Il aurait pu ne rien y avoir – se disait-il – et moi, j’aurais pu ne jamais exister – et ces temps, où il n’existait pas (ces temps aussi où plus tard, fatalement, inévitablement, un beau jour, il n’existerait plus) étaient contenus dans un seul moment limite sous la pression infinie du non-sens qui avait actuellement envahi la conscience d’un être vivant du Grand Rien. Ce n’était pas sans raison que les sages de l’antiquité voyaient dans le Rien un concept créateur et positif, comme un tremplin et un critère. Aujourd’hui on le tenait à tort pour un fantôme conceptuel stérile.

Stanislav Ignacy Witkiewicz aka Witkacy, L’Unique issue

 


L’Unique issue est le dernier roman de Witkiewicz ; par le biais de son personnage Izydor qui élabore un système philosophique en écrivant un méta-livre, il s’interroge sur son rapport au monde moderne. Que représente l’Individu (l’«Existence particulière» comme il l’appelle) dans la société de masse totalitaire fasciste, communiste ou démocratique ? Rien. Quelle échappatoire pour celui qui n’accepte pas cela ? Rien, sauf peut-être le retranchement dans une vision artistique totale, au sens poétique, des choses. Sur les pas du Nietzsche des Choses humaines, trop humaines, Witkiewicz remet à plat l’approche métaphysique, désormais devenue insuffisante, affirmant que l’existence n’est digne d’être vécue qu’à partir d’une perspective esthétique. Le rien poétique permet cette mise à jour en dépassant la posture plaisante du post-romantisme et en proposant le retrait cynique plutôt que le désespoir mélancolique.