Les Réprouvés est le titre d’un ouvrage de Ernst von Salomon duquel le Gilles de Drieu peut être rapproché par son style mystique nihilisto-fasciste. N.d.é.

 

D’autre part, au cours de ces interminables queues que nous faisions par millions le long des routes menant aux trop vastes champs de bataille, j’avais reçu, pour la première fois de ma vie, l’impression écrasante, définitive, qu’un homme est noyé dans l’humanité. Tous les faux-semblants de personnalité, d’originalité, de quant-à-soi, d’exception qui peuvent se multiplier dans le monde illusoire de la paix – qui pouvaient se multiplier dans ces temps tranquilles et rassis d’avant 1914 – se dissipaient et il restait que j’étais une fourmi engluée dans la fourmilière. Faute de regards pour me discerner, je devenais indiscernable à moi-même. Cela me ramena tout d’un trait à cette mystique de la solitude, et de la perte à lui-même du solitaire dans sa solitude, et de l’extravasement à l’intérieur du moi de quelque chose qui n’est pas le moi. Puisque j’étais perdu, pourquoi ne pas me perdre davantage ? Il n’y avait qu’un moyen de me guérir de la perte que je faisais de moi en tout, et de moi et de tout en rien, c’était de me perdre absolument.

Pierre Drieu La Rochelle, Récit secret

 

 

L’homme est une partie du monde, et chaque partie du monde peut, à un moment de paroxysme, à un moment d’éternité, réaliser en elle tout le possible. La victoire. La victoire des hommes. Contre quoi ? Contre rien ; au-delà de tout. Contre la nature ? Il ne s’agit pas de vaincre la nature, ni même de la surmonter, mais de la pousser à son maximum, puisque la puissance est en nous. Il ne s’agit pas de vaincre la peur par le courage – mais de fondre la peur dans le courage et le courage dans la peur, et de s’élancer à l’extrême pointe de l’élancement. Qu’y a-t-il d’autre que cet élan ? Cet élan avait-il un autre contenu que lui-même ? Pourquoi nous battions-nous ? Pour nous battre.

Pierre Drieu la Rochelle, La Comédie de Charleroi

 

Jean-Paul Sartre avait définit Drieu comme un être qui ne «pensait rien», qui ne «sentait rien» et qui «n’aimait rien», confondant peut-être l’auteur avec quelques uns des personnages de ses romans. Décadent certain, celui dont moins la vie avait de but et plus elle prenait de sens, fut finalement fidèle à son héros du Feu follet :

 

Les hommes ne peuvent rien faire au monde que mourir.