Black War
Black War (црна војна en macédonien - guèrra negra en nissard) Version anglophone la plus proche de la "Guerre noire" francophone, et réciproquement.
SommaireSens a·variésDans toutes les pratiques linguistiques du monde, les mots ont une histoire. Celle-ci n'est pas exclusivement du domaine de l'étymologie. Ni de l'orthographe. Les définitions changent avec le temps, elles se modifient progressivement. Parfois même jusqu'à vouloir dire l'inverse, à l'exemple de rien qui signifiait chose avant de devenir un synonyme de néant. Le sens des mots est à l'image de l'époque à laquelle ils sont employés. Ils se disent et s'entendent dans un contexte social, politique ou culturel particulier. Chaque mot est le reflet d'une idée de son temps, tout autant qu'il le modèle. Deux sens opposés, ou nuancés, peuvent même coexister. Des expressions avec rien rendent cette situation linguistique singulière : "Rien que je veux" s'oppose à "Que je veux rien". Les processus linguistiques ne sont pas des règles immuables, empruntant des chemins de traverse, des périples biscornus, dont les résultats peuvent être étonnants. Par exemple, l'ancien noiantir ou néantir, avec le sens de réduire à néant, a évoluer vers le moderne anéantir en gardant le même sens. Pourtant le préfixe privatif a- indique que le mot exprime ainsi le contraire ou l'absence de ce qu’il exprimait. Idem avec annihiler, basé sur la racine nihil, "rien", et le préfixe privatif an-. Sans ce préfixe, nihiler en dit déjà beaucoup. Des normes et des pratiques se font et se défont selon les contextes. Difficile de faire un retour en arrière ou une nouvelle proposition sans prendre le risque d'un contresens. Par exemple, s'il est vrai que le suffixe privatif a le même effet sur aplatir, l'introduction du simple platir pour exprimer exactement la même chose peut prêter à confusion aux époques où les platistes existent. Cette problématique existe déjà avec le mot nihiliste qui laisse à penser que des hominines [3] sont adeptes de rien, comme s'illes étaient pour rien alors qu'il s'agit d'être contre tout. Même pour Victor Hugo, dans son roman Les misérables consacré aux moins-que-rien, cette ambiguïté est source de malentendu :
GuerreSi ce n'est la langue dans lesquels ils sont employés, il n'y a pas de différence entre les mots guerre et war. Leur sens et leurs étymologies sont identiques. Bien que dite latine, la langue française c'est construite aussi au fil des siècles sur un fond germanique, alors que l'anglais est considérée comme une langue germanique ayant moult latinismes. Les glissements entre ces deux langues en construction se sont fait à partir de la seconde moitié du XIème siècle après JCⒸ [5] par l'intermédiaire de l'anglo-normand. Arrivant de Normandie, Guillaume et ses armées conquièrent alors l'île britannique et importent leurs pratiques linguistiques d'oïl qui se mêlent au "vieil anglais" [6] en usage. L'anglo-normand devient la langue de la royauté, de son aristocratie et de sa bourgeoisie commerçante avant de laisser placer à l'anglais actuel. Ce dernier comporte des milliers de mots venant de Normandie. Parmi ceux-ci le terme war, dérivé de werre. A dictionary of the Norman or Old French language recense la forme wiere [7] et les lexiques de pratiques linguistiques anciennes du nord de la France mentionnent des formes apparentées. L'étymon est germanique et se retrouve dans la plupart des langues germaniques actuelles. La mutation de werre dans plusieurs langues latines a donné guerre en français et guerra en castillan, en portugais ou en nissard par exemple. La transformation du w initial en un g est un phénomène constaté dans d'autres termes : le waitier normand est le wait anglais et le guetter français. Idem avec warde, ward et garde. La racine latine bellum pour nommer la guerre est encore présente dans la langue française moderne dans belliciste, belligérant·e ou belliqueux et belliqueuse pour en citer quelques-uns. Ou encore rebelle et ses dérivés. Utilisée en français, l'expression casus belli — au sens de "occasion de guerre" — conserve cette racine latine. La signification première de war ou de guerre est une opposition ou un conflit entre deux parties, même s'il est possible d'être en guerre avec soi-même. Généralement, une guerre oppose à minima deux individualités, une individualité à un groupe, ou deux groupes. Seul le contexte explicite permet de déterminer le sens exact à donner à ce mot. Mais cela ne se limite pas à un tête-à-tête, en effet les parties prenantes à une guerre peuvent être plus de deux camps. L'utilisation de guerre doit se faire avec prudence et nécessite d'être qualifié car toutes les guerres ne sont pas de même nature.
Rien de comparable entre une guerre entreprise par un État avec son armée et celle que livre un petit groupe d'hominines. La comparaison entre une guerre d'agression et une stratégie de défense n'est pas raisonnable. Les moyens mis en œuvre, les motivations et les conséquences ne sont pas identiques. Selon les contextes, une guerre peut être totale, asymétrique, civile, sociale, etc. Elle peut être éclair ou longue. Militaire ou économique. Elle peut être qualifiée de civilisation, d'extermination ou de libération, selon le sens que veut lui donner les parties belligérantes. L'emploi du terme guerre pour nommer une opposition ou un conflit n'est pas un simple descriptif d'une réalité mais relève d'un choix politique d'au moins l'une des parties en présence. L'imaginaire qui entoure la guerre lui donne une dimension exceptionnelle, loin de la simple guéguerre. La multiplicité d'usage que "guerre" peut revêtir fait que son emploi est aussi obscur que son antonyme, la paix. Noir·eLes mots black et noir ont une étymologie différente. Pour l'un, elle est à chercher dans des germanismes, pour l'autre dans des latinismes. Le "vieil anglais" qui se parle avant l'invasion normande utilise blæc dans le sens de "totalement sombre" [9] et de "brûlé". Cela se retrouve dans plusieurs autres pratiques linguistiques germaniques anciennes des actuelles territoires de la Norvège aux Pays-Bas, en passant par l'Allemagne. Blakkr, blah et blakken sont très proches. Pour les linguistes qui tentent de reconstituer une langue commune, ancienne et fictive, à l'ensemble des hominines du continent européen et voisinage, l'étymon hypothétique *bhleg est à rapprocher de ceux qui constituent le latin flagrare ou le grec ancien phlegein et qui ont le sens de "brûler". Usité dans déflagration par exemple. La couleur noire est plutôt rendue par le vieil anglais sweart, proche du schwartz de l'allemand moderne, qui est progressivement supplanté par black dans l'anglais moderne. Les pratiques linguistiques anglaises conservent jusqu'au XVème siècle l'ambiguïté de sens entre les mots blake, blak et blac qui signifient tout autant "pâle" que "sombre". En rapport avec le scintillement ou la lumière pour le premier, et à l'obscurité pour le second. La langue française standardisée actuelle ne conserve (presque) aucun mot forgé sur cet étymon. À noter l'hypothèse de la blaque du XVIIIème siècle ou la blague moderne, l'étui destiné à contenir du tabac ou la plaisanterie. Selon certains dictionnaires, son origine est une variation de l'anglais black par des marins français du XVIIIème siècle qui ont "l'habitude de rapporter des étuis à tabac en cuir des colonies britanniques, où le tabac était cultivé, et ils auraient utilisé le terme black pour décrire la couleur sombre de ces étuis" [10]. Le dictionnaire de l'EHPAD linguistique qu'est l'Académie française avance que la blague est à rapprocher du néerlandais balg, "gaine ou enveloppe" [11]. Le sens de "plaisanterie" ou de "farce" apparaît dans les dictionnaires du début du XIXème siècle. Toujours très en décalage avec son temps, la septième édition du guide de l'EHPAD avalise la signification de "mensonge", de "vanterie", en 1878. Hypothétiquement en rapport avec l'aspect gonflé, boursoufflé, d'une blague à tabac. Le sens de "farce visant à se moquer" n'apparaît que dans la version suivante en 1935 [12]. Le Französisches Etymologisches Wörterbuch (FEW) indique que la même racine que black se retrouve dans les pratiques linguistiques locales de quelques régions du nord-ouest de la France dans la première moitié du XXème siècle. Non pour désigner la couleur mais pour le fait de brûler. Une blaque est "une flamme, une étincelle", une blaquée ou une blaquède sont une "flambée" et blaquer signifie "scintiller". Des variantes anglo-normandes sont attestées depuis le XIIème siècle et suivant. Blac, blache, blachhe, blacke ou blake, mais aussi blec, blecce, blecche ou blech se traduisent par l'anglais black. Et black se traduit en français par noir·e. Ce que confirme le ménestrel Jean-Philippe "Johnny Hallyday" Smet, seigneur de Lapalissade, lorsqu'il déclame "Noir c'est noir" en traduction de la célèbre platitude amoureuse "Black is black" du groupe de troubadours espagnols Los Bravos [13] :
L'étymologie de noir·e est le latin niger. Une racine qui se retrouve dans de multiples langues latines sous la forme negr- et qui est aussi utilisée dans des langues telles que l'anglais. Dans l'espace linguistique francophone ancien, les formes noir et neir [15] coexistent mais la plupart des mots d'alors se constituent à partir de nègre. L'adjectif pour qualifier de noir est negrin et le negrier est une espèce de vigne sauvage [16]. Le vocabulaire incluant noir va se diversifier. Outre la couleur, ces variantes indiquent aussi des notions de tristesse, de mort, de lugubre ou d'hostilité. La noirceure est la marque de coups portés et n'est pas encore la noirceur et noirdir est le fait de noircir, dans le sens de l'expression "noircir le tableau" et non pas une histoire de changement de couleur. Déjà présent en latin et encore en usage dans la langue française, seul dénigrer et ses dérivés se rattachent à la racine niger avec ce même sens. L'utilisation du nom ou de l'adjectif noir·e pour catégoriser des populations d'hominines a progressivement supplanté celui de nègre. Avant les postulats racistes qui se mettent en place au cours des siècles, il n'y avait aucune connotation péjorative dans cet emploi. Le sens se veut alors essentiellement descriptif et n'induit pas une origine géographique ou un groupe particulier d'hominines. Au XVIIème siècle, "Avoir la peau noire" signifie avoir les cheveux très bruns, noiraut et noiraude sont utilisés pour indiquer la couleur dominante du pelage d'une espèce animale. La noiraude est une célèbre vache hypocondriaque [18]. Les langues française et anglaise ont longtemps utilisé nègre et nigger pour désigner plus spécifiquement les hominines d'Afrique, dans un premier temps, puis plus généralement les populations d'hominines ayant la peau noire selon celleux qui pensent que la leur est blanche. Il n'y a aucune réalité à cela. Nigger et ses dérivés sont empruntés à la langue française. Avec blewman [19], l'anglais hésite et propose le bleu pour caractériser des hominines dans un même ensemble de couleur de peau alors que le français fait le choix du noir pour les mêmes hominines et garde le bleu pour la couleur du sang des aristocrates. Pour ne pas faire d'erreur de traduction, les hominines de couleur bleue sont noir·es et inversement. Ce sont les hominines dit "de couleur". La blague la plus célèbre sur ce sujet est écrite par le stand-upper de la négritude Léopold Sédar Senghor [20]. Dans Poème à mon frère blanc, il se moque de cette assignation à la seule couleur noire par celleux qui se disent appartenir à la blanche mais passent par plusieurs autres selon les circonstances, et ce tout au long de leur vie. "Rions noir" et inversement. La géographie de l'Afrique est une chose imprécise pour les hominines d'Europe. Les gueules noires ne sont pas dans les mines du nord de l'Europe mais quelque part au sud de la Méditerranée. Le racisme scientifique et ses théories fumeuses qui s'élaborent à partir du XVIIème siècle confirment ce que le racisme religieux affirme depuis des siècles. En effet, selon les textes moïsiens et christiens, les hominines de "race noire" sont la descendance de Cham, maudite par son propre père Noé [21]. Pour rappel, Noé est un personnage de fiction principalement connu pour avoir construit une arche afin d'y regrouper un couple mâle/femelle de chaque espèce pour les sauver de l'anéantissement par un déluge divin et, selon les théories les plus crédibles, être le principal responsable de la disparition des licornes après en avoir pris par erreur deux de même sexe [22]. Le racisme moderne va changer le sens des mots et imposer des hiérarchies fantasmées entre les hominines. De fait, noir·e et nègre deviennent des qualificatifs dévalorisants qui ne nécessitent pas forcément de les faire précéder de sale pour dénigrer. Ils ne sont plus simplement utilisés pour nommer des hominines à la peau sombre mais plutôt pour affirmer une prétendue suprématie des hominines à la peau claire, dite "blanche". Ces leucodermes — du grec leuco- "blanc" et derme "peau" — justifient ainsi la mise en esclavage, la maltraitance, la ségrégation, voire l'extermination, des populations qualifiées de nègres — les mélanodermes, du grec mélano "noir". Leurs territoires peuvent donc être annexés et leurs femelles convoitées par la force. Des caractères psychologiques, des déterminismes culturels ou des archétypes civilisationnels sont prêtés aux populations et aux individus à la peau sombre. Ils ne sont en aucun cas des manières de s'auto-définir. Par effet miroir, illes sont ce que les populations et les individus à la peau claire ne sont pas. L'imaginaire sexuel, par exemple, fait partie des domaines où le suprématisme blanc exerce sa rhétorique. Les "hommes noirs" sont considérés comme fougueux et dotés d'un sexe énorme alors que les "femmes noires" sont vues comme débridées et nymphomanes. Cela sert tout autant de repoussoir que de fantasmagorie. Le "Nègre" imaginaire est un concurrent sérieux pour les mâles blancs et un danger pour les femelles blanches, exposées à cette animalité sexuelle, alors que la "Négresse" imaginée est une concurrente pour les femelles blanches et un fantasme inavouable pour les mâles de leur couleur. Dans le contexte des cultures misogynes d'Europe, cet imaginaire raciste permet de justifier le contrôle sur les mœurs, les comportements et la sexualité des femelles par les mâles et de justifier les débordements de ces mêmes mâles. En parallèle, ces archétypes racistes fondent l'argumentaire d'une inégalité entre les sexes. Qui peut réellement protéger les femelles blanches de leur propres faiblesses morales et de la violence noire, si ce n'est les mâles leucodermes et leurs nationalismes [23]. Dans la réalité du monde, hors des catégories, il n'existe personne qui est de couleur noire, pas plus que blanche. Tout est en nuance. Du bleu nuit au cuivré en passant par des multiples sombres, dans un cas, et dans l'autre du mat au rosi, en passant par le blême. Il n'y as pas de véritables frontières entre des couleurs précises mais un vaste nuancier de teintes. Ceci est la conséquence logique d'une origine commune. La peau sombre des hominines les plus préhistoriques de l'Angleterre actuelle est dorénavant un fait acquis [24]. Rien à voir avec le prénom ou le patronyme Blake qui vient du moyen-anglais blake dans le sens de "pâle".
À une époque plus contemporaine, les usages de black, noir·e et nègre se sont transformés. Des hominines à qui ces qualificatifs injurieux sont destinés se les réapproprient et les retravaillent pour leur donner une dimension positive. Pour en faire une marque de fierté et une méthode émancipatrice. Ce mouvement de contestation, tout autant que d'affirmation, apparaît et se développe dans le début du XXème siècle parmi les hominines mélanodermes des États-Unis d'Amérique et des Caraïbes, et entre les deux guerres dite mondiales, dans les populations colonisées d'Afrique. Sur le continent nord-américain et ses îles caribéennes, l'esclavage a laissé place à la ségrégation entre "Blancs" et "Noirs". Avec le slogan "Back to Africa", Marcus Garvey et son Universel Negro Improvement Association (Association Universelle pour le Progrès Nègre - UNIA) sont favorables à une migration-retour vers l'Afrique alors que W.E.B. Du Bois et la National Association for the Advancement of Colored People (Association nationale pour la promotion des gens de couleur - NAACP) militent pour rester dans de meilleures conditions. La vie sociale est organisée par un pouvoir politique leucoderme pour que les deux catégories aient des lieux séparés. Les restaurants, les hôtels ou les transports en commun, pour quelques exemples, ne sont pas des endroits à partager. Cette ségrégation raciale se double d'une hiérarchisation sociale : La pauvreté et la misère sont majoritairement une histoire et une réalité noires. Ce système semble si bien rodé qu'Adolf Hitler [26] envoie ses spécialistes pour l'étudier et ensuite instaurer la meilleure réponse à ses propres préoccupations racistes. Pour voyager aux États-Unis d'Amérique, il est alors préférable de se procurer The Negro Motorist Green Book [27], un guide publié entre 1936 et 1964 pour "donner au voyageur noir une information le mettant à l'abri des difficultés et tracas, rendant son voyage plus agréable". Il s'inspire de guides similaires destinés aux moïsiens nord-américains victimes elleux-aussi de discriminations. Évidemment, les lois ségrégationnistes ne sont pas respectées par l'ensemble des hominines à la peau claire. Une minorité y résiste. La seconde moitié du XXème siècle est celle du "Black Power", le "Pouvoir Noir". L'affirmation politique que "Black is Beautiful", que la couleur noire est belle. Elle aussi. L'usage de Negro n'est plus vraiment d'actualité et le "Nigger !" ne sort que de bouches racistes. Les revendications sont politiques, sociales et culturelles. Derrière cette demande d'égalité, il y a aussi le postulat d'une reconnaissance de la pleine participation à la construction d'un pays dans lequel illes vivent. L'histoire, la culture ou l'économie étasuniennes sont indissociables des populations noires descendantes des esclaves des siècles passés. George Washington qui donne son nom à la capitale aurait-il été le premier président étasunien sans ses esclaves ? Hollywood serait-elle synonyme international de cinéma sans sa première superproduction Naissance d'une nation [28] en 1915, une version raciste de l'histoire récente ? Qui connaîtrait Elvis Presley sans les "musiques noires" tel que le blues ? Comment une économie florissante aurait-elle pu se développer sans sa mélano-main-d'œuvre et ses leuco-moins-que-rien ? Dans l'espace francophone colonial et métropolitain, la négritude est revendiquée par des hominines vivant le racisme au quotidien dans les années 1930. Dans un contexte anticolonial, elle se définie comme mouvement littéraire et politique. Elle propose de passer du négrier aux "Neg' Riez !" [29]. Un de ses chantres, Léopold Sédar Senghor explique que "la négritude est un fait, une culture. C'est l'ensemble des valeurs économiques, politiques, intellectuelles, morales, artistiques et sociales des peuples d'Afrique et des minorités noires d'Amérique, d'Asie, d'Europe et d'Océanie." La négritude ne cherche pas l'indépendance mais la reconnaissance. La langue française est tout autant vecteur que synonyme de la colonisation. L'approche de la négritude est critiquée, jugée très intellectuelle. Selon l'écrivain nigérian Wole Soyinka en 1962, "Le tigre ne proclame pas sa tigritude. Il bondit sur sa proie et la dévore." [30] Pour lui, il y a d'autres priorités que la reconnaissance de la négritude. "Pourquoi fallait-il gaspiller notre énergie dans de vaines rhétoriques alors que notre continent se débattait dans des problèmes politiques et économiques insurmontables ? La situation nécessitait que l’on agisse avant tout." Il relativise plusieurs années après en précisant que le contexte colonial français et ses procédés diffèrent des pays sous domination anglaise. Les luttes anticoloniales peuvent ne pas être identiques. "Ma réflexion sur la question de la négritude a beaucoup évolué à partir du moment où j’ai compris que la libération des Africains francophones passait nécessairement par l’affirmation de l’identité noire. Les Senghor, les Césaire, les Damas étaient les produits typiques de la colonisation française, qui, en voulant faire de l’élite noire des Français à part entière, ont déclenché ce mouvement de rébellion intellectuelle et poétique. On a assisté à un phénomène similaire dans les colonies portugaises où l’assimilation des autochtones était la politique officielle. Les Anglais, pour leur part, s’étaient toujours gardés de s’immiscer dans la vie culturelle de leurs sujets africains tout simplement parce qu’ils les croyaient incapables de s’adapter à la culture britannique, nécessairement supérieure." Le racisme est polymorphe. Depuis 1971, une Maison de la Négritude et des Droits de l'Homme est ouverte dans la petite ville française de Champagney dans le département de Haute-Saône. Elle se fixe pour but de perpétuer une mémoire de l'esclave, des luttes pour son abolition et de ses conséquences sur la réalité présente. Le choix de Champagney est symbolique. Ce village de Franche-Comté est l'un des rares villages où dans leur Cahier de Doléances [31] de mars 1789 figure clairement une demande d'abolition de l'esclavage [32]. Hors de ce contexte de la négritude, le nom ou l'adjectif nègre s'utilise pour des insultes racistes ou dans de rares mots. La Tête-de-Nègre, dorénavant renommée Tête-Choco, est une pâtisserie à base de blancs d'œufs battus ou de guimauve reposant sur une gaufrette ou un biscuit, le tout enrobé de chocolat. Un ou une nègre est une "personne anonyme qui rédige pour une personnalité, qui compose les ouvrages d'un auteur connu" [33]. Dans ce sens, le terme est épicène alors que le féminin classique de nègre — pour désigner les hominines — est généralement négresse. Exceptionnellement, il arrive que celle-ci soit verte [34].
La réappropriation de termes racistes insultants est un phénomène qui touche les cultures populaires urbaines parmi les hominines qui les subissent directement. C'est-à-dire les hominines vivant en Europe ou dans les Amériques et les Caraïbes, dont l'ascendance se trouve en Afrique, et ce pour cause d'esclavage, de colonisation ou de migration. Cela est particulièrement visible dans les mondes anglophone et francophone à travers le hip-hop : Nigger et Négro se retrouvent dans de nombreux textes de rap. Mais pas seulement. Les cultures musicales s'emparent de ce vocabulaire pour le retourner, spécialement dans ce qui est appelé les "musiques noires" comme le rappelle le musicologue Élie "Booba" Yaffa dans son ouvrage Je me souviens : "Avant Michael Jackson et l'arrivée de la drogue. J'me souviens quand les négros n'étaient pas à la mode" [36]. Si les racistes utilisent plus discrètement le mot nègre dans leurs insultes, le racisme moderne se contente de noir·e pour vomir sa bile mélano-allergique. Pas la peine d'en dire plus, tant le mot est chargé de sous-entendus par celleux qui l'utilise en insulte. Une époque pas si lointaine où Michel Leeb faisait rire son public avec des sketches, mêlant "accent africain" fictif avec cris et gestuels de singe [37]. Pour les autres, il y a plusieurs façons de nommer sans injurier ou de s'auto-désigner sans honte. Renoi ou Kebla, le verlan [38] de noir·e et de black, sont d'un usage courant dans les décennies 1980 et 1990. L'utilisation du verlan est une méthode qui permet d'amoindrir la connotation péjorative et de faciliter ainsi la réappropriation. Le triptyque "Black Blanc Beur" [39] pour parler de la France est très en vogue en réponse au "Bleu Blanc Rouge" chauvin. Diversité vivifiante vs Consanguinité débilitante. Si dans un premier temps l'usage de Renoi, Black ou Kebla fait partie des pratiques linguistiques des milieux populaires, il s'étend aux autres couches sociales de la société française. Dorénavant même le psychopathe francophile Bernard Pivot ou les hominines qui écoutent France Culture sont capables de les comprendre. Actuellement, les usages sont encore en évolution. Renoi, Black ou Kebla sont vus comme des euphémisations qui nient une réalité sociale, culturelle et politique : les mécanismes discriminatoires à l'encontre de populations considérées noires par celles qui ne le sont pas. Nommer pour rendre visible. Assumer l'existence d'une assignation d'hominines, mâles et femelles, à la couleur noire par celleux qui sont dans la blanche. Et donc des réalités sociales, politiques et économiques différentes que cela a pour conséquences. Le racisme n'est pas qu'une opinion individuelle et ses retombées, une somme de préjugés collectifs, mais aussi un ensemble de processus discriminatoires et de mécanismes intégrés qui divisent la population entre leucodermes et mélanodermes. Qui défavorisent les Noir·es et avantagent les Blanc·hes. Pas de compétition entre les racismes, seulement des histoires différentes. Remplacer Noir·e par Arabe, Asiatique ou toute autre catégorisation racialisante fonctionne très bien. Les problématiques sont similaires dans le monde anglophone. Les coloured people, les "gens de couleur", ont admis dans un premier temps le vocabulaire servant à les désigner, puis ont réussi à imposer une auto-dénomination. Plutôt que de s'accrocher à une couleur de peau avec Black People et Black American, il est préféré une référence à une africanité originel. Les Afro-American deviennent ensuite African American. Aujourd'hui Black semble être redevenue une couleur visible. Tristement célèbre avec ce nouveau slogan "Black Lives Matter" — "Les vies des noir·es comptent" — lancé après la mort de George Floyd, un afro-américain tué par trois policiers en 2020. Soixante ans après la fin de la ségrégation, les États-Unis sont un bon exemple de ce qu'est le racisme dit systémique : il est possible d'être "african american" et de se faire élire à la présidence d'un pays où il y a trois fois plus de risque pour des blacks de mourir lors d'une arrestation par la police. Un pays à deux doigts du chaos et de l'effondrement lorsque la population blanche découvre en 2016 que leur chanteuse préférée Beyoncé est devenue noire [40]. Inutile de proclamer que finalement tout le monde est de couleur bleue afin de faire cesser la ségrégation et le racisme si c'est pour conserver des places différenciées pour le bleu clair ou le bleu foncé. Il arrive même que des leucodermes se plaignent de vivre des formes de racisme "anti-blanc" avec des préjugés du type "Les blancs ne savent pas danser". Un argumentaire fragile décortiqué par le sociologue James Deano qui relativise ce phénomène : "J'insiste, le balais dans l'fion c'est pratique. Bah si, pour faire les poussières sur la piste" [41]. Selon lui cette affirmation est (presque) fausse car le seul blanc qui sait danser, et pas des moindres, c'est Michael Jackson. Le racisme est bien plus complexe qu'une simple histoire de couleur de peau. Vers rienDans leur représentation du monde, les populations d'hominines leucodermes d'Eurasie, d'Amériques et du Moyen-Orient ont créé une cartographie où les empreintes d'une division "raciale" de l'existant sont encore présentes. À travers le globe, des populations sont étiquetées noires. L'Afrique subsaharienne est dite "Noire" et la région hérite d'un pays du nom de Soudan, abrégé de l'arabe "Pays des Noirs", et de Zanzibar, du persan zang, "Noir". L'expression persane زنگبار Zangi-bar signifie la "Côte des Noirs". En Asie du Sud-Est, aux Philippines, en Malaisie et dans les îles indiennes des Andaman et Nicobar, plusieurs société d'hominines sont qualifiées de negritos. Ce terme espagnol signifie "petits noirs" et désigne l'ensemble des populations d'hominines "à la peau noire" et "de petite taille" de cette région. Cette classification ne correspond à aucune réalité commune et les sociétés ainsi classées n'ont rien à voir entre elles, mais elle résume le manque d'imagination et le subtile racisme des colonisateurs espagnols arrivant dans les actuelles Philippines. Ce qualificatif englobe de très petites sociétés d'hominines — parfois encore chasseurs-cueilleurs. Il est un synonyme de "pygmées" qui lui désigne les hominines de petites tailles vivant actuellement en Afrique [42]. En Océanie, la Mélanésie tient son nom de la couleur de peau assignée aux hominines. Elle est au sens strict "îles peuplées de mélanodermes", de la racine grecque nesos "île". Elle comprend l’île de Papouasie-Nouvelle-Guinée, l’archipel de Bismarck, des Lousiades, des Nouvelles-Hébrides, de Salomon, les îles Fidji et la Nouvelle-Calédonie. Elle se différencie de l'Austronésie, de la Polynésie et de la Micronésie, des dénominations purement géographiques forgées dans le milieu du XVIIIème siècle par un lettré français [43]. De austra le "sud", de poly "nombreuse" et de micro- "petite" [44]. Outre la Mélanésie, la Polynésie et de la Micronésie, l'Austronésie comprend aussi l'Australasie. Cette dernière regroupe l'Australie, la Tasmanie, la Nouvelle-Zélande et toutes les petites îles associées. Dans les deux premières, l'anthropologie coloniale a établi que les populations autochtones devaient être dénommées aborigènes — "qui sont originaires", équivalent du français indigène —, tout en les classant néanmoins dans les populations mélanodermes d'Asie australe. Le militaire et explorateur français Jules Dumont d'Urville propose vers 1835 que l'Australie et la Tasmanie soient regroupées en une Mélanésie dans les nomenclatures géographiques. Il reprend à son compte le qualificatif de mélanien utilisé depuis une décennie par le botaniste français Jean-Baptiste Bory de Saint-Vincent pour désigner les hominines des îles de Tasmanie et de Papouasie-Nouvelle-Guinée, habitées selon lui par la race mélanienne. Ce dernier divise les hominines en quinze races [45]. L'australasienne est celle des hominines d'Australie et se différencie de la mélanienne. Selon sa nomenclature raciste, l'espèce mélanienne comprend les hominines de Mélanésie et de Tasmanie, les aborigènes de Taïwan [46] et les hominines de la Terre de Feu, dans l'extrême sud des Amériques [47]. La Tasmanie est une île de 60000 km2 — soit plus de quinze fois le département des Alpes-Maritimes, un peu moins de 3 fois la Macédoine — située à environ 200 kilomètres au sud de l'Australie. Plus de 16500 kilomètres de la rue Catherine Ségurane à Nice, environ 15400 du centre-ville de Skopje. Elle est parsemée d'un peu plus de 300 îles et îlots [48]. Lors de la dernière période de glaciation — entre 100000 et 10000 avant le présent — alors que le niveau des eaux est plus bas, elle est rattachée à l'Australie. Les premières populations d'hominines s'y installent il y a environ 40000 ans. Elles sont la partie la plus méridionale des populations qui arrivent sur le continent australien quelques dizaines de milliers d'années plus tôt. La Papouasie-Nouvelle-Guinée, l'Australie et la Tasmanie ne forme alors qu'un seul bloc. Sans lien terrestre avec le reste de l'Asie, l'arrivée de ces hominines se fait par voie maritime. Illes y découvrent une faune unique : les marsupiaux. La fonte des glaces au nord du globe et la montée du niveau des mers qui en découle sépare l'Australie de la Tasmanie vers 10000 ans avant le présent. Les cultures des hominines de Papouasie-Nouvelle-Guinée, d'Australie et de Tasmanie se différencient à cette période. La géographie et le climat de Tasmanie sont différents de l'Australie. Sa position très méridionale fait qu'elle est très exposée au vents violents du Sud du globe et très régulièrement arrosée par des pluies, ainsi que de neige lors de la saison froide de juin et juillet. L'ouest reçoit beaucoup plus de précipitations que l'est. Largement montagneuse dans sa partie occidentale, la Tasmanie est couverte de forêts, traversée de fleuves et parsemée de lacs. Le point culminant est le mont Ossa à 1614 mètres. Généralement, elle est divisée en trois écorégions. Sur l'ensemble de son territoire, au fil des millénaires, des sociétés d'hominines nomades se structurent autour de la chasse et de la cueillette. Du point de vue anthropologique, selon les quelques informations disponibles, des structures familiales sont regroupées en différents clans. Le nombre de clans n'est pas connu avec précision. Il est estimé à environ une soixantaine. L'existence de tribus — c'est-à-dire la fédération de plusieurs clans — n'est pas avérée. D'après les très rares relevés linguistiques, entre cinq et une quinzaine de langues différentes sont pratiquées sur l'ensemble de la Tasmanie. L'intercompréhension n'est pas systématique. Par exemple, selon un lexique datant de 1856, black peut se traduire phonétiquement par [maback] ou [mahanna] dans les langues de l'est et [loaparte] dans celles du sud, et war par [Kennamoimenya] à l'est et [moi mengan mabeli] au sud [49]. Dans un mélange de visées politiques et d'intérêts économiques, les puissances européennes se concurrencent dans le Pacifique et l'Océanie entre les XVIIème et XIXème siècles. Chacune recherche des territoires d'où elles peuvent tirer profit. L'Espagne, le Portugal, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la France font la course aux opportunités. Elles s'affrontent militairement, négocient entre elles ou se partagent lorsqu'elle ne peuvent faire autrement. Les routes commerciales maritimes charrient moult produits de l'Asie vers l'Europe. Avec leurs bateaux, les hominines arrivant d'Europe explorent progressivement les côtes australiennes et les cartographient. Les Pays-Bas revendiquent les terres côtières de la partie occidentale de l'actuelle Australie, nommées Nouvelle-Hollande depuis le milieu du XVIIème siècle. Cela ne se fait pas sans risque. L'épisode le plus médiatisé de ces voyages est l'aventure du Batavia. Le navire néerlandais fait naufrage dans le petit archipel corallien des îles Abrolhos de Houtman, à l'ouest de l'Australie, en juin 1629. Environ 300 personnes survivent et s'installent sur différentes îles en attendant l'arrivée des secours que le capitaine est parti chercher. Presque une cinquantaine de marins et d'officiers abandonnent ainsi à leur sort les autres hominines. À la tête d'un conseil, Jeronimus Cornelisz [51] prend alors les commandes de la petite communauté survivante. Avec l'aide de quelques hominines, il fait régner un ordre meurtrier sur l'archipel. Environ 125 hominines, mâles, femelles et enfants, se font tuer. Réfugié sur une des îles de l'archipel, un petit groupe d'hominines résistent au conseil. Jeronimus Cornelisz est finalement capturé et est pendu au début octobre 1629 après le retour de l'équipe de sauvetage. En novembre 1642, un bateau néerlandais arrive au large de la future Tasmanie. À son bord, Abel Tasman, chargé par la Compagnie néerlandaise des Indes orientales d'explorer la région à la recherche de nouvelles opportunités commerciales. Il est considéré comme le premier hominine blanc à poser les yeux sur ces rivages [52] qu'il cartographie et nomme Terre Van Diemen, du nom d'Antonio van Diemen, gouverneur général des Indes orientales néerlandaises. De façon très originale, le lieu où l'ancre est jetée sera par la suite nommée Péninsule Tasman et celui de la première rencontre avec des hominines sera la Blackman Bay. Cent trente ans plus tard, une expédition française menée par Marc Joseph Marion du Fresne débarque pour la première fois à terre, à la recherche d'eau potable. Ce dernier a reçu quelques recommandations de Rousseau sur la manière de se comporter en cas de rencontre avec des autochtones. Il est décidé à envoyer des marins nus à la rencontre des hominines qui se présenteront dans la plus simple nudité. L'accueil est chaleureux et la curiosité réciproque, jusqu'à ce que la rencontre dégénère par incompréhension. "Dès qu'ils eurent lancé leurs javelots, on leur répondit par une fusillade qui en blessa plusieurs, et en tua un. Ils s'enfuirent aussitôt dans les bois, faisant des hurlements affreux ; dans leur fuite ils portaient ceux qui, étant blessés, ne pouvaient les suivre. Quinze hommes armés de fusils les poursuivirent, et trouvèrent à l'entrée du bois un de ces sauvages mourant du coup de fusil qu'il avait reçu." [53] Cette "nouvelle" terre est ensuite très partiellement explorée par les britanniques en 1773 et en 1777 lors de l'expédition de James Cook. Une dizaine d'hominines sur la plage s'approchent du bateau et James Cook décide d'aller à leur rencontre. Cette fois, tout se passe bien. Ce moment est immortalisé par une gravure réalisée par un membre de l'équipage. Elle est, de fait, la première représentation connue d'hominines de Tasmanie. En mai 1792, l'expédition scientifique menée par Antoine Bruny d'Entrecasteaux jette l'encre dans une baie du sud-ouest de la Terre Van Diemen. Une pause de quelques semaines dans sa recherche d'une précédente expédition disparue à l'est de l'Australie et qui n'a pas donné de nouvelles depuis des années. Aucun contact entre des hominines autochtones et ces navigateurs, même si ces derniers constatent que la région est habitée. De retour en janvier 1793, pour quelques semaines, des échanges ont lieu entre autochtones et allochtones. L'un des botanistes de cette expédition publie en 1799, une Relation du voyage à la recherche de La Pérouse, en deux tomes [54]. Dans le second tome, il fournit un lexique de plus de 80 mots de la "langue des sauvages du cap de Diemen" [55]. Parmi ceux-ci, des termes liés à l'anatomie des hominines, à des activités sociales, des créatures de la faune et de la flore, et des considérations géographiques. Il est à noté la traduction de péter, "tanina", dont la présence dans ce lexique indique que cela revêt une importance particulière dans le rapport entre ces deux mondes qui se rencontrent. Rien sur le rot ou le bâillement par exemple. Le lexique propose aussi une traduction de moi et de pour moi, respectivement transcrits phonétiquement par mana et paouaï. Inutile d'y cherche une forme de pensée individualiste, il s'agit plus sûrement d'un choix pratique pour échanger. Vous est traduit, mais pas nous. Un bateau britannique fait enfin le tour de la Terre Van Diemen en 1798, confirmant ainsi qu'il s'agit d'une île. Les expéditions française et britanniques, menées respectivement par Nicolas Baudin entre 1800 et 1803 [56], et par Matthew Flinders entre 1801 et 1803, sont une nouvelle étape dans le présence européenne dans la région. Les deux expéditions se croisent courant 1802 dans le sud de l'Australie et confirment qu'elle est un continent-île. Les États européens délèguent à des entreprises la découverte et l'exploitation de routes commerciales. La plus puissante d'entre elles est sans conteste la Compagnie (britannique) des Indes orientales. Elle dispose de moyens financiers énormes. Sa tactique est de négocier des accords commerciaux avec des "autorités" autochtones, lorsque cela est possible, ou de mettre une pression militaire grâce à sa milice armée, forte de plusieurs milliers de personnes, pour les obtenir. Ou les conserver. Afin de prendre de vitesse les possibles aspirations françaises sur la Terre Van Diemen [57], la première colonie britannique s'installe en 1803 dans le sud du territoire, sur la rive est de l'estuaire du fleuve Derwent. Un projet de bagne est lancé. Une seconde voit le jour l'année suivante sur la rive ouest du même estuaire. Puis une troisième. Les bagnards et leurs gardiens sont une cinquantaine d'hominines en 1803, environ 200 dans la deuxième en 1804 et plus de 140 pour la dernière. Depuis 1770 que les britanniques [58] s'attribuent les zones côtières de l'Australie orientale, nommées Nouvelle-Galles du Sud, leur implantation colonisatrice se fait avec l'envoi en 1788 d'environ 730 hominines — mâles, femelles et enfants — pour être les pensionnaires du nouveau bagne et environ 300 pour les encadrer. Pour alléger ses prisons, la politique britannique consiste à déporter les hominines vers des colonies pénitentiaires à travers le globe. Selon les chiffres officiels, entre le premier transport pénitentiaire de 1788 et le dernier en 1868, plus de 162000 hominines, mâles et femelles, sont envoyés, via 806 bateaux, du royaume britannique et ses colonies vers ces bagnes des colonies de Nouvelle-Galles du Sud et du territoire diéménois [59].
La colonie de 1803 n'est pas le premier contact entre les hominines de la Terre Van Diemen et les explorateurs, marchands et pêcheurs venant d'Europe ou des comptoirs européens d'Asie. La pêche au phoques et aux cétacés amène son lot de bateaux européens, et déclenche probablement la première épidémie chez les hominines autochtones. Des milliers d'entre elleux meurent de maladies encore inconnues dans cette région et contre lesquelles illes ne sont pas immunisés. Si la population autochtone est estimée entre 300000 et un million d'hominines pour l'île d'Australie, elle est à peine entre 3000 et 15000 pour la Terre Van Diemen. Les maladies importées, telle la variole, deviennent la cause la plus importante de décès des populations colonisées. Les antagonismes entre autochtones et autorités britanniques vont crescendo. Que ce soit en Nouvelle-Galles du Sud ou sur la Terre Van Diemen, les premières colonies pénitentiaires se transforment rapidement en une exploration et une implantation durable avec des petites villes sur des terres que les britanniques pensent pouvoir revendiquer. Lorsque un espace est vide de traces d'agriculture, il est considéré terra nullius, une "terre sans maître". "C’est au nom de ce fallacieux principe de terra nullius que la grande île coincée entre la Tasmanie au Sud et la Papouasie au Nord, l’Australie, fut colonisée par des apiculteurs – mais pas que – venus pour l’essentiel de l’ouest de la Macédoine et feignant penser n’y trouver personne." [61] La Terre Van Diement s'avèrent intéressante pour les opportunités qu'elle offre pour l'élevage, l'agriculture et les richesses minières. Plus les colons s'aventurent sur des terres jusqu'alors inexplorées par elleux, plus le niveau de violence augmente. Outres les ressources naturelles qui sont exploitées et les territoires occupés, les colonisateurs kidnappent des hominines, mâles, femelles et enfants, pour servir de domestiques, de "femmes de compagnie" et de main-d'œuvre. Le premier acte de représailles de la part d'autochtones est le fait de Pemulwuy et quatre autres hominines qui abattent en 1790 un colon britannique de Nouvelle-Galles du Sud connu pour avoir tué des aborigènes [62]. Pendant une dizaine d'années, ils vont mener des attaques sporadiques contre des fermes et se venger sur quelques colons. En Terre Van Diemen, les premières oppositions à l'arrivée des britanniques et à leur politique coloniale ne se font pas attendre. Les aborigènes vandiéménisés — mâles et femelles — n'acceptent pas d'être traités comme de simples petits animaux sauvages. Illes refusent les violences des colons, des bagnards en fuite et la mission civilisatrice britannique. Pendant trente ans, illes vont être progressivement décimés.
Dans l'historiographie moderne qui s'écrit, ces trois décennies de résistance sont appelées Black War. Selon cette tournure linguistique, la Guerre Noire est celle menée par les hominines mélanodermes. Elle sous-entend qu'elle est à leur initiative, ou tout du moins qu'il n'est pas très british gentleman de refuser la main tendue par les autorités coloniales et la monarchie du Royaume-Uni. Est-ce cela l'ironie décalée et l'absurde qui définissent le fameux "humour anglais" ? "Ne pas faire à une barquette de Lu ce que l'on ne voudrait pas qu'une barquette de Lu nous fasse !!!" [64] est la tactique coloniale choisie par les britanniques. Ainsi la Black War n'est pas une guerre britannique mais noire. Cette appellation n'est pourtant pas le choix, ni une revendication, des hominines de la Terre Van Diemen, elle est leur réponse à une invasion violente. Malgré leur nombre et leurs armes à feu, les colonisateurs de tous poils ne parviennent pas à totalement réduire les petits groupes armés seulement de lances. Il est prévu de mettre en place une stricte ségrégation afin de régler la "question aborigène" sur la Terre Van Diemen : les autochtones doivent s'installer dans les zones inhabitées du nord-est. La loi martiale est promulguée en novembre 1828. L'historien de cette blague, James Boyce, résume ainsi l'humour colonial à la sauce britannique : "Tout Aborigène pouvait désormais être légalement tué pour avoir simplement franchi une frontière non marquée que le gouvernement n'avait même pas pris la peine de définir." [65] Entre l'entrée en vigueur de la loi martiale et mars 1830, plus de 120 attaques contre des colons ont fait environ 50 morts et plus de 60 blessés. En février, il y a 30 accrochages lors desquels sept colons trouvent la mort. En mars 1830, les autorités coloniales mettent en place un Comité des Aborigènes, composé de sept personnes et présidé par un représentant religieux, afin de trouver une solution au conflit. Les propositions sont diverses : installation de huttes-leurres contenant de la farine et du sucre empoisonnés, traque avec des chiens de chasse avant élimination ou capture par des guerriers de Nouvelle-Zélande afin de les réduire en esclavage. Des primes sont promises pour qui capture un ou une de ces hominines et les colons sont encouragés à être armé. De janvier à septembre 1830, sous la direction de George Robinson [66] et de 19 membres de clans, une commission est chargée de prendre contact avec les clans du sud-ouest, de l'ouest et du nord-ouest, en vue de trouver une voie de pacification. Puis avec celle du nord-est. La promesse qui est faite est de déplacer les populations dans un endroit sûr, avec eau et nourriture, le temps de trouver une solution pérenne. Une grande opération est lancée entre octobre et novembre 1830 contre quatre clans du sud-est. Son nom de code est "Black Line", "ligne noire". Environ 2200 hominines [67] se lancent dans une série de battues à grande échelle, un front échelonné sur plus de 300 kilomètres. Le but est de contraindre les quelques 300 hominines de ces clans à se diriger vers la côte, où les autorités britannique comptent faire une réserve temporaire pour aborigènes. La cinquantaine de contre-attaques ne suffisent pas à stopper l'avancée militaire. Difficile de définir exactement la fin de la Black War et d'en établir un bilan précis. Plus d'un milliers de morts côté diéménois et un peu moins de 200 côté colonisateur. Les morts lors de cette guerre s'ajoutent aux décès par maladies, par violence directe ou lors de tentatives de captures. Le nombre d'hominines survivant à cette guerre est estimé à environ 200. Devant l'échec de la pacification britannique, la décision est prise de regrouper les autochtones et de les déplacer. George Robinson explore l'archipel Furneaux, au nord-est de la Terre Van Diemen. Le climat et la faune ne sont pas identiques à la grande île diéménoise et les conditions de vie ne sont pas idéales. Quelques communautés coloniales de pêcheurs de phoques et de baleine vivent depuis plusieurs dizaines d'années sur quelques-unes des îles de l'archipel. Robinson et une cinquantaine d'hominines arrivent sur l'île Swan, au sud de l'archipel, en janvier 1831. En mars, le petit groupe est déplacé sur l'île Vansittart, un peu plus au nord. En novembre, la réserve est installé sur l'île Flinders alors que la résistance armée continue. Mais les attaques anti-coloniales diminuent, passant de 250 en 1830 à 70 en 1831. Fin 1831, les dernières poches de résistance acceptent de se rendre et la loi martiale est levée en janvier 1832. Les quelques dizaines d'hominines mâles et femelles qui ont survécu sont transférés vers l'île Flinders. À partir de cette date, le nombre d'attaque chute drastiquement et les seules violences répertoriées se situent dans le nord où, entre 1832 et 1834, dix colons et quarante autochtones se font tuer. La résistance persiste sporadiquement dans le nord-ouest jusqu'en 1842. Début 1835, environ 300 personnes se sont rendues à Robinson, et seules quelques femelles vivent encore dans des communautés de pêcheurs et quelques petits groupes parviennent à se maintenir dans l'ouest de la Terre Van Diemen. Les maladies font des ravages parmi les populations transférées sur l'île Flinders. Entre 1833 et 1847, le centre d'internement Wybalenna construit sur cette île accueille environ 180 hominines, mâles, femelles et enfants. Surnommé Maison pour Noir·es par celleux qui refusent le parcage, il est considéré comme le premier camp de concentration, un concept politique qui aura le succès qu'on lui connaît au cours du XXème siècle.
Des bâtiments de vie, une école et une église sont érigés. Les populations autochtone doivent dorénavant suivre les règles culturelles britanniques et abandonner ce qu'il leur reste de leur propre culture. L'apprentissage de la langue anglaise et des croyances christiennes sont obligatoires, tout comme l'habillement britannique. La nudité est interdite et illes sont renommés avec des patronymes christiens. L'agriculture est préconisée alors que la chasse et la cueillette étaient jusqu'alors le mode de subsistance des populations diéménoises. Les conditions de vie sont difficiles et engendrent une forte mortalité pour cause de maladies respiratoires. À sa fermeture en octobre 1847, le centre d'internement n'accueille plus que 47 hominines — 15 mâles, 22 femelles et 10 enfants. Selon les données coloniales britanniques, illes sont les derniers vestiges (en captivité) des différentes populations diéménoises. Illes sont déplacés de l'île de l'archipel Furneaux à Oyster Cove, au sud-est de la Terre Van Diemen, dans un lieu jugé suffisamment hostile et inhospitalier pour avoir été abandonné par les colons quelques années plus tôt. À sa mort en 1876, Truganini est considérée comme la dernière diéménoise non-métisée. Bien que probablement métisse, Fanny Cochrane Smith, née sur l'île Flinders, est reconnue en 1889 par les autorités coloniales comme étant la dernière. Elle est mariée avec un ancien bagnard britannique avec lequel elle a 11 enfants. Sans conteste, elle est la dernière locutrice de la langue de cette île à sa mort en 1905. Avec Horace Watson, elle enregistre en 1899 et en 1903 des chansons traditionnelles : les seuls enregistrements sonores connus d'une langue de la Terre Van Diemen [69]. Ses pratiques linguistiques ne sont pas simplement une survivance mais un mélange de plusieurs langues avec une prédominance de celles du nord-est. Une langue qui émerge dans le contexte de la déportation de celleux qui ont survécu à la colonisation et à la Black War. Les hominines qui arrivent sur l'île Flinders ne parlent pas nécessairement la même langue. De cette situation extraordinaire naît une sorte de "tasmanien commun" qui permet intercompréhension. Des linguistes avancent qu'un pidgin est aussi probablement pratiqué au cours du XIXème siècle dans les communautés de pêcheurs dont certaines des épouses sont des hominines femelles diéménoises. Contrairement à une langue créole, un pidgin est un langage de communication simplifié, peu structuré et ne se transmettant pas en tant que tel. Définitivement déserté, le site de Wybalenna se détériore doucement et la centaine de tombes encore présentes sont peu à peu détruites par les animaux ou pillées. Quelques corps sont même revendus à des musées ou des instituts d'ethnographie en Europe et en Australie. Il est le plus grand cimetière de population diéménoise. En 1970, la descendance des femelles diéménoises et des mâles britanniques de l'archipel Furneaux s'organise et demande que le site de Wybalenna devienne un mémorial, que l'église et le cimetière soient restaurés. Sans suite. Dans le début des années 1990, le site de Wybalenna est repris en main par une association qui réclame que le gouvernement australien cède ses droits de propriété et les tombes du cimetière sont nominativement répertoriées [70]. En 1996, le gouvernement signe un accord avec l'association et officialise le transfert de propriété trois ans plus tard. Par manque de financement, les aménagements sont ralentis depuis 2023. La plaque installée pour célébrer Mannalargenna est vandalisée. Colonie britannique distincte de la Nouvelle-Galles du Sud depuis 1826, la Terre Van Diemen change de nom en 1856 pour s'appeler dorénavant Tasmanie, du nom d'Abel Tasman, le navigateur hollandais qui pose les yeux en 1642 sur les côtes de l'île. Sa capitale est Hobart, du nom d'un politicien britannique du XIXème siècle. En 1901, la Tasmanie se joint aux autres colonies britanniques de l'île australienne voisine pour former le Commonwealth d'Australie, un État autonome rattaché à l'empire britannique. Trente ans plus tard, le Royaume-Uni octroie l'indépendance à plusieurs de ses colonies, dont l'Australie qui ne ratifie ce nouveau statut qu'en 1942. Les noms originels de la Tasmanie donnés par les autochtones se sont perdus. Robinson signale qu'elle se nommait phonétiquement [loe.trou.witter] ou aussi [trow.wer.nar]. La version moderne, dans la langue reconstituée [71], est Lutruwita. Parmi les hominines habitant de nos jours la Tasmanie australienne, deux communautés revendiquent une filiation avec les autochtones pré-colonisation. Les palawa [72] affirment descendre directement des unions mixtes entre des pêcheurs britanniques mâles et des autochtones diéménoises femelles dans les îles du Détroit de Bass qui sépare la Tasmanie de l'Australie. Cette descendance ne reconnaît pas la légitimité à l'aborigènalité d'une autre groupe, les lia pootah [73]. Celleux-ci disent descendre d'unions non-officielles entre des femelles diéménoises et des bagnards, des soldats, des fermiers ou des colons. Par cette filiation, illes se revendiquent plus de clans du sud et de l'ouest. Selon les lia pootah, l'ensemble des populations n'a pas été transféré vers l'île de Flinders à l'issue de la Black War et de très petites communautés ont perduré pendant encore quelques décennies en Terre Van Diemen/Tasmanie. La plupart du territoire est encore inexploré par les colons jusque dans la décennie 1870. Selon les lois en viguer dans l'Australie moderne, trois critères sont nécessaires pour prétendre à l'aborigènalité : avoir des ancêtres autochtones, s'identifier comme tel et être reconnu comme tel par sa communauté indigène. La couleur de peau n'est pas un critère. Le Tasmanian Aboriginal Centre est accusé par la communauté des lia pootah d'avoir le monopole pour désigner si ou non une personne est aborigène de Tasmanie. Pendant plusieurs décennies, l'historiographie britannique, puis australienne, sont dans le déni du sort fait aux populations de Tasmanie. L'histoire britannique ne supporte pas l'idée qu'un génocide complet soit la conclusion de "l'œuvre civilisatrice de la colonisation", et l'Australie moderne n'assume pas d'être née sur les dépouilles encore chaudes des populations diéménoises. De nos jours encore, la controverse fait rage entre spécialistes de l'histoire de l'Australie. Les adeptes de Plus belle la vie estiment qu'il n'y a pas eu de volonté d'exterminer les populations autochtones et minimisent la violence coloniale au prétexte que les sources historiographiques manquent, pour elleux la disparition totale s'explique par des facteurs autres que la seule colonisation. La dimension raciste du rapport entre britanniques et populations diéménoises est en grande partie nié. Le titre de l'ouvrage de l'historien Keith Windschuttle paru en 2002 est éloquent : La fabrication de l'histoire aborigène [74]. Il défend la thèse que ce sont les maladies, et spécialement les vénériennes, qui sont la cause principale de l'extinction des "aborigènes" de Tasmanie. Pour lui, la mécanique est simple. Se basant sur des récits d'époque où il est fait mention des violences physiques des hominines mâles à l'encontre des femelles, il explique que ces femelles diéménoises préfèrent se marier ou se prostituer avec des colons britanniques, des bagnards ou des pêcheurs — des mâles — afin de fuir ces violences. Parfois elles sont tout simplement données par les mâles de leur clan ou esclavagisées par ceux d'un autre. Ainsi, les maladies vénériennes se sont largement diffusées parmi les populations diéménoises, causant mort et stérilité généralisée. Cette démonstration dédouane la colonisation et sa violence raciste et introduit l'idée d'une grande responsabilité des autochtones dans leur propre disparition. Victimes tragiques des conséquences de leurs mœurs barbares. Un raisonnement qui se situe quelque part entre le raciste "Simple sélection naturelle !" et le très conservateur "Illes l'ont bien cherché !" avec — argument suprême de toute pensée bancale — une petite touche de "Y'a pas de fumée sans feu !" Une dose de LSD plus tard et il est possible d'affirmer que les populations diéménoises sont finalement les descendantes des Suivants de Palawa [75], originaires de la planète Palawa, détruite par l'ordre des Jedi [76] dans l'univers de Star War. Autant dire qu'elles n'ont pas plus de légitimité que les quelques générations de britanniques installées en Lutruwita/Tasmanie. En réponse à cette argumentation est publié Blanchiment : Au sujet de la fabrication de l'histoire aborigène par Keith Windschuttle [77] qui, avec des sources documentées, met en avant la violence raciste des militaires, des colons et autres bagnards, et la volonté affirmée d'en finir avec la "question aborigène" dans les colonies australiennes et tasmaniennes en assimilant culturellement celleux qui auront survécu aux violences. Les polémiques et les débats autour de la question coloniale en Australie actuelle sont nommées "Guerres de l’histoire", sans doute pour ne pas confondre avec la "Guerre des Étoiles" lors de laquelle Palawa a été détruite. Le niveau de violence à l'encontre des populations mélanodermes, les dynamiques et motivations racistes, l'ampleur des faits tragiques et le décompte mortuaire, les politiques d'assimilation culturelle et les placements forcés d'enfants autochtones en orphelinat, et d'autres encore, sont des questions au cœur des controverses. Des problématiques qui touchent tout autant les aborigènes d'Australie que celleux de Tasmanie [78]. Le docu-fiction australien Nightinale [79], réalisé en 2021, résume efficacement la réalité et la complexité d'une situation coloniale. En 1825, en pleine Black War, une jeune hominine femelle irlandaise de 21 ans, bagnarde en Terre Van Diemen et totalement dépendante de l'autorité militaire locale, est violée par des militaires anglais puis vois son mari de bagnard et leur nourrisson tués sous ses yeux. Elle décide de les traquer à travers la forêt et les montagnes afin de se venger en les tuant. Pour se faire elle paye un jeune hominine autochtone mâle — nouvellement "civilisé à la sauce britannique" et fort déçu des "bienfaits de la colonisation" — afin qu'il la guide à travers l'île. Le duo y croise des esclavagistes, des misogynes de toutes les couleurs, des racistes et des clans en déroute. Comme dans tous les pays coloniaux ou néo-coloniaux, l'histoire est difficile à réactualiser. La France a le même problème. La version officielle et le roman national ne cherchent pas à assumer la complexité d'une histoire passée mais cherche plutôt à légitimer une situation présente. Le Royaume-Uni britannique et l'Australie sont dans ces schémas. Mais comment un royaume dont le monde entier se passionne pour les moindres faits et gestes de la famille royale ou de ses équipes de foot et de rugby pourrait-il être tenu responsable de la disparition totale de cultures et des hominines qui les portent ? Et si Lady Di avant du sang sur les mains !? Et si l'Australie n'était pas que le pays des kangourous et du didgeridoo ? La côte des disques d'AC/DC ou de Kylie Minogue va-t-elle chuter chez les disquaires ? Doit-on vraiment attaquer les artistes Serge Gainsbourg, Étienne Daho et Dani pour réappropriation culturelle avec Comme un boomerang ? [80] Très consciente des risques et de la problématique, la fleuriste et artiste Danièle "Dani" Graule a réfléchi aux meilleures méthodes post-modernes pour s'amender et s'excuser. Plutôt que simplement verser les royalties à une association, de Nice par exemple, qui défend l'usage d'une langue morte en Tasmanie — le boomerang n'est pas utilisé en Tasmanie — ou le droit inaliénable pour les aborigènes d'Australie à pouvoir utiliser un boomerang même dans les bâtiments publics, elle en préconise une originale :
Mais pas de doute, au-delà des polémiques autour de la colonisation, l'empreinte britannique est très visible en Tasmanie, ex-Terre Van Diemen. La langue, l'architecture, le mode vie, les croyances et la mythologie christiennes, ont totalement remplacé celles des populations pré-coloniales. L'humour a aussi une bonne place dans la culture moderne en Tasmanie australienne. Il n'y a pas que la guerre qui peut être noire, l'humour aussi. Pour preuve, ses armoiries se composent entre autres de deux thylacines [82], lions ou tigres de Tasmanie, un espèce définitivement décimée par des chasseurs britanniques lors de la colonisation [83]. En captivité depuis trois ans, le dernier de son espèce décède officiellement le 7 septembre 1936. Depuis 1996, à cette date, est organisée tous les ans une "Journée nationale des espèces menacées" en mémoire de la mort du dernier thylacine. Différents projets ont été envisagés pour cloner cette espèce afin de lui redonner vie. Sans succès. L'autre mascotte, mondialement connue, est le diable de Tasmanie, grâce à son incarnation depuis 1954 dans le personnage d'animation Claude Taz [84], plus communément appelé Taz. Une vraie star internationale. Fortement chassée depuis la colonisation, cette espèce est aujourd'hui victime d'une forme de cancer mortel transmissible par morsure. Décelée lors de l'année de la première "Journée nationale des espèces menacées", cette maladie a rapidement décimé la moitié de la population de diables de Tasmanie. Près de 80% de la population en 2020. À ce rythme, et sans remède efficace, Taz devrait être le dernier d'ici quelques années. Fosse communeCette situation sanglante de la colonisation va pousser des hominines à entrer dans cette guerre. Quelques noms émergent de la multitude d'anonymes. Comme souvent lors de conflits ou d'expansion coloniale, les hominines femelles ne souffrent pas des mêmes conséquences de telles situations. Lorsqu'elles ne sont pas tuées, elles risquent d'être violées et de devoir assumer la progéniture qui peut arriver. Parfois elles sont capturées pour finir prostituées ou esclaves sexuelles de leurs maîtres mâles. Certaines participent activement aux formes de résistance, d'autres filoutent pour tenter de s'en sortir, d'autres encore aident à la colonisation, par choix ou par contrainte. Certaines changent d'avis. Des dilemmes que rencontrent aussi les hominines mâles en de telles circonstances. La Terre Van Diemen ne fait pas exception. Née vers 1800, Tarenorerer est enlevée adolescente par un clan adverse puis réduite en esclavage par des pêcheurs dans le nord de la Terre Van Diemen. Pendant sa captivité, elle apprend l'anglais et le maniement des armes à feu. Elle parvient à fuir et en 1828, avec l'aide d'autres hominines, elle organise un groupe de résistance armée comprenant mâles et femelles. Elle explique aux autres comment profiter des quelques dizaines de secondes nécessaire pour recharger une arme afin d'attaquer les colons dans ce moment de vulnérabilité et préconise de tuer leur bétail pour mieux les affamer. George Robinson échappe de peu à une embuscade en septembre 1830. Il dit d'elle qu'elle est une véritable "amazone" et précise dans son journal que "presque tous les méfaits perpétrés contre les différentes colonies" sont imputables à ce groupe. Capturée par des pêcheurs de phoques, elle est envoyée sur une petite île de la pointe nord-ouest de la Terre Van Diemen où elle est donnée à un de ces pêcheurs. Connue sous le nom de Mary Ann, elle vit ensuite dans une communauté de pêcheurs et leurs "compagnes" autochtones sur l'île Forsyth — au sud de l'archipel des Furneaux, dans le nord-est diéménois. Reconnue en décembre 1830, elle est transférée sur l'île Vansittart, dans le même archipel, où elle meurt de la grippe en juin 1831. Wauba Debar, kidnappée alors qu'elle est adolescente, est contrainte de se marier avec un pêcheur. Elle meurt en 1832 en tentant de le sauver lors d'un naufrage. Des colons érigent une stèle en 1855 pour honorer son acte de bravoure. Au fil de la colonisation britannique, parmi les petites communautés de pêcheurs de phoques et de baleines qui vivent sur les îles du sud de l'archipel des Furneaux, de plus en plus de cellules familiales mixtes se font. Non pas sur la simple mise en esclavage de femelles autochtones par des mâles importés, mais sur des unions reconnues et des mariages entre elles et ces pêcheurs. Des enfants légitimes naissent de cette nouvelle situation. Dans le contexte raciste, ces unions ne sont pas vues d'un bon œil. La ségrégation est la règle, une séparation entre deux mondes. L'histoire de Dolly est tout autre. Fille d'un pêcheur britannique, George Briggs, et d'une autochtone, Woretemoeteyenner, elle-même fille d'un chef de clan. Elle est adoptée par Jacob Mountgarrett, un colon de Port Dalrymple. Il la fait baptiser sous le nom de Dalrymple. Elle est maintenant Dolly Dalrymple et est éduquée pour être domestique. Vers 1825, elle habite avec le bagnard Thomas Johnson, avec qui elle se marie six ans plus tard. Sept enfants naissent de cette union. Récompensée par le gouvernement colonial pour avoir résisté à l'attaque d'un clan début 1831, elle se voit attribuer 8,1 hectares de terres à l'ouest de l'Australie, dans la colonie britannique d'Australie-Occidentale. Elle s'y installe avec mari et enfants. Enrichie, en 1845, toute la famille est de retour sur la Terre Van Diemen. Environ 200 hectares sont achetés pour s'installer et faire construire leur maison. Mais c'était sans compter sur l'intervention de Batman ! Père-fondateur de la ville de Melbourne, John Batman participe à plusieurs exactions contre les populations noires diéménoises. En septembre 1829, son groupe attaque un village où habitent entre 60 et 70 hominines d'une famille d'un clan de Ben Lomond. Une quinzaine de morts et quatre captures. Dont Luggenemenener et son enfant. Après une année de captivité, Batman lui propose une libération contre la reddition de son clan. Elle feint d'accepter son rôle de diplomate et fuit rejoindre ses proches, qui ne comptent pas se rendre. La pression de l'opération Black Line les fait changer d'avis. En octobre 1830, ce qu'il reste du clan se rend et rejoint les terres de Batman, puis décide de fuir. La pression militaire est trop forte, la reddition est complète à la mi-novembre de la même année. De tout ce clan familial, seulement Luggenemenener et cinq autres hominines survivent à cette pacification armée. En temps de guerre, la vie est encore plus compliquée. Les choix plus difficiles. Les histoires sont complexes. La plus connue des hominine femelle de la Terre Van Diemen est sans conteste Truganini. Elle donne même le titre à une chanson du groupe de rock Midnight Oil en 1993 [85]. L'histoire d'une jeune hominine qui grandit en temps de guerre. Elle naît vers 1812 sur l'île Bruny, région des premiers contacts entre des autochtones et des navires européens. Avant ses dix huit ans, sa mère est tuée par des baleiniers, son mari meurt en tentant de la sauver d'une tentative de kidnapping, et ses deux sœurs sont enlevées et revendues comme esclaves. Elle se marie en 1829 avec Wurati un hominine de 20 ans son aîné, un chef de clan. Le couple fait la connaissance de George Robinson qui les persuade du bien fondé de ses projets de protection des autochtones en les isolant. Les deux pensent bien faire. Truganini est la diplomate de Robinson auprès des différents clans. Elle et Wurati accompagnent parfois leur mentor dans ses déplacements. Ille acceptent de s'installer dans la réserve prévue pour elleux. Les deux sont profondément déçus de la réalité. Truganini et quinze autres hominines partent en 1839 pour la région australienne de Melbourne afin d'y construire un camp pour accueillir des aborigènes d'Australie. Écœurée, elle décide de tout abandonner en 1841. Avec quatre autres, deux mâles et deux femelles, elle se lance dans la résistance armée. Le petit groupe attaque des fermes et les incendie, des baleiniers sont tués. Leur équipée dure pendant huit semaines. Leur capture débouche sur un procès. Les deux mâles sont condamnés à mort et exécutés en 1842, et les trois femelles, dont Truganini, sont déportées vers les îles Flinders où Robinson parque ses autochtones qu'il aime tant. Wurati décède en 1842. Truganini meurt de vieillesse en 1876. Elle est considérée comme la dernière autochtone "réelle", c'est-à-dire sans aucune ascendance d'un quelconque colon. Avant de mourir, elle demande à ce qu'elle ne soit pas coupée en morceaux après sa mort, comme le fut son troisième compagnon William Lanne. "Que ta volonté soit respectée" clament les hominines qui croient en Jésus et son dieu de père. Un peu moins de trente ans après sa mort, son squelette est exhumé et exposé dans une vitrine du Tasmanian Museum jusqu'en 1947. Ses restes sont finalement incinérés en 1976 — centenaire de sa mort — et les cendres dispersées dans la mer près de son lieu de naissance. Nous sommes loin des premiers portraits de femelles diéménoises tracés par les navigateurs au tout début du XIXème siècle. Les plus anciens prénoms féminins anté-diéménois connus de l'histoire écrite par les hominines d'Europe, des Amériques et autres leucodermes sont Ourê-Ourê et Arra-Maïda, deux femelles rencontrées par des membres de l'expédition de Baudin [86] et avec lesquelles ils échangent des gestes, des attitudes, des mots et des petits cadeaux inutiles. Quelques pages leur sont consacrées et un portrait d'Arra-Maïda est même dessiné. Les trajets de vie sont très divers. Certains sont particulièrement sordides, mêlant racisme et humanisme. En 1837, John Franklin est nommé gouverneur de la colonie britannique diéménoise. Explorateur et navigateur, neveu de Matthew Flinders, il s'installe avec son épouse Jane Griffin, exploratrice et première femelle nommée à la Royal Geographical Society britannique. Plein de curiosité pour la flore et la faune diéménoise, Jane Franklin obtient l'année suivante la garde d'un jeune hominine mâle autochtone, tout juste âgé de 9 ans. Destiné à être domestique, il est donné à Eleonor Franklin, une adolescente, fille du premier mariage de John Franklin. Jugé trop "oisif et désobéissant", il est envoyé sur un bateau pour y devenir matelot. Mais la curiosité n'est pas éteinte. En 1841, une hominine femelle de 6 ans, prénommée Mary, est envoyée de la réserve de l'île Flinders à l'exploratrice humaniste. Bien décidée dans son œuvre civilisatrice, elle la renomme Mathinna et la confie de nouveau à sa belle-fille. Elle est pleine d'espoir car, selon elle, le précédent spécimen diéménois était "beaucoup plus noir de teint que Mathinna, qui nous semble avoir un teint de plus en plus cuivré à mesure qu'elle progresse dans la civilisation." [87] Malheureusement, le gouverneur est rappelé à Londres en 1843 et toute la famille doit partir. Précurseur dans l'abandon des animaux domestiques pendant les périodes de vacances, le couple doit se séparer de Mary/Mathinna. Elle est envoyé à l'orphelinat de Hobart avant de retourner dans la réserve l'année suivante. Les règles de la réserve imposent la séparation entre les adultes et les enfants. Illes sont pris en charge par l’aumônier et son épouse. La vie rêvée pour une jeune hominine autochtone de neuf ans : "J'ai été soigné par M. et Mme Clark. Lorsque j'ai été fouetté, on m'a placé sur une table et on m'a attaché les mains et les pieds. J'ai été fouetté tous les jours... Je pense que j'ai été fouetté alors que je ne devais pas l'être... Une fois, j'ai été fouetté et le sang a coulé sur ma tête." [87] Transbahutée entre les réserves et l'orphelinat, elle meurt en septembre 1852, noyée dans une flaque d'eau alors qu'elle est ivre. Mary/Mathinna a alors environ 17 ans. Sa tombe est pillée dans les premières années du XXème siècle et son crâne, avec ceux d'une dizaine d'autres hominines, est étudié par des anatomistes racistes. Il est ensuite donné au Tasmanian Museum. Les restes des tombes pillées sont reconstitués puis incinérés en 1985.
Les hominines mâles aussi ont marqué la lutte contre les britanniques, le refus de la colonisation ou l'acharnement à survivre à un monde stupide et violent. La plupart sont morts dans l'anonymat des livres d'histoires. Sur les milliers de morts lors de la Black War, seuls quelques noms et leurs histoires ont traversé les époques jusqu'à nos jours. Là encore les parcours sont divers. Certains ont combattu la colonisation la sagaie à la main, d'autres ont tenté de profiter, ou simplement de vivre, là où d'autres encore ont préféré changer d'avis. Chef de clan du sud-ouest, Towterer est fait de ces contradictions. Épargnée dans un premier temps par la colonisation, Georges Robinson et sa mission pacificatrice, dont Truganini, entrent en contact avec son clan en mars 1830. La rencontre est amicale. Trois ans plus tard, l'ambiance est différente. Chargé par le gouverneur colonial de régler définitivement la "question aborigène", Robinson emploie la manière forte. Si Towterer et quelques proches parviennent à fuir l'attaque, douze hominines — dont l'une des filles de Towterer — partent pour la réserve de l'île Flinders. En juin 1833, Towterer, son épouse Wonganeep et les rares survivants rejoignent les autres hominines qui vivent déjà sur l'île-prison. Towterer et Wonganeep sont les parents de Mary/Mathinna, le petit animal de compagnie pour jeune bourgeoise britannique. Towterer décède en 1837, et elle en 1839. Père de Woretemoeteryenner et grand-père de Dolly, Mannalargenna est le chef d'un clan de Ben Lomond. Ce dernier est directement victime de l'expansion coloniale britannique. Ses terres sont convoitées. Mannalargenna et ses proches lancent une attaque en 1829 contre la propriété de John Batman afin de libérer quatre hominines de leur clan. Après des tentatives malheureuses de résister aux colons, illes se rallient aux promesses mensongères de Robinson et acceptent la déportation vers une réserve. Mannalargenna y meurt en 1835. Quatre de ses filles et sa propre sœur sont mariées avec des pêcheurs de phoques, avec qui elles ont une progéniture. Comme quelques autres, Mannalargenna participe à la mission pacificatrice de Robinson, sans en mesurer véritablement les conséquences. Dans le centre de la colonie diéménoise, Montpelliatta d'un clan de Big River et Tongerlongeter d'un clan d'Oyster Bay s'unissent pour faire reculer les britanniques. Depuis leur arrivée dans la région en 1804, les colonisateurs se heurtent violemment à la population locale qui subit aussi les violences des bagnards en fuite et des bushrangers [89] en goguette. L'opération militaire Black Line est contre elle. Ensemble, les deux chefs de clans et leurs proches mènent de petites opérations de guérilla — la petite guerre. Des fermes sont attaquées et des colons sont tués. En 1831, cette résistance locale accepte de se rendre. Des deux clans, il ne reste plus que 16 mâles, 9 femelles et un enfant. Tout le monde est transféré vers la réserve de George Robinson. Montpelliatta y meurt en 1836. Tongerlongeter parvient à se faire une place dans le système pénal colonial réservé aux autochtones et se fait appeler le Roi William. Un roi qui ne règne sur aucun territoire et dont le peuple est presque décimé. Il décède de maladie en juin 1837, le même jour que William IV, le roi britannique. Il y a aussi ceux qui refusent de se rendre et en meurt, à l'exemple de Tunnerminnerwait. Comparse de Truganini dans le petit groupe armé qui, à partir de septembre 1841, sème la terreur parmi les colons du sud de l'Australie, il est condamné à mort avec Maulboyheenner, l'autre mâle du groupe. La justice coloniale ne leur reconnaît pas de statut égalitaire avec les "autres" britanniques. Ils ne sont pas autorisés à prendre la parole à leur procès. Seul leur avocat le peut. Les deux sont pendus en 1842. Avant cela, Tunnerminnerwait était un proche de George Robinson. Ils se rencontrent en 1830 et Tunnerminnerwait apprend rapidement la langue anglaise. Né en 1812, dans un clan du nord-ouest, il sert de guide à Robinson entre 1830 et 1835. Ce dernier le renomme Jack Napoleon, mais il est aussi connu sous le pseudonyme de Peevay. Robinson semble avoir de l'estime pour lui lorsqu'il affirme qu'il "accomplissait un travail égal à celui de n'importe quel homme blanc." Son épouse, Planobeena dite "Fanny" qui participe avec lui aux actions anti-coloniales de 1841, est la sœur de Kahnneherlargenner dit "Eumarrah". Très actif dans la lutte contre la colonisation britannique dans la décennies 1820, celui-ci est arrêté en 1828. Libéré l'année suivante, il rejoint l'équipe de la Mission Amicale de George Robinson et contribue à la traque des dernières poches de résistance pour les amener à se rendre. Beaucoup savent que le déséquilibre entre les forces en présence est au bénéfice des britanniques. Leur puissance de feu et leur nombre sont deux arguments de poids. Continuer à résister est du suicide. Les parcours de vie sont parfois aussi une histoire de rencontre. Né vers 1800, Kikatapula assiste enfant à l'arrivée des premiers pêcheurs près du territoire d'un clan d'Oyster Bay. Malgré les violences auxquelles il assiste, Kikatapula se rapproche d'une famille de colons, Thomas et Sarah Birch, alors qu'il est encore adolescent. Le couple l'héberge dans leur riche demeure. Il apprend l'anglais, l'écriture et est baptisé selon les rites des christiens. Il devient Tom et prend le nom de Birch. Il est surnommé Black Tom. Il travaille dans une ferme. À la mort de son protecteur en 1821, Black Tom redevient simple autochtone cerné dans l'univers des colons. Il fait la rencontre fin 1822 de Musquito. Originaire de Nouvelle-Galles du Sud, Musquito est un autochtone australien. Né vers 1780, il est capturé une première fois en 1805, accusé de mener des actions violentes contre des colons, puis déporté sur une île du Pacifique [90]. La suite de sa peine est en Terre Van Diemen où il fait, pendant un temps, la chasse aux bushrangers [89] et autres bagnards en cavale. Vers 1822, avec plusieurs hominines de différents clans de l'est diéménois, Musquito forme une "bande" dont il est considéré comme le meneur, secondé par Black Jack et Kikatapula. La pression de la Black War pousse des dizaines d'hominines, mâles et femelles, de clans d'Oyster Bay à les rejoindre. Constituée d'autochtones de Nouvelle-Galles du Sud et de la Terre Van Diemen, cette bande entre en conflit ouvert avec les colons britanniques à partir de la fin 1823. En réponse à l'accaparement des terres et aux violences à leur encontre, plus d'une dizaine de colons sont attaqués et tués, leurs maisons et leurs fermes détruites, courant 1824. Une grosse récompense est promise à qui capturera Musquito et ses proches. En août, Musquito et Black Jack sont capturés, et condamnés en décembre à la peine de mort par pendaison. La sentence est exécutée en février 1825. Kikatapula prend la suite et continue la résistance contre la colonisation. Entre 1825 et 1826, plus d'une douzaine d'attaques se soldent par la mort de plusieurs colons. Une contre-offensive britannique lancée en novembre 1826 se solde par la mort de plus d'une dizaine de morts parmi les autochtones et la capture d'une dizaine, dont Kikatapula. Mais, anglophone et officiellement baptisé sous le nom de Tom Birch, il peut témoigner sous serment devant un tribunal. Craignant qu'il se serve du tribunal comme d'une tribune pour dénoncer les violences faîtes aux population diéménoises, les autorités décident de le libérer en janvier 1827, sans aucune charge contre lui. Il reprend sa lutte contre la colonisation britannique. De nouveau arrêté en novembre, il doit être libéré en juillet 1828 pour les mêmes raisons qu'en janvier 1827. Redoutant d'être abattu par des colons à sa sortie, il refuse de quitter la prison et propose d'être transféré au Royaume-Uni. Sa demande est refusée. Il fait la connaissance de George Robinson, alors que ce dernier est aumônier de prison, et l'aide pour l'organisation des cérémonies religieuses. Finalement, les autorités coloniales proposent à Kikatapula de se joindre à la mission de pacification de Robinson. Ainsi, à partir de la fin de 1829, il aide à traquer les poches de résistance pour les inciter à se rendre, plutôt que de se faire exterminer. Le projet de Robinson est alors de fournir un abri aux autochtones pour les préserver des violences coloniales. Avec les autres, Kikatapula est envoyé dans la réserve sur l'île Flinders. Le voyage par bateau pour le Royaume-Uni qui lui a été promis en contrepartie de son aide n'arrive toujours pas. Prenant conscience du piège qui se referme sur l'ensemble des populations diéménoises, Kikatapula rechigne dorénavant à aider à cette pacification et ses promesses fallacieuses. Il est remplacé par Mannalargenna qui guide Robinson dans ses tentatives de regrouper tout le monde sur Flinders. Tombé malade courant avril 1832, Kikatapula meurt mi-mai à Burnie, dans le nord diéménois. Baptisé, il est enterré selon les rites christiens. Placée dans un parc, à l'arrière du bâtiment de l'entreprise coloniale Van Diemen's Land Company, sa tombe est anonyme. L'histoire de William Lanne est tout autre. En décembre 1842, alors que la quasi-totalité des clans se sont rendus ou on été décimés, Lanne, son épouse et leur cinq enfants mâles — dont William — prennent contact avec des hominines de la Van Diemen's Land Company. Illes sont issus du nord-ouest de la Terre Van Diemen. Rapidement, le petit noyau familial est envoyé dans le camp de Wybalenna sur l'île Flinders. Illes y retrouvent une sœur de l'adelphie, une adolescente capturée par des pêcheurs avant d'arriver sur l'île. Les enfants sont renommés selon les usages christiens. L'adolescente est prénommée Victoria, et l'un de ses jeunes frères est dorénavant William. Nous ne savons rien de leurs prénoms originels. Le "prénom" paternel, Lanne, devient le nom de famille pour l'ensemble de l'adelphie. William Lanne n'a qu'environ 6 ans lorsqu'il arrive dans le camp de concentration pour aborigènes. En 1847, la famille Lanne fait partie de 47 mâles, femelles et enfants qui ont survécu et sont transférés vers le nouveau lieu pour la réserve à Oyster Bay. Sa sœur Victoria est morte peu après avoir donné naissance au petit George, qui fait partie du voyage. William est envoyé à l'orphelinat d'Hobart afin d'apprendre l'anglais et les usages britanniques alors que l'un de ses frères est confié à une famille de colons. Les traces de ce dernier se perdent et son neveu George décède en 1852. L'année suivante, après des années de misère, le jeune William Lanne quitte l'orphelinat pour retourner à Oyster Bay. Il est le seul enfant du camp de Wybalenna à arriver jusqu'à l'âge adulte. De retour, il est adopté par un couple d'hominines, elleux-aussi résidant dans la réserve. En 1855, les autorités colonies proclament que les autochtones et les personnes métissées de la réserve doivent trouver un travail rémunéré à l'extérieur de celle-ci. William Lanne devient baleinier sur différents bateaux de cette industrie de la chasse maritime. Il fait ce métier pendant plusieurs années et réside dans un hôtel d'Hobart lorsqu'il n'est pas en mer. Avec plusieurs courriers envoyés au gouverneur de la colonie, il plaide pour l'amélioration des conditions de vie des rares hominines autochtones qui vivent encore à Oyster Bay, et particulièrement les femelles. Il y fait la connaissance de Truganini avec qui il entretient une relation. Alors qu'il est invité d'honneur à une régate à Hobart en 1868, le gouverneur de Tasmanie le présente (avec ironie ?) comme le roi Billy — diminutif de William —, King of Tasmanians, au duc d’Édimbourg, fils de la reine britannique Victoria et de son époux le prince Albert. Il meurt en mars 1869 d'un mélange d'empoisonnement à l'alcool, de dysenterie et de choléra. Il a environ 33 ans et est généralement considéré comme le dernier hominine mâle non-métissé de la Terre Van Diemen/Tasmanie. En France, dans ces moments là on dit que "Ça part en couilles !" [2] À peine décédé, sa dépouille est convoitée par des scientifiques britanniques. Mais ceux-ci se disputent sur qui doit la récupérer. Un membre du Collège royal de chirurgie de Londres s'introduit dans la morgue, dissèque le corps, décapite William Lanne et emporte sa tête. Mécontents de cela, deux membres de la Société royale de Tasmanie amputent le corps de ses mains et de ses pieds qu'ils collectent. Ce qu'il reste du corps est enterré le lendemain. La cérémonie d'enterrement est organisée par ses collègues baleiniers. Recouvert d'une peau d'opossum et de sagaies, porté par ses collègues, son cercueil est enseveli au cimetière de l'église d'Hobart. Le lendemain de son enterrement, la tombe est vandalisée et les restes de William Lanne sont intégralement volés. L'enquête qui suit ne lève rien du mystère et est vite arrêtée. Les charognards se renvoient les arguments. Le voleur de tête accuse ses adversaires d'avoir le reste du corps. Leur cause est scientifique. L'un veut démontrer "l'amélioration qui se produit dans la race inférieure lorsqu'elle est soumise aux effets de l'éducation et de la civilisation", alors que les autres veulent mieux comprendre l'anatomie des "étranges" mélanodermes de Tasmanie. Après une courte sanction et une médaille l'année suivante, l'étêteur est nommé premier ministre de Tasmanie un peu moins de dix ans plus tard. Le racisme n'est déjà pas un obstacle à une carrière en politique. Dans le début des années 1990, le département d'anatomie de l'université d’Édimbourg restitue un crâne qu'elle dit être celui de William Lanne, sans que cela puisse être vérifié. Si le restant de son corps est parti dans les pièces de collection de la Société royale de Tasmanie, il est probable que son squelette ait été incinéré à la même époque lorsque la Société a restitué un lot de restes ancestraux au Centre aborigène de Tasmanie. Contrairement à ce qu'affirme historiographie de la royauté britannique, la tête d'un roi a bien été tranchée par des doigts de sa so british et royale main. Quelle différence fondamentale alors d'avec l'ennemi républicain français, infâme régicide ? Dans le cas de la France, le spectacle public de la guillotine pour les têtes royales offre une petite pause dans le malheur populaire, et puis l'exploitation continue, dans le cas de la Tasmanie, la décapitation clandestine de King Billy annonce la disparition prochaine de l'ensemble de ses sujets ! Et puis plus rien ! Nothing. De rienRien. D'après les historiographies nationales britannique et australienne, la Black War est terminée depuis longtemps. Du moins celle qui concerne la Tasmanie, qui s'est soldée par la disparition de ces noir·es, car le racisme anti-nègre est loin d'avoir disparu. Dans ces deux pays, le choix des termes employés pour parler de cette période est un enjeu politique important. Existe-t-il une volonté génocidaire, un ethnocide de fait, un simple "dommage collatéral" [91] de la colonisation, ou est-ce la faute à Pas-de-chance ? Les débats nauséabondent ! Le résultat incontestable est l'éradication (presque) totale en moins de 50 ans des hominines autochtones de Tasmanie, de leurs sociétés, de leurs langues et de leurs cultures. Une histoire réduite à rien. Quelque soit la dénomination la plus approprié, même l'historien des prétextes Jésus aka Christ — lui-même grand prétexte à de multiples massacres chez les hominines — est très clair à ce sujet :
Le racisme d'alors considère que cette disparition est aussi grave que celle d'une autre espèce animale. Rien de plus. Un drame de la biodiversité pour les plus humanistes, un espèce nuisible pour les plus réactionnaires, et un bon débarras pour les plus extrémistes. Au-delà de la problématique du nom de cet événement historique qu'est la disparition des populations autochtones de Terre Van Diemen/Tasmanie, la politique coloniale ne s’intéresse pas vraiment à leur sort. Illes sont quantité tellement négligeable dans la géopolitique mondiale et les intérêts commerciaux gigantesques que la colonisation engendre. Dans le début du XXème siècle, les pays d'Europe qui se sont lancés dans l’expansion coloniale stabilisent les frontières de ces empires mondialisés. La France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Espagne ou encore les Pays-Bas se sont octroyés de vastes territoires à travers le globe. Alors que leur populations sont leucodermes, nombre d'entre eux ont maintenant des populations mélanodermes en leur sein. Du fait de l'importation massive d'esclaves venant d'Afrique, les Amériques ont la particularité d'avoir de très importantes populations mélanodermes au sein de leurs propres territoires. Que faire de cette situation ? Les deux méthodes les plus répandues sont l'ostracisation sociale et la ségrégation raciale. L'une consiste à laisser les hominines dans des conditions sociales défavorisées, à leur attribuer un statut différencié d'indigènes, par exemple. La seconde veut marquer une séparation plus nette entre les leucodermes et les autres, les lieux de vie et de sociabilité ne peuvent être les mêmes. Il n'y a pas un seul modèle ségrégationniste et les frontières avec les "codes indigènes" ne sont pas précises. Dans les deux cas, l'égalité n'est pas recherchée, des métiers sont réservés, les mariages restreints, etc. Allemagne, Belgique, France, Pays-Bas et Royaume-Uni, chacun à sa sauce, instaure un système de différentiation entre populations colonisées et colonisatrices. La première extermination coloniale du XXème siècle se fait dans la colonie du Sud-Ouest africain allemand, l'actuelle Namibie, où environ 80% des populations héréros et namas trouvent la mort entre 1904 et 1907, soit respectivement 65000 et 20000 hominines, mâles, femelles et enfants de deux sexes. Celleux qui ne meurent pas pendant les combats sont déportés dans des camps d'internement ou repoussés vers les régions les plus désertiques où il est difficile de survivre. Pas la peine d'attendre l'avènement du troisième comme le dit Anne Poiret dans son documentaire Namibie, génocide du IIe Reich [93]. Après la première guerre dite mondiale, l'empire colonial allemand est démembré et ses restes sont répartis entre plusieurs puissances coloniales d'Europe. La Belgique reçoit le mandat de gérer la colonie Ruanda-Urundi où elle instaure un régime basée sur l'opposition raciste entre plusieurs composantes des sociétés de cette région des Grands lacs en Afrique centrale. Une illusoire opposition entre hutu, tutsi et twa qui débouchera quelques décennies plus tard sur la tentation génocidaire hutu sur les deux autres. L'Australie, en plus de sa politique à l'encontre des aborigènes qui mélange acculturation et discrimination, fait tout pour orienter sa politique migratoire à partir de 1901 — et ce jusqu'en 1970 — afin que les leucodermes puissent en bénéficier en priorité et non les hominines d'autres couleurs de peau. Du sud-ouest à l'est de la Méditerranée, l'empire ottoman règne sur des populations aux mœurs, aux croyances et aux couleurs de peau multiples. De l'Afrique du nord aux Balkans, en passant par le Moyen-Orient. Au nom d'une religion majoritaire commune — les mythologies mahométiennes —, qui ne fait officiellement pas de différences selon la couleur de peau, leur adeptes ont opté pour des méthodes expérimentées par des racistes. Ce qui fonctionne avec des "sous-races" doit pouvoir faire l'affaire dans la lutte contre les "infidèles". Alors qu'il se désagrège, pour devenir quelques années plus tard la Turquie, l'empire ottoman entre dans un cycle de violences à l'encontre des populations christiennes jugées trop remuantes. Cela abouti au déplacement et à la mort de millions de personnes. De 1915 au début des années 1920, les populations arméniennes [94] et assyriennes [95] sont les principales victimes de cette politique. Entre un million et un million et demi de morts côté arménien et entre 500000 et 750000 côté assyrien. Le nationalisme turc est en plein essor. Dans une réaction très leucodermique, ces deux massacres furent longtemps considérés comme les premiers génocides du XXème siècle, oubliant celui du Sud-Ouest africain allemand. Après ce "nettoyage ethnique", pour parfaire le projet du nationalisme turc post-ottoman, dans le cadre d'un échange de population avec la Grèce, environ 1500000 micrasiates [96] partent vers la Grèce et 400000 personnes — considérées turques par l'un ou l'autre pays — vers la Turquie. Dans la suite de l'abolition de l'esclavage, alors que le lynchage raciste est un passe-temps à travers le pays, la ségrégation aux États-Unis d'Amérique s'officialise dans le début des années 1930. N'en déplaise aux hitléristes, leur mentor n'est pas le grand homme qu'illes imaginent. En effet, le racisme, la ségrégation et les camps de concentration ne sont pas une de ses inventions. En plus de ne pas être le premier, il mélange une méthode à l'américaine avec un background colonial britannique. Tout au plus peut-on lui accorder une forme de paternité dans la théorisation du "Point de Godwin" [97] et un goût certain pour la démesure et la folie des grandeurs. Sans vouloir parler à leur place, il est possible d'affirmer que les hominines de Tasmanie ne l'auraient sans doute pas beaucoup apprécié. Un point commun évident avec les populations moïsiennes — tant honnies par les hitléristes. Et plus généralement avec celles qui furent pourchassées et tuées par les adeptes de cet ultra-leucodermiste. Il opte pour les raisonnements racistes qui hiérarchisent aussi les populations leucodermes entre elles. Il faut être nordique ou germanique pour être au sommet de l'échelle. Au plus bas des échelons, la Méditerranée et ses peaux tannées au soleil. La suite de l'histoire est connue. Grace à l'aide militaire d'un pays ségrégationniste d'outre-Atlantique qui juge plus défendable d'être adepte des mythologies moïsiennes que d'être noir de peau, des pays d'Europe — vexés d'être catalogués sous-hominines alors que cette place est habituellement réservée aux noir·es de leurs colonies — parviennent à stopper le projet hitlériste d'en finir avec les populations moïsiennes d'Europe, sans que cela ait trop d'incidence sur le sort des populations mélanodermes. Ou si peu, car à cette époque l'Allemagne n'a plus aucune colonie [98]. La fin de la seconde guerre dite mondiale n'est pas synonyme de fin de la pensée raciste. Aux États-Unis d'Amérique la ségrégation, bien que contestée, est très présente. Dans les colonies européennes en Afrique, les plus notables des systèmes ségrégationnistes sont les colonies britanniques du sud de l'Afrique avec la Rhodésie et le célèbre apartheid [99] en Afrique du Sud. Bien que dominant officiellement les colonies du sud africain, le pouvoir britannique est contesté par les hominines leucodermes qui y vivent. Regroupant plusieurs colonies, l'Union d'Afrique du Sud voit le jour en 1911. Les hominines d'ascendance néerlandaise et/ou française s'opposent politiquement à celleux d'ascendance britannique. Avec la reddition allemande à l'issue de la première guerre dite mondiale, l'Union d'Afrique du Sud récupère les territoires de la colonie du Sud-Ouest africain allemand — actuelle Namibie. Dans ce nouveau pays, les leucodermes détiennent le pouvoir alors qu'illes ne représentent qu'environ 20% de la population totale. Les autres sont soit mélanodermes, soit reçoivent l'étiquette "métis". Héritage du système raciste britannique en usage dans les colonies, une stricte ségrégation est mise en place à partir de 1948 : l'apartheid. Bien que vivant dans le même pays, les leucodermes et les mélanodermes sont dans des espaces différents : villes, quartiers ou régions. La mixité est interdite. Officiellement, il s'agit d'un "développement séparé"... pour le bien de tout le monde, évidemment ! Les deux langues officielles sont l'anglais et l'afrikaans, un dérivé local du néerlandais, pour cette Union d'Afrique du Sud qui devient la République d'Afrique du Sud en 1961. L'ex-colonie allemande du Sud-Ouest africain obtient son indépendance en 1968 sous le nom de Namibie. Le système ségrégationniste prend fin dans ce nouveau pays. L'empire colonial britannique se fragmente dans les années 1960. Après quelques tentatives d'unions, plusieurs colonies prennent leur indépendance. La Rhodésie du Nord devient la Zambie et le Nyassaland le Malawi en 1964. L'année suivante le Bechuanaland s'émancipe sous le nom de Botswana et le Basutoland sous celui de Botswana. C'est aussi dans le milieu des années 1960 que, dans les Amériques, les États-Unis commencent à alléger leurs lois ségrégationnistes. En Afrique, la Rhodésie du Sud ne partage pas cet enthousiasme et proclame son indépendance sous le nom de Rhodésie. La minorité leucoderme n'entend pas partager le pouvoir avec les mélanodermes majoritaires. Le jeu politique parlementaire est dominé par cette minorité, les propriétaires leucodermes conservent leurs avantages sur l'exploitation des terres et le développement séparé entre mélanodermes et leucodermes est maintenu. La ségrégation est la règle. L'opposition à ce système fait entendre ses revendications en menant une guerre de libération contre le "Pouvoir Blanc". En 1979, la Rhodésie devient la Zimbabwe et la ségrégation raciale est interdite. Dans les faits, le secteur économique et l'agriculture demeurent aux mains des hominines leucodermes qui décident de rester vivre ici. Dans les années 1980, même si le racisme est encore très présent, les système ségrégationnistes disparaissent à l'exception de l'Afrique du Sud, ce que souligne l'historienne Véronique Rivière : "Personne ne broie du noir, à part Ted" [100]. Fosse septiqueL'apartheid est alors la partie émergée de l'iceberg raciste. Même s'il perdure dans tous les pays d'Europe, l'héritage de la bande hitlériste est anecdotique. Porté seulement par quelques extrémistes de la race. Derrière ce vieil épouvantail se cache la réalité du racisme démocratisé. En effet, si l'extrême-droite se revendique évidemment d'une pensée raciste, cette dernière gagne en popularité dans les mouvements politiques de droite comme de gauche. Les formes sont diverses et pas toujours assumées. L'instrumentalisation des thèmes chers à cette extrême-droite, comme par exemple la lutte "contre l'immigration", la "préférence nationale", le "danger" du multi-culturalisme ou encore la disparition des "valeurs christiennes", devient un moyen parmi d'autres d'accéder au pouvoir. La démagogie populiste a le vent en poupe. Au cours des années 1970 et 1980, à travers les pays d'Europe et des Amériques, les manifestations de l'antiracisme sont multiples. Quelques organisations politiques et associations critiquent cette droitisation, des rassemblements publics et des manifestations de rue protestent contre cette "montée de l'extrême-droite", contre les violences racistes qui blessent et tuent régulièrement, et la banalisation du discours droitiste. En parallèle de ces mobilisations anti-racistes, des hominines font le choix de s'organiser autrement. Des bandes se montent pour s'affronter dans la rue avec les skinheads néo-nazis et autres adeptes de "ratonnades" [101]. En France, les plus connus de ces "chasseurs de skins" sont les Black Dragons [102], les Ducky Boys [103], les As-Nays ou les Red Warriors [104]. Beaucoup de ces bandes sont à l'image de l'immigration et de la situation sociale en France. Hormis les Black Dragon ou les Black Panther [105] qui se revendiquent ouvertement noires, les autres sont mixtes, c'est-à-dire composées d'hominines dont les parents sont originaires d'ailleurs ou d'ici [106]. En plus de ces bandes de rue, d'autres choisissent plutôt de former des groupes clandestins afin d'attaquer l'extrême-droite et ses différentes émanations. Ce phénomène existe dans la plupart des pays d'Europe et d'Amérique du Nord. Selon les circonstances nationales et les choix politiques, au cours des décennies 1970 et 1980, les groupes qui se montent se revendiquent mélanodermes ou mixtes. Idéologiquement, ils se réclament antiracistes, communistes, anarchistes ou antifascistes. Et pour certains d'une forme de "nationalisme noir" dans le contexte des États-Unis d'Amérique. Leurs cibles sont essentiellement des journaux ou des mouvements politiques liés à l'extrême-droite, ou alors des entreprises et des institutions étatiques en lien avec des politiques intérieures racistes ou des pays jugés "trop" droitistes. L'apartheid sud-africain est au Top Ten des cibles à abattre. Aucun pays d'Europe de l'ouest et des Amériques n'échappe à ce phénomène. La Black War n'est pas achevée. Revolutionaire Anti-Racistische Actie aux Pays-Bas, Angry Brigade au Royaume-Uni, Red Guerilla Resistance [107] ou Black Liberation Army [108] aux États-Unis d'Amérique ou encore les groupes Bakounine-Gdansk-Paris et Black War en France. Et quelques autres encore. En Allemagne. En Italie. Personne ne se fait une spécialité de la lutte contre la ségrégation raciale sud-africaine, leurs cibles ne se résument pas à cela. Personne n'affirme que sa manière de faire est la seule et la meilleure. Angry Brigade aurait même pu être le titre d'une chanson de New Wave dans les 80's :
La ville de Nice, lieu de naissance de F. Merdjanov, étant située en France, cela a du sens pour la protivophilie de s'arrêter brièvement sur l'histoire de ce petit pays à l'ouest de la Macédoine. Le Grupa Bakunina-Gdansk-Paryz devient rapidement Groupe Bakounine-Gdansk-Paris-Guatemala-Salvador [110], abrégé GBGPGS. Le 19 novembre 1982, des explosifs endommagent les bureaux de la société sud-africaine d’import-export d’agrumes Outspan, dans le neuvième arrondissement de Paris, et un cocktail Molotov est lancé sur des bureaux de l'entreprise Promo Chimie. Les dégâts sont importants. Le 21 une explosion frappe les bureaux d'une entreprise française travaillant avec l'Afrique du sud. Une liste d'entreprises françaises travaillant avec le régime sud-africain est publiée. En tout, le GBGPGS revendique une quinzaine d'actions entre 1981 et 1984 [111]. Illes se disent "Hooligans internationalistes" et à la question "Pourquoi Bakounine ?", répondent "L'emprunt de son nom était destiné à rendre plus précisément le sens de nos actions dans les pays de l'Est où, malgré tout, l'histoire de Bakounine et son rôle dans la première Internationale n'a pu être complètement gommé des manuels d'histoire. Nous tenons plus au caractère internationaliste de Gdansk-Paris-Guatemala-Salvador." [112] Les communiqués de Bakounine-Gdansk-Paris-Guatemala-Salvador précisent que les ennemis sont autant le bloc soviétique et ses alliés, dit L'Est, que le bloc euro-étasunien et ses alliances, dit L'Ouest. Les prolétariats polonais et soviétique souffrent du Rideau de Fer [113] et celui de France et d'Occident du rideau de fumée, pour les paraphraser. L'internationalisme est une réalité de fait car "que peut faire un ouvrier polonais, matraqué par une milice équipée de boucliers japonais achetés par la bureaucratie grâce aux banquiers allemands ?" Dans le texte envoyé en février 1983 au journal Libération, le groupe Bakounine-Gdansk-Paris-Guatemala-Salvador rappelle quelques conseils pratiques : "La destruction de biens, bureaux, représentations économiques, ou lieux de fabrications nuisibles est très simple à réaliser. Si des individus veulent se transformer en "Hooligans Internationalistes" à peu de frais, l'essence, pour un rapport qualité-prix reste très abordable. L'incendie provoque des dégâts longs et coûteux à réparer (circuits électriques, fichiers, commandes, etc...)" [112] À l'image du GBGPGS, nombre de groupes, très souvent éphémères, se réclamant de l'anarchie ou de l'autonomie rejettent les modes d'action et les discours des organisations armées clandestines telles qu'Action Directe en France ou les Brigades Rouges en Italie. À tel point que même un criminologue droitiste comme Xavier Raufer remarque que "la volonté de ne pas blesser ou tuer est évidente" ! [114] Ce qu'explique très bien le journal Insurrection en 1979 :
Loin elle aussi de ces dynamiques militantes armées auxquelles elle préfère les sabotages et les destructions, la revue post-situationniste Os Cangaceiros [116]consacre en 1986 des articles à l'apartheid sud-africain. L'un s'intitule Faut être nègre pour faire ça ! Aperçu sur la guerre sociale en Afrique du Sud [117] et l'autre reprend le titre du roman Ces salauds de Blancs [118] de David Lytton dont elle cite les premiers mots : "Bon Dieu, ce que je peux les haïr, ces Blancs ! des fois la haine éclate, elle me fait mal au ventre, elle me prend à la gorge. "Ces salauds de Blancs" : voilà ce que chantent les Noirs dans les rues de Johannesburg. Les équipes d’ouvriers cafres le chantent pour se donner de l’entrain et les Blancs restent là et les montrent aux Anglais et Américains de passage en parlant du "rythme ancestral de l’Afrique", mais les mots qu’ils ne peuvent comprendre répètent : Ces salauds d’Blancs ! Ces salauds d’Blancs !" [119] La lutte contre la ségrégation raciste n'est pas exclusivement tournée vers l'Afrique du sud, elle se double d'un rejet du racisme ici-même dans les pays d'Europe. Dans les années 1980, la montée du Front National [120] et sa galaxie extrémiste de droite inquiète de plus en plus les anti-racistes. Le retour officiel de l'extrême-droite dans le jeu politique français arrive dans une ambiance où les actes racistes violents ne sont pas rares. Le sud de la France est particulièrement touché par une vague de ratonnades et de meurtres dans le début des années 1970 [121]. Une cinquantaine d'hominines originaires d'Algérie sont tués et des attentats sont revendiqués par des groupes clandestins. La question de l'immigration, sur fond de rancœur de l'indépendance algérienne, et la visibilité toujours plus grande de communautés d'origine immigrée et/ou mahométienne chiffonnent les droitistes. Le journal Paris Match, du 4 septembre 1973, s'interroge : "Les Français sont-ils racistes, les “bicots” sont-ils dangereux ?" De l'attentat contre le consulat d'Algérie à Marseille en 1973 à la défenestration d'un train d'Habib Grimzi [122], un touriste algérien, par trois militaires en 1983, en passant par les bombes anonymes en 1981 et 1983 dans des cités marseillaises, l'ambiance raciste est palpable. Les banlieues urbaines et les cités-dortoirs où vivent très majoritairement les populations issues de l'immigration sont les lieux de la ségrégation "à la française". Comme dans tous les quartiers pauvres, les rapports avec les forces de l'ordre sont tendus, à ceci près que le racisme augmente le niveau de violence. Les "émeutes des banlieues" apparaissent dans l'univers médiatique et servent d'excuse à plus de répression policière. Alors qu'un candidat du Front National aux élections municipales de septembre 1983 à Dreux obtient près de 17% des voix et, pour la première fois, accède au second tour, la Marche pour l'égalité et contre le racisme, surnommée "Marche des beurs", part de Marseille mi-octobre pour rejoindre Paris début décembre. Allié avec le Rassemblement Pour la République (RPR), l'ancêtre du parti Les Républicains d'Eric Ciotti, afin de faire barrage à la gauche, le Front National obtient plusieurs élus municipaux ; Commencée à une petite dizaine, la Marche arrive dans la capitale française et forme une cortège d'environ 100000 personnes. Jacques Chirac [123], alors président de ce RPR, assume pleinement : "Je n'aurais pas du tout été gêné de voter au second tour pour la liste [RPR-FN]. Cela n'a aucune espèce d'importance d'avoir quatre pèlerins du FN à Dreux, comparé aux quatre ministres communistes au Conseil des ministres." [124] Dans des cerveaux de droite, les "Rouges" effraient plus que les "Bruns". Il faudra attendre 1991 pour que Jacques Chirac fasse son grand coming-out public avec une formule qui fera le buzz [125] : "Si vous ajoutez à cela le bruit et l'odeur [rires nourris], eh bien le travailleur français sur le palier, il devient fou. Il devient fou. C'est comme ça. Et il faut le comprendre, si vous y étiez, vous auriez la même réaction. Et ce n'est pas être raciste que de dire cela." [126] Les années 1980 sont la décennie qui démocratise le "Je ne suis pas raciste, mais..." et en fait un nouvel argumentaire à toutes les obscénités. Comme des sodomites qui s'assument enfin ou des canidés encore en chaleur, la droite et les droitistes se reniflent l'anus.
Une délégation de la Marche des beurs est reçue par François Mitterrand, le président français, membre de la gauche socialiste. Il promet une carte de séjour et de travail valable dix ans, une loi contre les crimes racistes et un projet sur le vote des personnes étrangères aux élections locales. Les promesses sont sans lendemain. La carte de séjour et le vote sont des questions qui divisent, même à gauche. Seul un texte législatif voit le jour en 1990 et fait du racisme un délit [128]. Une mesure aussi efficace que de proclamer "Liberté. Égalité. Fraternité" et constater son impact sur la réalité sociale quotidienne. Un phénomène que connaissent bien les hominines femelles. La question du racisme n'est pas aisée à démêler à gauche. Prolongation des humanistes racistes du XIXème siècle, le racisme de gauche pense que les populations immigrées sont acceptables car intégrables. Comme si leur disparition, leur dilution, était la solution à leurs malheurs. Pour faire un parallèle avec la Terre Van Diemen/Tasmanie, le camp de concentration de l'île Flinders est la solution de gauche alors que la chasse aux autochtones est une idée de droite. Les deux se soldent par l'anéantissement. Le racisme est ambidextre. Depuis maintenant quelques décennies, la gauche a démontré avec succès qu'elle était une autre façon d'être de droite. Elle préconise le célèbre "Je ne suis pas raciste, j'ai..." Un collègue noir. Une amie antillaise. Des voisins maghrébins charmants. Des cours de cuisine du monde. Ma future belle-sœur qui se voile. Adoré mon voyage au Sénégal. Etc. L'antiracisme radical ne s'y trompe pas. Dès le 1er octobre 1981, moins de cinq mois après son élection à la présidence, la statue de cire de François Mitterrand est volée au musée Grevin à Paris. Cette action symbolique est revendiquée par le Groupe Révolutionnaire des Enragés et Vindicatifs, Irresponsables et Nuisibles, le GREVIN. Cette formulation est très ludique pour une fin de soirée amicale. Le jeu consiste à remplacer "raciste" par d'autres formes d'oppression entre hominines — il y en a quelques unes. Cela fonctionne très bien avec sexiste, antisémite [129], riche ou pauvre, spéciste [130], ou toutes les x-phobies. La seule restriction est que le choix des mots doit conserver un aspect épicène à l'expression : Il ne doit pas être possible de différencier si le sujet est au masculin ou au féminin. Jamais. Il faut le deviner. Par exemple. "Je ne suis pas sexiste, j'ai déjà fait une vaisselle" ou "Je ne suis pas sexiste, j'ai tout lu à ce sujet" [131] jusqu'à l'outrancier " Je ne suis pas sexiste, j'ai une mère qui a tout donné pour moi" Le volet social de ce jeu est tout aussi drôle : "Je ne suis pas pauvre, j'ai juste des goûts de riches" ou "Je ne suis pas riche, j'ai du mal à bien payer mes domestiques". Ce jeu est totalement inclusif, même des "anti-ouhoqs" peuvent s'en mêler. "Je ne suis pas homophobe, j'ai un tee-shirt arc-en-ciel" ou encore "Je ne suis pas transphobe, j'ai fait castrer mon chien". La montée de l'extrême-droite, incarnée dans le Front National, agite les esprits. Différents collectifs se montent afin de manifester leur refus du FN et du racisme qu'il porte. Le plus connu est probablement le SCALP, l'acronyme de Section Carrément Anti Le Pen, qui apparaît à Toulouse dès 1984. Des rassemblements publics s'organisent, affiches et autocollants fleurissent sur les murs. Jugeant cette forme de militantisme insuffisant devant le danger, des groupes clandestins se lancent dans des destructions en lien avec la présence de cette extrême-droite "locale". À Toulouse, "le lundi 4 juin 1984, plusieurs kilos d'explosifs ravagent la salle des fêtes de la piscine municipale où devait se tenir le meeting de Le Pen le lendemain. Le 23 novembre 1984, c'est à Blagnac, à l'hôtel-restaurant "Le Deauville" qu'un attentat est commis où devait se tenir le soir même un bal "bleu-blanc-rouge". Le 27 février 1985, c'est à la Rotonde, au Palais des congrès à Toulouse qu'a lieu une explosion, là où Le Pen doit venir tenir une réunion [...] . Dans la nuit du samedi 13 au dimanche 14 avril, c'est à Colomiers qu'un transformateur [...] est détruit pour protester contre le bal organisé par le Front National dans cette ville." [132] Ces sabotages sont anonymes hormis celui de février qui est revendiqué par ACD, "Assez Déconné". Les jeux de mots dont sont coutumiers les collectifs clandestins qui revendiquent parfois des actions de sabotage [133] ne font pas rire le FN et agacent les forces de police. Mi avril 1985, la police arrête une vingtaine de personnes dont quatre — trois mâles et une femelle — qu'elle veut inculper de "destruction de biens immobiliers par l'effet d'une substance explosive." En novembre, une est condamnée à 2 ans de prison ferme, une à un an ferme et les autres reçoivent du sursis. "Le monde est une vraie porcherie" entonnent les Bérurier Noir. "Flic-armée porcherie ! Apartheid porcherie ! DST porcherie ! Et Le Pen porcherie !" [134] Le 12 décembre 1985, dans le onzième arrondissement de Paris, le jet de cocktails Molotov sur le local de l'association Légitime Défense, ne fait que quelques dégâts. Cette action est revendiquée par un groupe jusqu'alors inconnu nommé Black War. Créée en 1978, l'association visée promeut, comme son nom l'indique, le "droit à la légitime défense" et veut rétablir la peine de mort. Parmi ses membres fondateurs, l'avocat des parties civiles dans le procès contre Pierre Goldman [135], ou un membre du Conseil parisien de sécurité nommé en juillet 1984 par le maire de la ville Jacques Chirac. Les cocktails Molotov d'auto-défense antiraciste n'ont pas été du goût de l'association qui, selon le journal Le Monde, a changé le message de son répondeur téléphonique : "Ici Légitime défense. Ceux qui vomissent la démocratie et salissent la mémoire des victimes de la pègre ont incendié lâchement nos locaux. Laissez votre message." [136] Un mois et demi plus tard, Black War s'attaque aux locaux de la CIRPO, la Conférence internationale des Résistances en Pays Occupés, une organisation "anti-communiste" aux motivations droitistes, "spécialisée dans la dénonciation du goulag, comme s'il n'y avait qu'un seul goulag à l'est et le paradis dans le monde libre" [137] selon le communiqué de revendication. Un mois plus tard, le 25 février 1986, des locaux parisiens de la banque française BNP sont détériorés par une explosion au motif qu'elle entretient des liens avec l'Afrique du sud ségrégationniste. Entre février et avril, trois actions à l'explosif sont menées contre une librairie droitiste, le domicile d'un membre du Front National et les locaux d'un parti politique aux idées qui fleurent bon le conservatisme. De celleux qui s'offusquent que Rachid Taha chante le Douce France de Charles Trenet. En juin, Black War s'attaque de nouveau à l'apartheid. Des explosifs endommagent des locaux de l'entreprise de tabac Rothmans, propriété d'une riche famille afrikaner proche du pouvoir sud-africain. [138] Quelques semaines plus tard, ce sont les locaux d'une association christienne intégriste qui sont visés dans le onzième arrondissement parisien et le lendemain, le 12 juillet 1986, l'étude d'un huissier dans le deuxième [139]. Presque une année après, le 19 juin 1987, une explosion abîme les bureaux de la société anglo-américaine SGTI (Société générale des techniques industrielles) [140] Le 17 avril 1988, Black War pose des explosifs devant le domicile du président de la Chambre régionale des huissiers. Deux personnes de l'immeuble sont blessées. Quatre jours plus tard, les forces de police lancent une opération répressive dans les milieux "autonomes" [141]. Vingt trois personnes sont arrêtées. Toutes sont relâchées le lendemain. La rafle égratigne les Bérurier Noir car parmi les personnes arrêtées certaines s'occupent de leur "service d'ordre" pendant les concerts. Le groupe se fend d'un communiqué pour expliquer la situation. La presse fait ses choux-gras de cette affaire. Les Béru qui, la veille, ont mis en scène leur refus d'une récompense décernée par le milieu du show-biz musical, le Bus d'Acier, se font épingler pour leur proximité trop grande avec les milieux gauchistes "les plus radicaux". Début novembre 1989, les Bérurier Noir font trois concerts. Les derniers [142].
Les personnes qui composent Black War ont pu heureusement rester anonymes. Il n'y a jamais eu de procès de l'une d'elles. S'agissait-il d'hominines de Tasmanie ? De fans de Claude Taz ? [84] Le choix de Black War s'explique probablement plus par une imagerie anarchiste ou antifasciste qui raffole de la couleur noire que par une dédicace aux populations disparues de la lointaine île. Le racisme a évidemment perduré et le Front National s'est installé progressivement. Quelques énervés droitistes qui veulent déclencher une confrontation raciste réalisent même en 1988 deux actions explosives contre des foyers d'immigrés dans le sud de la France, faussement revendiqué par le groupe moïsien Massada. Ce nom et ce procédé ont déjà été utilisés en 1972 pour une attaque contre une librairie Palestine. En plein fantasme du déclic, ils cherchent à provoquer une guerre "raciale" ! Dulcie September, une membre de l'ANC en exil [144], militante anti-apartheid de longue date, est assassinée à Paris en 1988. Les responsabilités dans sa mort n'ont jamais pu être établies. Les relations politiques et économiques entre la France et l'Afrique du sud sont sulfureuses. Critiquée internationalement, l'apartheid est chancelante mais vivante. La majeure partie des lois d'apartheid sont abolies entre 1989 et 1991 par le pouvoir leucoderme. Le régime sud-africain abolie officiellement le régime ségrégationniste de l'apartheid. Cent soixante ans après la mise en place de la première ségrégation coloniale en Terre Van Diemen/Tasmanie. Un premier pas vers la fin du racisme ? À l'image de Fari y Lopes, tout le monde n'est pas si optimiste :
Pour rienLa chute du dernier régime ségrégationniste [146] anti-mélanoderme et la mise en place au niveau international et national de lois visant à condamner le racisme sous toutes ses formes n'ont pas fait disparaître magiquement le racisme. Que ce soit à l'encontre des noir·es ou d'autres peaux basanées. Spécialiste des oppressions du quotidien, Bertrand Cantat rappelle que l'illusion que tout cela n'existe plus est tentante :
Fausse sceptiqueIl faut être leucoderme pour penser que le racisme contre celleux qui ne le sont pas n'est plus une réalité quotidienne. Même dans des pays où vivent des hominines originaires d'ailleurs, depuis des siècles ou des décennies, une ségrégation sociale, spatiale, politique, économique et culturelle persiste sous des formes atténuées. Moins caricaturales, mais bien plus complexes qu'aux siècles précédents. Certaines plus visibles que d'autres. Fini les pancartes qui indiquent qu'ici l'espace est réservé selon la couleur de peau et les quartiers urbains peuplés exclusivement de populations issues des migrations et leur descendance [148]. Sous le regard médusé des racistes, et en dépit de la persistance de mécanismes racistes intégrés, les populations aux ascendances familiales et géographiques diverses se mêlent depuis plusieurs générations. Aux deux extrêmes, les États-Unis d'Amérique et la France. Dans les premiers, chaque hominine se définie selon une communauté. Noire, blanche, amérindienne, asiatique, latino, etc. Dans l'autre les personnes ne doivent pas en faire mention, il est même interdit par la loi de faire des références "ethniques". En France, le discours officielle annonce qu'il n'y a que "Français & Françaises". Comme sur les anciennes cartes postales et les guides touristiques. Au nom d'un égalitarisme de façade, l'histoire de millions d'hominines est invisibilisée. Les personnes issues de flux migratoires récents, de la colonisation des siècles précédents ou de territoires d'ex-colonies rattachés à la métropole ne sont pas présentes dans l'historiographie, dans le "roman national". Au mieux, elles y sont en pièce rapportée. Même après des décennies. Des siècles. La France et ses élites politiques, intellectuelles et culturelles se vantent souvent d'être à la pointe de l'universalisme, du refus des discriminations. Et les États-Unis sont montrés en contre-exemple. Pourtant, ce pays où il est risqué de croiser une patrouille policière lorsque l'on est mélanoderme, peut en élire à sa présidence et faire de Beyoncé un symbole populaire envié à l'international, alors que, paradoxalement, l'étasunienne mélanoderme antiraciste francophile Joséphine Baker, morte depuis cinquante ans, est officiellement reconnue comme faisant partie des "Grands hommes" de l'histoire de France mais le "phénomène" Aya Nakamura, actuel, fait polémique [149]. Impossible pour les plus réactionnaires d'y voir une Beyoncé "à la française". L'idée les répugne. Pour les droitistes, il est écœurant de penser qu'elle puisse être l'image de la France à l'international ! Être noir·e en France n'est pas encore un long fleuve tranquille. "Pendant une période de ma vie, secrètement, je rêvais d'être blanc... Non mais j'étais un gosse, on a le droit à l'erreur !" plaisante Thomas Ngijol [150]. Racisme spécifique, la négrophobie [151] est une réalité. Si Noirs en France [152] sonne comme le titre d'un mél[an]odrame, Tout simplement noir [153] respire le film de science-fiction. La révélation en 2012 — dans l'affaire dite Iron Sky — de la présence sur la face cachée de la Lune de bases hitléristes et de leur projet — en 2018 — d'attaquer la Terre et de transformer les personnes noires en blanches, n'a pas fait l'effet d'un électrochoc [154]. Les plus complotistes — leucodermes ou mélanodermes — y voient l'explication de la persistance du racisme négrophobe. Les hominines qui ont survécu à cette fatidique année 2018 savent maintenant que Iron Sky n'était qu'un canular : pas besoin d'extra-terrestres pour faire des horreurs.
Un rapide constat de la situation dans les sociétés des hominines ne va pas dans le sens des optimistes. Envoyé spécial de la protivophilie dans le monde, en direct sur le front des oppressions de tous types, Ladislav Klíma est très lucide : "La "vie" : pataugeauries dans une fosse à purin pour en rapporter de la merde ; l'Homme : chien à qui le destin fait apporter un quelque chose qui flotte à la surface du fumier, chose que, lui, avec le bon sens habituel de la "raison pratique", tient pour de l'or — ne comprenant pas que, dans ce cas, cela coulerait à pic ; ce n'est qu'en le prenant dans sa gueule qu'il se rend compte qu'il ne tient qu'un étron." [156] Ce que le langage enfantin traduit très bien par "C'est caca boudin !" Selon la protivophilie, spécialiste de l'univers de F. Merdjanov, une telle approche coprophile se retrouve dans l'un de ses textes majeurs :
Notes
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