Monsieur Rien : Différence entre versions
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'''Monsieur Rien''' (''Господине Ништо'' en [[macédonien]] - ''Sénher Ren'' en [[nissard]]) Alias de Yégor Martinof <ref>Ou Iegor Martinov d'après la transcription actuelle du russe Егор Мартынов - [https://librebook.me/monsieur____rien__ou_les_aventures_extraordinaires_d_un_homme_invisible/vol1/6 En ligne]</ref>. | '''Monsieur Rien''' (''Господине Ништо'' en [[macédonien]] - ''Sénher Ren'' en [[nissard]]) Alias de Yégor Martinof <ref>Ou Iegor Martinov d'après la transcription actuelle du russe Егор Мартынов - [https://librebook.me/monsieur____rien__ou_les_aventures_extraordinaires_d_un_homme_invisible/vol1/6 En ligne]</ref>. | ||
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− | ''Enfant, je haïssais tout le monde, la moindre caresse me faisait vomir, contre tous les spécimens du sexe masculin en particulier je nourrissais une idiosyncrasie très poussée. Fondée sur un mépris inné. Analysant mes souvenirs, il m'apparaît que dès les premières années de cette petite vie ma perception de moi-même et de l'humanité a été celle de deux puissances en guerre; et dès mon plus jeune âge j'ai instinctivement sous-estimé mon adversaire — je le tenais pour rien. [...] Je volais simplement pour voler, je me faisais un sport de casser les carreaux la nuit [...], de poser des pierres sur les voies de chemin de fer, de mettre le feu aux meules de blé. Je profanais systématiquement la croix aux environs de la ville, je faisais de l'esclandre à l'église, je lançais, faute de bombes, des tracts anarchistes, etc.'' <ref>Ladislav Klíma, "Autobiographie", texte rédigé en février 1924. Publié dans ''Je suis la volonté absolue'', Éditions de la Différence, 2012</ref> | + | ''Enfant, je haïssais tout le monde, la moindre caresse me faisait vomir, contre tous les spécimens du sexe masculin en particulier je nourrissais une idiosyncrasie très poussée. Fondée sur un mépris inné. Analysant mes souvenirs, il m'apparaît que dès les premières années de cette petite vie ma perception de moi-même et de l'humanité a été celle de deux puissances en guerre; et dès mon plus jeune âge j'ai instinctivement sous-estimé mon adversaire — je le tenais pour rien. [...] Je volais simplement pour voler, je me faisais un sport de casser les carreaux la nuit [...], de poser des pierres sur les voies de chemin de fer, de mettre le feu aux meules de blé. Je profanais systématiquement la croix aux environs de la ville, je faisais de l'esclandre à l'église, je lançais, faute de bombes, des tracts anarchistes, etc.'' <ref>Ladislav Klíma, "Autobiographie", texte rédigé en février 1924. Publié dans ''Je suis la volonté absolue'', Éditions de la Différence, 2012. Ladislav Klima, ''"Tout", Oeuvres complètes I'', Éditions de la Différence, 2000</ref> |
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− | Le message est simple. Accessible et destiné à l'ensemble des hominines. Sans exception. Contrairement aux croyances religieuses, la description anarchiste du réel se fait à partir des outils disponibles de son époque. En plus des réflexions théoriques, les textes diffusés par des individualités, des groupes ou des journaux sont ceux des sciences sociales naissantes et des sciences dures que sont la biologie, la chimie et les sciences de la Terre. En Russie, ''L'évolution des espèces'' de Charles Darwin ou | + | Le message est simple. Accessible et destiné à l'ensemble des hominines. Sans exception. Contrairement aux croyances religieuses, la description anarchiste du réel se fait à partir des outils disponibles de son époque. En plus des réflexions théoriques, les textes diffusés par des individualités, des groupes ou des journaux sont ceux des sciences sociales naissantes et des sciences dures que sont la biologie, la chimie et les sciences de la Terre. En Russie, ''L'évolution des espèces'' de Charles Darwin ou le positivisme d'Auguste Comte font partie des premiers ouvrages traduits et diffusés clandestinement. Avec le risque de finir en prison pour cela. Tout en produisant des réflexions critiques sur ces sciences, la pensée anarchiste parvient à se saisir des opportunités qui se présentent. Le rejet de la modernité ou la méfiance vis-à-vis du modernisme n'empêchent pas les anarchistes de savoir y trouver de nouvelles ressources. Arme d'exploitation, la dynamite est rapidement adoptée par les anarchistes les plus "à la pointe" qui en font une arme de destruction. En France, la "Bande à Bonnot" <ref>La "Bande à Bonnot" est le surnom donné par la presse en France à un groupe d'anarchistes dont l'un est Jules Bonnot. Plus d'une quarantaine de personnes sont impliquées dans plusieurs affaires de cambriolages, d'escroquerie, de fausse monnaie et d'assassinats dans les années 1910. Certaines sont condamnées par la justice, d'autres sont tuées par la police. |
</ref> est la première à réaliser des braquages de banques avec des voitures automobiles et à posséder des armes à feu à répétition que les forces de police n'ont pas encore. | </ref> est la première à réaliser des braquages de banques avec des voitures automobiles et à posséder des armes à feu à répétition que les forces de police n'ont pas encore. | ||
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== Récit yégorien == | == Récit yégorien == | ||
− | Les sources concernant Yégor Martinof se réduisent à la seule biographie connue qui lui est consacrée par Louis Boussenard <ref>Louis Boussenard (1847 - 1910). Après des études de médecine, entamées à l'issue de la guerre franco-prussienne de 1870 dans laquelle il se bat et est blessé, il devient écrivain et journaliste. Il signe plus d'une quarantaine de romans, dont beaucoup paraissent en feuilleton. Il se rattache au mouvement littéraire du merveilleux scientifique. Ses thèmes de prédilection sont des aventures à travers le monde et parfois de la science-fiction. La plupart de ses écrits sont traduits en langue russe dès les années 1910. Il écrit aussi un récit sur la situation en Macédoine/Roumélie ottomane, publié en 1912 sous le titre ''La terreur en Macédoine'' - [https://fr.wikisource.org/wiki/La_Terreur_en_Mac%C3%A9doine En ligne] Pour une biographie, voir ''Louis Boussenard, l'inexploré'', le n°91-92 de ''Le Rocambole'', 2020. L'ensemble de son œuvre est rééditée en russe dans les années 1990. ''Monsieur... Rien !'' en 1997.</ref> dans le numéro 5 de ''La vie d'aventures'' d'octobre 1907 <ref name="#rie">''Monsieur... Rien !'' dans le numéro 5 de ''La vie d'aventures'', octobre 1907 - [En ligne]. La première réédition date de 1991 aux éditions Recto-Verso, coll. "Ides et Autres", n° 27. | + | Les sources concernant Yégor Martinof se réduisent à la seule biographie connue qui lui est consacrée par Louis Boussenard <ref>Louis Boussenard (1847 - 1910). Après des études de médecine, entamées à l'issue de la guerre franco-prussienne de 1870 dans laquelle il se bat et est blessé, il devient écrivain et journaliste. Il signe plus d'une quarantaine de romans, dont beaucoup paraissent en feuilleton. Il se rattache au mouvement littéraire du merveilleux scientifique. Ses thèmes de prédilection sont des aventures à travers le monde et parfois de la science-fiction. La plupart de ses écrits sont traduits en langue russe dès les années 1910. Il écrit aussi un récit sur la situation en Macédoine/Roumélie ottomane, publié en 1912 sous le titre ''La terreur en Macédoine'' - [https://fr.wikisource.org/wiki/La_Terreur_en_Mac%C3%A9doine En ligne] Pour une biographie, voir ''Louis Boussenard, l'inexploré'', le n°91-92 de ''Le Rocambole'', 2020. L'ensemble de son œuvre est rééditée en russe dans les années 1990. ''Monsieur... Rien !'' en 1997. Voir aussi Denis Jallat, "La construction des formes de «colonialisme» dans les imaginaires des jeunes Français ; l'usage de la littérature d'aventure au début du XXe siècle", ''Présence Africaine'', vol. 183, n°1, 2011, pp. 183-198 - [https://analectes2rien.legtux.org/images/PDF/littcol.pdf En ligne]</ref> dans le numéro 5 de ''La vie d'aventures'' d'octobre 1907 <ref name="#rie">''Monsieur... Rien !'' dans le numéro 5 de ''La vie d'aventures'', octobre 1907 - [https://analectes2rien.legtux.org/images/PDF/MonsieurRien.pdf En ligne]. La première réédition date de 1991 aux éditions Recto-Verso, coll. "Ides et Autres", n° 27.</ref>. Longue de seulement 32 pages, elle est sobrement intitulée ''Monsieur... Rien !'' Selon les normes de transcription actuelle, il est préconisé d'utiliser plutôt Iegor Martinov pour noter le russe Егор Мартынов en caractères latins. Hormis celle de parution, la courte biographie ne contient aucune date précise. Néanmoins il est possible de la déduire par quelques indications. En effet, l'âge de quatre des personnages est indiqué et, s'agissant de personnes clairement identifiées et dont l'état civil est connu. Elles sont les quatre jeunes filles du tsar Nicolas II et de la tsarine Alix de Hesse-Darmstadt. Si Olga a sept ans, Tata cinq ans, Marie trois et Zazie deux, il est possible d'en conclure que les faits relatés se situent en 1902. En Russie. À cette date, Yégor Martinof est "''âgé d'environ 25 ans''" <ref name="#rie" />. Il est donc né autour de 1877. Probablement en Russie même si cela n'est pas aussi clairement dit. À cette âge, il est décrit comme "''grand, vigoureux, énergique, résolu... [...] Gros mangeur et grand buveur''" <ref name="#rie" /> Il est étudiant à Saint-Pétersbourg auprès du professeur Marcus Lobanof. Ce dernier est assisté par sa fille Nadia dans les recherches qu'il mène. Âgé d'une cinquantaine d'années, il est d'origine allemande ou suédoise et est né dans le village d'Ermelan près de Riga (Lettonie) <ref>Des populations d'hominines de langue et de culture germaniques sont historiquement présentes dans les pays baltes. Ces trois pays furent alternativement sous domination prussienne, suédoise ou russe.</ref>. Polyglotte, il est un savant reconnu par ses pairs dans les domaines de l'anatomie, la physiologie, la physique, la chimie et la biologie. "''Cependant il se tient en dehors de la science officielle. Il consacre sa haute intelligence à l'étude infatigable de choses étranges, mystérieuses et troublantes qui seront peut-être la science de demain''" <ref name="#rie" />. Le rejeton d'une copulation fictive entre le docteur Victor Frankenstein et le professeur Didier Raoult. En ce qui concerne les années qui précèdent 1902, rien n'est connu sur la vie de Yégor Martinof. "''A-t-il des relations amicales et sociales autres que celles que l’on entretient habituellement avec un animal domestique ou une plante verte ?''" <ref>"Vie et œuvre de F. Merdjanov" dans F. Merdjanov, ''Analectes de rien'', 2017 - [https://analectes2rien.legtux.org/index.php/vie-t-oeuvre-de-f-merdjanov En ligne]</ref> pour paraphraser les biographes de [[F. Merdjanov]]. Quels sont ses liens avec les milieux anarchistes pétersbourgeois ? Est-il lié à un groupe constitué ou participe-t-il à un journal ? A-t-il lu la première traduction de ''L'unique et sa propriété'' de Max Stirner publiée à Moscou en 1905 ? <ref>''Poésie par le fait/faire, géographie po(l)étique des avant-gardes de Russie'', 2021 - [https://analectes2rien.legtux.org/images/PDF/Poezi.pdf En ligne]</ref> Autant de questions qui restent sans réponse. Des recherches complémentaires doivent encore être menées pour y répondre. Le Saint-Pétersbourg de ce tout début de XX<sup><small>ème</small></sup> siècle est agité par quelques groupes anarchistes qui diffusent les écrits de Piotr Kropotkine et se réunissent dans de petits cercles clandestins pour discuter, échanger et s'organiser pour élargir la propagande. Il est possible que Louis Boussenard fasse une erreur dans la datation des faits. En effet, si l'année 1902 se déduit des âges des jeunes princesses, selon ce qu'il décrit dans la biographie de Yégor Martinof, il est probable que les faits soient postérieurs. Dans ce cas, le contexte politique russe est tout autre et l'activité de groupes anarchistes a évolué vers d'autres options. L'utilisation de la violence politique par des groupes armés clandestins s'est accrue et est venue s'ajouter aux autres formes d'activisme anarchiste. Dans les premières années du XX<sup><small>ème</small></sup> siècle, l'empire russe est secoué par des vagues de protestations. Des pétitions, des manifestations, des grèves, des écrits et des organisations politiques réclament des réformes politiques et sociales pour atténuer les méfaits de l'autocratie et améliorer le sort des hominines [[Modeste|les plus pauvres]]. Le monde ouvrier urbain est en effervescence et le monde paysan villageois est traversé par le rejet de la servitude et l'obtention d'une réforme agraire. Les plus modérées des demandes veulent une libéralisation politique et économique de la Russie, les plus radicales souhaitent le renversement du tsarisme pour instaurer autre chose. Régime violent et peu habitué à la contestation, la réponse est une fin de non-recevoir. Les oppositions sont contraintes de se cacher pour ne pas tomber sous les coups de la répression. Les morts sont nombreuses et les arrestations fréquentes. Que l'on utilise l'alphabet cyrillique ou pas, il existe toujours au moins [[ACAB|1312]] raisons de détester la police <ref>Gwenola Ricordeau (dir.), ''1312 raisons d'abolir la police'', Montréal, Lux Éditeur, coll. "Instinct de liberté", 2022</ref>. La répression sanglante d'une manifestation ouvrière le 22 janvier 1905 à Saint-Pétersbourg déclenche un vaste mouvement de révoltes et de grèves dans les villes de l'empire jusqu'en octobre, évènement généralement appelé "Révolution de 1905" <ref>''Vive la révolution, à bas la démocratie ! Anarchistes de Russie dans l'insurrection de 1905'', Mutines Séditions, 2016. Paul Avrich, "Les terroristes", ''Les anarchistes russes'', 1979 - [https://analectes2rien.legtux.org/images/PDF/anarchistesrusses.pdf En ligne]</ref>. |
− | D'après les dires de Nadia Lobanof <ref>Nadia Lobanof a une vingtaine d'années, elle est "''charmante, distinguée, d'une beauté rare, savante également, au point de pouvoir partager les travaux de son père''" selon un témoignage élogieux. Pour le général Borissof, un hominine mâle qui n'apprécie pas que les hominines femelles soit ses égales, elle est une "''savantasse ! un de ces monstres d'érudition... de froide énergie et de nervosisme que rien n'arrête... ni n'émeut, dès que les idées révolutionnaires ont incendié leurs cervelles !''" </ref>, l'étudiant Yégor Martinof est volontaire pour participer à une expérience du professeur Lobanof, d'en être le cobaye. De nombreux tests ont été menés auparavant sur d'autres animaux que les hominines. Avec succès. Dans les locaux du laboratoire situé sur la Perspective Gorokovaïa, il s'agit dans un premier temps d'injecter un sérum gras à base de glycérine, une "''sorte de synthèse des éléments essentiels composant les liquides contenus dans les organismes les plus perfectionnés''" <ref name="#rie" />. En plus des injections hypodermiques régulières et savamment dosées, l'expérience nécessite aussi une ingestion par la bouche. Ensuite, Yégor Martinof est placé sous une grande cloche en verre dans laquelle l'atmosphère est chargé de gouttelettes de sérum gras. Il les respire et s'en imprègne doucement. L'idée repose sur une démonstration simple. "''Si l'on mouille simplement avec de l'eau du papier ''non collé'', ce papier absorbe l'eau par capillarité. Aussitôt cet eau chasse l'air, et le papier apparait translucide... Si le papier est ''collé'', l'eau ne peut pas s'incorporer à lui, mais alors on l'imbibe d'huile. Et cette huile s'insinue dans sa substance, chasse l'air d'une façon beaucoup plus complète, plus durable aussi, et lui donne la translucidité.''" <ref name="#rie" /> Avec ce procédé du sérum gras, Yégor Martinof doit dans un premier temps devenir transparent. Ce nouvel état engendre un phénomène optique qui rend l'indice de réfraction égal à celui de l'air, "''de telle façon qu'il n'y eut plus ni réflexion ni réfraction quand les rayons lumineux passaient de l'air dans le corps et du corps dans l'air ambiant''" <ref name="#rie" />. Ce qui, en terme moins scientifique, induit l'invisibilité. Le long et progressif processus est clairement détaillé dans la biographie écrite par Louis Boussenard. Les descriptions de toutes les étapes sont de la bouche même de Nadia Lobanof, très investie dans les travaux scientifiques paternels. | + | D'après les dires de Nadia Lobanof <ref>Nadia Lobanof a une vingtaine d'années, elle est "''charmante, distinguée, d'une beauté rare, savante également, au point de pouvoir partager les travaux de son père''" selon un témoignage élogieux. Pour le général Borissof, un hominine mâle qui n'apprécie pas que les hominines femelles soit ses égales, elle est une "''savantasse ! un de ces monstres d'érudition... de froide énergie et de nervosisme que rien n'arrête... ni n'émeut, dès que les idées révolutionnaires ont incendié leurs cervelles !''" |
+ | Est-ce une allusion à Sophie Kovalevskaïa, l'autrice de ''Une nihiliste'' et une des premières scientifiques russes ? Différents textes et articles sur elle sont parus entre 1890 et 1907 en français. ''Une nihiliste'' est publié en français en 1892. </ref>, l'étudiant Yégor Martinof est volontaire pour participer à une expérience du professeur Lobanof, d'en être le cobaye. De nombreux tests ont été menés auparavant sur d'autres animaux que les hominines. Avec succès. Dans les locaux du laboratoire situé sur la Perspective Gorokovaïa, il s'agit dans un premier temps d'injecter un sérum gras à base de glycérine, une "''sorte de synthèse des éléments essentiels composant les liquides contenus dans les organismes les plus perfectionnés''" <ref name="#rie" />. En plus des injections hypodermiques régulières et savamment dosées, l'expérience nécessite aussi une ingestion par la bouche. Ensuite, Yégor Martinof est placé sous une grande cloche en verre dans laquelle l'atmosphère est chargé de gouttelettes de sérum gras. Il les respire et s'en imprègne doucement. L'idée repose sur une démonstration simple. "''Si l'on mouille simplement avec de l'eau du papier ''non collé'', ce papier absorbe l'eau par capillarité. Aussitôt cet eau chasse l'air, et le papier apparait translucide... Si le papier est ''collé'', l'eau ne peut pas s'incorporer à lui, mais alors on l'imbibe d'huile. Et cette huile s'insinue dans sa substance, chasse l'air d'une façon beaucoup plus complète, plus durable aussi, et lui donne la translucidité.''" <ref name="#rie" /> Avec ce procédé du sérum gras, Yégor Martinof doit dans un premier temps devenir transparent. Ce nouvel état engendre un phénomène optique qui rend l'indice de réfraction égal à celui de l'air, "''de telle façon qu'il n'y eut plus ni réflexion ni réfraction quand les rayons lumineux passaient de l'air dans le corps et du corps dans l'air ambiant''" <ref name="#rie" />. Ce qui, en terme moins scientifique, induit l'invisibilité. Le long et progressif processus est clairement détaillé dans la biographie écrite par Louis Boussenard. Les descriptions de toutes les étapes sont de la bouche même de Nadia Lobanof, très investie dans les travaux scientifiques paternels. Moins de dix ans après la publication en 1897 par Herbert George Wells de la biographie de Griffin — un hominine mâle albinos — <ref name="#wel"> H.G. Wells, ''L'homme invisible'', 1897 - [https://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Homme_invisible En ligne]</ref>, Yégor Martinof est le second hominine à devenir invisible et dont l'existence est attestée par une biographie. Selon les études menées à ce sujet <ref>Une biographie de Wilhelm Storitz est écrite entre 1897 et 1901 par Jules Verne, et publiée en 1910 à titre posthume. Cela fait de Wilhelm Storitz le véritable second homme invisible moderne. Jules Verne, ''Le Secret de Wilhelm Storitz'' - [https://fr.wikisource.org/wiki/Le_Secret_de_Wilhelm_Storitz En ligne]. La version éditée en 1910 est remaniée par le fils Verne qui en change la fin et l'époque. Alors que Verne père situe Wilhelm Storitz dans la fin du XIX<sup><small>ème</small></sup> siècle, l'œuvre posthume se déroule un siècle plus tôt. Wilhelm Storitz est un jeune chimiste allemand qui est invisible grâce à un procédé établi par son père. Il s'en sert pour harceler une hominine femelle qu'il a déclaré être son amour et pour se venger d'avoir été éconduit. Il lui fait boire de force la potion d'invisibilité pour qu'elle ne soit plus regardée par d'autres hominines.</ref>, la troisième personne à devenir invisible est Segundo de Chomon, un hominine mâle, dont nous disposons des premières images cinématographiques datant de 1909 <ref name="#seg">Segundo de Chomon, ''Le voleur invisible'', 5 min 32 sec, muet, 1909 - [https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Le_Voleur_invisible_(1909).webm En ligne]</ref>. S'inspirant de l'exemple de Griffin, la formule chimique suivante est employée pour se rendre invisible : 15 gouttes d'invisibilyte, 2 grammes de vaporine et 10 centilitres de fluidhyte. La méthode développée par le professeur Markus Lobanof comporte quelques effets secondaires. Boire et manger ne sont plus recommandés car l'eau et la nourriture provoquent une réaction du corps traité avec le sérum gras. Outre des douleurs après l'ingurgitation, Yégor Martinof redevient partiellement et temporairement visible le temps de la digestion. Maintenant, il est préférable qu'il prenne exclusivement de la "''nourriture azoto-hydro-carbonnée à l'état d'éléments chimiques pur et directement assimilables sous forme de granule... pour boisson quelques gouttes de sérum dilué dans une faible solution des sels indispensables à l'organisme.''" <ref name="#rie" /> Une fois tous les dix jours. Au bout de plusieurs semaines d'imprégnation de sérum gras par Yégor Martinof, il est complètement invisible. À l'exception d'un plombage dentaire qu'il faut extraire pour que l'invisibilité soit totale. | ||
− | Comme Griffin avant lui, Yégor Martinov doit être intégralement nu pour ne pas être vu. Évidemment. La disparition des notes du professeur Lobanof empêche de comprendre pour quelle raison la méthode par sérum gras n'est pas utilisée sur des tissus. Est-ce un manque de temps ou une impossibilité physique ? Afin de pallier à cet inconvénient majeur pour qui vit à Saint-Pétersbourg, où les hivers sont rudes, Markus Lobanof fait preuve d'ingéniosité. Il propose de surexposer l'invisible hominine à des émanations de radium afin que cela active une prolifération abondante de pilosité invisible <ref>Hautement radioactif, le radium est identifié par le couple de chimistes Pierre et Marie Curie en 1898. Ses vertus curatives aboutissent à la radiothérapie. Jusqu'aux années 1940, le radium est vendu comme un produit miracle dans des crèmes, des suppositoires, des boissons, des dentifrices, des savons mais aussi comme composant de tissus et de laine. Pour un florilège, voir "Top 15 des pubs des produits radioactifs, quand le radium était miraculeux" - [https://www.topito.com/top-pubs-vantent-bienfaits-produits-radioactifs En ligne]</ref>. "''En moins d'une semaine, et grâce au radium, Yégor devint velu comme un véritable petit caniche. [Il devient] un homme-chien.''" <ref name="#rie" /> Tout risque de grippe intestinale ou de rhume est écarté. Alors que Griffin et plus tard Segundo de Chomon sont contraints de demeurer habillés et de masquer leur visage, Yégor Martinof gagne grandement en autonomie et en discrétion. L'inconvénient principal de ce pelage qui recouvre l'intégralité de son corps est l'odeur de chien mouillé qu'il dégage. Afin d'éviter d'être confronté aux canidés dont il peut croiser la route, il enduit sa fourrure de graisse de loup <ref>Selon de nombreuses traditions culturelles en Europe, la graisse de loup est depuis des siècles considérée comme ayant des propriétés médicinales. Leur efficacité est proche de celle de "''la graisse d'un goéland tué le vendredi''" qui, en Bretagne au XVI<sup><small>ème</small></sup> siècle, guérit la fièvre lorsque l'on se frotte avec. Voir Paul Sébillot, ''Le folk-lore de la France'', tome 3 "La faune et la flore", 1906 - [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1230197 En ligne] Des produits actuels prétendent que la graisse de loup est un "''agent immunitaire puissant''" - [https://fr.aliexpress.com/item/1005003288978535.html En ligne]</ref>. Pour ne pas s'exposer à la curiosité d'un chien de chasse à l'odorat sensible ou éviter les périodes de chaleur des mâles qui s'accrochent à tout ce qui bouge, il préfère créer de la peur chez les canidés. Au lendemain de sa transformation, Yégor Martinof met fin à l'expérience et quitte le laboratoire du professeur. Difficile d'avoir les détails précis sur les événements qui | + | Comme Griffin avant lui, Yégor Martinov doit être intégralement nu pour ne pas être vu <ref>Seul Wilhelm Storitz parvient à rendre ses vêtements invisibles.</ref>. Évidemment. La disparition des notes du professeur Lobanof empêche de comprendre pour quelle raison la méthode par sérum gras n'est pas utilisée sur des tissus. Est-ce un manque de temps ou une impossibilité physique ? Afin de pallier à cet inconvénient majeur pour qui vit à Saint-Pétersbourg, où les hivers sont rudes, Markus Lobanof fait preuve d'ingéniosité. Il propose de surexposer l'invisible hominine à des émanations de radium afin que cela active une prolifération abondante de pilosité invisible <ref>Hautement radioactif, le radium est identifié par le couple de chimistes Pierre et Marie Curie en 1898. Ses vertus curatives aboutissent à la radiothérapie. Jusqu'aux années 1940, le radium est vendu comme un produit miracle dans des crèmes, des suppositoires, des boissons, des dentifrices, des savons mais aussi comme composant de tissus et de laine. Pour un florilège, voir "Top 15 des pubs des produits radioactifs, quand le radium était miraculeux" - [https://www.topito.com/top-pubs-vantent-bienfaits-produits-radioactifs En ligne]</ref>. "''En moins d'une semaine, et grâce au radium, Yégor devint velu comme un véritable petit caniche. [Il devient] un homme-chien.''" <ref name="#rie" /> Tout risque de grippe intestinale ou de rhume est écarté. Alors que Griffin et plus tard Segundo de Chomon sont contraints de demeurer habillés et de masquer leur visage, Yégor Martinof gagne grandement en autonomie et en discrétion. L'inconvénient principal de ce pelage qui recouvre l'intégralité de son corps est l'odeur de chien mouillé qu'il dégage. Afin d'éviter d'être confronté aux canidés dont il peut croiser la route, il enduit sa fourrure de graisse de loup <ref>Selon de nombreuses traditions culturelles en Europe, la graisse de loup est depuis des siècles considérée comme ayant des propriétés médicinales. Leur efficacité est proche de celle de "''la graisse d'un goéland tué le vendredi''" qui, en Bretagne au XVI<sup><small>ème</small></sup> siècle, guérit la fièvre lorsque l'on se frotte avec. Voir Paul Sébillot, ''Le folk-lore de la France'', tome 3 "La faune et la flore", 1906 - [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1230197 En ligne] Des produits actuels prétendent que la graisse de loup est un "''agent immunitaire puissant''" - [https://fr.aliexpress.com/item/1005003288978535.html En ligne]</ref>. Pour ne pas s'exposer à la curiosité d'un chien de chasse à l'odorat sensible ou éviter les périodes de chaleur des mâles qui s'accrochent à tout ce qui bouge, il préfère créer de la peur chez les canidés. Au lendemain de sa transformation, Yégor Martinof met fin à l'expérience et quitte le laboratoire du professeur. Difficile d'avoir les détails précis sur les événements qui précipitent ce départ. |
[[Fichier:Monsieurien.jpg|200px|vignette|droite|Rien ou la Propagande par le fait ]] | [[Fichier:Monsieurien.jpg|200px|vignette|droite|Rien ou la Propagande par le fait ]] | ||
− | Peu de temps après, il se rend dans le palais du tsar Nicolas II. Invisible, il ne rencontre aucun obstacle à cela. La famille | + | Peu de temps après, il se rend dans le palais du tsar Nicolas II. Invisible, il ne rencontre aucun obstacle à cela. La famille impériale est réunie. Les quatre filles et les parents impériaux. Nicolas, souriant à l'idée de semer la peur, comme à son habitude, raconte à ses enfants l'histoire d'un mystérieux Monsieur Rien. Inventant un personnage qui se veut effrayant, il le décrit comme "''à la fois étrange et terrible... farceur et méchant... comique et cruel... grotesque et féroce''" et qui "''entre partout sans qu'on l'entende... sans qu'on l'aperçoive... sans même qu'on soupçonne sa présence.''" <ref name="#rie" /> Alors qu'il profite de cet instant pour tenter de poignarder le tsar, Yégor Martivof est touché par le tir de revolver de Nicolas deuxième du nom. Bien que blessé, il parvient à prendre la fuite. Le général Borissof, chef de la police de Moscou, est sans voix : |
<blockquote>''Rien !... Je ne trouve rien... je me heurte au néant !'' <ref name="#rie" /> </blockquote> | <blockquote>''Rien !... Je ne trouve rien... je me heurte au néant !'' <ref name="#rie" /> </blockquote> | ||
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Malgré ses vraisemblances, ''Monsieur... Rien !'' est à considérer avec toute la rigueur de la protivophilie. Les éléments biographiques et les détails du récit doivent être scrutés avec soin. Cette biographie de Yégor Martinof est publiée en octobre 1907. Malgré les repères chronologiques des âges princiers qui laissent à penser que les faits décrits se situent en 1902, il est très probable que ce ne soit pas le cas. | Malgré ses vraisemblances, ''Monsieur... Rien !'' est à considérer avec toute la rigueur de la protivophilie. Les éléments biographiques et les détails du récit doivent être scrutés avec soin. Cette biographie de Yégor Martinof est publiée en octobre 1907. Malgré les repères chronologiques des âges princiers qui laissent à penser que les faits décrits se situent en 1902, il est très probable que ce ne soit pas le cas. | ||
− | Hormis Yégor Martinof et la famille tsarienne, les protagonistes se cachent derrière des pseudonymes. Les assassinats d'un chef de la police et de deux ministres semblent faire allusion à d'autres hominines dont les archives font mention. Les ministres de l'intérieur Dmitri Sipiaguine et Viatcheslav Plehve sont assassinés respectivement en avril 1902 <ref>Membre du Parti socialiste-révolutionnaire, Stepan Balmashov (1881 - 1902) est arrêté et condamné à mort. Il est pendu en mai 1902. Cette action est la première de l'Organisation de Combat, la structure armée clandestine du parti SR. </ref> et en juillet 1904 <ref>Il échappe à une première tentative en 1903 et à deux l'année suivante. En juillet 1904, l'esseriste Igor Sazonov (1879 - 1910) parvient à le tuer. Il est condamné à la déportation en Sibérie. Il se suicide en décembre 1910. Le mythomane romanesque Joseph Conrad s'inspire d'Igor Sazonov pour forger son personnage de Victor Haldin dans ''Sous les yeux de l'Occident'', publié en 1911. Adapté pour le cinéma en 1936 par le français Marc Allégret sous les titres ''Razumov'' ou ''Sous les yeux de l'Occident'' </ref>. Le ministre de la guerre Viktor Sakharov est tué en novembre 1905 <ref>Membre du Parti socialiste-révolutionnaire, Anastasia Bitsenko est arrêtée et condamnée à mort. Sa peine est commuée en déportation en Sibérie dans la colonie pénitentiaire de Nerchinsk. Elle y côtoie l'esseriste Maria Spiridonovna et l'anarchiste [[Fanny Kaplan]]. Libérée en 1917, elle se rallie à la position majoritaire du parti SR qui soutient les bolchevistes. Anastasia Bitsenko rejoint le Parti communiste russe (bolchevique), futur Parti communiste de l'Union soviétique (PCUS). Elle est | + | Hormis Yégor Martinof et la famille tsarienne, les protagonistes se cachent derrière des pseudonymes. Les assassinats d'un chef de la police et de deux ministres semblent faire allusion à d'autres hominines dont les archives font mention. Les ministres de l'intérieur Dmitri Sipiaguine et Viatcheslav Plehve sont assassinés respectivement en avril 1902 <ref>Membre du Parti socialiste-révolutionnaire, Stepan Balmashov (1881 - 1902) est arrêté et condamné à mort. Il est pendu en mai 1902. Cette action est la première de l'Organisation de Combat, la structure armée clandestine du parti SR. </ref> et en juillet 1904 <ref>Il échappe à une première tentative en 1903 et à deux l'année suivante. En juillet 1904, l'esseriste Igor Sazonov (1879 - 1910) parvient à le tuer. Il est condamné à la déportation en Sibérie. Il se suicide en décembre 1910. Le mythomane romanesque Joseph Conrad s'inspire d'Igor Sazonov pour forger son personnage de Victor Haldin dans ''Sous les yeux de l'Occident'', publié en 1911. Adapté pour le cinéma en 1936 par le français Marc Allégret sous les titres ''Razumov'' ou ''Sous les yeux de l'Occident'' </ref>. Le ministre de la guerre Viktor Sakharov est tué en novembre 1905 <ref>Membre du Parti socialiste-révolutionnaire, Anastasia Bitsenko est arrêtée et condamnée à mort. Sa peine est commuée en déportation en Sibérie dans la colonie pénitentiaire de Nerchinsk. Elle y côtoie l'esseriste Maria Spiridonovna et l'anarchiste [[Fanny Kaplan]]. Libérée en 1917, elle se rallie à la position majoritaire du parti SR qui soutient les bolchevistes. Anastasia Bitsenko rejoint le Parti communiste russe (bolchevique), futur Parti communiste de l'Union soviétique (PCUS). Elle est exécutée en juin 1938 lors des purges de Staline </ref>. D'autres échappent de peu à la mort. Par exemple le ministre de l'intérieur Piotr Durnovo qui, en 1905, pense que "''les émeutiers doivent être exterminés immédiatement par la force des armes, leurs habitations doivent être brûlées en cas de résistance. L'autonomie arbitraire doit être éradiquée une fois pour toutes — maintenant. Les arrestations ne serviraient à rien aujourd'hui et il est de toute façon impossible de juger des centaines et des milliers de personnes.''"<ref>Extrait de ''L'année 1905'' de Lev "Trotsky" Bronstein, futur grand pourfendeur bolcheviste des tendances révolutionnaires non-bolchevistes après 1917. Trostky est assassiné en 1940 au Mexique sur ordre de son ancien camarade Joseph "Staline" Djougachvili.</ref> Ou encore Dmitri Trepov, chef de la police moscovite et gouverneur général de la région de Saint-Pétersbourg en 1905, qui survit à plusieurs tentatives d'assassinat <ref>Tatiana Leontieff (1883 - 1922) est arrêtée en mars 1905 après une tentative d'assassiner Dmitri Trepov à Saint-Pétersbourg. Elle parvient à fuir et se réfugie en Suisse. Membre du courant maximaliste des socialistes-révolutionnaires, elle est décidée à tuer Piotr Durnovo qu'elle pense être de passage en Suisse sous le pseudonyme de Muller. Elle se trompe de cible et abat un rentier parisien du nom de Muller. Arrêtée, "''elle plaide devant le jury de paysans bernois qu'elle se bat contre la tyrannie, et pour qu'enfin la terre soit aux paysans.''" Elle est condamnée à quatre années de prison. Transférée ensuite dans un hôpital psychiatrique, elle y meurt en 1922. "Le procès de Tatiana Leontieff à Thoune" dans le journal suisse ''L'impartial'' du 27 mars 1907 - [https://doc.rero.ch/record/85705/files/1907-03-27.pdf En ligne]. "Le fantôme de Tatiana" dans ''Le Monde'' du 16 septembre 1983. Jacques Baynac, ''Le Roman de Tatiana, biographie de Tatiana Leontiev'', Denoël, 1985</ref>. La famille du tsar est aussi la cible d'attaques meurtrières. Déjà en 1881 le grand-père de Nicolas II, le tsar Alexandre II <ref>Après cinq tentatives entre 1879 et 1881, la section de combat de la Volonté du Peuple (Narodnaïa Volia) parvient à ses fins le 13 mars 1881. Franco Venturi, ''Les intellectuels, le peuple et la révolution. Histoire du populisme russe au XIX<sup><small>e</small></sup> siècle'', 2 tomes, Gallimard, 1972 </ref>, est tué lors d'un attentat et en 1905, c'est le frère de ce dernier qui est abattu par l'esseriste Ivan Kaliaïev <ref>Né d'un père russe et d'une mère polonaise, Ivan Kaliaïev (1877 - 1905) rejoint l'Organisation de Combat des socialistes-révolutionnaires. Il renonce à un premier projet de tuer le grand-duc Serge car sa femme et ses jeunes neveux et nièce sont présents. Deux jours plus tard, le 17 février 1905, il lance une bombe sur la voiture du grand-duc et le tue. Arrêté, Ivan Kaliaïev est pendu le 23 mai suivant. Pièce de théâtre en cinq actes écrite par Albert Camus, ''Les Justes'' s'inspire de cet évènement. </ref>. Cet [[Los Porfiados|acharnement]] n'est pas le fait du hasard. Tous sont visés pour leur responsabilité directe dans la répression qui cause la mort de milliers d'hominines lors des manifestations qui réclament des réformes politiques, ainsi que pour leur acharnement à poursuivre et anéantir les différents groupes politiques qui contestent l'autocratie tsariste. D'après Louis Boussenard, le général Borissof est le successeur de Dmitri Trepov, mort en septembre 1906 d'une angine de poitrine — trois mois après une dernière tentative ratée de le tuer <ref>''Le Petit Journal'', 24 juin 1906 - [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6175681 En ligne]</ref> — mais selon la presse de cette époque, c'est le général Vladimir Dediouline, préfet de police pétersbourgeois, qui le remplace <ref>''Le Petit Journal'', 20 septembre 1906 - [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6176567 En ligne]</ref>. Lorsque dans ''Monsieur... Rien !'' il fait allusion à la tentative d'assassinat du "''prédécesseur''" de Borissof par Vera Zassoulitch <ref>Condamnée à de la prison en 1869 pour avoir échangé des lettres avec Serge Netchaïev, Vera Zassoulitch est libérée en 1871. Elle rejoint le groupe clandestin ''Les émeutiers du Sud'' qui commet plusieurs attentats dans le sud-ouest de la Russie. En janvier 1878, en représailles des violences qu'il a fait subir à un prisonnier, le préfet de police Fédor Trepov est visé par un attentat. Véra Zassoulitch lui tire dessus mais ne fait que le blesser. Étonnement, elle est acquittée. Elle fuit vers la Suisse et rejoint le groupe populiste ''Terre et liberté'' avant de se tourner progressivement vers le marxisme. Elle est l'une des fondatrices en 1883, en Suisse, du premier groupe marxiste russe ''Libération du Travail''. Ce dernier s'opposera à la politique de Vladimir "Lénine" Oulianov et aux bolchevistes. Elle inspire le personnage de Véra dans ''Véra ou Les nihilistes'' d'Oscar Wilde en 1880. L'auteur fait de Véra une romantique stupide et amoureuse d'un nihiliste qui s'avère être le jeune futur tsar, successeur de son père ! Un texte qui donne envie de relire ''Le théâtre mis en pièce(s)'', Les frères de la lumière, 2016 - [https://miseenpiecedutheatre.wordpress.com/ En ligne]</ref>, il semble que Louis Boussenard confonde Dmitri Trepov avec son père, le général Fiodor Trepov, que Vera Zassoulitch a tenté de tuer en janvier 1878. Sa formulation prête à confusion. Il existe bien un général Borissof ou Borissov, que l'on retrouve dans les évènements liés à la guerre de 1905 entre la Russie et le Japon et non à un poste de gouverneur ou de chef de la police. Il est attaché militaire auprès de Mikhail Alekseïev, général d’état-major de la 3<sup><small>ème</small></sup> armée en Mandchourie lors de cette guerre. Dans une lettre datée de 1915, la tsarine demande à son empereur de mari des précisions sur Borissof car leur fille Anastasia "Zazie", la plus jeune <ref>Née en 1901, Anastasia Romanov est à la pointe de la technologie moderne. Elle est la seule de sa famille à communiquer via les réseaux sociaux selon les travaux récents (2023) de Mel Brooks, ''La folle histoire du monde II'' - [En ligne] </ref>, "''a entendu dire qu'il n'était pas un homme bien pendant la guerre du Japon !''" <ref>Lettre du 5 septembre 1915 - [https://www.alexanderpalace.org/letterstsaritsa/september15.html En ligne]</ref> <ref>Dans ''La Décomposition de l’armée et du pouvoir'', écrit en 1922 par le général tsariste Anton Dénikine, ce dernier précise que certains "''attribuent une importance exagérée à la collaboration [...] du général Borissov''" pour expliquer les choix stratégiques de Mikhail Alekseïev lors de la guerre civile entre armée tsariste et révolutionnaires de 1917 à 1921. Depuis 1905, la réputation de Borissof semble fragile. - [https://fr.wikisource.org/wiki/La_D%C3%A9composition_de_l%E2%80%99arm%C3%A9e_et_du_pouvoir/Texte_entier#cite_ref-31 En ligne]</ref> |
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− | La plupart de ces actions meurtrières contre des officiels du régime tsariste sont l'œuvre de membres de groupes socialistes-révolutionnaires <ref>Collectif, ''Les Socialistes-Révolutionnaires de gauche dans la révolution russe. Une lutte méconnue'', Spartacus, 1983. Jacques Baynac, ''Les Socialistes révolutionnaires'', Laffont, 1992</ref>. Les socialistes-révolutionnaires (SR) sont un courant révolutionnaire non-marxiste qui fonde ses espoirs, non pas sur la classe ouvrière, mais sur la paysannerie. Illes sont organisés en parti depuis 1901 et sont adeptes de la violence politique. La branche dite "maximaliste" est tactiquement proche des anarchistes avec qui de nombreuses actions clandestines et braquages sont réalisés. Adeptes du parti centralisé, les socialistes-révolutionnaires forment l'Organisation de Combat <ref>Boris Savinkov, ''Mémoires d'un terroriste'', 1917 (Rééd. Champ Libre, 1982)</ref>, chargée des vols à main armée — les expropriations — et des actions violentes contre des représentants du pouvoir ou des militaires. Parmi les anarchistes, les choix d'organisation sont différents. Une myriade de groupes anarchistes clandestins apparaissent dans les régions industrielles du sud-ouest de la Russie et du nord-ouest, ainsi que dans les territoires de l'ancien royaume de Pologne et de Lituanie. En Russie, nombre d'anarchistes sont d'ex-esseristes <ref>Les maximalistes sont défaits par la répression et une partie des SR se rapprochent des bolchevistes à partir de 1917.</ref>. Dans les premières années du XX<sup><small>ème</small></sup> siècle, à Saint-Pétersbourg apparaît le groupe anarchiste ''Beznatchalie'', nom qui signifie "refus de toute autorité" et peut être un synonyme de "anarchiste". Au printemps et à l'été 1905, Nicolas Romanov dit Bidbei et deux de ses compagnons publient à Paris un journal intitulé ''Feuille du groupe Beznatchalie''. Le discours est clair : Il appelle au "''soulèvement armé du peuple tout entier : paysans, ouvriers et déshérités...''" et préconise pour cela de s'unir à "''la lie de la société : chômeurs, vagabonds, clochards, tous les éléments rejetés, les renégats de la société car ils sont tous nos frères et nos camarades''" pour une "''revanche gigantesque, totale, féroce et sanglante du peuple''" <ref>Cité par Paul Avrich dans ''Les anarchistes russes''.</ref>. À Saint-Pétersbourg même, le groupe Beznatchalie diffuse beaucoup de textes anarchistes et fait de la propagande en direction des hominines dans les usines "''les appelant à détruire leurs machines, à faire sauter les centrales d’énergie, à lancer des bombes sur les tortionnaires bourgeois, à piller les banques et les magasins, à faire sauter les commissariats et à ouvrir les prisons''", selon l'historien anarcophile Paul Avrich. L'un des hominines de ce groupe anarchiste pétersbourgeois, "Tolstoï" Rostovtsev <ref>Fils d’un haut dignitaire de Saratov. Fait ses études à l’université de Kharkov et devient adepte de la non-violence tolstoïenne. Avant de changer d'avis.</ref>, publie un petit manuel pratique pour fabriquer les bombes dite macédoniennes — selon une méthode éprouvée en Macédoine — dans lequel il explique "''la façon de s’y prendre pour mettre le feu aux meules des gros propriétaires''" et exhorte les hominines à "''s’armer de [[Hache|haches]] et à faire périr la famille du tsar, les hobereaux et les prêtres !''" Alors qu'il n'a encore à son actif qu'un braquage de banque et l'assassinat d'un policier, le groupe anarchiste de Saint-Pétersbourg est démantelé courant 1906 et le procès de ses membres débute le 13 novembre de la même année. Illes refusent évidemment de reconnaître la légitimité de la justice tsariste et se moquent de leurs juges. Parmi elleux, Nikola "Bidbei" Romanov est condamné à 15 années de prison. Idem pour Alexander Kolosov <ref>Fils d’un prêtre de la province de Tambov. Après l'abandon de ses études de théologie, il adhère à un groupe socialiste-révolutionnaire, puis en 1905, il se joint au groupe anarchiste de Saint-Pétersbourg.</ref> qui se suicide trois ans plus tard. Boris Speranski prend 10 ans. Ce dernier, condamné à 10 années supplémentaires pour une tentative d'évasion, est maltraité par ses geôliers après les avoir insulté en 1908. L'un d'eux lui tire une balle de pistolet dans la jambe. Il disparaît dans les méandres du système carcéral russe. "Tolstoï" Rostovtsev et Vladimir Ouchakov <ref>Fils du gouverneur de la province de Saint-Pétersbourg. Il entre à l'université de la ville en 1901 et participe ensuite au mouvement de contestation estudiantin. Il fuit à l'étranger et rentre en Russie en 1905.</ref> sont envoyés à la forteresse Pierre-et-Paul. L'un simule la folie et parvient à être transféré dans un hôpital d'où il s'échappe. Réfugié en Suisse, il participe à un braquage à Montreux qui tourne mal. Emprisonné à Lausanne, il s'asperge d'essence et s'immole. L'autre, Vladimir Ouchakov, réussi aussi à s'évader. Capturé après un braquage en Crimée, il parvient à s'échapper mais, rattrapé, il préfère se tirer une balle dans la tête plutôt que d'être arrêté. Le sort de Maroussia — l'épouse de Rostovtsev — et de quelques autres membres demeure inconnu pour la [[protivophilie]]. | + | La plupart de ces actions meurtrières contre des officiels du régime tsariste sont l'œuvre de membres de groupes socialistes-révolutionnaires <ref>Collectif, ''Les Socialistes-Révolutionnaires de gauche dans la révolution russe. Une lutte méconnue'', Spartacus, 1983. Jacques Baynac, ''Les Socialistes révolutionnaires'', Laffont, 1992</ref>. Les socialistes-révolutionnaires (SR) sont un courant révolutionnaire non-marxiste qui fonde ses espoirs, non pas sur la classe ouvrière, mais sur la paysannerie. Illes sont organisés en parti depuis 1901 et sont adeptes de la violence politique. La branche dite "maximaliste" est tactiquement proche des anarchistes avec qui de nombreuses actions clandestines et braquages sont réalisés. Adeptes du parti centralisé, les socialistes-révolutionnaires forment l'Organisation de Combat <ref>Boris Savinkov, ''Mémoires d'un terroriste'', 1917 (Rééd. Champ Libre, 1982)</ref>, chargée des vols à main armée — les expropriations — et des actions violentes contre des représentants du pouvoir ou des militaires. Parmi les anarchistes, les choix d'organisation sont différents. Une myriade de groupes anarchistes clandestins apparaissent dans les régions industrielles du sud-ouest de la Russie et du nord-ouest, ainsi que dans les territoires de l'ancien royaume de Pologne et de Lituanie. En Russie, nombre d'anarchistes sont d'ex-esseristes <ref>Les maximalistes sont défaits par la répression et une partie des SR se rapprochent des bolchevistes à partir de 1917.</ref>. Dans les premières années du XX<sup><small>ème</small></sup> siècle, à Saint-Pétersbourg apparaît le groupe anarchiste ''Beznatchalie'', nom qui signifie "refus de toute autorité" et peut être un synonyme de "anarchiste". Au printemps et à l'été 1905, Nicolas Romanov dit Bidbei et deux de ses compagnons publient à Paris un journal intitulé ''Feuille du groupe Beznatchalie''. Le discours est clair : Il appelle au "''soulèvement armé du peuple tout entier : paysans, ouvriers et déshérités...''" et préconise pour cela de s'unir à "''la lie de la société : chômeurs, vagabonds, clochards, tous les éléments rejetés, les renégats de la société car ils sont tous nos frères et nos camarades''" pour une "''revanche gigantesque, totale, féroce et sanglante du peuple''" <ref>Cité par Paul Avrich dans ''Les anarchistes russes''.</ref>. À Saint-Pétersbourg même, le groupe Beznatchalie diffuse beaucoup de textes anarchistes et fait de la propagande en direction des hominines dans les usines "''les appelant à détruire leurs machines, à faire sauter les centrales d’énergie, à lancer des bombes sur les tortionnaires bourgeois, à piller les banques et les magasins, à faire sauter les commissariats et à ouvrir les prisons''", selon l'historien anarcophile Paul Avrich. L'un des hominines de ce groupe anarchiste pétersbourgeois, "Tolstoï" Rostovtsev <ref>Fils d’un haut dignitaire de Saratov. Fait ses études à l’université de Kharkov et devient adepte de la non-violence tolstoïenne. Avant de changer d'avis.</ref>, publie un petit manuel pratique pour fabriquer les bombes dite macédoniennes — selon une méthode éprouvée en Macédoine — dans lequel il explique "''la façon de s’y prendre pour mettre le feu aux meules des gros propriétaires''" et exhorte les hominines à "''s’armer de [[Hache|haches]] et à faire périr la famille du tsar, les hobereaux et les prêtres !''" Alors qu'il n'a encore à son actif qu'un braquage de banque et l'assassinat d'un policier, le groupe anarchiste de Saint-Pétersbourg est démantelé courant 1906 et le procès de ses membres débute le 13 novembre de la même année. Illes refusent évidemment de reconnaître la légitimité de la justice tsariste et se moquent de leurs juges. Parmi elleux, Nikola "Bidbei" Romanov est condamné à 15 années de prison. Idem pour Alexander Kolosov <ref>Fils d’un prêtre de la province de Tambov. Après l'abandon de ses études de théologie, il adhère à un groupe socialiste-révolutionnaire, puis en 1905, il se joint au groupe anarchiste de Saint-Pétersbourg.</ref> qui se suicide trois ans plus tard. Boris Speranski prend 10 ans. Ce dernier, condamné à 10 années supplémentaires pour une tentative d'évasion, est maltraité par ses geôliers après les avoir insulté en 1908. L'un d'eux lui tire une balle de pistolet dans la jambe. Il disparaît dans les méandres du système carcéral russe. "Tolstoï" Rostovtsev et Vladimir Ouchakov <ref>Fils du gouverneur de la province de Saint-Pétersbourg. Il entre à l'université de la ville en 1901 et participe ensuite au mouvement de contestation estudiantin. Il fuit à l'étranger et rentre en Russie en 1905.</ref> sont envoyés à la forteresse Pierre-et-Paul. L'un simule la folie et parvient à être transféré dans un hôpital d'où il s'échappe. Réfugié en Suisse, il participe à un braquage à Montreux qui tourne mal. Emprisonné à Lausanne, il s'asperge d'essence et s'immole. L'autre, Vladimir Ouchakov, réussi aussi à s'évader. Capturé après un braquage en Crimée, il parvient à s'échapper mais, rattrapé, il préfère se tirer une balle dans la tête plutôt que d'être arrêté. Le sort de Maroussia — l'épouse de Rostovtsev — et de quelques autres membres demeure pour l'instant inconnu pour la [[protivophilie]]. |
− | Malgré toutes les indications qui pourraient le laisser penser, il n'est pas possible d'affirmer avec certitude que Yégor Martinof ait fait parti du groupe anarchiste de Saint-Pétersbourg. Il n’apparaît dans aucune des archives officielles. Seule la biographie de Louis Boussenard conserve son souvenir. Yégor Martinof n'est pas le seul cas — loin de là — d'invisibilité d'hominines qui ont lutté, voire perdu la vie, pour défendre une cause qui leur semblait juste et dont l'historiographie officielle ne garde pas de traces. | + | Malgré toutes les indications qui pourraient le laisser penser, il n'est pas possible d'affirmer avec certitude que Yégor Martinof ait fait parti du groupe anarchiste de Saint-Pétersbourg. Il n’apparaît dans aucune des archives officielles. Seule la biographie de Louis Boussenard conserve son souvenir. Yégor Martinof n'est pas le seul cas — loin de là — d'invisibilité d'hominines qui ont lutté, voire perdu la vie, pour défendre une cause qui leur semblait juste et dont l'historiographie officielle ne garde pas de traces. Pour des raisons différentes, ce phénomène d'invisibilité se retrouve aussi dans l'historiographie écrite par les mouvements révolutionnaires. Yégor Martinof en est la preuve. |
<blockquote>''Et bien, oui, je le répète à la face du monde : toute "organisation" ne profite et ne profitera jamais qu’aux organisateurs ! Voilà ce que je veux "conter" encore avant de mourir. Tous ceux qui veulent faire de l’Homme la bête d’un troupeau sont des assassins. Quels qu’ils soient. […] Pourquoi ? Mais parce que je suis convaincu que les révoltes des bergers ne sont que des révoltes commanditées, quoiqu’il leur arrive, parfois, à ces bergers, de se casser le cou, eux aussi, au beau milieu de la commandite, ou de l’illusion. Et c’est pourquoi je crie, sur mon grabat : Vive l’Homme qui n’adhère à rien !'' <ref>Panaït Istrati, ''L’homme qui n’adhère à rien''. Cité à l'entrée "beznatchalie" dans F. Merdjanov, ''Analectes de rien'', 2017</ref><br /> | <blockquote>''Et bien, oui, je le répète à la face du monde : toute "organisation" ne profite et ne profitera jamais qu’aux organisateurs ! Voilà ce que je veux "conter" encore avant de mourir. Tous ceux qui veulent faire de l’Homme la bête d’un troupeau sont des assassins. Quels qu’ils soient. […] Pourquoi ? Mais parce que je suis convaincu que les révoltes des bergers ne sont que des révoltes commanditées, quoiqu’il leur arrive, parfois, à ces bergers, de se casser le cou, eux aussi, au beau milieu de la commandite, ou de l’illusion. Et c’est pourquoi je crie, sur mon grabat : Vive l’Homme qui n’adhère à rien !'' <ref>Panaït Istrati, ''L’homme qui n’adhère à rien''. Cité à l'entrée "beznatchalie" dans F. Merdjanov, ''Analectes de rien'', 2017</ref><br /> | ||
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+ | Il est très compliqué, même pour la [[protivophilie]], de faire des comparatifs. Griffin <ref name="#wel" /> et Segundo de Chomon <ref name="#seg" /> sont les parentèles symboliques les plus proches de Yégor Martinof. Le premier, sous le titre d'Invisible I<sup><small>er</small></sup>, veut mettre fin à la royauté (britannique). Pour entamer le processus qui mène à la chute royale, il projette dans un premier temps d'assassiner un savant mais il en est empêché par une foule d'hominines qui le lynchent. Ses notes sur les travaux qui lui permettent de devenir invisible demeurent introuvables. D'après son biographe H.G. Wells elles sont entre les mains d'un de ses complices, Thomas Marvel. Le second invisible, Segundo de Chomon, est un détrousseur de riches. Les quelques images de lui le montrent invisible en train de dévaliser une riche demeure dans laquelle il s'empare des bijoux et de la faïencerie. Puis dans un deuxième temps, il fait les poches d'un couple d'hominines en admiration devant la vitrine d'un bijoutier. Malgré la traque policière, il parvient à effrayer ses poursuivants qui renoncent. Nul ne sait ce qu'il devient par la suite. Est-il arrêté ? Finit-il mort comme Invisible I<sup><small>er</small></sup> avant lui ? Le lien entre les deux invisibles semble être du domaine politique. Griffin abhorre la monarchie au point de vouloir attenter à la vie d'une personne pour l'ébranler, alors que l'autre n'hésite pas à prendre l'argent directement là où il est. S'il n'est pas clairement dit que ces deux invisibles soient anarchistes, les similitudes avec Yégor Martinof sont frappantes. Louis Boussenard ne dit d'ailleurs pas si Monsieur Rien est anarchiste ou non. Les références politiques historiques directes renvoient aux socialistes-révolutionnaires à travers l'exemple de Véra Zassoulitch, autant qu'aux nihilistes lorsque Yégor Martinof détruit les dossiers policiers les concernant ou avec son graffiti "''E nihilo vita''", "Du néant la vie". | ||
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+ | Dans le courant du XIX<sup><small>ème</small></sup> et le début du XX<sup><small>ème</small></sup> siècle, les liens entre les révolutionnaires de Russie et de France sont à l'image de la relation entre la parisienne [[Albertine Hottin]] et son amant russe Serge Netchaïev : profonds et fragiles à la fois. Profonds par les proximités idéologiques et la détermination partagée à en finir avec un présent vomitoire, fragiles par leur exposition permanente à la répression policière et par leur éloignement géographique irrémédiable. Qu'illes soient socialistes-révolutionnaires, nihilistes ou anarchistes, les hominines ne peuvent échapper à cette réalité : Plus de 2300 kilomètres séparent Saint-Pétersbourg du [[hameau de Rien]]. Mais, malgré ces distances, les polices collaborent entre elles. Pour y échapper, il est nécessaire de s'entraider. Les anarchistes de Saint-Pétersbourg ne sont pas le seul groupe à profiter d'un exil en France pour publier des journaux qui sont ensuite envoyés clandestinement en Russie. Les anarchistes du groupe ''Drapeau Noir'' de Bialystok publient le premier numéro de ''Le mutin'' — Buntar en russe — en décembre 1906 à Paris. Entre 1906 et 1910, le journal anarchiste ''L'oiseau-tempête'' — Burevestnik en russe — édite 19 numéros, tous imprimés dans cette ville. Animé par German Askarov <ref>German Askarov critique le syndicalisme réformiste pour proposer un syndicalisme révolutionnaire mâtiné d'individualisme. Il est exécuté par les bolchevistes vers 1937. Une courte biographie en anglais - [https://libcom.org/history/askarov-german-karlovich-1882-1937-real-name-iakobson-aka-herman-kleiner-german-oskar-bu En ligne]</ref>, ''L'anarchiste'' y publie 5 numéros entre 1907 et 1910. Pour se faire, il est indispensable de s'allier avec des anarchistes de France. | ||
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+ | L'ahistorienne Renée Gouraud d'Ablancourt <ref>Renée Gouraud d'Ablancourt (1853-1941) publie plusieurs dizaines de romans historiques, sentimentaux ou de science-fiction sous des pseudonymes masculins. Voir ''Renée Marie Gouraud d’Ablancourt (1853-1941), une romancière angevine'' - [https://feuillesdardoise.fr/2022/04/02/renee-marie-gouraud-dablancourt-1853-1941-une-romanciere-angevine/ En ligne] </ref>, sous le pseudonyme de René D'anjou, révèle en 1909 l'existence de la société secrète des "Compagnons de l’Étoile noire" dans des travaux publiés en épisodes dans ''La Mode du Petit Journal'' à partir du 18 juillet 1909 sous le titre de ''L'Oiselle ou Royale énigme''. Jusqu'alors inconnue, cette organisation clandestine œuvre afin qu'il n'y ait "''bientôt plus ni un roi, ni un empereur, ni une armée, ni une frontière''" <ref name="#veg">René d’Anjou, ''Véga la magicienne'' - [https://fr.wikisource.org/wiki/Véga_la_Magicienne En ligne]. Pauline Croquet, "Oubliée pendant un siècle, L’Oiselle, première super-héroïne française, reprend son envol", ''Le Monde'', 1 avril 2022 - [https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/04/01/oubliee-pendant-un-siecle-l-oiselle-premiere-superheroine-francaise-reprend-son-envol_6120153_4408996.html En ligne]</ref>. Son cœur névralgique se situe sur l'île Stella Negra, quelque part dans la mer Méditerranée, où flotte "''son fanion rouge, frappé d’une étoile noire.''" Une communauté d'hominines y est organisée selon des préceptes égalitaristes. En théorie, du moins. Des écoles, des ateliers et des magasins sont régis par le triptyque "''Concorde. Assistance. Justice''". Pour parvenir à ses fins, l'organisation anarchiste mènent de nombreuses recherches scientifiques avant-gardistes. "''Aux laboratoires, aux champs où ils font pousser dans des terres préparées chimiquement, des plantes textiles qui composent d’étranges étoffes aux propriétés multiples, aux couleurs variables, depuis la neo-color, invisible, car elle ne porte pas sur notre rétine et rend invisible tout ce qui en est enveloppé, jusqu’à la super-color, blanche au soleil, bleue à l’ombre, rouge sous l’action de la lumière électrique.''" <ref name="#veg" /> Leurs recherches sont une variation de celles d'Édouard Hottin, le cousin du père d'[[Albertine Hottin]], qui invente en 1864 un procédé chimique qui rend ininflammable les tissus <ref>''Catalogue des brevets d'invention'', n° 8, 1864 - [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6357402p/f4.item.r=hottin En ligne]</ref> et qu'il le nomme la ''Hottine''. Un échec commercial et une absence totale de mention ultérieure. "''Certes, si les hommes étaient sages, ce n’est pas aux inventeurs de moyens de destruction perfectionnés qu’ils élèveraient des statues. Celui-là a mieux mérité de l’humanité, qui, comme M. Hottin, nous débarrasse d’un fléau dévorant.''" <ref>''Le Sport : journal des gens du monde'', 16 septembre 1866 - [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k32768849/f4.item En ligne]</ref> | ||
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+ | L'hominine femelle Véga de Ortega est élevée sur Stella Negra : "''En liberté, selon la nature, je vivais à l’air jour et nuit, je mangeais des légumes, des fruits, des gâteaux de farine et de lait. [...] On me laissait la faculté d’agir bien ou mal selon mon instinct, on ne me défendait rien''" <ref name="#veg" />. Elle apprend l'italien et le français. Vers ses 18 ans, la jeune Véga de Ortega est équipée d'une nouvelle technologie lui permettant de voler dans les airs. Elle est la seule à pouvoir utiliser cette combinaison ailée car elle a reçu pour cela un traitement particulier depuis l'âge de sept ans qui la rend insensible à la peur du vol. Sa biographe ne rentre pas dans les détails et le procédé reste mystérieux. Dès 1906, le folklorien Paul Sébillot croit déceler dans un dicton populaire français une explication plausible à une telle situation : | ||
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+ | <blockquote> | ||
+ | ''Femme ainsi qui rien ne redoute.''<br /> | ||
+ | ''A monté dessus l’ours sans doute.'' <ref>Paul Sébillot, ''Le folk-lore de la France'', tome 3 "La faune et la flore", 1906 - [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1230197 En ligne]</ref><br /> | ||
+ | </blockquote> | ||
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+ | Connue au Royaume-Uni sous le surnom de "Lady Bird" et de "Femme-Oiseau" en France, Véga de Ortega se fait appeler ''L'Oiselle''. À partir d'août 1911, les travaux de Renée Gouraud d'Ablancourt sont de nouveau publiés en épisodes dans ''L'Indépendant du Cher'' sous le titre de ''Véga la magicienne'' <ref name="#veg" />. L'Oiselle n'est pas seulement capable de voler, elle bénéficie aussi de la technologie des douze tubes de vie, une "''pharmacie portative''" avec laquelle, selon ses propres mots, elle défie "''beaucoup de choses : le sommeil, la faim, la soif, la fatigue, l’énervement, la fièvre, les épidémies. [...] Les comprimés sont enfermés dans des flacons blancs. Les cinq autres flacons qui sont bleus contiennent le moyen d’augmenter la force des cinq sens.''" <ref name="#veg" /> Parmi les hominines de Stella Negra, Véga de Ortega semble faire exception car, généralement, "''les filles apprennent la cuisine, la couture, la lecture, avec quelques notions d’histoire, de géographie et de calcul, mais sans grand développement ; elles s’attachent surtout au métier de ménagères et de mères de famille, connaissant assez d’hygiène pour soigner les malades et les blessés''", selon Renée Gouraud d'Ablancourt et Georges Spitzmuller dans ''Le prince Fédor'', publié en 1907 <ref>Renée Gouraud d'Ablancourt, Georges Spitzmuller, ''Le prince Fédor'', 99 épisodes entre août et décembre 1907 - [https://fr.wikisource.org/wiki/Le_Prince_F%C3%A9dor En ligne] </ref>. Alors que L'Oiselle se fait "redresseuse de torts", utilisant sa combinaison volante et ses pouvoirs pour défendre des "bonnes causes" et lutter contre des injustices, la société des Compagnons de l’Étoile noire n'hésite pas à pratiquer la violence politique contre les raisons de sa colère. Que ce soient des hominines ou des choses inanimées. La mort et la destruction mettent fin aux tergiversations pour savoir si "''Rien n'est éternel''" se prononce ou pas comme "''Rien est éternel''". Malgré des similitudes, les journaux anarchistes russes de Saint-Pétersbourg et Yégor Martinof sont assez différents de la société secrète de l’Étoile Noire et des hominines de Stella Negra. Différences idéologiques et tactiques. Dans le cas russe, il s'agit de combattre un système politique sans avoir une zone géographique à gérer, dans l'autre il s'agit d'une organisation communautaire et géographique qui vise à pérenniser son modèle social. Aucune preuve n'existe sur une possible rencontre entre les hominines de Stella Negra et celleux de Beznatchalie. Rien n'indique qu'il y ait un lien entre Véga de Ortega et Yégor Martinof, entre L'Oiselle et Monsieur Rien. Dans l'état actuel de la recherche, il n'a pas été possible de confirmer l'utilisation du tissu neo-color qui rend invisible par les hominines de Stella Negra pour mener une action violente. Il est nécessaire pour cela de consulter l'ensemble des travaux réalisés par Renée Gouraud d'Ablancourt dans lesquels Stella Negra et les Compagnons de l’Étoile Noire sont des protagonistes <ref>''Maître après Dieu'', 1901. ''Aigle et colombe'', 1902-1903. ''Rêve d'amour'', 1905. ''Le Prince Fédor'', 1907. ''Les Compagnons des ténèbres'', 1909. ''Le Pardon d'outre-tombe'', 1909. ''L'Oiselle ou Royale énigme'', 1909</ref>. | ||
[[Fichier:Nobod.jpg|300px|vignette|droite|Mr Nobody en trois mots]] | [[Fichier:Nobod.jpg|300px|vignette|droite|Mr Nobody en trois mots]] | ||
− | < | + | Au sens moderne du terme, Yégor Martinof est à ranger dans la case des super-héros, c'est-à-dire qu'il fait partie des hominines ayant des "pouvoirs" particuliers et dont illes se servent pour défendre telle ou telle cause. L'invisibilité n'est pas courante. Depuis la mort tragique de Yégor Martinof, très peu d'hominines peuvent se vanter de compter l'invisibilité parmi leurs super-capacités. Les plus connus sont Jane Storm alias Invisible Girl et Jacques Foccart alias Invisible Kid <ref>Jacques Foccart alias Invisible Kid est né sur la planète Terre dans l'ancienne Côte d'Ivoire. Il est capable de se rendre totalement invisible à la vue, à l'odorat et à la télépathie. Première mention dans ''Legion of Super-Heroes'', vol. 2, n°1, 1982. Il prend le nom d'Invisible Kid en hommage à Lyle Norg, mentionné pour la première fois dans ''Action Comics'', n°267, août 1960. </ref>. L'une est invisible après une exposition à des radiations cosmiques lors d'un voyage spatial dans les années 1960, et l'autre après avoir bu volontairement un breuvage chimique dans le courant du XXXI<sup><small>ème</small></sup> siècle. L'une devient membre des Quatre Fantastiques et l'autre de la Légion des Super-Héros. Jane Storm et Jacques Foccart défendent le bien contre le mal dans l'univers bipolarisé qui est le leur. Leur invisibilité n'est pas permanente et dépend de leur volonté, contrairement à Invisible Boy qui peut l'être uniquement lorsque personne ne le regarde. Lui et son groupe des Mystery Men <ref>Voir le biopic ''Mystery Men'' ou ''Les Supposés Héros'' réalisé en 1999. Bande-annonce [https://www.dailymotion.com/video/x370ppg en ligne]</ref> sont à classer dans la vaste catégorie des "Super-pouvoirs pourris" selon le spécialiste du sujet, Guillaume Aldebert <ref>Aldebert, "Les Super-pouvoirs pourris" sur l'album ''Enfantillages 3'', 2017- [https://www.youtube.com/watch?v=jHLunSE98_I En ligne] </ref>. La grande différence entre Yégor Martinof et ces trois autres invisibles est la question du costume. Lui n'en a pas besoin, protégé par son pelage, alors que les Invisible Girl et Kid doivent en porter un en permanence lorsqu'illes sont visibles. Dans la tenue bleue moulante des Quatre Fantastiques, Jane Storm apparaît et disparaît comme bon lui semble, tout comme Jacques Foccart dans son justaucorps intégral trop petit, alors que Invisible Boy se retrouve nu à chaque disparition. Idem pour Translucide du groupe The Boys <ref>La première biographie de ''The Boys'' est éditée en 72 épisodes entre octobre 2006 et novembre 2012. Adapté en série sous le même nom en 2019. Trois saisons disponibles à ce jour. Bande-annonce [https://www.youtube.com/watch?v=mKWjBmXrd0o en ligne] </ref> qui est nu lorsqu'il est invisible mais qui résiste mieux aux intempéries car sa peau en carbone est impénétrable. Selon sa nécrologie officielle, seul de l'explosif dans l'anus est en mesure de le tuer <ref>''The Boys'', saison I, épisode II</ref>. La question du costume est centrale dans la réalité du quotidien des super-héros mâles et femelles. De Deadpool qui cache les brûlures qui déforment son visage — et le font ressembler à une hémorroïde — derrière une cagoule rouge et noire aux grands yeux blancs, à Wonder Woman qui doit affronter tous les ans le froid de l'hiver et les pluies automnales dans un mini-short et un bustier, en passant par Superman dont on ignore s'il quitte ou non sa combinaison pour se doucher ou chier. Ou encore la burka derrière laquelle se cache la super-héroïne pakistanaise Jiya alias Burka Avenger <ref>Treize épisodes d'animation retracent, à partir de 2013, le quotidien de Jiya qui tente de sauver son école du fondamentalisme religieux. Elle lutte clandestinement sous le nom de Burka Avenger. Voir le site officiel - [https://www.burkaavenger.com/ En ligne]</ref> qui poursuit le fondamentalisme religieux avec son art martial traditionnel et pour seules armes des stylos et des livres. Aucun de ces costumes n'a l'originalité de Flaming Carrot <ref>"''Après avoir lu 5000 bandes dessinées en une seule fois pour gagner un pari, ce pauvre homme a subi des lésions cérébrales et est apparu tout de suite après sous le nom de Flaming Carrot''". Première mention dans ''Visions'', n°1, 1979. Selon sa page Wikipédia, il "''a repoussé au moins trois invasions extraterrestres, une prise de contrôle communiste [de sa ville], des chiens morts volants, l'Homme dans la Lune, la Mort elle-même, et une horde clonée de démons marchant aux bottes d'Hitler.''"</ref> qui "''porte un masque géant de carotte surmonté d'une petite flamme, est toujours vêtu d'une chemise blanche et d'un pantalon rouge et [...] porte aux pieds des palmes de plongées''" au cas où il aurait besoin de nager. Et c'est ainsi habillé qu'il mène sa lutte contre le mal. La dimension politique de leurs actes différencient aussi les super-hominines entre elleux, et singulièrement de Yégor Martinof. Pour nombre de ces hominines, il est le mal. Plutôt à ranger dans la catégorie des super-vilains, ce vaste ensemble qui va de Galactus le dévoreur de monde au Chaînon Manquant, de Thanos le titan extra-terrestre au tueur psychotique Arthur Fleck alias Le Joker. Rien de commun entre Yégor Martinof et la bolcheviste Octobriana <ref>Petr Sadecky, ''Octobriana and the Russian Underground'', 1971</ref>, avec son étoile rouge sur le front, ou avec l'américano-soviétique James Barnes alias le Soldat de l'Hiver <ref>James Barnes alias le Soldat de l'Hiver est mentionné pour la première fois, sous le surnom de Bucky, dans ''Captain America Comics'', n°1, mars 1941.</ref>. Des origines géographiques ou des détestations communes ne font pas des amitiés ! D'ailleurs l'historiographie bolcheviste, puis soviétique, ne fait pas mention de Yégor Martinof, ni se l'approprie comme cela a été le cas avec d'autres hominines. Selon la recherche protivophilie, il n'en existe aucune trace dans la presse russe de l'époque. Ni postérieure. Les collectifs actuels et passés d'hominines aux super-pouvoirs sont très nombreux. Et divers. Des volontaristes citoyennistes de la Ligue de Justice qui traquent ensemble le mal à la Doom Patrol et sa psychothérapie de groupe pour super-hominines non-volontaires de l'être, des opportunistes et réactionnaires de The Boys aux industriels et libéraux Avengers. Pour ne citer que quelques exemples. Du côté de la super-vilainie aussi, la liste est longue. Par exemple, Les Maîtres du Mal, un groupe fondé par le baron hitlériste Heinrich Zemo, et sa cohorte de super-vilains toute aussi hitlériste tel que Johann Schmidt alias Crâne Rouge ou Armin Zola. Bien souvent, en super-vilainie les noms des groupes en disent long sur eux-mêmes : Lethal Legion, Démolisseurs ou Suicide Squad. Les soviétiques ont leurs propres ligues. Les Super-Soldats Soviétiques, les Soviets Suprêmes, le Protectorat du Peuple ou la Garde d'Hiver regroupent, entre autres, la Dynamo Pourpre, Nicolai Krylenko alias Vanguard <ref>Selon sa biographie officielle, Vanguard a la capacité de repousser toutes les attaques contre lui. Il possède par exemple un champ de force protecteur et peut voler en repoussant la terre. Grand athlète et spécialiste de systema. Il dispose aussi de deux armes, un marteau et une faucille, qui mises ensemble augmentent ses pouvoirs. Première mention dans ''Iron Man'', vol. 1, n°109, avril 1978</ref> et sa sœur Laynia Petrovna alias la Nébuleuse Noire <ref>La Nébuleuse Noire est capable d'utiliser l'énergie extra-dimensionnelle de la Dimension noire. Première mention dans ''Champions'', n°7, août 1976</ref>, ou encore le Gardien rouge ou la Grande Ourse <ref>Mikhail Ursus, alias la Grande Ourse, a une mutation qui lui permet de se transformer en un gigantesque ours mais, dans sa vie quotidienne, il est gêné par ses griffes non rétractables. Première mention dans ''Incredible Hulk'', n°258, avril 1981</ref>. Dynamo Pourpre est une armure de haute-technologie dans laquelle douze hominines mâles et une femelle vont combattre successivement, l'adelphie Vanguard et Nébuleuse Noire ainsi que la Grande Ourse sont des hominines avec une mutation qui leur donne leurs pouvoirs, alors que les sept hominines qui tiennent le rôle du Gardien Rouge sont sans super-pouvoirs mais simplement très athlétiques, ayant un surentraînement et spécialistes du combat au corps à corps — la [[systema]] ? Parmi l'ensemble de ces hominines, il n'en existe qu'un seul qui, si l'on se fie à son nom, se réclame ouvertement de l'anarchie. Lonnie Machin se fait appeler Anarky et "''a étudié les arts martiaux et a mis à profit ses talents d'ingénieur et ses connaissances en informatique pour devenir lui-même un justicier''" <ref>Courte biographie en anglais d'Anarky - [https://www.dc.com/characters/anarky En ligne]</ref>. Avec un look vestimentaire destiné à l'émeute urbaine moderne, avec blouson, capuche, A cerclé et cocktail Molotov, ou bien déguisé dans le style de Vendetta avec cape, chapeau et masque, Anarky s'attaque de manière violente à ce qui touche aux inégalités sociales, à la malveillance écologique, au militarisme, à l’État, à la corruption, etc. Sa biographie indique que "''Son nom est son but''" <ref>''Anarky'', vol. 1, n° 1, mai 1997</ref>. Un peu comme Kick-Ass <ref>Grand lecteur de bandes dessinées de super-héros, le jeune Dave Lizewski s'achète sur ebay une combinaison de plongée verte qu'il modifie un peu et s'arme de deux matraques. Il prend le nom de Kick-Ass, "botter le cul" en français. Première mention en avril 2008. Adapté au cinéma dans ''Kick-Ass'' I et II en 2010 et 2013. Bande-annonce [https://www.youtube.com/watch?v=__3BUMBPSus en ligne]</ref>, il n'a pas de réels super-pouvoirs mais une volonté inébranlable d'œuvrer pour le bien des hominines. Ennemi du riche misanthrope Batman dans un premier temps, il glisse vers un libertarisme qui prône que l'avenir souhaitable pour les individus se trouve dans le libéralisme social, économique et politique <ref>De son vrai nom Alissa Zinovievna Rosenbaum, Ayn Rand est née en Russie en 1905. Profondément "anti-communiste", elle est l'une des penseuses du libertarisme étasunien. Défendant un capitalisme qu'elle voit salvateur pour les individus, elle s'oppose aux religions, au collectivisme, à l'intervention de l'Etat et prône un "laissez-faire" économique, social et politique. En 1964, elle publie ''La Vertu d'égoïsme''. Elle est l'une des trois principales théorciennes du libertarisme avec Isabel Paterson (1886-1961) et Rose Wilder Lane (1886-1968), la fille de Laura Ingalls de ''La petite maison dans la prairie''.</ref>. Un processus politique auquel a échappé Yégor Martinof du fait de sa mort prématurée à une vingtaine d'années. |
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+ | <blockquote>''Je n'en pense rien et plus je le regarde moins je pense.'' <ref>Réponse d'Ayn Rand dans une interview à la question de savoir ce qu'elle pense de Ronald Reagan, président étasunien dans le début des années 1980</ref></blockquote> | ||
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+ | Pour la [[protivophilie]], la question essentielle est celle de la place de [[F. Merdjanov]] en toute chose. Quelle pourrait être la sienne dans une biographie de Yégor Martinof alias Monsieur Rien ? Quels liens entre sa personne et la nébuleuse de la super-vilainie ? À n'en pas douter, il semble bien qu'il faille lui assigner cette place plutôt qu'une auprès du super-héroïsme. En effet, ce dernier ne fait que sauver le monde actuel, tel qu'il est, alors que manifestement F. Merdjanov soit de celleux qui veulent simplement le réduire en cendres. Pour autant, son but ne semble pas non plus de s'aligner sur toutes les pourritures de la super-vilainie car, contrairement à ce qu'affirme un dicton populaire, les ennemis de mes ennemis ne sont pas mes amis. F. Merdjanov est à situer "''Par-delà le bien et le mal''" pour paraphraser le marteleur Friedrich Nietzsche. Par conséquent, le groupe le plus approprié à admettre F. Merdjanov en son sein est la Confrérie de Dada <ref>Confrérie (ou Consœurie) de Dada. Première mention dans ''Doom Patrol'', n°26, septembre 1989 </ref> fondée par Eric Morden alias Mr Nobody. "''Le "bien" ! Le "mal" ! Des concepts dépassés pour une époque antique. Ne voyez-vous pas ? Il n'y a pas de bien, il n'y a pas de mal dans notre nouveau monde ! Regardez-nous ! Ne sommes-nous pas la preuve définitive qu'il n'y a ni bien, ni mal, ni vérité, ni raison ? Ne sommes-nous pas la preuve que l'univers est un idiot baveux sans aucun sens de la mode ? À partir de ce jour, nous célébrerons l'absurdité totale de la vie, le gigantesque tour de passe-passe de l'existence. À partir d'aujourd'hui, la déraison règne ! La Confrérie du Mal est morte ! Vive la Confrérie de Dada !''" Parmi ses membres, les plus proches symboliquement de F. Merdjanov sont Agent ! et Number None. Selon l'encyclopédie participative Wikipédia, Agent ! <ref>Une courte biographie en anglais de Agent ! - [https://dc.fandom.com/wiki/Agent_!_(New_Earth) En ligne]</ref> a le pouvoir de "ne pas surprendre", ce qui lui permet, ainsi qu'à tous celleux qui l'entourent, de passer inaperçus ou de subir des attaques qui semblent sortir de nulle part. Malgré une tenue colorée décorée de points d'exclamation, il possède une forme d'invisibilité, contrairement à l'une de ses consœurs, The Toy (Le Jouet en français), qui a la moitié inférieure de son visage couvert d'un masque semblable à celui d'Hannibal Lecter, avec une tête de Monsieur Patate, des lèvres en plastique et des brosses à dents en guise d'oreilles. Number None — Numéro Zéro en français — n'est ni une personne ni une chose en particulier. Pour Mr Nobody, "''Tout le monde et tout, à un moment ou à un autre, est Number None''". D'après ses biographes, Number None "''c'est essentiellement la malchance. C'est tout ce qui se met en travers de votre chemin et vous fait trébucher. Chaque porte de placard laissée ouverte sur laquelle vous vous cognez la tête.''" <ref>Courte biographie de Number None en anglais - [https://dc.fandom.com/wiki/Number_None_(New_Earth) En ligne]</ref> Quels sont alors les super-pouvoirs de F. Merdjanov ? Sa plus grande force réside dans sa capacité à demeurer insaisissable, incompréhensible et invisible. Et à ne ressembler à rien. | ||
− | + | <blockquote>''F. Merdjanov n’est rien et souhaite le rester.'' <ref>Extrait de "Vie et œuvre de F. Merdjanov" dans F. Merdjanov, ''Analectes de rien'', 2017</ref></blockquote> | |
== Notes == | == Notes == | ||
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Version actuelle datée du 16 octobre 2023 à 18:57
Monsieur Rien (Господине Ништо en macédonien - Sénher Ren en nissard) Alias de Yégor Martinof [1].
Contexte protivophileDès la fin du XIXème siècle après JCⒸ [2], les idéaux anarchistes émergent dans les discours politiques contestataires à travers le continent européen, du royaume britannique à l'empire russe, en passant par la république française ou la Roumélie ottomane. Loin d'être un bloc homogène, ils ont des racines multiples. Les histoires régionales ou nationales ont marqué de leurs empreintes les différents mouvements anarchistes émergents, tout autant que les très nombreux textes théoriques qui s'écrivent alors. L'idéologisation de l'anarchie fait qu'il est difficile d'en écrire une histoire réelle. Le processus de normalisation dans l'écriture de l'histoire tend évidemment à retenir des hominines plutôt que d'autres, à ne se souvenir que d'une linéarité plutôt que d'un foisonnement brouillon. La réalité n'est pas toujours facilement acceptable et sa complexité est impossible à assumer totalement. En France, l'anarchie d'alors se nourrit autant des textes et des pratiques de Louis-Auguste Blanqui qu'elle les critique sévèrement. Les anarchistes soutiennent avec lui que "Qui fait la soupe doit la manger" [3] et n'hésitent pas à proclamer "Qui a du fer a du pain" [4]. Tout comme en Russie où les groupes révolutionnaires anarchistes ne se réclament pas de Serge Netchaïev — le jeune amant d'Albertine Hottin — mais en sont l'une des continuités [5]. Le projet social de Pierre-Joseph Proudhon est valorisé alors que son sexisme est relégué au second plan, les envolées insurrectionnelles de Mikhaïl Bakounine font oublier ses aspirations à la conspiration de petits groupes clandestins pour renverser le pouvoir. Malgré une certaine cohérence théorique sur de grands points philosophiques, les situations sociales et politiques différentes ne provoquent évidemment pas les mêmes effets dans les pratiques et les théories anarchistes. La France et la Russie, par exemple, sont difficilement comparables bien qu'il y ait du commun. Dans l'une, les hominines [6] qui prônent l'anarchisme le font dans une démocratie policée, dans l'autre illes [7] le font dans une autocratie policière. La première entretient l'illusion que l'ensemble des hominines sont des rouages du pouvoir, la seconde ne s'en donne pas la peine. De l'anarchisme social à l'individualisme anarchiste, de l'anarcho-syndicalisme à l'illégalisme, en passant par les milieux libres ou les communautés anarchistes, les hominines qui composent ce vaste nuancier qu'est l'anarchie sont multiples. Illes ne se retrouvent pas sur tous les sujets et parfois même s'affrontent autour de certains. Affrontements théoriques qui en arrivent quelques fois à des violences entre elleux. Mais, au-delà de ces différences, l'anarchisme se caractérise pour une volonté de mettre fin aux hiérarchies sociales, économiques et politiques. Cette détermination à lutter contre toutes les formes de pouvoir fait de l'anarchisme un mouvement singulier parmi l'ensemble des autres courants et théories qui se disent révolutionnaires. Sa critique de l'existant se veut radicale et sa vision du futur est sans concession. Tous les domaines des sociétés d'hominines sont passés au hachoir de la critique théorique et contestés par des tentatives pratiques. Aucun n'y échappent. Comme le fait la protivophilie avec beaucoup de plaisir, l'idée de dieu, de patrie, d’État, de patron, d'autorité, de domination ou de famille sont traînées dans la boue. Parfois, l'amour aussi. Les projets collectifs et les promesses de lendemains meilleurs sont regardés au minima avec méfiance, au plus avec défiance. Par simplification, par erreur ou par choix, le nihilisme est parfois utilisé en synonyme de anarchisme. L'un et l'autre peuvent être définis comme des critiques radicales du présent, mais l'un ne s'encombre pas du futur alors que l'autre cherche à influer dessus. Ladislav Klíma rappelle que les manières de se vivre anarchiste sont très diverses. Et pas forcément antagonistes.
L'utilisation ou non de la violence dans les pratiques politiques anarchistes est un des sujets qui divisent. Que ce soit pour des raisons défensives, en réponse à la violence directe de milices patronales ou de la police par exemple, ou de manière offensive en détruisant des bâtiments officiels, en dévalisant de riches hominines ou en s'attaquant directement à elleux. Être pacifiste — contre la guerre — ne doit pas être confondu avec le fait d'être pacifique — contre l'utilisation de la violence. Tout en se réclamant de l'anarchisme, il est possible d'être pacifiste et pacifique, ou simplement l'une des deux options. Même si les cas historiques sont plus rares, il existe des pacifiques qui ne sont pas pacifistes. Les première et seconde guerres dites mondiales, pour ne citer que ces deux exemples, sont des moments d'histoire où des anarchistes ont soutenu — au moins en théorie — l'entrée en guerre de tels ou tels pays alors que d'autres préfèrent déserter ou soutenir la désertion. Moins rares sont les cas où des hominines se disent pacifistes mais ne sont pas pacifiques. Que l'on pense aux adeptes de Bakounine qui partent à la fin du XIXème siècle se battre en Bosnie contre l'empire austro-hongrois ou en Roumélie/Macédoine contre la présence ottomane [10]. Ou aux nombreux assassinats politiques et actes de destruction perpétrés par des hominines se réclamant de l'anarchisme à la charnière des XIXème et XXème siècles en Europe, en Asie et aux Amériques.
Le message est simple. Accessible et destiné à l'ensemble des hominines. Sans exception. Contrairement aux croyances religieuses, la description anarchiste du réel se fait à partir des outils disponibles de son époque. En plus des réflexions théoriques, les textes diffusés par des individualités, des groupes ou des journaux sont ceux des sciences sociales naissantes et des sciences dures que sont la biologie, la chimie et les sciences de la Terre. En Russie, L'évolution des espèces de Charles Darwin ou le positivisme d'Auguste Comte font partie des premiers ouvrages traduits et diffusés clandestinement. Avec le risque de finir en prison pour cela. Tout en produisant des réflexions critiques sur ces sciences, la pensée anarchiste parvient à se saisir des opportunités qui se présentent. Le rejet de la modernité ou la méfiance vis-à-vis du modernisme n'empêchent pas les anarchistes de savoir y trouver de nouvelles ressources. Arme d'exploitation, la dynamite est rapidement adoptée par les anarchistes les plus "à la pointe" qui en font une arme de destruction. En France, la "Bande à Bonnot" [12] est la première à réaliser des braquages de banques avec des voitures automobiles et à posséder des armes à feu à répétition que les forces de police n'ont pas encore. Récit yégorienLes sources concernant Yégor Martinof se réduisent à la seule biographie connue qui lui est consacrée par Louis Boussenard [13] dans le numéro 5 de La vie d'aventures d'octobre 1907 [14]. Longue de seulement 32 pages, elle est sobrement intitulée Monsieur... Rien ! Selon les normes de transcription actuelle, il est préconisé d'utiliser plutôt Iegor Martinov pour noter le russe Егор Мартынов en caractères latins. Hormis celle de parution, la courte biographie ne contient aucune date précise. Néanmoins il est possible de la déduire par quelques indications. En effet, l'âge de quatre des personnages est indiqué et, s'agissant de personnes clairement identifiées et dont l'état civil est connu. Elles sont les quatre jeunes filles du tsar Nicolas II et de la tsarine Alix de Hesse-Darmstadt. Si Olga a sept ans, Tata cinq ans, Marie trois et Zazie deux, il est possible d'en conclure que les faits relatés se situent en 1902. En Russie. À cette date, Yégor Martinof est "âgé d'environ 25 ans" [14]. Il est donc né autour de 1877. Probablement en Russie même si cela n'est pas aussi clairement dit. À cette âge, il est décrit comme "grand, vigoureux, énergique, résolu... [...] Gros mangeur et grand buveur" [14] Il est étudiant à Saint-Pétersbourg auprès du professeur Marcus Lobanof. Ce dernier est assisté par sa fille Nadia dans les recherches qu'il mène. Âgé d'une cinquantaine d'années, il est d'origine allemande ou suédoise et est né dans le village d'Ermelan près de Riga (Lettonie) [15]. Polyglotte, il est un savant reconnu par ses pairs dans les domaines de l'anatomie, la physiologie, la physique, la chimie et la biologie. "Cependant il se tient en dehors de la science officielle. Il consacre sa haute intelligence à l'étude infatigable de choses étranges, mystérieuses et troublantes qui seront peut-être la science de demain" [14]. Le rejeton d'une copulation fictive entre le docteur Victor Frankenstein et le professeur Didier Raoult. En ce qui concerne les années qui précèdent 1902, rien n'est connu sur la vie de Yégor Martinof. "A-t-il des relations amicales et sociales autres que celles que l’on entretient habituellement avec un animal domestique ou une plante verte ?" [16] pour paraphraser les biographes de F. Merdjanov. Quels sont ses liens avec les milieux anarchistes pétersbourgeois ? Est-il lié à un groupe constitué ou participe-t-il à un journal ? A-t-il lu la première traduction de L'unique et sa propriété de Max Stirner publiée à Moscou en 1905 ? [17] Autant de questions qui restent sans réponse. Des recherches complémentaires doivent encore être menées pour y répondre. Le Saint-Pétersbourg de ce tout début de XXème siècle est agité par quelques groupes anarchistes qui diffusent les écrits de Piotr Kropotkine et se réunissent dans de petits cercles clandestins pour discuter, échanger et s'organiser pour élargir la propagande. Il est possible que Louis Boussenard fasse une erreur dans la datation des faits. En effet, si l'année 1902 se déduit des âges des jeunes princesses, selon ce qu'il décrit dans la biographie de Yégor Martinof, il est probable que les faits soient postérieurs. Dans ce cas, le contexte politique russe est tout autre et l'activité de groupes anarchistes a évolué vers d'autres options. L'utilisation de la violence politique par des groupes armés clandestins s'est accrue et est venue s'ajouter aux autres formes d'activisme anarchiste. Dans les premières années du XXème siècle, l'empire russe est secoué par des vagues de protestations. Des pétitions, des manifestations, des grèves, des écrits et des organisations politiques réclament des réformes politiques et sociales pour atténuer les méfaits de l'autocratie et améliorer le sort des hominines les plus pauvres. Le monde ouvrier urbain est en effervescence et le monde paysan villageois est traversé par le rejet de la servitude et l'obtention d'une réforme agraire. Les plus modérées des demandes veulent une libéralisation politique et économique de la Russie, les plus radicales souhaitent le renversement du tsarisme pour instaurer autre chose. Régime violent et peu habitué à la contestation, la réponse est une fin de non-recevoir. Les oppositions sont contraintes de se cacher pour ne pas tomber sous les coups de la répression. Les morts sont nombreuses et les arrestations fréquentes. Que l'on utilise l'alphabet cyrillique ou pas, il existe toujours au moins 1312 raisons de détester la police [18]. La répression sanglante d'une manifestation ouvrière le 22 janvier 1905 à Saint-Pétersbourg déclenche un vaste mouvement de révoltes et de grèves dans les villes de l'empire jusqu'en octobre, évènement généralement appelé "Révolution de 1905" [19]. D'après les dires de Nadia Lobanof [20], l'étudiant Yégor Martinof est volontaire pour participer à une expérience du professeur Lobanof, d'en être le cobaye. De nombreux tests ont été menés auparavant sur d'autres animaux que les hominines. Avec succès. Dans les locaux du laboratoire situé sur la Perspective Gorokovaïa, il s'agit dans un premier temps d'injecter un sérum gras à base de glycérine, une "sorte de synthèse des éléments essentiels composant les liquides contenus dans les organismes les plus perfectionnés" [14]. En plus des injections hypodermiques régulières et savamment dosées, l'expérience nécessite aussi une ingestion par la bouche. Ensuite, Yégor Martinof est placé sous une grande cloche en verre dans laquelle l'atmosphère est chargé de gouttelettes de sérum gras. Il les respire et s'en imprègne doucement. L'idée repose sur une démonstration simple. "Si l'on mouille simplement avec de l'eau du papier non collé, ce papier absorbe l'eau par capillarité. Aussitôt cet eau chasse l'air, et le papier apparait translucide... Si le papier est collé, l'eau ne peut pas s'incorporer à lui, mais alors on l'imbibe d'huile. Et cette huile s'insinue dans sa substance, chasse l'air d'une façon beaucoup plus complète, plus durable aussi, et lui donne la translucidité." [14] Avec ce procédé du sérum gras, Yégor Martinof doit dans un premier temps devenir transparent. Ce nouvel état engendre un phénomène optique qui rend l'indice de réfraction égal à celui de l'air, "de telle façon qu'il n'y eut plus ni réflexion ni réfraction quand les rayons lumineux passaient de l'air dans le corps et du corps dans l'air ambiant" [14]. Ce qui, en terme moins scientifique, induit l'invisibilité. Le long et progressif processus est clairement détaillé dans la biographie écrite par Louis Boussenard. Les descriptions de toutes les étapes sont de la bouche même de Nadia Lobanof, très investie dans les travaux scientifiques paternels. Moins de dix ans après la publication en 1897 par Herbert George Wells de la biographie de Griffin — un hominine mâle albinos — [21], Yégor Martinof est le second hominine à devenir invisible et dont l'existence est attestée par une biographie. Selon les études menées à ce sujet [22], la troisième personne à devenir invisible est Segundo de Chomon, un hominine mâle, dont nous disposons des premières images cinématographiques datant de 1909 [23]. S'inspirant de l'exemple de Griffin, la formule chimique suivante est employée pour se rendre invisible : 15 gouttes d'invisibilyte, 2 grammes de vaporine et 10 centilitres de fluidhyte. La méthode développée par le professeur Markus Lobanof comporte quelques effets secondaires. Boire et manger ne sont plus recommandés car l'eau et la nourriture provoquent une réaction du corps traité avec le sérum gras. Outre des douleurs après l'ingurgitation, Yégor Martinof redevient partiellement et temporairement visible le temps de la digestion. Maintenant, il est préférable qu'il prenne exclusivement de la "nourriture azoto-hydro-carbonnée à l'état d'éléments chimiques pur et directement assimilables sous forme de granule... pour boisson quelques gouttes de sérum dilué dans une faible solution des sels indispensables à l'organisme." [14] Une fois tous les dix jours. Au bout de plusieurs semaines d'imprégnation de sérum gras par Yégor Martinof, il est complètement invisible. À l'exception d'un plombage dentaire qu'il faut extraire pour que l'invisibilité soit totale. Comme Griffin avant lui, Yégor Martinov doit être intégralement nu pour ne pas être vu [24]. Évidemment. La disparition des notes du professeur Lobanof empêche de comprendre pour quelle raison la méthode par sérum gras n'est pas utilisée sur des tissus. Est-ce un manque de temps ou une impossibilité physique ? Afin de pallier à cet inconvénient majeur pour qui vit à Saint-Pétersbourg, où les hivers sont rudes, Markus Lobanof fait preuve d'ingéniosité. Il propose de surexposer l'invisible hominine à des émanations de radium afin que cela active une prolifération abondante de pilosité invisible [25]. "En moins d'une semaine, et grâce au radium, Yégor devint velu comme un véritable petit caniche. [Il devient] un homme-chien." [14] Tout risque de grippe intestinale ou de rhume est écarté. Alors que Griffin et plus tard Segundo de Chomon sont contraints de demeurer habillés et de masquer leur visage, Yégor Martinof gagne grandement en autonomie et en discrétion. L'inconvénient principal de ce pelage qui recouvre l'intégralité de son corps est l'odeur de chien mouillé qu'il dégage. Afin d'éviter d'être confronté aux canidés dont il peut croiser la route, il enduit sa fourrure de graisse de loup [26]. Pour ne pas s'exposer à la curiosité d'un chien de chasse à l'odorat sensible ou éviter les périodes de chaleur des mâles qui s'accrochent à tout ce qui bouge, il préfère créer de la peur chez les canidés. Au lendemain de sa transformation, Yégor Martinof met fin à l'expérience et quitte le laboratoire du professeur. Difficile d'avoir les détails précis sur les événements qui précipitent ce départ. Peu de temps après, il se rend dans le palais du tsar Nicolas II. Invisible, il ne rencontre aucun obstacle à cela. La famille impériale est réunie. Les quatre filles et les parents impériaux. Nicolas, souriant à l'idée de semer la peur, comme à son habitude, raconte à ses enfants l'histoire d'un mystérieux Monsieur Rien. Inventant un personnage qui se veut effrayant, il le décrit comme "à la fois étrange et terrible... farceur et méchant... comique et cruel... grotesque et féroce" et qui "entre partout sans qu'on l'entende... sans qu'on l'aperçoive... sans même qu'on soupçonne sa présence." [14] Alors qu'il profite de cet instant pour tenter de poignarder le tsar, Yégor Martivof est touché par le tir de revolver de Nicolas deuxième du nom. Bien que blessé, il parvient à prendre la fuite. Le général Borissof, chef de la police de Moscou, est sans voix :
Le lendemain, l'anarcho-nihiliste invisible s'introduit dans les locaux de la police. Il poignarde à mort le général Borissof et blesse grièvement son secrétaire particulier, Fédor. Avant de s'enfuir, Yégor Martinof vide le coffre-fort et brûle les dossiers sur les nihilistes qu'il contient. Sur un mur, il tague "E nihilo vita", "Du néant la vie". La police est sur les nerfs. Le professeur Lobanof est arrêté et envoyé dans un cachot de la forteresse Pierre-et-Paul à Saint-Pétersbourg. Sans que l'on sache exactement si, oui ou non, il est en plein délire pour cause d'effets secondaires imprévus, l'invisible étudiant tente de négocier avec son ex-mentor un retour à la normale et obtenir l'autorisation de fréquenter sa fille Nadia contre une aide à l'évasion ! Markus Lobanof refuse et annonce à Yégor Martinof qu'en l'absence d'un repas de granule et d'une cuillère à café de sérum gras dilué tous les dix jours, il court vers la mort. Se sachant perdu, il oscille entre des moments de pleine lucidité et de crétinerie absolue. "Je vais faire sauter l'arsenal... puis je massacrerai les grands-ducs... les ministres... les maréchaux... je sèmerai partout l'épouvante et la mort" [14] se mélange avec ses menaces de tuer Nadia Lobanof, qu'il dit aimer, pour se venger du professeur qui lui refuse sa fille ! Un de ces grands moments du discours amoureux qui pourraient être si hilarants s'ils n'étaient pas mortels. En terme moderne de catégorisation, Yégor Martinof est un hominine mâle hétérosexuel cis-genre dont les comportements liés aux hominines femelles semblent en adéquation avec le rôle de dominant qui est valorisé socialement et attendu de lui. Peut-être est-il bisexuel ? Ou pansexuel comme la mère de F. Merdjanov ? Impossible dans savoir plus, mais cela ne change rien. Il est doublement trans : trans-espèce et transparent. Croire que parce qu'invisible, il ne peut bénéficier des privilèges sociaux de la blancheur de sa peau, c'est minimiser la dimension systémique [27] qui fonde les privilèges racistes. Il est validiste de ne pas comprendre les difficultés quotidiennes rencontrées par une personne invisible à trouver sa place dans une société adaptée aux visibles. Pour éviter les accidents routiers, par exemple, ne faut-il pas installer des herses automatisées mobiles au sol aux passages piétons à la place des simples feux de signalisation qui n'arrêtent rien pour qui veut passer ? De manière générale, pour éviter les accidents, il faut toujours conduire avec prudence comme aime à le rappeler l'accidentologue Nicolas "Seth Gecko" Salvadori : "Plutôt qu’de rouler en Subaru, j’préfère rouler en 2 ch’vaux avec un cadavre de flic sous la roue" [28]. Il est aussi probablement très anthropocentriste et spéciste de ne voir en Yégor Martinof que ses aspects d'hominines alors que sa transition mi-hominine mi-caniche est finie. La traque policière se fait de plus en plus pressante et est largement relatée dans Monsieur... Rien ! Comme promis, l'arsenal est pulvérisé par une explosion. En s'emparant discrètement de l'arme d'un militaire, Yégor Martinof parvient à tirer en pleine rue sur les ministres de la guerre et de l'intérieur, les tuant tous les deux sur le coup. "Ce que vous appelez crimes est une mission sacrée... l'affranchissement des peuples... et c'est pour cela que j'ai accepté de devenir invisible" aurait-il dit au professeur Lobanof selon son biographe Louis Boussenard [14]. Pour éviter d'être capturé et de finir dans un cachot, Yégor Martinof se tire une balle dans la tête. Mort, il redevient visible. D'après le témoignage de ses poursuivants, ces derniers mots sont : "Plutôt la mort que d'être pris ! Je vous hais ! De toute mon âme... Oui, je vous hais". De manière involontaire, Nadia Lobanof lui rend un hommage émouvant en disant de lui que "sous des dehors graves et studieux, se cachait un de ces êtres formidables qui incarnent le génie de la destruction !" [14] Ce que fera sans le savoir, près d'un siècle plus tard, Giuseppe Culicchia dans Le pays des merveilles :
Cycle merdjanovienMalgré ses vraisemblances, Monsieur... Rien ! est à considérer avec toute la rigueur de la protivophilie. Les éléments biographiques et les détails du récit doivent être scrutés avec soin. Cette biographie de Yégor Martinof est publiée en octobre 1907. Malgré les repères chronologiques des âges princiers qui laissent à penser que les faits décrits se situent en 1902, il est très probable que ce ne soit pas le cas. Hormis Yégor Martinof et la famille tsarienne, les protagonistes se cachent derrière des pseudonymes. Les assassinats d'un chef de la police et de deux ministres semblent faire allusion à d'autres hominines dont les archives font mention. Les ministres de l'intérieur Dmitri Sipiaguine et Viatcheslav Plehve sont assassinés respectivement en avril 1902 [30] et en juillet 1904 [31]. Le ministre de la guerre Viktor Sakharov est tué en novembre 1905 [32]. D'autres échappent de peu à la mort. Par exemple le ministre de l'intérieur Piotr Durnovo qui, en 1905, pense que "les émeutiers doivent être exterminés immédiatement par la force des armes, leurs habitations doivent être brûlées en cas de résistance. L'autonomie arbitraire doit être éradiquée une fois pour toutes — maintenant. Les arrestations ne serviraient à rien aujourd'hui et il est de toute façon impossible de juger des centaines et des milliers de personnes."[33] Ou encore Dmitri Trepov, chef de la police moscovite et gouverneur général de la région de Saint-Pétersbourg en 1905, qui survit à plusieurs tentatives d'assassinat [34]. La famille du tsar est aussi la cible d'attaques meurtrières. Déjà en 1881 le grand-père de Nicolas II, le tsar Alexandre II [35], est tué lors d'un attentat et en 1905, c'est le frère de ce dernier qui est abattu par l'esseriste Ivan Kaliaïev [36]. Cet acharnement n'est pas le fait du hasard. Tous sont visés pour leur responsabilité directe dans la répression qui cause la mort de milliers d'hominines lors des manifestations qui réclament des réformes politiques, ainsi que pour leur acharnement à poursuivre et anéantir les différents groupes politiques qui contestent l'autocratie tsariste. D'après Louis Boussenard, le général Borissof est le successeur de Dmitri Trepov, mort en septembre 1906 d'une angine de poitrine — trois mois après une dernière tentative ratée de le tuer [37] — mais selon la presse de cette époque, c'est le général Vladimir Dediouline, préfet de police pétersbourgeois, qui le remplace [38]. Lorsque dans Monsieur... Rien ! il fait allusion à la tentative d'assassinat du "prédécesseur" de Borissof par Vera Zassoulitch [39], il semble que Louis Boussenard confonde Dmitri Trepov avec son père, le général Fiodor Trepov, que Vera Zassoulitch a tenté de tuer en janvier 1878. Sa formulation prête à confusion. Il existe bien un général Borissof ou Borissov, que l'on retrouve dans les évènements liés à la guerre de 1905 entre la Russie et le Japon et non à un poste de gouverneur ou de chef de la police. Il est attaché militaire auprès de Mikhail Alekseïev, général d’état-major de la 3ème armée en Mandchourie lors de cette guerre. Dans une lettre datée de 1915, la tsarine demande à son empereur de mari des précisions sur Borissof car leur fille Anastasia "Zazie", la plus jeune [40], "a entendu dire qu'il n'était pas un homme bien pendant la guerre du Japon !" [41] [42] La plupart de ces actions meurtrières contre des officiels du régime tsariste sont l'œuvre de membres de groupes socialistes-révolutionnaires [43]. Les socialistes-révolutionnaires (SR) sont un courant révolutionnaire non-marxiste qui fonde ses espoirs, non pas sur la classe ouvrière, mais sur la paysannerie. Illes sont organisés en parti depuis 1901 et sont adeptes de la violence politique. La branche dite "maximaliste" est tactiquement proche des anarchistes avec qui de nombreuses actions clandestines et braquages sont réalisés. Adeptes du parti centralisé, les socialistes-révolutionnaires forment l'Organisation de Combat [44], chargée des vols à main armée — les expropriations — et des actions violentes contre des représentants du pouvoir ou des militaires. Parmi les anarchistes, les choix d'organisation sont différents. Une myriade de groupes anarchistes clandestins apparaissent dans les régions industrielles du sud-ouest de la Russie et du nord-ouest, ainsi que dans les territoires de l'ancien royaume de Pologne et de Lituanie. En Russie, nombre d'anarchistes sont d'ex-esseristes [45]. Dans les premières années du XXème siècle, à Saint-Pétersbourg apparaît le groupe anarchiste Beznatchalie, nom qui signifie "refus de toute autorité" et peut être un synonyme de "anarchiste". Au printemps et à l'été 1905, Nicolas Romanov dit Bidbei et deux de ses compagnons publient à Paris un journal intitulé Feuille du groupe Beznatchalie. Le discours est clair : Il appelle au "soulèvement armé du peuple tout entier : paysans, ouvriers et déshérités..." et préconise pour cela de s'unir à "la lie de la société : chômeurs, vagabonds, clochards, tous les éléments rejetés, les renégats de la société car ils sont tous nos frères et nos camarades" pour une "revanche gigantesque, totale, féroce et sanglante du peuple" [46]. À Saint-Pétersbourg même, le groupe Beznatchalie diffuse beaucoup de textes anarchistes et fait de la propagande en direction des hominines dans les usines "les appelant à détruire leurs machines, à faire sauter les centrales d’énergie, à lancer des bombes sur les tortionnaires bourgeois, à piller les banques et les magasins, à faire sauter les commissariats et à ouvrir les prisons", selon l'historien anarcophile Paul Avrich. L'un des hominines de ce groupe anarchiste pétersbourgeois, "Tolstoï" Rostovtsev [47], publie un petit manuel pratique pour fabriquer les bombes dite macédoniennes — selon une méthode éprouvée en Macédoine — dans lequel il explique "la façon de s’y prendre pour mettre le feu aux meules des gros propriétaires" et exhorte les hominines à "s’armer de haches et à faire périr la famille du tsar, les hobereaux et les prêtres !" Alors qu'il n'a encore à son actif qu'un braquage de banque et l'assassinat d'un policier, le groupe anarchiste de Saint-Pétersbourg est démantelé courant 1906 et le procès de ses membres débute le 13 novembre de la même année. Illes refusent évidemment de reconnaître la légitimité de la justice tsariste et se moquent de leurs juges. Parmi elleux, Nikola "Bidbei" Romanov est condamné à 15 années de prison. Idem pour Alexander Kolosov [48] qui se suicide trois ans plus tard. Boris Speranski prend 10 ans. Ce dernier, condamné à 10 années supplémentaires pour une tentative d'évasion, est maltraité par ses geôliers après les avoir insulté en 1908. L'un d'eux lui tire une balle de pistolet dans la jambe. Il disparaît dans les méandres du système carcéral russe. "Tolstoï" Rostovtsev et Vladimir Ouchakov [49] sont envoyés à la forteresse Pierre-et-Paul. L'un simule la folie et parvient à être transféré dans un hôpital d'où il s'échappe. Réfugié en Suisse, il participe à un braquage à Montreux qui tourne mal. Emprisonné à Lausanne, il s'asperge d'essence et s'immole. L'autre, Vladimir Ouchakov, réussi aussi à s'évader. Capturé après un braquage en Crimée, il parvient à s'échapper mais, rattrapé, il préfère se tirer une balle dans la tête plutôt que d'être arrêté. Le sort de Maroussia — l'épouse de Rostovtsev — et de quelques autres membres demeure pour l'instant inconnu pour la protivophilie. Malgré toutes les indications qui pourraient le laisser penser, il n'est pas possible d'affirmer avec certitude que Yégor Martinof ait fait parti du groupe anarchiste de Saint-Pétersbourg. Il n’apparaît dans aucune des archives officielles. Seule la biographie de Louis Boussenard conserve son souvenir. Yégor Martinof n'est pas le seul cas — loin de là — d'invisibilité d'hominines qui ont lutté, voire perdu la vie, pour défendre une cause qui leur semblait juste et dont l'historiographie officielle ne garde pas de traces. Pour des raisons différentes, ce phénomène d'invisibilité se retrouve aussi dans l'historiographie écrite par les mouvements révolutionnaires. Yégor Martinof en est la preuve.
Les hominines qui asservissent les autres minimisent les faits, transforment la réalité et n'hésitent pas à ridiculiser celleux qui les contestent. La méthode est courante. Les biographies et les autobiographies ne sont pas fiables. Combien d'hominines à qui des actes imaginaires ont été attribués, des paroles faussement prêtées ou des surnoms farfelus accolés ? Il semble que cela soit le cas pour Yégor Martinof. Rien n'indique qu'il se surnomme lui-même Monsieur Rien. Au contraire. Dans sa biographie l'auteur dit que, le jour de la tentative de son assassinat, le tsar Nicolas II raconte à ses proches une histoire qui se veut effrayante, d'un mystérieux Monsieur Rien qui a "des mains de justice... et des bras de levier" avec "un corps qui n'est qu'un cor de chasse... à moins que ce ne soit un corps de délit". Sa bouche est "une bouche de chaleur... avec une langue... universelle. [...] Quant à sa tête... et bien ! c'est une tête de Turc, parbleu !" [14] Une espèce de croquemitaine. Nous sommes très loin d'une description réaliste de Yégor Martinof. Nicolas le second a littéralement fumé la moquette ! Le rapprochement entre cet imaginaire monsieur Rien et Yégor Martinof n'est en fait qu'un hasard. Le témoignage de l'halluciné tsar vient alimenter une version policière qui, dans la biographie de Yégor Martinof, fait de lui Monsieur Rien. Dans la version originale en français, il est même parfois appelé Gospodine Nitchevo par ses poursuivants, comme s'il s'agissait d'un prénom et d'un nom, alors que c'est simplement la translittération en alphabet latin de Monsieur Rien en langue russe [51]. La première réédition de Monsieur... Rien ! en langue française date de 1991 [52] et la traduction en langue russe est rééditée en Russie en 1997. Dystopie de RienIl est très compliqué, même pour la protivophilie, de faire des comparatifs. Griffin [21] et Segundo de Chomon [23] sont les parentèles symboliques les plus proches de Yégor Martinof. Le premier, sous le titre d'Invisible Ier, veut mettre fin à la royauté (britannique). Pour entamer le processus qui mène à la chute royale, il projette dans un premier temps d'assassiner un savant mais il en est empêché par une foule d'hominines qui le lynchent. Ses notes sur les travaux qui lui permettent de devenir invisible demeurent introuvables. D'après son biographe H.G. Wells elles sont entre les mains d'un de ses complices, Thomas Marvel. Le second invisible, Segundo de Chomon, est un détrousseur de riches. Les quelques images de lui le montrent invisible en train de dévaliser une riche demeure dans laquelle il s'empare des bijoux et de la faïencerie. Puis dans un deuxième temps, il fait les poches d'un couple d'hominines en admiration devant la vitrine d'un bijoutier. Malgré la traque policière, il parvient à effrayer ses poursuivants qui renoncent. Nul ne sait ce qu'il devient par la suite. Est-il arrêté ? Finit-il mort comme Invisible Ier avant lui ? Le lien entre les deux invisibles semble être du domaine politique. Griffin abhorre la monarchie au point de vouloir attenter à la vie d'une personne pour l'ébranler, alors que l'autre n'hésite pas à prendre l'argent directement là où il est. S'il n'est pas clairement dit que ces deux invisibles soient anarchistes, les similitudes avec Yégor Martinof sont frappantes. Louis Boussenard ne dit d'ailleurs pas si Monsieur Rien est anarchiste ou non. Les références politiques historiques directes renvoient aux socialistes-révolutionnaires à travers l'exemple de Véra Zassoulitch, autant qu'aux nihilistes lorsque Yégor Martinof détruit les dossiers policiers les concernant ou avec son graffiti "E nihilo vita", "Du néant la vie". Dans le courant du XIXème et le début du XXème siècle, les liens entre les révolutionnaires de Russie et de France sont à l'image de la relation entre la parisienne Albertine Hottin et son amant russe Serge Netchaïev : profonds et fragiles à la fois. Profonds par les proximités idéologiques et la détermination partagée à en finir avec un présent vomitoire, fragiles par leur exposition permanente à la répression policière et par leur éloignement géographique irrémédiable. Qu'illes soient socialistes-révolutionnaires, nihilistes ou anarchistes, les hominines ne peuvent échapper à cette réalité : Plus de 2300 kilomètres séparent Saint-Pétersbourg du hameau de Rien. Mais, malgré ces distances, les polices collaborent entre elles. Pour y échapper, il est nécessaire de s'entraider. Les anarchistes de Saint-Pétersbourg ne sont pas le seul groupe à profiter d'un exil en France pour publier des journaux qui sont ensuite envoyés clandestinement en Russie. Les anarchistes du groupe Drapeau Noir de Bialystok publient le premier numéro de Le mutin — Buntar en russe — en décembre 1906 à Paris. Entre 1906 et 1910, le journal anarchiste L'oiseau-tempête — Burevestnik en russe — édite 19 numéros, tous imprimés dans cette ville. Animé par German Askarov [53], L'anarchiste y publie 5 numéros entre 1907 et 1910. Pour se faire, il est indispensable de s'allier avec des anarchistes de France. L'ahistorienne Renée Gouraud d'Ablancourt [54], sous le pseudonyme de René D'anjou, révèle en 1909 l'existence de la société secrète des "Compagnons de l’Étoile noire" dans des travaux publiés en épisodes dans La Mode du Petit Journal à partir du 18 juillet 1909 sous le titre de L'Oiselle ou Royale énigme. Jusqu'alors inconnue, cette organisation clandestine œuvre afin qu'il n'y ait "bientôt plus ni un roi, ni un empereur, ni une armée, ni une frontière" [55]. Son cœur névralgique se situe sur l'île Stella Negra, quelque part dans la mer Méditerranée, où flotte "son fanion rouge, frappé d’une étoile noire." Une communauté d'hominines y est organisée selon des préceptes égalitaristes. En théorie, du moins. Des écoles, des ateliers et des magasins sont régis par le triptyque "Concorde. Assistance. Justice". Pour parvenir à ses fins, l'organisation anarchiste mènent de nombreuses recherches scientifiques avant-gardistes. "Aux laboratoires, aux champs où ils font pousser dans des terres préparées chimiquement, des plantes textiles qui composent d’étranges étoffes aux propriétés multiples, aux couleurs variables, depuis la neo-color, invisible, car elle ne porte pas sur notre rétine et rend invisible tout ce qui en est enveloppé, jusqu’à la super-color, blanche au soleil, bleue à l’ombre, rouge sous l’action de la lumière électrique." [55] Leurs recherches sont une variation de celles d'Édouard Hottin, le cousin du père d'Albertine Hottin, qui invente en 1864 un procédé chimique qui rend ininflammable les tissus [56] et qu'il le nomme la Hottine. Un échec commercial et une absence totale de mention ultérieure. "Certes, si les hommes étaient sages, ce n’est pas aux inventeurs de moyens de destruction perfectionnés qu’ils élèveraient des statues. Celui-là a mieux mérité de l’humanité, qui, comme M. Hottin, nous débarrasse d’un fléau dévorant." [57] L'hominine femelle Véga de Ortega est élevée sur Stella Negra : "En liberté, selon la nature, je vivais à l’air jour et nuit, je mangeais des légumes, des fruits, des gâteaux de farine et de lait. [...] On me laissait la faculté d’agir bien ou mal selon mon instinct, on ne me défendait rien" [55]. Elle apprend l'italien et le français. Vers ses 18 ans, la jeune Véga de Ortega est équipée d'une nouvelle technologie lui permettant de voler dans les airs. Elle est la seule à pouvoir utiliser cette combinaison ailée car elle a reçu pour cela un traitement particulier depuis l'âge de sept ans qui la rend insensible à la peur du vol. Sa biographe ne rentre pas dans les détails et le procédé reste mystérieux. Dès 1906, le folklorien Paul Sébillot croit déceler dans un dicton populaire français une explication plausible à une telle situation :
Connue au Royaume-Uni sous le surnom de "Lady Bird" et de "Femme-Oiseau" en France, Véga de Ortega se fait appeler L'Oiselle. À partir d'août 1911, les travaux de Renée Gouraud d'Ablancourt sont de nouveau publiés en épisodes dans L'Indépendant du Cher sous le titre de Véga la magicienne [55]. L'Oiselle n'est pas seulement capable de voler, elle bénéficie aussi de la technologie des douze tubes de vie, une "pharmacie portative" avec laquelle, selon ses propres mots, elle défie "beaucoup de choses : le sommeil, la faim, la soif, la fatigue, l’énervement, la fièvre, les épidémies. [...] Les comprimés sont enfermés dans des flacons blancs. Les cinq autres flacons qui sont bleus contiennent le moyen d’augmenter la force des cinq sens." [55] Parmi les hominines de Stella Negra, Véga de Ortega semble faire exception car, généralement, "les filles apprennent la cuisine, la couture, la lecture, avec quelques notions d’histoire, de géographie et de calcul, mais sans grand développement ; elles s’attachent surtout au métier de ménagères et de mères de famille, connaissant assez d’hygiène pour soigner les malades et les blessés", selon Renée Gouraud d'Ablancourt et Georges Spitzmuller dans Le prince Fédor, publié en 1907 [59]. Alors que L'Oiselle se fait "redresseuse de torts", utilisant sa combinaison volante et ses pouvoirs pour défendre des "bonnes causes" et lutter contre des injustices, la société des Compagnons de l’Étoile noire n'hésite pas à pratiquer la violence politique contre les raisons de sa colère. Que ce soient des hominines ou des choses inanimées. La mort et la destruction mettent fin aux tergiversations pour savoir si "Rien n'est éternel" se prononce ou pas comme "Rien est éternel". Malgré des similitudes, les journaux anarchistes russes de Saint-Pétersbourg et Yégor Martinof sont assez différents de la société secrète de l’Étoile Noire et des hominines de Stella Negra. Différences idéologiques et tactiques. Dans le cas russe, il s'agit de combattre un système politique sans avoir une zone géographique à gérer, dans l'autre il s'agit d'une organisation communautaire et géographique qui vise à pérenniser son modèle social. Aucune preuve n'existe sur une possible rencontre entre les hominines de Stella Negra et celleux de Beznatchalie. Rien n'indique qu'il y ait un lien entre Véga de Ortega et Yégor Martinof, entre L'Oiselle et Monsieur Rien. Dans l'état actuel de la recherche, il n'a pas été possible de confirmer l'utilisation du tissu neo-color qui rend invisible par les hominines de Stella Negra pour mener une action violente. Il est nécessaire pour cela de consulter l'ensemble des travaux réalisés par Renée Gouraud d'Ablancourt dans lesquels Stella Negra et les Compagnons de l’Étoile Noire sont des protagonistes [60]. Au sens moderne du terme, Yégor Martinof est à ranger dans la case des super-héros, c'est-à-dire qu'il fait partie des hominines ayant des "pouvoirs" particuliers et dont illes se servent pour défendre telle ou telle cause. L'invisibilité n'est pas courante. Depuis la mort tragique de Yégor Martinof, très peu d'hominines peuvent se vanter de compter l'invisibilité parmi leurs super-capacités. Les plus connus sont Jane Storm alias Invisible Girl et Jacques Foccart alias Invisible Kid [61]. L'une est invisible après une exposition à des radiations cosmiques lors d'un voyage spatial dans les années 1960, et l'autre après avoir bu volontairement un breuvage chimique dans le courant du XXXIème siècle. L'une devient membre des Quatre Fantastiques et l'autre de la Légion des Super-Héros. Jane Storm et Jacques Foccart défendent le bien contre le mal dans l'univers bipolarisé qui est le leur. Leur invisibilité n'est pas permanente et dépend de leur volonté, contrairement à Invisible Boy qui peut l'être uniquement lorsque personne ne le regarde. Lui et son groupe des Mystery Men [62] sont à classer dans la vaste catégorie des "Super-pouvoirs pourris" selon le spécialiste du sujet, Guillaume Aldebert [63]. La grande différence entre Yégor Martinof et ces trois autres invisibles est la question du costume. Lui n'en a pas besoin, protégé par son pelage, alors que les Invisible Girl et Kid doivent en porter un en permanence lorsqu'illes sont visibles. Dans la tenue bleue moulante des Quatre Fantastiques, Jane Storm apparaît et disparaît comme bon lui semble, tout comme Jacques Foccart dans son justaucorps intégral trop petit, alors que Invisible Boy se retrouve nu à chaque disparition. Idem pour Translucide du groupe The Boys [64] qui est nu lorsqu'il est invisible mais qui résiste mieux aux intempéries car sa peau en carbone est impénétrable. Selon sa nécrologie officielle, seul de l'explosif dans l'anus est en mesure de le tuer [65]. La question du costume est centrale dans la réalité du quotidien des super-héros mâles et femelles. De Deadpool qui cache les brûlures qui déforment son visage — et le font ressembler à une hémorroïde — derrière une cagoule rouge et noire aux grands yeux blancs, à Wonder Woman qui doit affronter tous les ans le froid de l'hiver et les pluies automnales dans un mini-short et un bustier, en passant par Superman dont on ignore s'il quitte ou non sa combinaison pour se doucher ou chier. Ou encore la burka derrière laquelle se cache la super-héroïne pakistanaise Jiya alias Burka Avenger [66] qui poursuit le fondamentalisme religieux avec son art martial traditionnel et pour seules armes des stylos et des livres. Aucun de ces costumes n'a l'originalité de Flaming Carrot [67] qui "porte un masque géant de carotte surmonté d'une petite flamme, est toujours vêtu d'une chemise blanche et d'un pantalon rouge et [...] porte aux pieds des palmes de plongées" au cas où il aurait besoin de nager. Et c'est ainsi habillé qu'il mène sa lutte contre le mal. La dimension politique de leurs actes différencient aussi les super-hominines entre elleux, et singulièrement de Yégor Martinof. Pour nombre de ces hominines, il est le mal. Plutôt à ranger dans la catégorie des super-vilains, ce vaste ensemble qui va de Galactus le dévoreur de monde au Chaînon Manquant, de Thanos le titan extra-terrestre au tueur psychotique Arthur Fleck alias Le Joker. Rien de commun entre Yégor Martinof et la bolcheviste Octobriana [68], avec son étoile rouge sur le front, ou avec l'américano-soviétique James Barnes alias le Soldat de l'Hiver [69]. Des origines géographiques ou des détestations communes ne font pas des amitiés ! D'ailleurs l'historiographie bolcheviste, puis soviétique, ne fait pas mention de Yégor Martinof, ni se l'approprie comme cela a été le cas avec d'autres hominines. Selon la recherche protivophilie, il n'en existe aucune trace dans la presse russe de l'époque. Ni postérieure. Les collectifs actuels et passés d'hominines aux super-pouvoirs sont très nombreux. Et divers. Des volontaristes citoyennistes de la Ligue de Justice qui traquent ensemble le mal à la Doom Patrol et sa psychothérapie de groupe pour super-hominines non-volontaires de l'être, des opportunistes et réactionnaires de The Boys aux industriels et libéraux Avengers. Pour ne citer que quelques exemples. Du côté de la super-vilainie aussi, la liste est longue. Par exemple, Les Maîtres du Mal, un groupe fondé par le baron hitlériste Heinrich Zemo, et sa cohorte de super-vilains toute aussi hitlériste tel que Johann Schmidt alias Crâne Rouge ou Armin Zola. Bien souvent, en super-vilainie les noms des groupes en disent long sur eux-mêmes : Lethal Legion, Démolisseurs ou Suicide Squad. Les soviétiques ont leurs propres ligues. Les Super-Soldats Soviétiques, les Soviets Suprêmes, le Protectorat du Peuple ou la Garde d'Hiver regroupent, entre autres, la Dynamo Pourpre, Nicolai Krylenko alias Vanguard [70] et sa sœur Laynia Petrovna alias la Nébuleuse Noire [71], ou encore le Gardien rouge ou la Grande Ourse [72]. Dynamo Pourpre est une armure de haute-technologie dans laquelle douze hominines mâles et une femelle vont combattre successivement, l'adelphie Vanguard et Nébuleuse Noire ainsi que la Grande Ourse sont des hominines avec une mutation qui leur donne leurs pouvoirs, alors que les sept hominines qui tiennent le rôle du Gardien Rouge sont sans super-pouvoirs mais simplement très athlétiques, ayant un surentraînement et spécialistes du combat au corps à corps — la systema ? Parmi l'ensemble de ces hominines, il n'en existe qu'un seul qui, si l'on se fie à son nom, se réclame ouvertement de l'anarchie. Lonnie Machin se fait appeler Anarky et "a étudié les arts martiaux et a mis à profit ses talents d'ingénieur et ses connaissances en informatique pour devenir lui-même un justicier" [73]. Avec un look vestimentaire destiné à l'émeute urbaine moderne, avec blouson, capuche, A cerclé et cocktail Molotov, ou bien déguisé dans le style de Vendetta avec cape, chapeau et masque, Anarky s'attaque de manière violente à ce qui touche aux inégalités sociales, à la malveillance écologique, au militarisme, à l’État, à la corruption, etc. Sa biographie indique que "Son nom est son but" [74]. Un peu comme Kick-Ass [75], il n'a pas de réels super-pouvoirs mais une volonté inébranlable d'œuvrer pour le bien des hominines. Ennemi du riche misanthrope Batman dans un premier temps, il glisse vers un libertarisme qui prône que l'avenir souhaitable pour les individus se trouve dans le libéralisme social, économique et politique [76]. Un processus politique auquel a échappé Yégor Martinof du fait de sa mort prématurée à une vingtaine d'années.
Pour la protivophilie, la question essentielle est celle de la place de F. Merdjanov en toute chose. Quelle pourrait être la sienne dans une biographie de Yégor Martinof alias Monsieur Rien ? Quels liens entre sa personne et la nébuleuse de la super-vilainie ? À n'en pas douter, il semble bien qu'il faille lui assigner cette place plutôt qu'une auprès du super-héroïsme. En effet, ce dernier ne fait que sauver le monde actuel, tel qu'il est, alors que manifestement F. Merdjanov soit de celleux qui veulent simplement le réduire en cendres. Pour autant, son but ne semble pas non plus de s'aligner sur toutes les pourritures de la super-vilainie car, contrairement à ce qu'affirme un dicton populaire, les ennemis de mes ennemis ne sont pas mes amis. F. Merdjanov est à situer "Par-delà le bien et le mal" pour paraphraser le marteleur Friedrich Nietzsche. Par conséquent, le groupe le plus approprié à admettre F. Merdjanov en son sein est la Confrérie de Dada [78] fondée par Eric Morden alias Mr Nobody. "Le "bien" ! Le "mal" ! Des concepts dépassés pour une époque antique. Ne voyez-vous pas ? Il n'y a pas de bien, il n'y a pas de mal dans notre nouveau monde ! Regardez-nous ! Ne sommes-nous pas la preuve définitive qu'il n'y a ni bien, ni mal, ni vérité, ni raison ? Ne sommes-nous pas la preuve que l'univers est un idiot baveux sans aucun sens de la mode ? À partir de ce jour, nous célébrerons l'absurdité totale de la vie, le gigantesque tour de passe-passe de l'existence. À partir d'aujourd'hui, la déraison règne ! La Confrérie du Mal est morte ! Vive la Confrérie de Dada !" Parmi ses membres, les plus proches symboliquement de F. Merdjanov sont Agent ! et Number None. Selon l'encyclopédie participative Wikipédia, Agent ! [79] a le pouvoir de "ne pas surprendre", ce qui lui permet, ainsi qu'à tous celleux qui l'entourent, de passer inaperçus ou de subir des attaques qui semblent sortir de nulle part. Malgré une tenue colorée décorée de points d'exclamation, il possède une forme d'invisibilité, contrairement à l'une de ses consœurs, The Toy (Le Jouet en français), qui a la moitié inférieure de son visage couvert d'un masque semblable à celui d'Hannibal Lecter, avec une tête de Monsieur Patate, des lèvres en plastique et des brosses à dents en guise d'oreilles. Number None — Numéro Zéro en français — n'est ni une personne ni une chose en particulier. Pour Mr Nobody, "Tout le monde et tout, à un moment ou à un autre, est Number None". D'après ses biographes, Number None "c'est essentiellement la malchance. C'est tout ce qui se met en travers de votre chemin et vous fait trébucher. Chaque porte de placard laissée ouverte sur laquelle vous vous cognez la tête." [80] Quels sont alors les super-pouvoirs de F. Merdjanov ? Sa plus grande force réside dans sa capacité à demeurer insaisissable, incompréhensible et invisible. Et à ne ressembler à rien.
Notes
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