Systema
Systema (sistema en nissard. систем en macédonien). Art martial libre.
SommaireÉtymologieEmprunté à la langue russe, le terme de система est un nom féminin signifiant "système". La translittération en alphabet latin est rendue par "systema" ou "sistema". Parmi les différentes définitions de ce terme[1], la plus approchante est fournie par les mathématiques : "Ensemble de relations qui doivent être satisfaites simultanément", et illustrée par la mécanique : "Mécanisme constitué par un assemblage de solides dont les liaisons deux à deux peuvent: 1) Soit permettre un mouvement de rotation autour d'une droite (...) 2) Soit permettre un mouvement de rotation autour d'un point, de l'un des solides par rapport à l'autre". Cистема désigne un art martial libre, né quelque-part entre les rivages tchernomoriens[2] et les confins sibériens à une date indéterminée. Hormis de rares exceptions, et sans qu'aucune raison ne soit évoquée, dans l'espace francophone le masculin est usuellement utilisé pour adapter le terme russe sans le traduire. Ainsi, dans ces contrées linguistiques marginales, ses adeptes pratiquent "Le" systema ! PrincipesQuels que soient les différents "styles" actuels se réclamant de la systema, tous évoquent une approche martiale se fondant sur les principes de la bio-mécanique. De l'étude de cette mécanique inhérente à chaque hominine découle plusieurs principes. Certains "styles" de systema retiennent par exemple le mouvement continu, une respiration particulière, la détente permanente ou une attention marquée à la structure du squelette. Le mouvement continu, au sol et/ou debout, est la façon de n'être jamais exactement là où l'adversaire pense vous trouver. La respiration adoptée en systema est continue et basée sur plusieurs manières de respirer selon les circonstances pour détendre les tensions musculaires, récupérer activement ou faire descendre les tensions psychologiques et ainsi parvenir à rester "calme". Les pratiques respiratoires permettent de maintenir un état de détente optimal afin de faciliter le mouvement, atténuer les effets des impacts et augmenter la puissance de sa propre force de frappe[4]. Généralement, l'inspiration se fait par le nez et l'expiration par la bouche. La bio-mécanique explore le fonctionnement articulaire et musculaire du corps des hominines et la systema en exploite les principaux mécanismes pour agir simultanément sur les zones de tensions musculaires et les articulations, par des frappes, des poussées ou des leviers, et ainsi déstructurer l'adversaire. Il n'y a pas de techniques en systema mais de très nombreux exercices d'apprentissage de la bio-mécanique de soi-même et d'une ou plusieurs personnes qui se prêtent au jeu. Des outils pédagogiques - déguisés en armes - sont utilisés : bâton, couteau et chaîne. Ils permettent de mieux se déplacer, fluide et détendu, et de gérer les tensions psychologiques. La plupart des exercices - avec ou sans outils - se font à vitesse réduite[5], pour plus de précision et d'opportunités de voir ce qu'il se passe réellement dans la bio-mécanique et de profiter de ses principes. Les exercices ne sont pas basés sur le rapport de force ou la compétition entre deux ou plus mais sur l'attention portée aux possibilités et aux opportunités de maîtriser dans un rapport ludique à l'autre. L'augmentation de la vitesse et de la force des coups portés est une décision librement consentie entre les personnes impliquées. Certaines écoles semblent plus pointilleuses que d'autres sur la rapidité d'exécution. Les exercices d'acquisition des principes bio-mécaniques s'accompagnent d'une pratique de massages spécifiques à la systema. Leurs buts sont de détendre les zones musculaires tendues grâce à des pressions avec les mains et les poings, en marchant et en piétinant les parties voulues, sur tout le corps, avec des sticks en bois qui viennent chercher les muscles en profondeur ou en frappant avec les poings, plus profondément à chaque coup, les zones musculaires à attendrir. La respiration explosive[6] est préconisée pour ce type d'exercice qui tente d'être autant un massage qu'un apprentissage du coup reçu. Les poings de la personne qui masse sont comme deux coups de poings donnés et reçus lentement. Celle qui est massée expérimente ce que cela procure chez elle et les zones de tensions musculaires douloureuses à détendre : elle arrête lorsqu'elle le décide. Par ces effets sur les muscles plus profonds et sur le plexus, ces massages déclenchent parfois des "montées d'émotions", sans douleurs, qui se traduisent par quelques larmes ou des sensations de picotements dans le corps. Des entraînements de systema comportent aussi de nombreux exercices individuels d'assouplissement, réalisés non par étirements mais par une recherche de détente progressive. Le renforcement musculaire se fait par des exercices de pompes, de squats et d'abdominaux, réalisés à des vitesses différentes, fractionnés ou dans des positions statiques, en essayant de maintenir détendus les muscles non indispensables au mouvement. Dans un célèbre enregistrement de quatre minutes et trente-trois secondes le préparateur de MMA (Mixed Musical Arts) John Cage, toujours très éloquent, revient longuement sur les critiques faites à la systema :
La systema n'est ni envisagée ni enseignée comme un sport : Il n'existe ni règles, ni compétitions. Il n'y a pas de catégories de genre (mâles/femelles), de poids ou de niveaux et les entraînements incluent toutes les personnes, sans distinction. Le but essentiel de la systema, en tant qu'art martial libre, est de mettre hors-jeu rapidement et non d'entretenir le combat par un cadre réglementaire. Dans la réalité, la systema, pratique d'auto-défense et d'attaque, ne vise pas à se battre avec quelqu'un mais à mettre fin au combat par tous les moyens disponibles. Plus que martial, la systema est un art de la survie. Il est admis que tous les coups sont permis mais dans le cadre des entraînements, et à vitesse réduite, l'intention est de ne pas blesser ses partenaires qui sont l'outil indispensable à l'apprentissage de la bio-mécanique. Il n'y a pas d'entraînement-type dans l'apprentissage de la systema, même s'il existe un certain nombre d'exercices récurrents[8]. La plupart des exercices proposés visent à la découverte de la bio-mécanique (musculaire et articulaire), une forme d'exploration par le mouvement des positions dans lesquelles le corps peut se trouver, pour une meilleure compréhension de ce que cela crée chez soi et chez les autres. L'autre est l'outil majeur, acceptant à tour de rôle de "prêter son corps" pour expérimenter ensemble les lois de la bio-mécanique. Il est contre-productif de maltraiter son jouet pédagogique. La pédagogie propre à la systema est particulière. Elle ne base pas son apprentissage sur la répétition des mouvements pour l'acquisition de techniques mais incite à explorer les possibilités pour mieux se saisir de toutes les opportunités dans le "combat". Refusant le formatage, la systema mise sur l'inventivité. Le travail se fait au sol, debout et aux niveaux intermédiaires. Lors des entraînements, les exercices se succèdent généralement avec une logique progressive. La plupart n'ont aucun aspect martial et revêtent plutôt un aspect ludique. Libre à la personne instructrice de combiner les exercices comme bon lui semble ou d'en inventer de nouveaux. Dans la systema les frappes ont de multiples usages et différentes façons de s'y former. Elles sont lourdes, profondes, et visent la musculature interne. Pour une frappe avec le poing, la systema explique que le poing le plus lourd est celui qui arrive au bout d'un bras le plus détendu possible, comme une petite masse d'arme. Ce type de frappe est utilisée autant pour maîtriser un adversaire que pour des massages, pour se calmer ou augmenter le stress. La lourdeur et la vitesse choisies font la différence. La compréhension des frappes de systema se fait aussi par des exercices "indirects" : se déplacer sur le corps d'une personne en faisant des pompes sur les poings, essayer seul et allongé sur le dos de frapper avec le moins de force musculaire possible, rester statique en position pompes sur les poings avec le reste du corps détendu, etc. Centrale dans la pratique de la systema, la respiration est parfois le thème essentiel d'un entraînement[9]. Les exercices sont très diverses, allant d'être allongé sur le dos et respirer doucement à la gestion des mouvements ou des efforts en apnée, de la détente musculaire à la découverte de l'effort avec des respirations contraintes, de la récupération physique à la mise en stress volontaire, etc.OriginesÉtablir l'historiographie exacte de la naissance de la systema est compliqué car elle est à la charnière entre l'ancien empire tsariste et son successeur soviétique, avec son lot d'archives détruites, disparues ou inaccessibles ; elle est à cheval entre l'héritage soviétique et le renouveau nationaliste, avec sa tentation de revisiter l'histoire. Conséquemment à l'effondrement de l'Union soviétique la systema sort du domaine strictement militaire et devient accessible à un plus large public dans le début des années 1990. Issue de l'univers militaire et destinée à certaines forces spéciales, la systema a évolué dans un univers du secret et son histoire précise reste encore très mystérieuse. Prémisses tsaristesTout au long du XIXème siècle ap. JC[10] la péninsule coréenne et la Mandchourie sont au cœur des rivalités entre les différents empires que sont la Russie, la Chine et le Japon. La Russie tente de s'implanter durablement à l'extrême-orient de son territoire et de s'assurer un accès à l'océan Pacifique, via la mer du Japon et l'île Sakhaline. La Chine et le Japon s'opposent sur ces territoires dont le contrôle leur assurerait une maîtrise du commerce sur la mer du Japon qui les sépare géographiquement. Les guerres entre ces puissances ponctuent le siècle et ouvrent le suivant. Les richesses minières, le prolongement de la ligne ferroviaire du trans-sibérien à travers la Mandchourie et un accès sécurisé au Pacifique sont des enjeux importants de la politique du tsar russe. En 1905, après plus d'une année de combats, la Russie sort perdante de la guerre qui l'oppose au Japon[11]. Elle perd la Mandchourie dont la partie sud est accaparée par la Chine et la nord par le Japon qui s'installe aussi dans la partie orientale de l'île de Sakhaline[12] et en Corée[13]. Les combats terrestres font plus de 85000 morts du côté japonais et 71000 du côté russe, et plus de 100000 blessés de chaque côté. La guerre est un désastre militaire et économique pour l'empire tsariste qui en sort très affaibli politiquement. Face aux contestations sociales qui ébranlent l'empire depuis le début de l'année 1905 et la perte récente des territoires de l'extrême-orient russe le tsar est contraint de promulguer des réformes politiques et sociales pour libéraliser un peu plus l'État et octroyer des libertés supplémentaires à certaines couches de la population. L'assemblée parlementaire, appelée Douma, qui est mise en place n'aura de cesse jusqu'en 1917 de lutter pour sauvegarder ses maigres prérogatives ou en obtenir de plus importantes. Des réformes de l'armée sont mise en place. Il n'existe alors pas de gymnastique militaire ni de techniques de combat corps à développées et enseignées au sein de l'armée tsariste. Combattant des tranchées lors de la guerre de 1905 sur le front mandchourien, l'officier Viktor Afanassievitch Spiridonov profite de sa présence en Mandchourie pour étudier le ju-jitsu[14] pratiqué par des japonais et devient spécialiste de gymnastique militaire appliquée. Blessé par une baïonnette lors de la Première guerre mondiale, il projette alors d'élaborer un système d'auto-défense spécifique destiné aux forces armées russes. Parmi le contingent seuls quelques soldats pratiquent des formes de boxes populaires russes[15] - sévèrement encadrées puis interdites par les autorités - ou différentes luttes issues de certaines régions de l'empire. Les contestations faces aux lenteurs de réformes, à leurs retraits, à leurs inapplications ou leurs absences, parviennent à renverser le tsar et le faire fusiller en 1917, lui et une dizaine de personnes de la famille royale des Romanov. Discrètement, dans la plus stricte intimité comme disent les historiens. Pré-mix matérialisteLors de la guerre civile qui suit le renversement du despote, Viktor Spiridonov rejoint les forces armées révolutionnaires menées par les bolchevistes. Il est nommé instructeur de gymnastique militaire appliquée dans la région de Moscou. Cette gymnastique est un mélange de techniques de combats à mains nues et d'exercices physiques. En se basant sur son expérience du combat rapproché, de ses études sur la bio-mécanique et de son observation de diverses techniques utilisées par le ju-jitsu, il s'applique à mettre au point un système de combat, avec ou sans armes, qu'il nomme Самоз (samoz), abréviation du mot Самозащита (Samozachtchita), "autodéfense" en russe. En plus de l'aspect combatif, la gestion de la peur et de la douleur sont intégrées dans l'apprentissage du samoz. La pédagogie choisie préconise un apprentissage par l'expérimentation plutôt que par la répétition, se saisir de toutes les opportunités plutôt qu'en attendre certaines. Les exercices s'adressent à toutes les corpulences car le samoz affirme être aussi une réponse aux besoins d'une personne affaiblie, une blessure par exemple. Le samoz voit officiellement le jour en 1921 et dès 1923 il est enseigné, sous le sceau du secret d’État, au sein du club sportif du Dynamo à Moscou, par Viktor Spiridonov lui-même. Le samoz est alors réservé à quelques unités de sécurité de l'armée liées aux services de renseignements - Guépéou à l'époque puis NKVD puis KGB. Pendant ses vingt années d'enseignement, Spiridonov alimente son système de combat par l'étude de plusieurs sports de combats, de luttes et d'arts martiaux lors de voyages en Europe occidentale et en Asie. Il décortique les techniques et fait le tri pour ne garder que ce qui lui semble conforme à son système de combat : aller au plus efficace en un temps le plus court possible avec le moins d'énergie dépensée. Outil répressif, le samoz est généralement divisé en trois approches. La première est destinée au maintien de l'ordre par la police, censée savoir ainsi interpeller sans tuer, lorsqu'il le faut, la deuxième aux forces armées chargées d'éliminer des hominines lors de conflits militaires ou de s'en dépêtrer les plus urgemment, et la troisième est réservée aux opérations spéciales dont le but est d'opérer en toute discrétion.
Vassili Sergueïevitch Ochtchepkov naît dans le pénitencier de l'île de Sakhaline où sa mère est enfermée[18]. Alors que l'île est sous le contrôle du Japon depuis fin 1905, Ochtchepkov parvient à étudier dans une école russe de Kyoto et se découvre une passion pour un tout nouvel art martial, le judo[19], dont il devient un pratiquant assidu. En octobre 1911, il part à Tokyo et se forme auprès du fondateur du judo, Jigoro Kano, et obtient la ceinture noire 1e Dan en juin 1913 et la 2e en octobre 1917. Il est le premier russe, et le quatrième occidental, à obtenir cette ceinture des mains de Jigoro Kano. Ochtchepkov ouvre rapidement une école à Vladivostok dans l'extrême-orient russe. Avec la révolution russe de 1917, il est enrôlé pour des activités d'espionnage au Japon et en Chine, dont il parle les langues. Il se familiarise avec plusieurs arts martiaux qu'il étudie attentivement. Il introduit dans le judo des "techniques" venues d'autres arts martiaux et dispense régulièrement des cours à Vladivostok sur le système de combat qu'il met progressivement en place. En 1929, il est envoyé à Moscou rejoindre Viktor Spiridonov avec le projet de constituer ensemble un nouveau système de combat au corps-à-corps à destination de l'armée soviétique et une version civile pour devenir un sport national. En parallèle de ses travaux sur le samoz qu'il continue de perfectionner, Viktor Spiridonov partage son travail avec Vassili Ochtchepkov pour la mise en place de ce projet. Ainsi, ils étudient ensemble les nombreuses luttes et boxes populaires pratiquées sur le vaste territoire de l'Union soviétique et intègrent les techniques jugées les plus efficaces dans une réforme du judo établi par Jigoro Kano. La boxe anglaise, la savate française, le pugilat russe sont disséqués comme le sont le ju-jitsu ou les boxes chinoises[20]. La bio-mécanique reste l'élément-clef. Petit à petit, ils mettent en place le Самозащита без оружия (Samozachtchita bez oroujia), "autodéfense sans armes" en russe, plus connu sous l'acronyme de sambo et décliné sous trois formes. La première s'inspire du samoz de Spiridonov et est destinée aux forces spéciales, la seconde, sous le nom de Boïevoe Sambo (Боевое Самбо), est un sambo militaire avec armes et frappes et la troisième, le Borba Sambo (Борьба Самбо), un sport de combat civil, une nouvelle forme de lutte. Vassili Ochtchepkov travaille particulièrement à ces deux derniers types de sambo. Il insère dans le sambo de nombreuses technique issues de ses études sur les luttes populaires dans le Caucase[21], l'Asie centrale[22] ou dans les confins sibériens[23] ainsi que dans la partie occidentale de l'empire soviétique avec la trânta en Moldavie ou les techniques de combats au corps-à-corps des Cosaques. Il met en place un enseignement du sambo militaire, édite du matériel pédagogique et anime plusieurs cours auprès de militaires ou de policiers, et en parallèle il instaure les règles d'une pratique sportive populaire de ce nouveau système d'auto-défense. Refusant de renier les influences du judo sur le sambo pour inventer un sport plus national, entièrement soviétique selon la propagande, en octobre 1937, pendant la vague de purges de Staline, il est arrêté au prétexte d'espionnage au profit du Japon. Dix jours plus tard, il est "mystérieusement" abattu d'une balle dans la tête dans sa cellule de prison. Le samoz et le sambo ne lui furent d'aucune aide. En novembre 1938, le sambo sportif est officiellement lancé par les autorités soviétiques et des clubs sont ouverts dans certaines villes du pays. Anatoli Kharlampiev, élève et successeur de Vassili Ochtchepkov, va finir de façonner les différents sambo modernes, civil et militaire, en synthétisant ses écrits et ceux de Spiridonov, et en y apportant sa pratique de plusieurs boxes et ses étude menées sur d'autres disciplines martiales ou d'auto-défense. Entre 1940 et 1942, plus de 30000 militaires sont instruits au sambo pour venir en aide aux unités soviétiques en déroute. Un petit plus dans les capacités militaires de nuisance à l'ennemi. S'il est aisé de suivre l'évolution du sambo sportif, par sa diffusion nationale puis internationale, par son statut de sport olympique, il est fort compliqué d'obtenir des informations concernant les évolutions du sambo militaire et du samoz. L'un se décline sous différentes formes adaptées aux besoins militaires, et l'autre est "secrètement" le système d'auto-défense de la garde rapprochée de Joseph Staline ou de quelques unités spécifiques sous la direction des puissants et omniprésents services secrets. La mort de Staline en 1953 entraîne des perturbations dans sa garde rapprochée et les services de sécurité, de nouvelles purges et des restructurations dans l'armée. Des années 1950 jusqu'au début des années 1990, rien ne filtre vraiment sur l'histoire de ses systèmes de survie soviétiques. Parmi les détracteurs de la systema, il se dit qu'elle n'est qu'une invention des services secrets soviétiques pour faire croire aux américains qu'ils sont parvenus à mettre au point un système de combat imparable, une sorte de taï-chi matérialiste, pour une armée de super-héros prête à affronter les siens[24]. Ce qui l'on nomme actuellement la systema est née de ce samoz, au parfum de sambo, qui est enseigné par Viktor Spiridonov jusqu'à sa mort en 1944 puis transmis par ses élèves et les instructeurs qu'il a formés. La légende soviétique de la systema rapporte qu'elle est le résultat des travaux menés à la suite de Spiridonov et Ochtchepkov par des ingénieurs en bio-mécanique et des militaires instructeurs dans le secret du Dynamo de Moscou jusque dans les années 1980. Art de la survie ouvert et inventif, certains développent leurs propres méthodes, leurs propres systèmes. Le système pratiqué par certains commandos spéciaux de l'armée est alors dénommée Combat Sambo Spetnaz (Комбат Самбо Спецназ) mais d'autres commandos sont formés à des arts martiaux ou sports de combat différents. Est-ce un indice protivophile d'explication de l'échec des armées soviétiques à se maintenir en Afghanistan ?[25] Remix r(é)ussi(e)La dissolution de l'Union soviétique et du "bloc communiste" en Europe de l'Est a permis de découvrir ce qui se couvait depuis quelques années déjà. La montée des nationalismes "ethnico-culturels", la réémergence du facteur religieux ou le retour du conservatisme moral sont autant les conséquences du jeu obscur des "communistes" sur ces questions qu'ils préfèrent mettre en sourdine, ou en jouer, plutôt que d'y répondre, qu'une réponse à ce projet pseudo-communiste et à son échec. Elles se situent dans sa continuité et dans son opposition. Tous les pays actuels issus des anciens pays "communistes" se construisent tout autant en rupture avec ce passé récent encombrant qu'avec une volonté de s'ancrer dans un présent dont l'histoire récente est incontournable. Si l'équilibre est périlleux, cette situation est néanmoins confortable pour justifier les inégalités sociales qui perdurent.Le voile se lève progressivement sur les plus de 70 ans de "communisme", mais il n'en révèle que quelques pans. La systema apparaît aux yeux du "grand public" en 1993 lorsque Vladimir Vassiliev inaugure au Canada le premier lieu dédié à l'apprentissage de la systema hors de Russie et le sambo militaire est déclassé en 1994 pour devenir une forme de lutte libre, le Combat Sambo, accessible aux civils et pratiqué en compétition[27]. La systema se répand un peu sur tous les continents et de nombreux clubs voient progressivement le jour. Même s'il est le plus répandu, le style enseigné par Vladimir Vassiliev, dit Systema Ryabko, n'est pas le seul et il existe une multitude d'autres styles qui ouvrent des écoles ou forment des instructeurs. Par abus de langage, la systema est souvent qualifiée d'art martial russe alors qu'il est avant tout soviétique, et n'a de russe que la tentative de récupération par l'historiographie actuelle. Au mieux, la systema est aujourd'hui à classer dans la catégorie des arts martiaux russes qui comprend plusieurs boxes et luttes dites "traditionnelles". Le glissement n'est pas anodin. Définir la systema comme russe c'est permettre l'éclosion d'un discours qui la lie à la construction de la mythologie nationaliste russe. Ainsi la systema devient l'enjeu de ce discours qui lui prête une origine millénaire et l'imagine dans la continuité d'antiques pratiques guerrières, l'héritage secret d'un art martial pratiqué en secret, et préservé, par des lignées de la noblesse russe pendant des siècles, ou une survivance de traditions populaires "typiquement" russes. Voire une dimension mystico-religieuse. La tentative soviétique de renier les influences du ju-jitsu et du judo japonais dans la construction du sambo est à l'image de la russification de la systema au détriment de son passé soviétique. Donner un semblant de profondeur historique pour mieux légitimer le présent et intégrer le passé "communiste" : La nationalisation d'un sport ou d'un art martial est chose courante dans les mythologies nationalistes[28]. La systema, ce système de combat mis en place par les soviétiques, ne s'encombre pourtant pas de croyances religieuses et ne prête pas à la prière de vertus particulières[29] : les premières dérangent la psychologie des hominines par des questionnements insolubles qui créent une tension mentale permanente, et la seconde est une position anatomique qui, selon la systema, est aussi inadaptée qu'inutile pour le combat. Elle est statique et mobilise les mains et les épaules sans nécessité bio-mécanique, et contrairement à la boxe, dans la systema la garde n'existe pas. L'approche de la systema est matérialiste et pragmatique. Historiquement la systema est simplement pensée comme un art martial libre. Les stylesS'ils partagent les différentes formes de samoz de Spiridonov, les apports du sambo et des années d'études bio-mécaniques menées par les spécialistes, des sportifs du Dynamo et les services secrets soviétiques, en 2019 les styles de systema se différencient par toute une somme de nuances. En tant qu'art martial libre, la systema invite à l'inventivité et, depuis les années 80, quelques instructeurs ont élaboré des pédagogies qui leurs sont propres : des "techniques" sont abandonnées, d'autres conservées, l'accent est mis sur des pratiques plutôt que d'autres, des outils et des mouvements nouveaux sont "créés", des exercices sont adaptés, l'aspect militaire est atténué, etc. Il n'en reste pas moins que ces styles conservent tout un pan de l'approche pédagogique propre à la systema. Ces styles sont le reflet des choix des instructeurs qui les élaborent en mêlant leur expérience personnelle, leur travail d'amélioration et l'orientation pédagogique qu'ils souhaitent insuffler. Les deux styles de systema les plus connus - Ryabko et Kadochnikov - ont clairement une matrice commune mais divergent sur de nombreux points. Ils en est de même entre tous les autres styles existants. Alekseï Kadochnikov[31], officier dans l'armée soviétique et ingénieur en mécanique, créé sont propre style dans le début des années 1960. La propagande de l'armée présente ce système comme étant le plus adapté à des pilotes d'avions ou d'hélicoptère susceptibles d'être abattus et de se retrouver isolés en territoire ennemi[32]. Kadochnikov est pointilleux sur l'aspect mathématique et mécanique de son enseignement. Il s'applique à construire un art de la survie, basé sur les lois de la bio-mécanique, dont l'objectif essentiel est de savoir répondre à toutes les situations d'agression, avec le minimum d'effort possible[33]. Son usage premier est militaire et ne vise pas à maintenir un combat mais y mettre fin rapidement : Que l'on soit malade, blessé ou affaibli. Outre l'aspect auto-défense, ce système intègre les dimensions psychologiques de telles situations[34] et les aspects pratiques car la survie implique aussi des choix tactiques : dans certains cas peut-être vaut-il mieux blesser son adversaire afin de mobiliser deux autres hominines à son secours, plutôt que tuer et prendre le risque que les deux autres hominines se lancent immédiatement après vous. Le système développé par Alekseï Kadochnikov intègre aussi de nombreux exercices visant au maintien d'une "bonne santé" musculaire et articulaire.Mikhail Ryabko, colonel de l'armée soviétique dans les commandos spéciaux, dit avoir été formé à la systema par un ancien membre de la garde personnelle de Joseph Staline. Il est responsable de la formation des unités d'intervention rapide[35] et, après la chute du régime soviétique, devient conseiller spécial auprès du gouvernement russe. Avec son élève Vladimir Vasiliev, ils développent une systema alimentée de leur propre expérience du combat. L'apprentissage se fait plus par l'expérimentation et la compréhension intuitive de la bio-mécanique que par l'explication théorique de ses mécanismes. Son enseignement est basé sur quatre principes interdépendants : respiration[36], détente, mouvement et structure du squelette[37]. Leur systema ne préconise pas certaines méthodes de frappes - en huit ou par vague - jugées créatrices de tensions, et donc contraire à ce style pour qui la détente est la clef du combat. Une détente obtenue par exemple par la respiration, le massage ou les frappes afin de ne pas entraver le mouvement et ainsi optimiser les principes de la bio-mécanique. Avec pour devise "Connais-toi toi-même !"[38], la Systema Ryabko s'éloigne du style militaire et se rapproche des arts martiaux dits "internes"et une attention particulière est portée à l'aspect "bien-être". Ainsi les personnes la pratiquent pour son efficacité martiale ou plutôt pour son approche ludique et gymnique. Sans verser encore complètement dans le mysticisme, la Systema Ryabko introduit à travers ses publications une "dimension spirituelle"[39] qu'elle rattache à l'orthodoxie russe[40] et des documentaires vantent les bienfaits médicinaux de sa respiration sur plusieurs maladies[41]. Incontestablement une avancée considérable pour toutes les personnes atteintes de la maladie de Parkison qui vont afin pouvoir joindre les deux mains pour la prière[42]. Le colonel Ryabko, loin d'être un révolutionnaire athée, conclut très finement ainsi : "Le meilleur système est celui qui ne détruit pas l'âme de la personne, le corps de la personne, sa famille et son État" ! Ces bienfaits dépassent de loin ceux que la systema Ryabko apportait déjà aux hominines[43]. D'autres systema restent cantonnées au cadre militaire et se différencient par les contextes et les instructeurs qui les initient et leur donnent leurs spécificités. La systema Spetsnaz est dédiée aux opérations spéciales dont certaines unités alimentent la liste des morts lors de quelques opérations médiatisées[44], celle fondée par le général Retouinskikh s'inspire pleinement des luttes "traditionnelles", le style Sibirskiy Viou se veut sibérien quand un autre se dit cosaque, ceux de Ryabko et Kadochnikov privilégient la lenteur là où le Izvor travaille la rapidité[45]. De la systema Ryabko est né le style Talanov, du nom d'un de ses premiers élèves Valetin Talanov, qui s'en démarque par une approche différente sur des points pédagogiques et la formation des instructeurs. Il existe maintenant une première génération, non issue de l'armée, ayant acquis le niveau "instructeur" dans le domaine civil et qui ne cessent de faire vivre la systema dans des clubs et des groupes de travail dans le monde. Après avoir survécu à l'illusion soviétique, ne pas sombrer dans les mythes russophiles est pour la systema la condition pour qu'elle devienne véritablement un art martial libre.
Les dérivésLes différents styles de systema ont attiré à eux de nombreuses personnes qui finalement le mixent avec un autre art martial, une activité gymnique ou une pratique de "bien-être" existante très éloignés de la vocation martiale de la systema. Le syncrétisme est occasionnel ou défini en tant que nouvelle discipline. De manière factuelle, lors de stages, la systema est utilisée pour des activités manuelles et artistiques comme la danse ou les marionnettes, ou associée avec du yoga ou de la gym douce. En France[47] le panel des dérivés est large : du design "new-age" et souriant façon Global Systema[48] aux instructeurs au rictus effrayant dans le domaine de la sécurité, de la systema-quelque-chose à quelque chose qui s'éloigne de la systema. Après plusieurs tentatives infructueuses de créer une fédération de systema, initiées par quelques clubs du sud de la France de style Maksimtsov[49] il existe depuis 2018 un Comité Français de Systema et des Arts Martiaux Russes, affilié à la Fédération française d'aïkido et de budo (FFAB), auquel seuls quelques clubs se sont joints. Ce CFSAMR tente ainsi de normaliser la systema et de mettre en place une hiérarchie et une administration des grades d'instructeur, mais la plupart des clubs de systema existant en France, quelques soient leurs styles, ne se rattachent pas à ce comité et restent autonomes. Pour celleux que les combats dans Matrix ont subjugué, les entraînements de systema peuvent leur donner l'illusion d'être en immersion dans le film : sans casque de réalité virtuelle, ni casse réelle, une impression d'être aussi virtuose. Moins la marche sur les murs et au plafond ! Celleux qui préfèrent le burlesque peuvent visionner les nombreuses vidéos de MMA (Mikhaïl's Matrix Arts) dans lesquelles Mikhaïl Ryabko (et ses figurants) nous amusent dans ses entraînements matinaux[50] avec sa systema "sans contact" et ses dons de télékinésie ! La rencontre entre Buster Keaton et Jackie Chan. Une performance cinématographique inouïe pour l'unique acteur de cette série de science-fiction et un prix spécial du jury pour les figurants, presque vingt ans après les multiples récompenses reçues pour le film Matrix. Avec quelques rares apparitions de Gérard Depardieu[51]. La vitesse lente des exercices de systema est un sujet récurrent parmi ses détracteurs, alors pour elleux le jeu vidéo vient à leur rescousse : le choix se fait entre Kolin dans Street Fighter V[52] et Marie Rose dans Dead or Alive V[53] qui, toutes deux, font de la systema. Kolin - qui agit parfois sous le nom d'Helen - est la dernière survivante d'une unité militaire d'un pays inconnu, et Marie Rose est une frêle et jeune servante suédoise de 18 ans. Évidemment dans les animations des jeux elles ne pratiquent pas réellement de la systema mais une macédoine martiale très éloignée de la réalité. Elles s'agitent à des vitesses irréelles et Kolin peut même attaquer ses adversaires avec des jets de glace, ce que ne permet pas encore la systema[54]. Pour la protivophilie, rien ne permet d'affirmer que la probabilité qu'il puisse exister des gamers adeptes de systema attendant réellement un Morning Training où le maître enfin le réalise soit réellement nulle... Par ses recommandations qui font de lui le précurseur du MMA, Fernando Pessoa exprime une approche diamétralement opposée dans sa pédagogie. Pour lui, l'espoir est un obstacle à la survie comme l'a récemment éprouvé douloureusement, Lei, maître de tai chi et grand chorégraphe avec ses élèves. Défiant publiquement quiconque oserait s'affronter à lui, Lei se fait déboîter en quelques secondes par un combattant de MMA[55]. La protivophilie réaffirme que le meilleur système est plutôt celui qui ne prétend rien.
Style futurien ?La mention de la systema dans Analectes de rien[57] intrigue la communauté protivophile car elle induit que F. Merdjanov a connaissance de cet art martial. Elle est utilisée en tant que titre d'une entrée relative à une citation d'Ernest Cœurderoy extraite de Hurrah !!! Ou la révolution par les Cosaques [58]. Rien de plus dans l'ensemble de ses analectes. Comprendre par quels biais cette connaissance de la systema lui est possible est une tâche compliquée, tant le nombre de pistes à explorer est vertigineux. Ce chapitre est donc à prendre avec quelques réserves. Nous allons tenter de déchiffrer les plus évidentes - pour la protivophilie - et mesurer ce que cela apporte comme nouvelles informations permettant de peaufiner la biographie de F. Merdjanov. La sexualité consentie entre plusieurs hominines est multiple. Quelle soit assumée et vécue, ou fantasmée, la sexualité ouvre des perspectives d'une meilleure compréhension de la bio-mécanique et des émotions que bien peu d'autres activités inter-hominines permettent. Elle est un outil exploratoire puissant. La bienveillance réciproque est source d'une complicité attentive qui permet cet état de confiance et de détente. Comme lors d'un entraînement de systema, toutes les chaînes musculaires peuvent être sollicitées, les montées de tension sont explorées, accentuées, la détente est recherchée et les possibilités de corps-à-corps sont innombrables. Le niveau d'intensité des gestes et des intentions est l'affaire des hominines directement concernés. La vitesse, la force, les émotions ou les règles du jeu sont à décider réciproquement. Le jouet qui ne se prête pas au jeu est comme un objet "mort" et perd immédiatement son aspect pédagogique. L'apprentissage ludique de la bio-mécanique nécessite un état de confiance. Dans la systema et dans la sexualité. Dans les deux cas, l'acceptation de corps-à-corps, probables et improbables, est la condition pour découvrir le contact de l'autre avec toutes les parties de son propre corps et expérimenter ce que cela crée chez l'autre et chez soi. Le toucher se fait aussi par des poussées, des blocages ou des percussions. Pour autant la systema n'est pas une sexualité, et il serait erroné de la réduire à un massage tantrique, sans finition. Elle reste un art martial libre basé sur la connaissance bio-mécanique et ses implications dans le combat, dont la pédagogie particulière consiste à se prêter pour mieux découvrir les principes anatomiques et expérimenter les limites psychologiques et parfois les dépasser. Seules la réciprocité et la confiance mutuelle permettent ce type d'apprentissage. La tension est contre-productive. Dans la sexualité et dans la systema, celle du cabanon du fond du jardin ou celle de la salle d'entraînement, la pelle reste un outil persuasif pour mettre fin à toute ambiguïté. Ce qui caractérise la systema, ce n'est pas cette pratique corporelle "érotisante" que l'on retrouve dans la danse-contact ou la lutte par exemple, mais plutôt son approche particulière des frappes, de la gestion de la douleur, des contraintes physiques et psychiques ou des massages. Le bâton et le fouet sont utilisés pour des massages percutants, et les pieds, les poings et les coudes malaxent et piétinent avec insistance les zones musculaires tendues, doucement ou rapidement, appuyant ou frappant, pour y pénétrer profondément. L'apnée volontaire et l'immobilité prolongée, la contrainte respiratoire et l'augmentation de la tension nerveuse, les frappes ou les massages du plexus, sont aussi des exercices récurrents. Beaucoup de ses exercices sont classés parmi le BDSM (Bondage Domination Sado-Masochisme)[59] qui regroupe l'ensemble des pratiques corporelles qui recherchent du plaisir dans des expérimentations de domination/soumission physique et/ou psychologique, avec ou sans douleurs, avec ou sans outils, à deux ou à plusieurs, etc. Malgré son classement parmi les pratiques sexuelles extrêmes, ce n'est pas à proprement parlé de la sexualité car nombre de ces pratiques BDSM n'implique pas une dimension sexuelle directe. Si plaisir il y a, il est obtenu par toutes les autres parties du corps et les parties génitales ne sont qu'une manière parmi d'autres, non indispensable. Et parfois totalement évitées. La systema se range dans cette dernière sorte de BDSM qui refuse toute sexualisation. Les massages frappés et les contraintes corporelles pour le côte BD, et les coups de fouet[60] et les frappes profondes pour le pendant SM, sont des pratiques attendues pour les adeptes de systema et/ou de BDSM. L'uniforme joue parfois un rôle important dans les mises en scène BDSM qui aiment à simuler l'autorité et un rapport de soumission/domination. Les vidéos de systema disponibles sur le réseau internet regorgent des militaires, ou de civils grimés en militaires, qui aiment à se montrer corps à corps dans des acrobaties chaloupées avec treillis et cheveux courts. Ce style cinématographique rappelle un peu les films pornographiques gays où le rapport médusé à l'uniforme est la source d'un plaisir pas, nécessairement sexué, ou les films lesbiens où l'infâme avec son tonfa s'en trouve bien retournée. Le reste est question d'imagination. Ils sont certainement un des moyens de découverte de la systema par des adeptes de BDSM. Les recherches actuelles ne permettent pas encore de déterminer le niveau de porosité entre ces deux "milieux" : qu'en est-il du nombre de personnes adeptes de systema dans la myriade BDSM ou, plus intimement, qu'en est-il de la présence et de la visibilité des adeptes de BDSM dans les cours de systema ? Comme les sports de combat et les arts martiaux avant elle, la systema est-elle le refuge pour des hominines qui ne veulent pas faire leur coming out et ainsi se préserver des espaces pour laisser libre cours à leurs envies corporelles ? Est-elle un sas d'entrée, un donjon d'initiation[61], ouvrant au BDSM des personnes qui en ignoraient tout[62] ? Des études socio-protivophiles doivent encore être menées pour éclaircir ces questionnements[63]. Quelle place pour F. Merdjanov dans tout cela ? Le poète-philosophe tchèque Ladislav Klíma note, entre les 26 janvier et 22 décembre 1927, 104 fois "rien" à côté du jour de la semaine dans son agenda. Il le barre une seule fois et y ajoute des points de suspension une autre fois. Environ un jour sur trois est fait de ce rien. Un abyssal moment, un appel à tout, qui s'explore, se dissèque et se dessèche. Si des hominines font de l'ennui une chose heureuse, d'autres le font de l'absence, car dans les deux cas, cela laisse de la place à l'imagination destructrice et à la négation de tout. Hormis sa pratique régulière de la "technique de l'hominine saoul", en l'absence de documents, rien ne permet de lier Ladislav Klíma à un quelconque un art martial. Ses riens ont l'air d'être plein d'autres choses. En ce qui concerne F. Merdjanov, il en est autrement car la mention de la systema dans Analectes de rien atteste qu'elle fut l'un de ses sujets de réflexion. Au moins une fois. Est-ce par ennui ou par absence ? Comment peut-on s'ennuyer suffisamment pour se préoccuper d'un art martial qui oscille entre "danse-contact orientale", pour ses détracteurs, et "taï-chi matérialiste" pour ses plus fervents adeptes ? Comment peut-on être autant dans l'absence pour mentionner dans l'un de ses écrits un art martial aussi peu connu ? De nos jours l'ennui se matérialise souvent par la consultation effrénée du réseau internet et son fourmillement d'informations. La systema apparaît très occasionnellement sur le devant de la scène médiatique, dans une macédoine de faits divers et de politique internationale. Des armes sont saisies dans tel pays chez un pratiquant de systema, des volontaires partis se battre au Donbass entraînés à la systema, des clubs accusés d'être des relais des services secrets russes[64]. Le pas est vite franchi entre ces faits épars et une généralisation à toute la systema ! Pour ce qui est de l'absence, elle se comble généralement par une somme d'activités, dont l'utilité est appréciation singulière, que les hominines aiment à pratiquer collectivement ou en solitaire. Se voir refuser une formation en agriculture bio peut mener à devoir choisir entre l'option cuisine d'un CAP ou l'auto-entreprenariat dans le solaire, comme la fermeture du seul club de boxe thaï de sa région ou l'absence de place dans la section "Tennis de table" peuvent amener quelqu'un à finalement découvrir la systema. De la disparition relative des réunions Tupperware à l'engouement pour les gymnastiques douces, de l'annulation d'un stage de poterie à une séparation sentimentale, les raisons expliquant l'adhésion, la connaissance ou la pratique de la systema sont très diversifiées. Empruntant l'outil d'analyse qu'est l'intersectionnalité, l'hypothèse que F. Merdjanov, par exemple, ait pu connaître la systema lors d'un stage de couture organisé par un ex-plombier devenu danseur ou au cours d'une formation quelconque sur un sujet tout aussi quelconque n'est pas totalement erronée. Par passion pour les insectes sociaux, la cuisine végane, la botanique ou le yoga cachemirien, peu importe, par l'absence tout semble faire sens. Selon des comportementalistes inquiets, réticents à la systema [Références nécessaires], la généralisation de l'expression "Pas aujourd'hui, j'ai systema" est une dérive inquiétante vers des formes aiguës et mono-maniaques de procrastination. La question de savoir si F. Merdjanov pratique - ou pratiquait - la systema n'est pas dénuée de sens. Bien que son genre reste une inconnue, cela est envisageable car la pratique de la systema ne fait pas de différence entre les hominines masculins et féminins qui s'entraînent ensemble. Vivant quelque part sur le pourtour tchernomorien[2][67], il est possible que ses entraînements puissent se faire dans les quelques lieux dédiés : Du Centre d’Études des Systèmes de Survie de l'Homme à Odessa aux clubs stambouliotes, en passant par la côte roumano-bulgare ou le Caucase russe. Pour autant, nulles traces pour l'instant de son passage dans l'un de ces lieux d'entraînement et des études complémentaires seraient nécessaires pour exploiter cette piste de recherche protivophile. Si sa pratique de la systema est a conjuguer au passé, elle ne peut se situer qu'entre les années 1990 et le moment -indéterminé - où cela a s'arrête. Il n'y a pas d'opportunités d'entraînements collectifs à Nice, sa ville de naissance, et les cours les plus proches, à Toulon, ne se mettent en place que dans les années 2010. Idem à Marseille, la grande métropole portuaire à 200 km à l'ouest de Nice. Avoir une date de début d'apprentissage permettrait sans doute d'affiner la recherche et de déterminer dans quel club cela lui fut-il possible. Depuis son implantation au début des années 2000 sur le territoire métropolitain français, il existe de nos jours une myriade de clubs de systema qui se sont progressivement ouverts (ou fermés). F. Merdjanov a pu fréquenter l'un d'eux. Ou peut-être des groupes de travail[68] informels ? Quelques informations sur le style sur lequel se base son apprentissage nous sortiraient de l'ignorance complète dans laquelle nous sommes sur ce sujet. Nous n'avons rien. Pas plus sur ses motivations que sur sa manière d'être dans cette activité inter-hominines. Quels sont ses blocages, ses peurs, ses tensions musculaires ou ses limites ? AQNI, un site humoristique spécialiste en fake news et animé par un collectif d'artistes radicaux, a tenté par le passé de faire croire que derrière le nom de F. Merdjanov se cachait en fait l'artiste et humoriste canadien Jon Lajoie[69]. L'approche est confuse et semble assimiler la personne de F. Merdjanov à celle d'un des participants à leur forum[70]. Conséquemment cette fausse nouvelle relaie une version qui fait arbitrairement de F. Merdjanov un hominine masculin. Le document fourni se compose d'une chanson intitulée Everyday Normal Guy et la protivophilie a tenté d'en extraire la moindre information. Jon Lajoie y chante la vie ordinaire racontée par un pauvre, sans envies particulières, vivant la frustration et domestiquant la banalité contrairement au sombre et torturé J'appuie sur la gâchette de l'ex-duo de rappeurs, devenus de célèbres comiques, Suprême NTM[71]. Mais pas la moindre preuve ne vient étayer la pseudo-révélation d'une identité cachée. Tout au plus montre-t-elle le caractère hautain d'un tel procédé d'assignation d'une personne à des réalités sociales - jugées dégradantes - pour la discréditer en employant le second degrés. Est-ce cela l'ironie de (première) classe ? De plus, dans la partie de la chanson consacrée aux arts martiaux, Jon Lajoie décrit une tactique de défense très éloignée de la systema.
L'éventualité que F. Merdjanov ait une pratique de la systema est, selon la protivophilie, la réponse la plus simple à donner à celleux qui pensent le contraire. Mais elles ne peuvent se suffire à elles-mêmes et aucune information fiable ne vient confirmer l'une ou l'autre de ces hypothèses. Pour ne pas se perdre dans des conjectures sans fin, il est préférable de s'en écarter pour se concentrer sur la possibilité que Merdjanov puisse être aussi le nom de l'un des styles de systema, comme par exemple Ryabko, Kadochnikov ou Talanov. A ce stade de nos connaissances, nous n'avons rien de sûr mais quelques éléments suggèrent - en filigrane - l'histoire discrète de ce style Merdjanov. Peu après la Seconde guerre mondiale le sambo sportif s'exporte en Bulgarie qui devient ainsi le premier pays hors Union soviétique par le nombre de ses adeptes. Il n'y a aucune certitude quand au transfert ou non du sambo militaire et du samoz soviétiques aux militaires bulgares, leurs alliés. Ainsi est l'amitié étatique ! Pour les protivophiles, la sonorité [merdjanov] évoque évidemment Svetoslav Merdjanov et F. Merdjanov. L'homonymie n'est pas obligatoirement signe d'une quelconque parenté. L'un, anarchiste et vengeur, est né au XIXème siècle à l'est de la Bulgarie, dans une région proche de la mer Noire, l'autre vit dans la passion de l'apiculture[74] quelque part sur les rives de cette mer, au XXIème. Les liens à tisser pour rassembler les éléments épars d'une histoire reconstruite de cette systema Merdjanov s'appuient sur quatre fondamentaux : l'homonymie des deux patronymes avec le nom du style de cette systema, une influence certaine de la Bulgarie sur la Macédoine, une persistance de la lutte anti-communiste et une proximité de sonorité avec "l.m.e.l.j.a.d.m.v.a".L'homonymie est indéniable. Historiquement le patronyme "Merdjanov" est présent essentiellement sur le territoire de l'actuelle Bulgarie, mais, à des époques où la différenciation entre bulgares et macédoniens n'était pas aussi nette qu'aujourd'hui, il pouvait être qualifié de bulgaro-macédonien. Svetoslav Merdjanov est né bulgare et F. Merdjanov d'une famille d'origine macédonienne. Le premier est mort alors que la systema n'existait pas encore et, si ce n'est pour rendre hommage, il y a peu de chance pour qu'il ait pu donné son nom à un style qu'il aurait lui-même développé. Il y a plus de probabilités pour l'hypothèse macédonienne. Depuis l'apparition de la "Question macédonienne" au XIXème siècle, la Bulgarie n'a de cesse de revendiquer comme sienne cette province alors ottomane[75]. La Macédoine, majoritairement "bulgarophone"[76], est finalement devenue partie intégrante de la Yougoslavie en tant que province constituante, puis par la suite ce pays est devenu "communiste" comme son voisin bulgare. Ce rapprochement idéologique n'a pas mis fin aux aspirations bulgares sur la Macédoine et les tensions restent vives. La Yougoslavie opte pour une politique culturelle et linguistique visant à "augmenter" les différentiations entre bulgares et macédoniens pour parvenir à une mythologie nationaliste et la création d'une culture macédonienne distinctes. Macédonien devient un nouveau "label ethnique". Les très réputés services secrets bulgares bénéficient de la bienveillance de leurs homologues soviétiques fâchés, pour d'autres raisons, des choix politiques yougoslaves. La Bulgarie n'est pas seulement le lieu de villégiature préféré des "camarades-dirigeants" soviétiques, dans de beaux bâtiments sur les bords de la mer Noire, elle est aussi une alliée, précurseure dans le sambo et les gadgets d'espionnage[77]. Les échanges de bons procédés entre les deux alliées incluant probablement bien plus que des villas, qu'un sport et des gadgets, la systema a pu être enseignée dès ses débuts par le KGB à ses collègues bulgares. La date exacte nous est, de fait, inconnue. Seules des recherches cadastrales afin d'y noter les dates de construction des villas permettraient peut-être d'en savoir plus. L'introduction de la systema en Macédoine yougoslave est possiblement l'œuvre d'agents bulgares qui y mènent des opérations ou instruisent des "opposants". Tout comme il est risible d'associer le qualificatif de "gauchiste" au syndicat SUD Intérieur, il est naïf d'imaginer une faction libertaire du KGB ou du KDS[78], son équivalent bulgare, manœuvrant sans arrière-pensées. A l'image de la CIA qui aide au lancement d'un petit groupe de guérilla anarchiste en Bulgarie entre 1953 et 1954, et qui finalement échappe à son contrôle[79], il se peut que les services secrets russe ou bulgare aient formé dans cet optique de petits groupes de personnes destinés à semer le trouble en Macédoine yougoslave. La systema Kadochnikov est, logiquement, celle enseignée car elle est destinée à optimiser la survie en territoire hostile, quel que soit son état physique, et dont l'apprentissage est supposé rapide. Ce que confirme le chauffeur de salle de MMA et ex-danseur, Élie Yaffa dit Booba, toujours très pointu sur le bien-être corporel, qui la résume en six points faciles à mémoriser :
Les circonstances n'étant pas exactement celles d'un pilote qui s'est écrasé du mauvais côté, il est probable que du sambo militaire ou du samoz aient été au programme. Selon à quelle date cette introduction s'est opérée, le système choisi pour former ces groupes dut s'enrichir des expériences d'autres styles existants à telle ou telle époque. S'adapter au contexte macédonien qui cumule "Guerre froide" et tensions internes au "bloc communiste". Que sont devenus ces groupes ? Qui en étaient ? Que voulaient-ils ? A ce jour, nulle mention n'a été trouvée dans les archives bulgares, russes ou macédoniennes. A-t-il vraiment existé un groupe Merdjanov, composé de macédo-bulgariens, décidé à en finir avec le communisme, le bulgarisme, le yougoslavisme et le macédonisme, et qui s'est joué de ses commanditaires que seraient le KGB ou le KDS ? Les sauts d'avion sans parachute étaient-ils utilisés[81] ? Tient-il son nom d'une martyrologie de Svetoslav Merdjanov ou est-ce le nom de l'une des personnes ? La plupart des groupes qui veulent en finir avec (vraiment) tout ne reconnaissent (en théorie)) pas les hiérarchies et, par conséquent, se nomment très rarement ainsi. Mais la plupart du temps, la version policière ou le traitement médiatique retiennent ce procédé mnémotechnique et le qualificatif utilisé est le nom de la personne considérée être meneuse. Même s'il n'en est rien ! Ainsi, la systema Merdjanov a sans doute émergé dans le cercle restreint de ce groupe qui, par la suite, a égrainé avec beaucoup de parcimonie. Son cheminement jusqu'à nous, nous est totalement inconnu. Dans le cas où la systema Merdjanov ne fait référence ni à Svetoslav, ni au groupe, elle doit renvoyer à F. Merdjanov ou à toute autre personne portant ce patronyme. Une approche plus férale, portant sur les sonorités primaires, a permis à la protivophile de franchir un nouveau pas dans ses recherches. Une certaine proximité phonique, rythmique et visuel entre "m.e.r.d.j.a.n.o.v" et "l.m.e.l.j.a.d.m.v.a" a pu être ainsi confirmé. Le premier est le nom d'une systema et le second est l'acronyme utilisé par Ladislav Klíma pour dire "le monde est le jouet absolu de ma volonté absolue". D'âpres discussions parcourent la communauté protivophile quand à savoir si, pour les mêmes proximités, il n'y eut pas glissement entre la systema et l'asystema. Par quel processus sommes-nous passés de l'asystema lmeljadmva à la systema Merdjanov ? La première, par son nom même, annonce ces principes essentiels alors que la seconde, obscure, laisse planer le doute. L'une n'affirme rien et propose une individualisation des pratiques, choisies au mieux pour correspondre aux besoins de la survie alors que l'autre laisse imaginer un style figé, avec son référent. Comme le note très bien le peintre réaliste Emil Cioran dans son ouvrage La tentation d’exister consacré aux systèmes de survie :
La raison pour laquelle l'usage populaire continue d'être systema Merdjanov plutôt qu'asystema lmeljadmva n'est pas clairement déterminée. Dans les microscopiques milieux concernés, il est toujours préférable de dire "asystema Merdjanov". Cela conserve l'idée première de la nécessité d'absence de règles et maintient la féminisation de traduction et de sonorité, tout en préservant artificiellement le credo macédo-bulgarien par l'adjonction d'un patronyme local qui renvoie, pour le plus grand nombre, à Svetoslav et F. Merdjanov. L'un est plus célèbre que l'autre car il dispose d'une statue érigée à Skopje en Macédoine, et d'une rue à son nom, habitée par plus d'un milliers d'hominines dans une ville bulgare de plusieurs dizaines de milliers, dont une bonne partie doit au moins connaître l'existence de cette rue. Mais peut-être ce Merdjanov fait référence à d'autres Merdjanov, moins "people" que ces deux là. L'anonyme des anonymes. Il n'en reste pas moins que, de nos jours, personne ne pratique encore ce style qui semble avoir disparu depuis plusieurs années. La réalité de l'asystema Merdjanov n'était jusqu'alors corroborée par aucune preuve tangible et sa mention avait progressivement disparu de la plupart des études sur les arts martiaux, l'histoire de la Macédoine, les médecines alternatives ou les traités culinaires. Un récent article consacré à un art martial quasi inconnu[84] a permis au grand public de la redécouvrir. Notes
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