Sikkim
Sikkim (Сиким en macédonien - Sikkim en nissard) Site de rencontre de 2,8 milliards d'hominines [1].
SommaireGéolocalisation protivophileLe Sikkim est un État régional de l'extrême nord de l'Inde, frontalier du Népal à l'ouest, du Bhoutan à l'est et de la Chine au nord. À vol d'oiseau, il est situé à environ 7300 kilomètres à l'est de la rue Catherine Ségurane de Nice, soit environ 6200 kilomètres du monument dédié aux Bateliers à Skopje en Macédoine. En partant par l'ouest de la rue Ségurane, le trajet est beaucoup plus long : environ 32700 kilomètres. Pour les êtres vivants qui ne possèdent pas d'ailes, comme les hominines ou les yacks, le chemin terrestre entre Nice et le Sikkim est plus long. Le détour par la Macédoine ne fait pas grande différence. Que ce soit en passant par la Place Garibaldi, au début de la rue Catherine Ségurane, ou par le bas de la rue qui débouche sur les quais du port de la ville. Le calculateur d'itinéraire de Google Maps propose d'ailleurs de prendre par la rue Martin Seytour, une perpendiculaire à la rue Ségurane située au milieu de celle-ci. Au bout de la rue Seytour, prendre à droite en direction de l'Inde. Le temps estimé par ce simulateur est d'un peu plus de 2000 heures de marche pour parcourir les quelques 9000 kilomètres qui séparent Nice de la frontière du Sikkim. Cela équivaut à 84 jours de marche non-stop pendant 24 heures par jour. Pour des calculs plus précis, la protivophilie postule que l'hominine fait une moyenne réelle de 32 kilomètres journaliers à une vitesse de 5 kilomètres par heures car 32 s'écrit avec un trois et un deux — comme la mesure de distance protivophile, l'acab de 1312 mètres [2] — et que 5 est d'évidence la somme d'un 3 et d'un 2. Avec ces chiffres de référence, le voyage à pied entre Nice et le Sikkim se fait en un peu plus de 280 jours. Ce que confirme les calculs de mathématiques protivophiles pour qui 28 est un multiple de 1312. Le premier est le résultat de la multiplication de 4 par 7, au même titre que 1312 est composé de 4 chiffres dont la somme est 7. Ce mode de calcul ne s'applique pas aux yacks quadrupèdes mais seulement aux hominines bipèdes. Passer par la Macédoine permet d'éviter les Alpes et de contourner les zones de guerre entre Ukraine et Russie. Il faut alors traverser la Bulgarie jusqu'à la frontière avec la Turquie, longer les côtes de la mer Noire jusqu'aux contreforts orientaux du Caucase pour rejoindre l'Iran. Si cela est possible, le chemin le plus court est de rentrer en Afghanistan pour aller au Pakistan. Dans le cas contraire, il est nécessaire de descendre plus au sud pour entrer au Pakistan directement par sa frontière avec l'Iran. Après le passage de la frontière entre le Pakistan et l'Inde, il ne reste qu'un peu plus de 1500 kilomètres de marche. Les hominines faisant ce périple doivent continuer tout droit en conservant toujours en repère la chaîne de montagne de l'Himalaya [3] sur leur gauche. Le simulateur indique qu'il faut se rendre jusque dans la partie nord de l'Inde, là où son territoire est le plus étroit — une vingtaine de kilomètres — coincé entre le sud-est du Népal et l'extrême nord du Bangladesh. Cette zone est le district de Darjeeling, rattaché à la région indienne du Bengale-Occidental. En arrivant dans le "célèbre" village de Naxalbari, prendre légèrement à gauche après le rond-point, en direction de la ville de Darjeeling. L'un est le symbole de la rébellion d'hominines contre leur misère [4], l'autre celui de leur exploitation dans des plantations de thé. Rejoindre ensuite les rives de la rivière Tista, à quelques dix kilomètres à l'est de Darjeeling, et les remonter sur plusieurs kilomètres. La frontière du Sikkim commence au confluent de la Tista et de la Rangit. Le bon état des routes et des chemins n'est pas garanti et, au risque de choquer les plus écologistes des hominines, les zones piétonnes aménagées ou les pistes cyclables sont rares sur l'ensemble du trajet Nice-Sikkim. Dans ses frontières actuelles la superficie du Sikkim est de 7107 km2 — soit moins du double de celle du département franco-niçois des Alpes-Maritimes — pour une population d'un peu plus de 600000 hominines, mâles et femelles. Un peu plus d'un million pour le département maralpin. Au niveau européen, le Luxembourg est trois fois plus petit que le Sikkim, avec une population légèrement supérieure. Le Sikkim est sur les versants méridionaux de la chaîne montagneuse de l'Himalaya et présente l'un des plus fort dénivelé de toute l'Inde. Les altitudes rencontrées du sud au nord du territoire varient de 280 mètres à 8598 mètres. Cette dernière correspond au Kangchenjunga, le premier sommet d'Inde, à cheval sur le Sikkim et le Népal, et le troisième plus haut du monde après l'Everest (8848) entre Népal et Chine, et le K2 (8611) entre Pakistan et Chine. Selon les mythologies locales, ces hauts sommets himalayens sont l'habitat naturel des yétis [5], et, conformément aux traditions de l'alpinisme moderne [6], les plus hautes poubelles connues. Avec tout l'amour de la nature qui les caractérise et l'insouciance joyeuse qui est la leur, les riches touristes adorent en effet y abandonner leurs détritus. La géographie sikkimaise comporte deux dizaines de sommets supérieurs à 5000 mètres — limite des neiges dites "éternelles" dans l'Himalaya — et plus de 200 lacs de montagne. Le plus haut d'entre eux, le lac Gurudongmar, est à 5430 mètres d'altitude. Ainsi que plusieurs dizaines de glaciers dont le Zemu, étendu sur plus de 25 kilomètres et fournisseur officiel de la rivière Tista. Comme le remarque Marjorie Poulet, les glaciers sont en recul avec le réchauffement climatique et cela nécessite de prendre des mesures même minimes. Sportive de haut niveau en patin à glace — championne d'Europe en milieu imposé en décembre 2006 grâce à sa figure inédite du Chicken Slide — et donc très concernée par la fonte des glaces [7], elle refuse, depuis qu'elle a appris que cela fonctionne avec de l'essence, de faire du scooter de mer et préfère maintenant le ski nautique.
Le gigantisme montagneux de la géographie du Sikkim modèle largement l'implantation des hominines. Personne n'habitent dans les zones les plus hautes où la neige et la glace sont permanentes. Les hominines vivent plutôt dans les zones plus tempérées du sud du territoire sikkimais. Les quatre principales villes se situent entre 800 mètres d'altitude et environ 1600 mètres. Gangtok, la capitale du Sikkim, s'étire entre 1400 et 1800 mètres. Le nord montagneux du Sikkim a un climat froid où les températures descendent régulièrement en dessous de zéro la nuit, alors que le sud est plus chaud — entre 0° et 28 selon la saison — et soumis aux pluies de mousson entre les mois de juin et septembre. Selon la Nouvelle géographie universelle de la fin du XIXème siècle après JCⒸ [9] du géopoète Élisée Reclus, "il est très rare que l'on puisse voir l'ensemble des grands sommets se profiler dans un ciel pur. Pendant la mousson d'été, les pluies sont presque incessantes, et même en hiver, lorsque les vents alizés du nord-est dominent dans l'espace et descendent le long des crêtes, un sous courant humide, venant du golfe du Bengale, reflue vers les vallées du Sikkim. Après les averses, des brouillards semblent s'élever des forêts comme une fumée et rampent sur toutes les montagnes : fréquemment, les couches de vapeur qui s'étendent en voile uniforme sur tout le ciel ont plusieurs milliers de mètres d'épaisseur, et les paysages, qui semblent éclairés par les rayons lunaires plus que par la lumière du soleil, prennent un aspect fantastique : on croirait voir, non des montagnes, mais des spectres de montagnes, d'autant plus hauts en apparence que les vapeurs de l'air semblent les éloigner." [10] Ses données démographiques donnent une population de 60000 hominines, mâles et femelles. Plus de 600000 au début du XXIème siècle. Avec seulement 86 hominines au km2, le Sikkim est l’État indien à la plus faible densité. Malgré qu'elle soit probablement la plus nombreuse, les hominines ne sont pas la seule espèce animale à vivre au Sikkim. Suivant que l'on se trouve dans des zones enneigées de montagnes, dans de vastes forêts humides ou dans les plaines, il est possible de croiser des léopards des neiges ou des chats léopards, des canidés sauvages, des marmottes himalayennes ou des pandas rouges, des ursidés et des chats-ours [11], ainsi que plusieurs espèces de bovidés. La plus connue étant le yak. Largement domestiquée depuis des millénaires, cette espèce bovine à poil long est utilisée pour sa chair, son lait, sa laine et ses bouses qui servent de combustibles après séchage. Elle est aussi esclavagisée pour le transport de marchandises, le déplacement d'hominines et le labour. Les yaks sont la plus grosse espèce animale à vivre au Sikkim. HomininisationLes hominines sont une espèce invasive. Issue du continent africain, elle s'est répandue à travers toute la planète. Par la terre, par les mers ou par les airs, la colonisation du globe est progressive mais rapide. La plupart du temps elle est l'une des dernières espèces à s'implanter. La région himalayenne ne fait pas exception. Les yaks, par exemple, sont là depuis plus longtemps. ColonisationDepuis maintenant des milliers d'années, les hominines ont colonisé les régions nord et sud de la chaîne montagneuse de l'Himalaya. Les époques et les modalités de ces colonisations ne sont pas connues avec précision. Les données historiques s'emmêlent aux récits des traditions culturelles et aux mythologies religieuses. Deux récits majeurs dans l'histoire du sous-continent indien, le Mahabharata et le Ramayana , écrits en sanskrit, relatent la naissance des différents dieux et royaumes qui s'affrontent pour le pouvoir. Ces épopées mythologiques sont rédigées, remaniées et compilées entre le IIIème siècle avant JCⒸ et le IVème siècle après. Elles sont les équivalentes de L'Illiade et L'Odysée de l'antiquité grecque ou de l’Ancien Testament qui fonde les mythologies moïsiennes et christiennes [12]. L'Himalaya est personnalisée par le dieu Himavat, roi des montagnes et père de la déesse Ganga qui n'est autre que le fleuve Gange. La chaîne montagneuse abrite, selon ces mythologies, différents royaumes de peuples mythiques. Historiquement, la péninsule indienne est le lieu d'apparition de deux religions majeures, l'hindouisme et le bouddhisme. L'une se structure progressivement sur plusieurs siècles à partir de différents écrits dont les plus anciens remontent au premier millénaire avant JCⒸ, l'autre est héritière de ce qui se raconte autour de Siddhartha Gautama aka Bouddha, un moine errant né dans la plaine du Gange, dans le sud de l'actuel Népal. Au fil de leur invention, bien que différents, ces systèmes mythologiques se sont entremêlés : Bouddha est ainsi parfois considéré comme un avatar d'une divinité pour les adeptes de l'autre mythologie. L'historicité du contenu de ces textes et des hominines qu'ils mentionnent est évidemment loin d'être confirmée. Par exemple, Bouddha est selon les estimations né entre Xème et le Vème siècle avant JCⒸ. Les datations religieuses et leurs versions laïques ont généralement autant de valeur que celle du christien James Ussher qui, au début du XVIIème siècle, calcule que le monde est créé le 23 octobre 4004 avant JCⒸ à 18 heures [13], ou du correctif des fantaisistes Terry Pratchett et Neil Gaiman qui affirment, en 1990, "il ne se trompe que d'un quart d'heure" [14]. Les mythologies hindouiennes et bouddhaïennes fournissent la caution religieuse et spirituelle aux pouvoirs politiques qui s'installent et aux hominines qui s'appuient sur elles pour gérer le quotidien bien réel des autres hominines. Ainsi, des dynasties s'arrogent des droits sur des territoires himalayens et se déclarent souveraines sur les populations qui y habitent. Au nord du Sikkim actuel, sur les hauts plateaux tibétains de Chine, l'empire de Tubo [15] s'appuie sur les croyances en Bouddha pour se maintenir et s'étendre entre le VIIème et la fin du IXème siècle. Avant de se fragmenter. À l'image du sous-continent européen où des familles s'inventent un passé et une légitimité mythiques, où pendant des siècles elles s'unissent entre elles par le jeu des alliances et des mariages jusqu'à la consanguinité, l'Himalaya est parcouru d'une multitude de royaumes concurrents mais interconnectés. Difficile de dissocier les histoires des actuels Népal, Bhoutan, Sikkim, Tibet, Ladakh [16] et autres Mustang [17]. Difficile de dissocier l'histoire des pouvoirs politiques et religieux. Comme dans n'importe quel système politique dynastique et/ou monarchique, la réalité du pouvoir de l'hominine détenant le trône n'est pas primordiale. Ce qui importe, ce sont les apparences. La parentèle, les proches, l'entourage ou les alliances, bref, les bénéficiaires, se chargent de faire fonctionner en cas de nécessité. Que le roi ou la reine aient, comme le formule la psychanalyse, déjà quitté ou non le stade anal dans lequel les enfants jouent avec leur caca et s'en émerveillent. Les mythologies bouddhaïennes bénéficient des échanges commerciaux pour se répandre dans le nord du sous-continent indien et en Asie du nord et du sud-est. Les grandes routes commerciales régionales sont la "route de la soie" entre l'est et l'ouest, au nord de la chaîne himalayenne, et la "route du thé et des chevaux" entre nord et sud de l'Himalaya — appelée aussi "route de la soie du sud-ouest". Produit à l'est de l'actuelle Chine dans les provinces du Sichuan et, plus tardivement, du Yunnan, le thé est largement exporté afin d'être vendu contre des chevaux et divers produits. Les chemins qui partent des régions productrices, se rejoignent à Chamdo pour n'en former plus qu'un. Direction Lhassa, vers l'ouest. Entre le Sichuan et Lhassa, "le sentier s'étend sur environ 2350 kilomètres, passant par 56 relais... Le sentier franchit 15 ponts de cordes et 10 ponts de câble métallique, gravit 78 montagnes dont 11 ayant plus de 2700 mètres de haut et 27 de plus de 1650 mètres. Le voyage d'un bout à l'autre prend au moins trois mois."[18]. En échange de chevaux nécessaires aux royaumes de l'est, les cargaisons de thé sont transportées à pied sur le dos d'hominines ou grâce à des convois de yaks porteurs, plus adaptés aux zones froides d'altitude. Cette voie commerciale est exploitée par les empires et royaumes qui règnent sur le Sichuan et le Yunnan entre les IXème et XVIIème siècles. Puis, en allant vers le sud, l'Himalaya est franchie à 400 kilomètres de Lhassa au niveau du col Nathu à 4310 mètres d'altitude — un peu plus de 3 acab — sur la frontière présente entre le sud-est du Sikkim indien et le Tibet chinois. La roue commerciale du thé se dirige alors vers le golfe du Bengale. Le commerce chevalin décline à partir du XVème siècle et la "route du thé et des chevaux" devient celle du thé et du sel. Le volume de chevaux vendus passe de 15000 par an à la fin du XIVème à environ 5000 un siècle plus tard [19]. Le recul du strict monopole impérial sur le thé profite aux réseaux de commerce privés dans les villes et royaumes qui se trouvent sur la route entre les régions du Sichuan et du Yunnan et le golfe du Bengale. Les versants sud de la chaîne de l'Himalaya sont les territoires de plusieurs petits royaumes. Depuis le début du XIIIème siècle, la dynastie Malla règne sur des vallées de l'actuel Népal et se divise entre les royaumes de Kantipur, Lalitpur et Bhaktapur, jusqu'à son renversement dans la seconde moitié XVIIIème siècle. Depuis le VIIIème siècle, le royaume de Bumthang parvient à conserver une relative indépendance des empires et royaumes du nord et du sud de l'Himalaya, jusqu'à sa transformation en royaume du Bhoutan dans le courant du XVIIème siècle et son expansion au détriment d'autres petits royaumes locaux. Les dynasties qui s'octroient le pouvoir politique sont intrinsèquement liées aux monastères bouddhaïens et à leurs mythologies.
En 1642, Phuntsog Namgyal se proclame premier roi du Sikkim. Il affirme être le cinquième descendant d'un prince du XIIIème siècle, originaire du Kham (province orientale du Tibet), qui est venu dans la région après un rêve lui disant de se rendre dans le sud pour y régner. Hallucination nocturne qu'il interprète évidemment comme étant un message divin ! Selon l'histoire légendaire du Sikkim, Padmasambhava aka Guru Rinpoché, un moine bouddhaïen du VIIIème siècle, a annoncé l'installation d'une monarchie dans les siècles à venir. Le royaume du Sikkim est né et sa capitale est Yuksom. Non originaire du Sikkim, la nouvelle dynastie met en place un système administratif qui s'appuie sur une dizaine de familles de la même origine qu'elle, et passe des accords avec les dignitaires des hominines autochtones pour leur octroyer une part d'autonomie et les intégrer dans le fonctionnement du royaume. Dorénavant, une aristocratie bhutia [21] règne. Les quelques révoltes de lepchas [22] de Yuksom n'y changent rien, et en 1663, un accord est passé entre les dignitaires bhutias, lepchas et limbus [23]. Jusqu'à sa mort en 1670, le nouveau roi consolide les frontières du Sikkim. À l'est, il prend le contrôle de la vallée sino-tibétaine de Chumbi, qui donne accès au col de Nathu, à l'ouest de la rivière Tista il passe des alliances avec quatre royaumes limbus qui deviennent ses vassaux, et au sud il étend le royaume vers l'actuelle province de Darjeeling. Afin de fortifier politiquement ces positions, Tensung Namgyal, son fils et successeur, se lie par le mariage avec trois hominines femelles issues de dynasties tibétaine, bhoutanaise et limbu [24], Debasam-serpa, Numbe Ongmu et Thungwamukma. Il déplace la capitale sikkimaise à Rabdentse. Les querelles de pouvoir entre les lignées monastiques bouddhaïennes dans les provinces tibétaines sont déterminantes pour la région. Les unes s'appuient sur le pouvoir du khanat mongol qui règne au nord alors que les autres misent sur la dynastie mandchoue des Qing, à l'est. Avec l'aide des mongols, la théocratie de l'Ü-Tsang (autour de Lhassa dans le Tibet central) s'entend à l'est sur la province du Dokham, et à l'ouest, après trois années de guerre, s'empare de portions du royaume du Ladakh. Au sud, elle reprend la vallée de Chumbi au Sikkim. Les attaques contre le Bhoutan restent sans lendemains. Fils du roi Tensung Namgyal et de la reine Debasam-serpa, Chakdor Namgyal succède sur le trône du Sikkim en 1700, à l'âge de 14 ans. Pendi Wangmo, son aînée et demi-sœur, ne l'entend pas ainsi. Elle s'allie au Bhoutan, dont sa mère est originaire, pour renverser le jeune roi qui fuit finalement à Lhassa dans l'Ü-Tsang. La capitale Rabdentse est prise par les forces armées bhoutanaises. La reine Pendi Wangmo se maintient au pouvoir jusqu'en 1707, date à laquelle Chakdor Namgyal reprend les rênes de la dynastie grâce à l'aide de ses protecteurs de l'Ü-Tsang. Les armées bhoutanaises se retirent à l'est de la rivière Tista. Chakdor Namgyal est uni par le mariage avec une hominine femelle de l'Ü-Tsang et une du royaume du Mustang. Il est parfois considéré comme le créateur de l'alphabet lepcha, dérivé du tibétain. Assassiné à l'instigation de sa demi-sœur — qui est exécutée pour cela —, Chakdor Namgyal meurt dix ans plus tard en 1717 et laisse la place à son jeune fils Gyurmé Namgyal, âgé de 10 ans, dont le règne dure jusqu'en 1733. Durant cette période, le royaume de Gorkha [25] (centre du Népal) lance plusieurs attaques contre le Sikkim. Des travaux de fortification sont entrepris dans la capitale sikkimaise Rabdentse. Gyurmé Namgyal meurt sans héritier légitime et — selon les autorités monastiques bouddhaïennes qui souhaitent la continuation de la dynastie — indique avant de mourir qu'une nonne d'un monastère attend un enfant de lui. Sous le nom de Püntsok Namgyal II, cet enfant né en 1733 n'est reconnu légitime qu'en 1741. Cette succession est contestée, une partie de l'aristocratie et ses alliances prennent le pouvoir entre 1738 et 1741. Sous son règne, le royaume du Sikkim est affaibli par les assauts expansionnistes des royaumes de Gorkha et du Bhoutan, et par le renoncement des royaumes limbus à leur alliance avec la dynastie royale. Le Bhoutan occupe l'est du territoire sikkimais dans le milieu du XVIIIème siècle. Entre 1771 et 1774, le royaume de Gorkha prend le contrôle des anciens vassaux limbus du Sikkim et de la capitale Rabdentse, jusqu'à la rivière Tista. Un traité de paix est signé en 1775. Püntsok Namgyal II règne jusqu'à sa mort en 1780. La quasi totalité du Sikkim occidental est sous le contrôle du royaume de Gorkha. Le nouveau roi Tenzin Namgyal est contraint de fuir à Lhassa en 1788. Tsukpü Namgyal, son fils et successeur, rentre au Sikkim en 1793.
ColonialismesL'expansionnisme du royaume de Gorkha se heurte aux intérêts économiques de la Compagnie britannique des Indes Orientales. Créée en 1600, cette compagnie commerciale vise à développer les échanges entre le royaume britannique et les "nouveaux territoires" de l'Asie du sud-est en négociant avec les royaumes et empires locaux. Elle concurrence directement les entreprises similaires des portugais, français, néerlandais et danois, et les évince doucement. Dans un premier temps, la Compagnie des Indes orientales gère des comptoirs commerciaux avant de devenir au cours des XVIIème et XVIIIème siècles une véritable entité politique, embryon du futur empire colonial britannique sur le sous-continent indien. Son expansion est autant le fait de négociations avec des autorités locales que de guerres menées contre les récalcitrants. L'entreprise commerciale britannique est monomaniaque jusqu'à l'extrême. Elle veut le libre accès aux marchandises exportables et le monopole sur les importations. La fin justifie les moyens. La guerre que se mène entre 1814 et 1816 les armées de la compagnie des Indes orientales et celles du royaume de Gorkha se termine par la reddition de ce dernier. Un premier traité est ratifié en mars 1816 par lequel le royaume himalayen s'engage à se retirer des régions conquises au sud et à l'ouest et du Sikkim à l'est [27]. En février 1817, la compagnie britannique et le roi du Sikkim signent le traité de Titalia. La restitution des territoires sikkimais par le royaume de Gorkha est confirmée et la sécurité du Sikkim est garantie directement par les autorités britanniques, en échange d'un libre accès à la frontière avec la Chine de la dynastie Qing [28] — depuis la fin du XVIIIème siècle, sous le nom de Tibet, l'Ü-Tsang est sous domination de cette dynastie. La capitale sikkimaise est déplacée à Tumlong dans l'est du royaume. Les rivalités internes à la dynastie sikkimaise sont à leur comble en 1826 lorsque le roi Tsugpü Namgyal fait assassiner Bolok, son premier ministre et oncle. La parentèle de ce dernier et plus de 800 familles s'installent à la frontière occidentale où est proclamé un éphémère royaume "alternatif" du Sikkim. Illes lancent des razzias contre les autorités et revendiquent la région de Darjeeling. Dans la décennies 1830, les autorités britanniques obtiennent la location au Sikkim d'une zone de 40 kilomètres sur 10 dans la région de Darjeeling. Leur but est d'en faire une région touristique de sanatoriums pour les riches britanniques [29]. Avec la perte de son monopole sur le commerce du thé avec la Chine en 1833, la Compagnie des Indes orientales lance des expérimentations pour cultiver du thé dans cette région. Avec succès. Prétextant l'enlèvement de deux britanniques par le Sikkim en novembre/décembre 1849, le surintendant Archibald Campbell et le botaniste Joseph Dalton Hooker, les autorités annexent environ 1700 km2 du sud de son territoire, entre les rivières Mechi et Tista. La région de Darjeeling n'est plus sikkimaise. En 1852, Archibald Campbell a fait construire plus de 70 maisons de "style européen", un grand marché, une prison et des routes d'accès. Avec les nouvelles activités économiques, la population est passée d'une centaine à plus de 100000 en une décennie. Les grandes plantations de thé implantées dans les années 1840 nécessitent aussi une main-d'œuvre importante. Des hominines arrivent par milliers du royaume du Népal (ex-Gorkha), du Bhoutan et du Sikkim. De 1850 à 1870, le nombre de plantations passe à une cinquantaine, employant un peu moins de 10000 hominines. Une centaine à la fin du siècle pour environ 64000 hominines y travaillant. La production ne cesse d'augmenter : 39 plantations pour 21 tonnes en 1866, 56 sur 4400 hectares et 71 tonnes en 1870, et 113 sur 6000 hectares en 1874 [30]. En mars 1861, le traité de Tumlong entre les autorités britanniques et sikkimaises place le royaume du Sikkim dans une sorte de protectorat et le titre de Maharaja du Sikkim est créé pour le roi. Les britanniques s'autorisent à intervenir dans les affaires intérieures du royaume si besoin et, en vertu de l'article 8, toutes les restrictions sur les voyages et le commerce des britanniques sont abolies. Les marchandises sont exonérées de droits de douane, sauf celles qui transitent par le pays à destination du Tibet, du Bhoutan et du Népal [31]. Le diplomate britannique Richard Temple différencie, en 1875, un Sikkim britannique d'un Sikkim autonome : "Le Sikkim britannique se compose de deux régions bien définies et distinctes, la plaine et la montagne, cette dernière s'élevant brusquement de la plaine à 6000 et 10000 pieds d'altitude. Les montagnes sont une partie de l'Himalaya extérieur et la plaine une partie du Murung ou Tarai, la grande bande de forêt qui s'étend au pied de l'Himalaya. Le Sikkim indépendant, d'une superficie de 2500 miles carrés, est cependant entièrement constitué de montagnes, qui sont des éperons s'enfonçant dans les puissants bassins hydrographiques limitrophes, où s'élèvent les sources de la Tista et de ses affluents ; les gorges profondes créées par ces fleuves sont ses seules vallées." [32] À la suite du traité de Tumlong, le roi Tsugpü Namgyal laisse le trône à son fils Sikyong Namgyal, dont la mère est la sœur du principal dignitaire bouddhaïen du Tibet. À sa mort en 1874, sans descendance, son demi-frère Thutob Namgyal lui succède et épouse sa veuve [33]. Pour les britanniques, il est officiellement le nouveau Maharaja du Sikkim. Thutob Namgyal désapprouve la politique d'importation massive de main-d'œuvre du Népal par les britanniques qui fait basculer le ratio démographique en défaveur des autochtones bhutias, limbus et lepchas. Désireux d'augmenter son influence politique et les bénéfices économiques qu'il en tire, le Royaume-Uni britannique se lance en 1884 dans la construction d'une route carrossable en direction du col Jelep, point de passage vers le Tibet chinois, pour rejoindre Lhassa. En réponse à cette prise de contrôle, 300 militaires sino-tibétains sont envoyés en 1886 au Sikkim dans la région du col Jelep, y construisent un fort et occupent le village de Lingtu, à une vingtaine de kilomètres en territoire sikkimais. Proche des dignitaires bouddhaïens du Tibet, de 1885 à 1887 le maharaja sikkimais réside au Tibet chinois, malgré l'interdiction d'y séjourner plus de trois mois d'après les termes du traité de Tumlong de 1861. Afin de restaurer leur autorité, les britanniques envoient un détachement militaire en mars 1888 pour déloger les sino-tibétains. Fin septembre ils ont repris le contrôle. Sans les autorités sikkimaises et tibétaines, le Royaume-Uni britannique et la Chine de Qing signent un traité en 1890 à Calcutta dans lequel est fixée la frontière entre le Tibet et le Sikkim. La vallée de Chumbi est incorporée au Tibet chinois. Selon l'article premier, "la frontière du Sikkim et du Tibet sera la crête de la chaîne de montagnes séparant les eaux qui se déversent dans la Tista du Sikkim et ses affluents des eaux qui se déversent dans le Mochu tibétain et, vers le nord, dans d'autres rivières du Tibet. La ligne commence au mont Gipmochi, à la frontière du Bhoutan, et suit la ligne de partage des eaux susmentionnée jusqu'au point où elle rejoint le territoire népalais." [34] En 1893, les britanniques y annexent un Règlement concernant le commerce, les communications et les pâturages. Un comptoir commercial est installé dans la vallée de Chumbi. Le but principal des britanniques est de s'assurer un libre accès au commerce avec la Chine, via le Tibet, afin d'y vendre des produits manufacturés, du tabac, des céréales et du thé. La capitale du protectorat britannique du Sikkim est déplacée en 1898 à Gangtok, proche des cols Nathu et Jelep, points de passage vers la vallée de Chumbi. Après plusieurs tentatives de forcer la main aux autorités tibétaines et chinoises pour faciliter toujours plus le commerce, la diplomatie britannique modifie sa tactique. Elle semble craindre l'influence de la Russie, l'un de ses principaux concurrents entre l'Asie centrale et la Chine. En décembre 1903, 500 militaires franchissent le col Jelep et entrent au Tibet. En plus de britanniques, l'armée emploient des gurkhas (népalais) et des sikhs [35]. Très mal protégés par les amulettes d'invincibilité fournies par les moines bouddhaïens, et munis d'un armement moins moderne, les soldats tibétains sont défaits après plusieurs mois de guerre. Entre 2000 et 3000 morts de leur côté contre seulement quelques dizaines pour les assaillants. En août 1904, ils entrent dans Lhassa. Le 7 septembre 1904, un traité est signé entre la Grande-Bretagne et le Tibet. La Chine n'est pas représentée lors de ces "négociations". Les termes de ce traité réaffirment les frontières Tibet-Sikkim fixées par le traité de Calcutta de 1890 et octroient le droit, pour les britanniques, d'occuper pendant 75 ans la vallée de Chumbi et trois villes sont ouvertes au commerce des produits britanniques entre le sud de l'Himalaya britannique et le nord sino-tibétain. En plus de Yatung dans la vallée de Chumbi, après les cols Nathu et Jelep, Gyantse à mi-chemin de Lhassa, et à l'ouest, Gartok dans le Ladakh [16]. Selon un alinéa de l'article 9, le Royaume-Uni impose au Tibet de "n’accorder à aucune puissance étrangère ou aucun sujet d’une puissance étrangère la concession de chemins de fer, routes, télégraphes, mines ou autres droits" [36]. Une continuité de la rivalité géostratégique entre la Russie et le Royaume-Uni britannique, que les spécialistes appellent le "Grand Jeu". Renégociée au profit de la Chine, à qui le Royaume-Uni britannique reconnaît une autorité sur le Tibet, la frontière entre le Tibet chinois et le Sikkim britannique est avalisée en avril 1906 par la Chine qui, en retour, reconnaît de fait l'autorité britannique sur le Sikkim [37]. Des méandres diplomatiques finement analysés par l'hystérien de la géopolitique Didier Super dans son ouvrage — au titre un tantinet provocateur pour un travail universitaire — Rien à foutre :
Thutob Namgyal meurt en 1914. Son fils Sikyong Tulku Namgyal lui succède pour un court règne (février-décembre 1914). Après cette mort prématurée, il laisse la place à son demi-frère cadet Tashi Namgyal qui prend les rênes de la dynastie. Alors que l'empire des Indes britannique se décompose en 1947 entre l'Inde et le Pakistan, sur une base religieuse, le Sikkim fait partie des territoires qui refusent leur intégration dans l'un ou l'autre. Il conserve son indépendance. NéocolonialismeAux Indes britanniques succèdent le 15 août 1947 deux Dominions, le Pakistan et l'Inde. Officiellement ils sont deux royaumes du Commonwealth britannique jusqu'à leur indépendance formelle. En janvier 1950 pour l'Inde et en mars 1956 pour le Pakistan. Entre 1947 et 1950, le dominion indien prend forme et une constitution doit aboutir à une république fédérale. Dans cette période, au Sikkim la vie politique se structure autour de la problématique d'être dans cette Inde républicaine à venir ou former un État-nation indépendant. Plusieurs approches s'affrontent. Le Congrès de l'État du Sikkim, à l'image du parti du Congrès en Inde, prône le rattachement au système fédéral et républicain, devenir à terme un des États fédéraux et abolir la monarchie sikkimaise. La Conférence Populaire Nationale demande le rattachement au Bengale des régions peuplées d'hominines d'origine népalaise, la majorité de la population du Sikkim. En 1949, le Parti National du Sikkim défend l'idée d'une monarchie constitutionnelle et l'indépendance du Sikkim. Il est constitué de lepchas et de bhutias, minoritaires au Sikkim. Un accord est signé en 1950 entre le roi sikkimais Tashi Namgyel et l'Inde, où celle-ci reconnaît l'indépendance relative du Sikkim. Le royaume du Sikkim devient officiellement un "protectorat" de l'Inde qui garde le contrôle de ses affaires extérieures, sa défense, sa diplomatie et ses communications. À l'issue des premières élections législatives, en 1953, un gouvernement de coalition est formé. Seulement 30% d'hominines en âge de le faire ont pris part au vote. La vie politique est polarisée entre le Parti National du Sikkim et le Congrès de l'État du Sikkim, jusqu'à l'apparition d'une dissidence, le Congrès National du Sikkim (CNS) dans le début des années 1960. Monarchie constitutionnelle, le Sikkim donne de la place à l'autorité royale. Lors du premier scrutin de 1953, sur les 18 hominines siégeant à l'assemblée, 12 le sont par le vote et 6 sont à la discrétion du roi. Parmi les 12, 6 doivent appartenir à la communauté népalaise et 6 aux communautés lepchas et bhutias. En 1958, le nombre de sièges passe à 20. Quatre de plus en 1966. Avec ce nouveau découpage, le roi nomme 7 personnes de son choix, la "communauté" népalaise est représentée par 7 sièges, idem pour la lepcha-bhutia, un revient pour la limbu, un pour les moines et un pour une caste. Le roi Tashi Namgyal meurt en 1963 et son fils Palden Thondup Namgyal lui succède. Alors qu'il n'est encore que prince héritier, Palden Thondup Namgyal se marie en 1963 avec une jeune étudiante étasunienne rencontrée quatre ans plus tôt à Darjeeling. Hope Cooke [39] est alors de 17 ans sa cadette. Elle renonce à sa nationalité étasuno-américaine pour un mariage conforme à la législation sikkimaise. Le conte de princes & princesses s'ébranle. Au couronnement en 1965, le roi Palden Thondup Namgyal et la reine Hope Cooke se cocufient déjà joyeusement. Sujet idéal pour la presse "people" de l'époque. Que ce soit pour ses aspects lointains, inaccessibles et mystérieux, ou pour les frasques d'un fils de la monarchie et d'une fille de la mondanité, le Sikkim n'est alors pas totalement inconnu du lectorat de Point de Vue. Images du Monde [40]. Des sommets qui font rêver et tourner des têtes. Ce qui confirme Louis Aragon en 1958 dans la rubrique "Courrier des lecteurs" :
Aux élections de 1967, le Congrès National du Sikkim prend 8 des 24 sièges. En 1970, année de naissance de F. Merdjanov, le Parti National du Sikkim inverse la tendance et occupe 8 sièges. Le Congrès National du Sikkim en perd cinq. Sa dissidence, le Parti Populaire du Sikkim se rapproche du Congrès de l'État du Sikkim pour former le Congrès Populaire du Sikkim en 1972. Mais pour les élections de 1974, il y a un grand rabibochage et le Congrès National du Sikkim remporte 31 sièges sur 32 face au Parti National du Sikkim qui n'en obtient qu'un seul. La monarchie et ses soutiens ont du plomb dans l'aile. La valse des partis politique est un amusement universel et les petits arrangements une coutume internationale. Au Sikkim ou ailleurs, exception faite des prisons [42], personne ne semble porter attention aux recommandations de Jeremy Bentham deux siècles plus tôt :
Le contexte régional est tendu pour le petit royaume du Sikkim. En 1951, l'armée chinoise entre au Tibet et l'occupe. La frontière avec le Sikkim est fermée. Au cours des années suivantes, la Chine tente de réformer la structure féodale et de redistribuer les terres au profit des plus pauvres. La théocratie bouddhaïenne est mise à mal. À l'est du Tibet, dans le Kham, la révolte éclate de 1955 à 1956 contre la présence chinoise. Les guerriers khampas (qui habitent le Kham) affrontent l'occupant [45]. Elle s'étend à l'Amdo en 1957 et 1958. Une Armée Nationale Volontaire de Défense mène ses opérations de guérilla contre l'armée chinoise. Toujours partant pour contrecarrer des communistes [46], les États-Unis d'Amérique font parvenir de l'aide aux guérilleros, parfois via le Sikkim. Des centaines de combattants tibétains sont formés et du matériel est envoyé. La révolte dans l'Ü-Tsang en 1959 se solde par la fuite des autorités politico-religieuses et l'exode de plus de 80000 hominines de l'Ü-Tsang vers les pays alentours dans les trois années qui suivent. Beaucoup fuient par la vallée de Chumbi. Direction le Bhoutan et le Sikkim. Que ce soit en formant de petits groupes de guérilla qui s'infiltrent à partir du Mustang ou le parachutage de guérilleros entre 1957 et 1961 [47], les États-Unis d'Amérique poursuivent leur aide jusqu'en 1965. Sans succès. Héritage de la colonisation britannique, la frontière entre l'Inde et la Chine est une source de conflits. L'une construit des postes militaires dans les zones contestées alors que l'autre critique ouvertement les frontières avec le Sikkim, le Bhoutan et le Ladakh [16]. En octobre 1962, l'armée chinoise envoie 80000 militaires à l'assaut de l'Aksai Chin, une partie de l'ancien Ladakh, aux frontières disputées entre Chine, Inde et Pakistan, et dans l'extrême nord-est indien, l'actuel État d'Arunachal Pradesh. L'armée indienne est en déroute. En novembre, la Chine proclame un cessez-le-feu. Elle conserve l'Aksai Chin et se retire du nord-est indien. L'état d'urgence est décrété dans le Sikkim et les élections prévues sont annulées. Dans les années 1960, les tensions sont vives aux frontières entre Sikkim, Bhoutan et Chine car cette dernière revendique le sud de la vallée de Chumbi, la région de Doklam [48] au Bhoutan. Échaudée par sa défaite de 1962, l'Inde renforce sa présence militaire aux frontières avec la Chine [49]. À la frontière sikkimo-tibétaine, de part et d'autre du col Nathu, les militaires indiens et chinois ne sont séparés que de quelques dizaines de mètres. Malgré le statu-quo, de petits affrontements sont relevés à partir de 1963 sur cette frontière et, en septembre 1965, la Chine réitère sa demande de retrait des militaires indiens du col Nathu. Mi-août 1967, des tranchées sont creusées par les militaires chinois du côté sikkimais du col. En rétorsion, les militaires indiens érigent des barbelés le long de ce qu'ils pensent être la "vraie" délimitation entre les deux pays rivaux. Ce face à face dégénère en affrontement direct en septembre. En octobre, un peu plus au nord, c'est le col Cho qui est le lieu des accrochages armés. Cette seconde guerre sino-indienne fait, selon les chiffres de l'Inde, une centaine de morts de part et d'autre, et selon les chiffres de la Chine, plusieurs centaines côté indien et quelques dizaines côté chinois [50]. Le sort du Sikkim et une hypothétique intégration à l'Inde divise profondément la vie politique sikkimaise et clive les populations de la majorité népalaise, et celles des minorités bhutias, lepchas, limbus et autres autochtones dans les années 1960. À la demande du roi, un documentaire est réalisé en 1971 par le cinéaste Satyajit Ray. Intitulé Sikkim [51], le parti pris est celui de l'indépendance. Cela ne change rien. La monarchie est de plus en plus contestée et les adeptes d'un ralliement à l'Inde sont de plus en plus. L'influence du Congrès National du Sikkim est toujours plus forte. Les manifestations réclamant la fin de la monarchie et le ralliement à l'Inde se multiplient. Le début des années 1970 est un bouleversement pour le Sikkim [52]. Dans un style Point de Vue. Images du Monde, le journal des stars, l'article de Wikipédia sur Hope Cooke précise que "en 1973, le pays et leur mariage s'effondrent et le Sikkim est fusionné avec l'Inde". Triste nouvelle ? Le couple royal se déchire toujours plus et l'Inde envoie des militaires en avril 1973 pour "sécuriser" la situation explosive. Faut-il aussi décapiter Grace Kelly s'interrogent peut-être les hominines du hameau de Rien ? Le Congrès National du Sikkim remporte les élections d'avril 1974. Le 9 avril 1975, le parlement sikkimais vote l'abolition de la monarchie et l'entrée dans l'Inde. Le roi et ses proches sont en résidence surveillée au palais. Selon les résultats officiels, le référendum organisé le 14 avril donne un résultat de 60% des hominines votant en faveur du rattachement à l'Inde, plutôt que pour l'indépendance. La reine quitte le pays, en compagnie de ses deux enfants. "Quel soulagement. Lady Di est libre", vu du hameau de Rien. Le 16 mai, le parlement de l'Inde avalise l'entrée du Sikkim dans la république indienne. Le Sikkim devient ainsi le 22ème État composant l'Inde post-britannique. La Chine ne reconnait ni les résultats du référendum, ni ce qu'elle considère comme une annexion du Sikkim par l'Inde. La frontière entre le Sikkim indien et le Tibet chinois est totalement close. Le site de rencontre est fermé. Réfugiée aux États-Unis d'Amérique, Hope Cooke obtient le divorce en 1980. La belle histoire prend fin. Aussi triste et abasourdi qu'en découvrant la mort de Ramsès II, Louis XVI ou Catherine Deneuve, le lectorat des mondanités est probablement ravagé par celle du roi Palden Thondup Namgyal d'un cancer en 1982. La tristesse est bien souvent éphémère et la protivophilie n'a pu mettre en évidence un quelconque traumatisme persistant parmi les hominines face à "terrible" cette nouvelle. Pas plus que d'impact traumatique dans la communauté protivophile à l'idée de la mort du roi Charles III [53] d'un cancer des gencives, lui pour qui "ses valets doivent mettre du dentifrice sur sa brosse à dent chaque matin." HomininitéLe narratif de l'histoire d'un pays exclue toujours l'écrasante majorité des hominines qui y vivent. L'historiographie nationale n'est pas très inclusive. Elle raconte les boires et déboires de celleux qui ont les rênes en main et le fouet à la ceinture, celleux qui pensent que ce qui est bien pour elleux est bien pour les autres ! Celleux qui déclenchent les guerres bien plus qu'illes ne les subissent. Des hominines, mâles et femelles, qui se persuadent de leur propre importance pour la communauté des hominines. L'Histoire ne retient rien des anonymes, de la masse des hominines. L'invisibilité du plus grand nombre. Il n'existe pas de royauté s'il n'y a personne sur qui régner. Et le Sikkim ne fait pas exception. Impossible néanmoins de penser écrire l'histoire de chaque hominine. Il faut les débusquer derrière les catégories qui les désignent et les décrypter. Dans un monde où le modèle est la "réussite sociale", il est plus logique de connaître les noms de sommités de la politique, de la finance, des lettres ou toute autre situation de prestige, plutôt que ceux des hominines anonymes qui les suivent, les enrichissent et les lisent. Raisonnement protivophilement illogique qui doit se comprendre comme une illogie provophilique. Pour la protivophilie, l'inverse est vrai ! Quel intérêt pour un étude des conditions de travail, par exemple, de savoir que les présidents Sadi Carnot ou John Kennedy sont tués lors d'un "simple" [54] accident de travail et ignorer le nom de milliers d'autres hominines qui en meurent aussi régulièrement ? Quel étrange logique de s'intéresser à Bernard Tapie ou à la famille Kardashian [55] qui profitent, orientent et malmènent le monde et oublier les hominines qui les font vivre et en souffrent ? L'anonymat tue-t-il ? Que de rues, de boulevards et de places nommées en hommage à tel ou telle, mais aucune "Rue inconnue" et autre "Place de l'anonymat". Intersectionnelle par essence, la protivophilie ne peut que constater qu'il y a plus anonyme que l'anonyme : Sa femme ou sa fille. Difficile alors de trancher sur le meilleur choix à faire : "Rue de la femme inconnue" ou "Rue de l'inconnue". "Rue de la femme de l'inconnu" dans le cas où l'anonyme est un hominine mâle. Si ce terme désigne une hominine femelle, il convient d'ajouter parmi les possibilités "Rue de la femme de l'inconnue". La problématique est similaire lorsque l'anonyme de l'anonyme est sa fille et les possibilités sont identiques. La "Rue de la fille de l'inconnu" est parfois confondue avec la "Rue de la fille de l'inconnue" car, pour des raisons biologiques, l'anonyme est mâle ou femelle. L'utilisation de "anonyme" pour son côté épicène est préconisée tout en gardant à l'esprit que cela invisibilise l'une des deux personnes et réduit la diversité des noms de rue. "Rue de l'anonyme" risque d'être confondue avec celle de la fille ou de la femme de l'inconnu ou avec celle de l'inconnue elle-même. Idem avec sa mère ou sa sœur.
CatégorisationsLa macédoine que constitue le Sikkim actuel est le résultat de la longue homininisation de la région. Au fil des siècles, les populations d'hominines se sont imbriquées, côtoyées ou mélangées. Elles se sont affrontées, réconciliées, unies ou ignorées, selon les circonstances. Elles se sont singularisées les unes des autres, tout en s'abreuvant mutuellement. Les discours identitaires ne se basent pas sur des données immuables mais se construisent progressivement pour répondre à des situations politiques changeantes [57]. Les différences ne sont pas aussi marquées que semblent l'indiquer les catégorisations "ethnico-culturelles" qui évoluent dans le temps. Dans un premier temps outils coloniaux, la linguistique, l'anthropologie et l'étude des religions, se sont avérés utiles pour les autorités du Sikkim indépendant et polarisatrices de la vie politique interne, puis pour définir une réponse dans le contexte d'un Sikkim devenant indien [58]. La définition des "identités" est un enjeu politique bien plus que scientifique [59]. Selon les premiers chiffres établis dans les années 1870, la population d'hominines du Sikkim est alors de 50000 personnes, réparties selon une catégorisation "ethno-linguistique" : 25000 lepchas, 15000 bhotias et 10000 limbus. Mâles et femelles compris. Rien n'indique qu'il faille prendre ses chiffres pour vrais. Dans leurs colonies des Indes, les autorités britanniques mettent en place un système de recensement fondé sur des critères aussi différents que les langues, les religions ou les castes. Elles tentent d'identifier les composantes sociales des sociétés de l'empire indo-britannique. Elles veulent dénombrer la population en "communautés" différentes. Lors du recensement de 1891, outre les trois communautés lepcha, bhotia et limbu, les autorités britanniques indiquent la présence au Sikkim de 11 autres communautés. Certaines sont issues des migrations et des installations qui suivent les guerres avec le royaume gorkha, puis népalais, d'autres sont autochtones, et quelques unes répertoriées en tant que castes. Sur un total de presque 30500 hominines, les trois communautés lepcha/bhotia/limbu ne représentent plus qu'un peu moins de la moitié de la population sikkimaise. Respectivement 18,9%, 16% et 11%. Un siècle plus tard, en 1991, les hominines du Sikkim sont 406500 et les communautés répertoriées sont au nombre de 25. Parmi les critères des recensements figurent la mention de "caste" et de "tribu", en référence au statut légal particulier réservé à ces populations d'hominines. En 1950, une liste établie la reconnaissance de 1108 castes et de 744 tribus à travers l'Inde nouvellement indépendante. Héritière de la législation coloniale britannique, cette reconnaissance de leur existence est censé améliorer, au du moins atténuer, leurs conditions sociales défavorisées. Héréditaire, le système de castes est ségrégationniste et hiérarchique. Les plus basses sont celles des misérables et les pouvoirs politiques et religieux misent sur une forme de discrimination positive. Plutôt que d'interdire le système de caste, évidemment. Idem pour les tribus. Sont définies comme telle des populations d'hominines ne bénéficiant pas d'une reconnaissance légale comme langue officielle d'un des États constituant l'Inde, de groupes d'hominines ayant des "modes de vie traditionnels", des populations démographiquement faibles ou en déséquilibre, celles qualifiées d'aborigène [60]. La liste a été remaniée plusieurs fois et adaptée. Les populations lepchas et bhotias sont inscrites sur cette "Liste des tribus répertoriées". La catégorie "bhotia" inclue l'ensemble des différentes populations sino-tibétaines, bhotias à proprement dit et huit autres. Les sherpas, par citer les plus célèbres. Les catégories "tamang" [61] et "limbu" sont ajoutées en 2003 [62]. Cette inscription sur la liste des tribus fait office de certificat d'autochtonie [63]. Une équivalence pour hominines de l'indication géographique protégée (IGP) généralement donnée à des fromages locaux et autres produits du terroir [64]. Pour ces trois tribus, les données du recensement de 2011 sur les langues parlées indiquent que le Sikkim indien abrite une population à 6,86% bhotia, 6,34% limbu et 6,27% lepcha. Soit environ 50000 chacune. La communauté sherpa représente 2,4% de la population sikkimaise. Selon ce critère linguistique, la plus importante population du Sikkim est celle se réclamant de langue népalaise. Presque 63%. Ce chiffre englobe plusieurs castes et des hominines qui, au Népal même, se différencient entre elleux sur des critères ethnolinguistiques. La corrélation entre pratique linguistique et auto-désignation ethnoculturelle n'est pas systématique. À l'échelle de l'Inde, les centaines de tribus représentent environ 6% de la population totale estimée à plus de 1,2 milliards d'hominines mâles et femelles. À cette échelle, celles du Sikkim représentent à peine 0,0064% chacune. Presque rien. Le démographe Victor Hugo, spécialiste des moins-que-rien, résume la situation dans ses travaux sur le Rhin :
Toutes les castes, tribus ou langues présentes au Sikkim sont aussi présentes en Chine, au Népal, au Bhoutan et dans les régions limitrophes du nord de l'Inde. Plus de 400000 limbus au Népal et presque 50000 dans le nord de la province indienne du Bengale occidental. Quelques milliers d'hominines s'identifiant "lepcha" au Népal, au Bhoutan et dans le Tibet chinois, et plus de 15000 dans les régions indiennes de Darjeeling et de Kalimpong, frontalières avec le Sikkim. Situation similaire pour la catégorie "bhotia". Plus de 10000 au Népal et environ 5000 au Bhoutan. Un peu plus de 4000 au Bengale occidental. Idem pour les autres communautés officielles, castes ou langues. Partout présentes dans les alentours du Sikkim. Aujourd'hui, la législation stipule que l'anglais, le népali, le lepcha et le sikkimais (bhotia) sont langues officielles de l’État indien du Sikkim. Les autres langues reconnues le sont dans le cadre de mesures de protection des traditions culturelles du pays. L'autre critère important dans les recensements britanniques, puis indiens, est celui de la pratique religieuse. Avec l'instauration de la monarchie sikkimaise au XVIIème siècle, les mythologies bouddhaïennes sont religion officielle d’État et les plus répandues parmi la population. Le territoire est parsemé de plusieurs dizaines de monastères. Depuis son apparition et sa diffusion dans les alentours himalayens entre les VIIème et IXème siècles, cette religion a dû cohabiter avec d'autres. Il existe des religions anté-bouddhaïennes, dites traditionnelles, parmi plusieurs des communautés du Sikkim : bön pour les bhotias, mun pour les lepchas et mundhum pour les limbus. Formes dérivées de chamanisme et d'animisme, ces religions construisent un imaginaire où les éléments de la nature environnante, minérale, végétale et animale, sont les personnages indissociables des hominines dans des mythologies naturalistes. Malgré leur singularité, elles subissent au fil des siècles des influences bouddhaïennes grandissantes. Elles se livrent parfois à du syncrétisme dans lequel la figure imaginaire de Bouddha est intégrée. Idem pour les mythologies christiennes. Quitte à tout baser sur des personnages à l'existence incertaine, elles n'hésitent pas à se saisir du célèbre Jésus aka ChristⒸ et son inénarrable couche-culotte — tenue très peu adaptée au froid de l'Himalaya. Ce dernier fait son entrée dans l'imaginaire local au cours du XIXème siècle après l'installation de fanatiques, arrivant d’Écosse britannique pour convertir les populations de la région. Leur but est de faire admettre que leur histoire triste est la seule à être vraie. Le succès est mitigé. Pas crédules et pourtant pleines d'imagination, les populations locales hésitent à prendre trop au sérieux cette histoire d'une divinité malsaine qui engendre un fils simplet, le petit JCⒸ, pour l'offrir ensuite en sacrifice aux hominines et le regarder se faire longuement torturer. Il est humilié en public, accroché à une croix, avec pour seul vêtement une simple couche-culotte en tissu [66]. Un dieu d'amour qui noie sous un déluge d'eau l'ensemble du vivant simplement parce qu'il est vexé. Qui rase des cités entières pour des histoires de cul et provoque des génocides lorsque des hominines ne suivent pas des recommandations qu'illes n'ont jamais demandé à suivre. Il a tout du pervers narcissique. La psychopathie du personnage est manifeste. Trop de Booba, pas assez de Bouddha pour se faire une place. Côté divinité exterminatrice, les mythologies hindouiennes fournissent déjà de la matière. Les religions "traditionnelles" ne représentent qu'une très faible partie des croyances du reste de la communauté. En 2011, le recensement indique que seulement 2,67% de la population s'en réclament. Il n'y a pas de corrélation entre des appartenances culturelles ou linguistiques et les religions pratiquées. Se dire lepcha ou limbu ne signifie pas nécessairement parler telle ou telle langue, pratiquer telle ou telle religion. L'histoire a rendu possible le fait de se dire lepcha, tout en parlant une autre langue et en se disant adeptes des mythologies christiennes ou bouddhaïennes. Aujourd'hui, les croyances dans les racontars christiens sont assumées par presque 10% de la population actuelle du Sikkim, et par plus de 27% pour les bouddhaïens. Plus de 57% se réclament des mythologies hindouiennes. Cette hégémonie s'explique par l'arrivée progressive d'hominines dans le sillage de l'expansionnisme du royaume gorkha et de la main-d'œuvre népalaise installée lors de la colonisation britannique. Toujours en 2011, sur les 610577 hominines – 323070 mâles et 287507 femelles — vivant au Sikkim, 1828 d'entre elleux — 874 mâles et 954 femelles — sont dans la case "Religion non spécifiée", moins de 0,3% de la population. Ces adeptes de rien sont invisibles dans les précédents recensements. Stratifications socialesSelon le système politique et administratif mis en place par la dynastie Namgyal dans le courant du XVIIème siècle, le Sikkim est divisé en une douzaine de domaines dont la gestion est donnée à des membres des aristocraties lepcha et limbu. La fonction de kazi est héréditaire. Ils ne sont pas propriétaires de leurs circonscriptions car l'ensemble de la terre demeure propriété royale. Toute personne est autorisée à s'installer librement pour y faire de l'agriculture ou de l'élevage, et seule l'autorité royale peut l'en chasser. Officiellement, l'ensemble du territoire dépendant de la royauté sikkimaise est une "propriété sacrée". D'après Brigitte Steinmann, "historiquement, cette définition semble canonique si l'on se réfère à la définition d'un royaume tibétain bouddhiste et au concept de pouvoirs royaux enracinés dans les divinités sacrées des montagnes, liées par un serment à suivre la doctrine bouddhiste. D'un autre point de vue, ce concept de terre comme "propriété sacrée" s'est en fait développé à travers un système de travail forcé et de semi-esclavage, bien que depuis le XVIIème siècle siècle, elle a permis de maintenir l'intégrité du royaume face aux envahisseurs." [67] Le système n'est pas du goût des autorités coloniales britanniques qui ne peuvent faire ce qu'elles veulent des terres arables. En parallèle des kazis, les nouvelles autorités instaurent à la fin du XIXème siècle un nouveau type de contrat malgré l'opposition du roi : s'il n'est toujours pas autorisé de vendre des terres, il est désormais possible de vendre le droit d'utiliser des terrasses aménagées. "La mise en culture des terres se faisait au nom des chefs de village [...] nommés par les kazis. Le Sikkim étant essentiellement rural, la quasi-totalité de la population vivait et vit encore dans des villages. Cette réforme britannique a fragmenté l'autorité du roi et facilité l'acquisition de terres par des étrangers, principalement des népalais. La propriété foncière traditionnelle permettait aux propriétaires terriens et à leurs héritiers d'entretenir des locataires sur leurs domaines privés en tant que travailleurs obligatoires. En fait, les droits de location étaient appliqués comme du travail forcé car les locataires devaient fournir plus de la moitié des récoltes à différents [...] propriétaires primaires." [67] Les britanniques introduisent dans le système monarchique du Sikkim une nouvelle aristocratie. Plusieurs familles de commerçants, issues de la vallée de Katmandou au Népal, deviennent thikadars — de thik "contrat" — au Sikkim. Elles se répartissent les territoires du sud du royaume où elles peuvent entreprendre de vastes défrichements pour étendre l'agriculture, œuvrer à la construction d'infrastructure routière et faire construire des bâtiments si nécessaire. Pour leurs besoins en main-d'œuvre, elles font appel à des hominines des régions alentours. Principalement du Népal. Le nouveau statut de ces familles anoblies leur permet de prélever les impôts auprès de la population, de frapper monnaie et d'établir une législation parallèle de celle applicable au reste du pays. Le travail obligatoire est chose courante. Le système féodal du Sikkim est officiellement aboli dans les années 1950 [68]. Pas la monarchie. Comme c'est bien souvent le cas en de telles circonstances, les hominines de l'ancienne aristocratie n'ont pas de peine à trouver de nouvelles situations sociales dans un Sikkim post-féodal : la politique ou l'économie offrent de bonnes opportunités. Pour l'écrasante majorité de la population d'hominines du Sikkim, presque rien a changé avec le passage d'un Sikkim britannique à une monarchie indépendante, puis son incorporation dans l'Inde républicaine. Le riz et le thé sont toujours aussi lucratifs pour les propriétaires terriens et les grands exploitants. L'agriculture est le principal secteur d'emploi. La superficie totale cultivée au Sikkim est de plus de 131200 hectares, soit 1312 km2. Dans la décennie 2010, l'agriculture, la sylviculture et la pêche représentent encore 62% des emplois. Seulement 13 % sont dans le secteur secondaire (mines, industrie manufacturière, électricité, gaz, approvisionnement en eau et construction), dont plus de la moitié d'entre elleux dans la construction. Les 25 % qui restent sont dans le secteur tertiaire (services). Outre les grandes exploitations de riz et de thé, les principales cultures au Sikkim sont le blé, le maïs, l'orge et la pomme de terre. Principalement dédiée à l'exportation, la cardamome noire représente environ 88% de celle produite dans l'ensemble de l'Inde. Au niveau indien, le Sikkim est dans les cinq premiers États en ce qui concerne l'égalité mâle/femelle dans le monde du travail : un peu moins de 40% sont des femelles [69]. Avec la modernisation de l'économie sikkimaise, les secteurs de l'agriculture sont en recul face à la montée de l'industrialisation. Des usines se développent dans les produits pharmaceutiques, les cosmétiques, les brasseries, la transformation des aliments et les boîtes en carton ondulé. Dans les régions montagneuses du nord, les dizaines de projets hydroélectriques ont rencontré de multiples résistances. L'électrification de 100% des zones rurales est achevée en 2006. L'apaisement des relations politique entre l'Inde et la Chine dans le début des années 2000 débouche sur la réouverture du col de Nathu et la reconnaissance de fait par la Chine de la souveraineté indienne sur le Sikkim [70]. Les barbelés laissent place à un passage de dix mètres de large sur vingt mètres de long, muré sur les deux côtés avec deux portails centraux. L'ouverture est officialisée en juillet 2006. La route commerciale en direction de Lhassa est de nouveau une réalité. Le Sikkim n'est plus un cul-de-sac mais une minuscule entrée vers la Chine, via le Tibet chinois. De nouveau, après plus de 60 ans de fermeture, il est un site de potentielles rencontres pour 2,8 milliards d'hominines [71]. Les deux pays fixent des listes de produits et denrées pouvant être échangés par cette frontière sikkimaise. Côté Sikkim, une centaine d'hominines obtiennent l'autorisation de ce commerce transfrontalier. Du lundi au jeudi. Les échanges commerciaux ne sont pas à la hauteur des attentes de l'Inde et de la Chine. Les infrastructures routières défaillantes et l'enneigement saisonnier ne facilitent pas ce commerce transfrontalier. Parmi les stratégies des autorités sikkimaises, l'écologie a le vent en poupe. Elles misent sur le passage de toute la filière agricole au "bio" en 2013 [72] et sur l'attrait grandissant pour l'écotourisme. Repartir avec son sachet de cardamone bio et faire du rafting sur le Tista. Boire un jus d'orange bio avant un saut à l'élastique avec vue sur le Kangchenjunga ? Le passage au bio est une réussite et les prix sont si élevés que la plupart des hominines du Sikkim n'ont pas les moyens pour se les offrir. Ce phénomène est plus répandu chez les moins-que-rien et les plus pauvres pour qui il est nécessaire d'importer des légumes de moindre qualité. Ce que sous-entend le poète chinois du néantissement Mao Zedong dans une traduction approximative d'un vers protivophile qu'il n'a jamais prononcé :
HomininismesDepuis la colonisation britannique, le Sikkim a attiré nombre d'hominines en quête de vertiges extrêmes. Pour elleux, ce royaume est le passage obligé entre le sous-continent indien et les hauts plateaux du Tibet. Un point de passage sur le chemin de la connaissance des mythologies bouddhaïennes. Mais pas seulement. Venant d'Europe, le XIXème siècle attire son lot de propagandistes des mythologies christiennes, de scientifiques de tous poils et d'hominines avides d'aventures. Des liens se créent entre les imaginaires. Le Sikkim nourrit, par exemple, les élucubrations d'Alexandre Mahé de la Bourdonnais qui, en 1892 dans Voyage en Basse-Bretagne chez les "Bigouden" de Pont-l’Abbé après vingt ans de voyages dans l’Inde et l’Indo-Chine, voit "parmi les jeunes filles lepcha du Sikkim [...] cette grâce et cette beauté parfaite qui distinguent les françaises, et qui distinguait jadis les gauloises" ! [73]. Par la présence de plusieurs monastères bouddhaïens dans ses hauteurs himalayennes, il alimente aussi les envies de voyages et de spiritualité d'Alexandra David-Néel. Née en octobre 1868 en région parisienne, Alexandra David-Néel découvre l'anarchisme grâce au géo-poète Élisée Reclus, un proche de la famille, et se rapproche des questionnements féministes. Sous le pseudonyme d'Alexandra Myrial, elle publie en 1898 Pour la vie [74], un recueil de textes anarchistes individualistes, et participe au journal La Fronde [75], entièrement écrit et réalisé par des hominines femelles. À sa majorité à 21 ans, elle se convertit aux mythologies bouddhaïennes. Elle concocte sa propre recette de macédoine intellectuelle dans laquelle elle fait se côtoyer son intérêt pour les pensées mystiques et son rationalisme affirmé, avec un zeste d'anarchie et une passion croissante pour les pratiques bouddhaïennes himalayennes. Le grand rien de Max Stirner croise le grand Rien de la vie d'ascète que mènent certains moines. À la charnière du XXème siècle, elle écrit sous pseudonyme son premier roman Le grand art [76] — une critique du milieu artistique qu'elle côtoie en tant que cantatrice et écrivaine — tout autant que Le pouvoir religieux au Thibet [77], des opéras ou des articles dans la presse radicale-socialiste. Elle publie Le féminisme rationnel [78] en 1909 et Le modernisme bouddhiste et le bouddhisme du Bouddha en 1911. Selon l'une de ses biographes, elle "mène alors une vie aisée d'une femme de lettres, épouse d'un ingénieur des chemins de fer en poste à Tunis. Mais elle n'oublie pas qu'elle a dû lutter pour gagner sa vie en tant qu'artiste lyrique. Elle continue à se battre pour s'affirmer dans le journalisme, dans le monde des lettres et surtout dans l'orientalisme où le combat s'annonce encore plus rude. Car ce n'est pas la voie académique des orientalistes de salon qui l'intéresse, c'est l'orientalisme sur le terrain, tel qu'il est vécu et pratiqué." Le 14 août 1911, Alexandra David-Néel embarque dans le port de Marseille sur le Mishima Maru. Direction l'orient. Elle arrive au Sikkim en avril 1912.
À son arrivée, Alexandra David-Néel fait la connaissance de Sikyong Tulku Namgyal, fils aîné du roi du Sikkim et futur successeur. Rapidement, elle rencontre mi-avril dans le sud du Sikkim britannique le treizième dalaï-lama, chef bouddhaïen tibétain, alors en exil. Elle est la première hominine femelle occidentale à être reçu par le dignitaire à qui elle apprend qu'elle est la seule et première parisienne à s'être convertie aux mythologies bouddhaïennes. Illes se voient de nouveau au sud du Sikkim quelques temps plus tard [79]. En mai, Alexandra David-Néel rejoint le nord du Sikkim et se pose à Lachen où elle fait la connaissance de Ngawang Kunzang Rinchen, le grand-lama du monastère local. Elle s'instruit à la langue tibétaine et approfondit ses connaissances des textes bouddhaïens. Elle en traduit certains. Au fil des rencontres, Alexandra David-Néel se lie d'amitié avec le prince sikkimais Sikyong Tulku Namgyal qui a des envies de modernisation [80]. Après un voyage au Népal et en Inde sur les traces de Bouddha fin 1912, elle revient au Sikkim en décembre 1913. Le roi meurt en février 1914 et son fils aîné lui succède. Alexandra David-Néel vit alors essentiellement à Lachen où elle reçoit les enseignements de Ngawang Kunzang Rinchen qui en fait sa disciple. Avec ce guru bouddhaïen, elle s'initie aux techniques de yoga et de médiation lors de retraites dans des cavernes isolées dans les montagnes himalayennes du nord du Sikkim. Cette année là, elle se lie avec le jeune moine Aphur Yongden, âgé de 15 ans. Dès lors, il l'accompagne dans toutes ses expériences et ses voyages. Le nouveau roi et ami d'Alexandra David-Néel meurt de façon suspecte en décembre 1914. Son demi-frère cadet Tashi Namgyal lui succède sur le trône du Sikkim — et régnera jusqu'en 1963. Alors que cela est interdit pas les autorités coloniales britanniques au Sikkim, Alexandra David-Néel et Aphur Yongden passent la frontière pour se rendre au Tibet voisin en juillet 1916. Le projet est d'aller dans deux monastères bouddhaïens et d'y rencontrer les haut-moines. Mécontentes, les autorités britanniques les expulsent à leur retour au Sikkim. Illes quittent l'Inde, direction le Japon. Voulant parcourir le Tibet, Alexandra David-Néel et Aphur Yongden partent pour la Corée puis la Chine. Dans un périple de plusieurs années, illes traversent la Chine d'est en ouest. Elle traduit plusieurs textes bouddhaïens. En 1924, les deux arrivent à Lhassa. Elle est déguisée en mendiante et lui en moine. Âgée de plus de 55 ans, elle est la première hominine femelle occidentale à entrer dans cette ville. Dans une lettre à son époux datée du 28 février 1924, elle commente cette visite : "J'y suis allée parce que la ville se trouvait sur ma route et aussi parce que c'était une plaisanterie très parisienne à faire à ceux qui en interdisent l'entrée." [81] Clandestinement, Alexandra David-Néel et Aphur Yongden restent ainsi deux mois à Lhassa. Risquant une dénonciation, illes partent pour Gyantsé. En mai 1924, sans le sou, en haillons et dans un état de fatigue extrême, elle demande de l'aide à Frank Ludlow, botaniste britannique et directeur de l'école anglaise de Gyantsé, et à David Macdonald, un agent commercial britannique, fils d'un hominine mâle d’Écosse et d'une femelle lepcha du Sikkim. Le duo David-Néel/Yongden décident alors de quitter la région. Illes se dirigent vers le sud et rejoignent la frontière sikkimaise. Le dernier passage d'Alexandra David-Néel au Sikkim. Alexandra David-Néel et Aphur Yongden arrivent en France en mai 1925. Elle publie Voyage d'une Parisienne à Lhassa en 1927 [82] et fait d'Aphur Yongden son fils adoptif officiel en 1929. Alexandra David-Néel meurt en septembre 1969 à l'âge de 100 ans. Elle ne le saura jamais, mais elle rencontre enfin le vrai rien.
JumelagePour la protivophilie les parallèles entre l'ex-royaume du Sikkim et l'ancien Comté de Nice sont de l'ordre de l'évidence. Tous deux sont aux confins des pays qui les ont annexé et leur protivo-géographie est similaire. Ils sont parmi les derniers territoires qui viennent repousser les frontières respectives de l'Inde en 1975 et de la France en 1860, et leurs arrière-pays sont montagneux. L'un et l'autre offrent des passages facilités vers les pays limitrophes, col de Nathu ou de Jelep pour l'un, tunnel de Tende ou col du Corbeau pour l'autre. Pour rejoindre les deux il est malgré tout préférable de suivre la route côtière entre Menton en France et Ventimille en Italie, comme l'indique Google Maps. En cas de fermeture des frontières par les autorités politiques le Sikkim et Nice sont des culs-de-sac. À la période où la météo est la plus clémente, les riches touristes viennent s'y installer. Soit dans des résidences secondaires, soit dans de vastes ensembles immobiliers. Dans des structures médicalisées pour les plus gérontes, dans des aménagements de plein air pour les plus jeunes. La plus grande différence entre le Sikkim et Nice réside dans le fait que l'un n'est pas le lieu de naissance de F. Merdjanov, alors que l'autre oui. Ce qui, en soit, n'est pas rien. Notes
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