(Libération en turc. N.d.é.)


Personne n’est responsable du fait que l’homme est là, tout simplement, qu’il est constitué de telle et telle manière, qu’il se trouve en de telles circonstances, dans tel environnement. La fatalité de son être n’est pas séparable de la fatalité de tout ce qui fut et sera. Il n’est pas la conséquence d’une intention particulière, d’une volonté, d’une finalité, il ne constitue pas une tentative d'atteindre un "idéal humain", un "idéal de bonheur" ou un "idéal de moralité" – il est absurde de vouloir repousser son être essentiel dans quelque lointaine finalité. C’est nous qui avons inventé la notion de "fin" : dans la réalité, la fin fait défaut. On est nécessaire, on est un fragment de fatalité, on fait partie d’un tout, on est dans ce tout – il n’y a rien qui puisse juger, peser, comparer, condamner le tout... Mais, hors du tout, il n’y a rien. Que personne ne soit plus tenu pour responsable, qu’il ne soit plus permis de réduire le caractère de l’être à une cause première, que le monde ne soit plus une unité, ni comme sensation, ni comme "esprit", c’est là, pour la première fois, la grande libération ; ainsi seulement est rétablie l’innocence du devenir... L’idée de Dieu était jusqu’à présent la principale objection contre l’existence... Nous nions Dieu, nous nions en Dieu la responsabilité : c’est en cela, et en cela seulement que nous sauvons le monde.

Friedrich Nietzsche, Crépuscule des idoles