Qu’est-ce qui est et n’est pas ?
Rien.
Comment peut-on être et ne pas être ?
Le nom est, et la chose n’est pas.
Quid est quod est et non est ?
Nihil.
Quomodo potest esse et non esse ?
Nomine est, et re non est.
Lucrèce, De rerum natura
Il est convenu aujourd’hui que le Vide n’existe pas : on sait que l’espace est aux corps ce que le temps est aux faits, un rapport, une abstraction de notre cerveau. Mais nous n’en sommes pas moins forcés d’admettre entre les choses et dans leur tissu, puisque aucune molécule n’en touche une autre, ce libre milieu supposé par Lucrèce. Où Lucrèce a vu le Vide, c’est-à-dire rien, nous plaçons quelque chose : mais ce quelque chose équivaut à ce rien. Bien plus, ce quelque chose est au-dessous, au delà de rien. Il est plus subtil que le vide le plus parfait obtenu par nos machines pneumatiques : il est impondérable. Au Vide lucrétien substituez par la pensée l’Éther de nos savants, et Lucrèce sera ici au courant de la science contemporaine. Ainsi encore dans ces quelques vers :
Les ombres de l’esprit, les terreurs du sommeil
Bravent l’éclat du jour et les traits du soleil ;
Mais la Nature s’ouvre et la nuit se dissipe.
Au seuil de la science est assis ce principe :
Rien n’est sorti de rien. Rien n’est l’œuvre des dieux.
C’est à force de voir sur terre et dans les cieux
Des faits dont la raison cherche en vain l’origine,
Que nous plaçons en tout la volonté divine.
De là cette terreur qui nous accable. Eh bien !
Quand nous saurons que rien ne peut sortir de rien,
Nous verrons s’éclairer notre route, et les choses,
Sans miracle et sans dieux, nous révéler leurs causes.
Que tout vienne de rien ? tout peut venir de tout,
Et la loi de l’espèce en hasard se résout.
D’après la Préface d’André Lefèvre à l’édition de 1899 du De la nature des choses.