La forme intuitive doit sortir de rien.
Kazimir Malévitch, Du Cubisme et du Futurisme au Suprématisme. Le nouveau réalisme pictural
Depuis l’Antiquité coure une maxime aux consonances bibliques : «Rien ne vient de rien.» Et puis du fond d’une Russie en effervescence arrive une sorte de transposition du nihilisme à l’art. Le Rien tenait son peintre et la création pouvait s’affranchir de tout préalable, son Carré noir est comme une première représentation concrète du Rien mais non son ultime représentation. Non content d’atteindre les confins inexplorés de la peinture, Malévitch formalise une philosophie complète d’une liberté propre au Rien, l’essence même du Rien libéré. Le Carré blanc sur fond blanc poussera la limite encore plus loin, au-delà des espaces du Rien. Voici ce qu’en dit le poète Bénédikt Livchits (L’Archer à un œil et demi) : «Dans les limites de la boîte scénique, la stéréométrie picturale prenait naissance pour la première fois ; un système rigide de volumes se constituait, ramenant au minimum les éléments du hasard imposé de l’extérieur par le mouvement des corps humains. Ces corps étaient mis en pièces par les lames des phares, ils perdaient alternativement les bras, les jambes, la tête, car pour Malévitch ils n’étaient que des corps géométriques soumis non seulement, à la décomposition en éléments, mais aussi à la complète désagrégation dans l’espace pictural. L’unique réalité était la forme abstraite qui avait englouti, sans qu’il en restât rien, toute la vanité luciférienne du monde.»