Toute la Terre attendait qu’un petit trou noir l’anéantisse. C’était le professeur Jérôme Hieronymus qui l’avait découvert au télescope lunaire, en 2115, et il affirmait qu’arrivé à proximité de notre orbite, il allait provoquer des raz-de-marée qui détruiraient toute vie sur notre planète.
Tout le monde se mit à écrire son testament. On fit ses adieux à ceux que l’on aimait. On pleurait dans les bras les uns des autres et on s’embrassait tendrement. Les époux faisaient la bise à leurs épouses, les frères faisaient la bise à leurs sœurs, les parents faisaient la bise à leurs enfants, les amis des bêtes faisaient la bise à leurs animaux, et même les amis se faisaient mutuellement la bise.
Mais lorsque le trou noir arriva, Hieronymus s’aperçut qu’aucun effet gravitationnel ne se faisait sentir. Il l’étudia plus attentivement et annonça avec un petit rire qu’après tout ce n’était pas un trou noir.
– Ce n’est rien, dit-il. Juste un astéroïde ordinaire que quelqu’un a peint en noir.
Une foule furieuse le lyncha, mais pas à cause de son erreur.
On le tua parce qu’il déclara publiquement qu’il allait écrire une grande pièce de théâtre émouvante sur toute cette histoire.
– Je l’appellerai Beaucoup de bises pour rien, dit-il.
Toute l’humanité applaudit à sa mort.
Isaac Asimov, «Pour rien» dans Les vents du changement