Toute vie

Toute vie qui doit poindre
achève un blessé.
Voici l’arme
rien,
vous, moi, réversiblement
ce livre
et l’énigme
qu’à votre tour vous deviendrez
dans le caprice amer des sables.

René Char, Les matinaux


Résistant à toutes les occupations militaires ou intellectuelles, il est un bloc de granit monolithique dans ses jugements cassants et définitifs. René Char semble toujours débouler de face, taureau en colère, c’est une arme faisant feu illustrant ce vers de La parole en archipel :


Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience.


D’après Gil Pressnitzer, Le veilleur insoumis, notre frère en fureur.

En écho :

«L’obsession de la moisson et l’indifférence à l’histoire, écrit admirablement René Char, sont les deux extrémités de mon arc.» Si le temps de l’histoire n’est pas fait du temps de la moisson, l’histoire n’est en effet qu’une ombre fugace et cruelle où l’homme n’a plus sa part. Qui se donne à cette histoire ne se donne à rien et à son tour n’est rien. Mais qui se donne au temps de sa vie, à la maison qu’il défend, à la dignité des vivants, celui-là se donne à la terre et en reçoit la moisson qui ensemence et nourrit à nouveau. Pour finir, ceux-là font avancer l’histoire qui savent, au moment voulu, se révolter contre elle aussi. Cela suppose une interminable tension et la sérénité crispée dont parle le même poète.

Albert Camus, L’homme révolté