, qu’ils disent ou qu’ils fassent même de moi tout ce qu’ils voudront après ma mort ; je m’en soucie fort peu ; je ne prends déjà presque plus de part à ce qui se fait dans le monde ; les morts avec lesquels je suis sur le point d’aller ne s’embarrassent plus de rien, ils ne se mêlent plus de rien, et ne se soucient plus de rien. Je finirai donc ceci par le rien, aussi ne suis-je guère plus qu’un rien, et bientôt je ne serai rien.
Jean Meslier, Mémoire des pensées et des sentiments