Nom des cellules d’emprisonnement individuel en Turquie. N.d.é.

 

Puis suivent de longues nuits sans jour, passées dans le cachot de la prison de Souzdal, une cellule de pierre humide connue sous le nom de niche, dont la valeur architecturale réside en ceci que l’homme y est comme emmuré vivant et perçoit ainsi son être terrestre, confronté à l’éternité de la pierre et du temps, comme un grain de poussière dans l’infini. Novski était un homme à la santé déjà très ébranlée ; les longues années de captivité et la passion révolutionnaire qui se nourrit du sang et des glandes avaient affaibli ses poumons, ses reins et ses articulations. Son corps était maintenant couvert d’abcès qui perçaient sous les coups de matraque en caoutchouc et d’où coulait un sang utile en même temps qu’un pus inutile. Mais il semble que Novski, au contact de la pierre de son tombeau vivant, tira certaines conclusions métaphysiques qui diffèrent sans doute peu de celles qui suggèrent l’idée que l’homme n’est qu’une parcelle de poussière dans l’océan de l’infini ; mais visiblement, cette prise de conscience lui souffla d’autres déductions que les architectes de la niche n’avaient pas pu prévoir : rien pour rien. L’homme qui a trouvé dans son cœur cette pensée hérétique et dangereuse qui parle de la vanité de sa propre existence se trouve cependant confronté à un (dernier) dilemme : admettre le provisoire de l’existence au nom de cette prise de conscience précieuse et chèrement acquise (qui exclut toute moralité et est donc absolument libre) ou bien, au nom de cette même prise de conscience, s’abandonner à l’étreinte du néant.

Danilo Kiš, Un tombeau pour Boris Davidovitch