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Version du 3 juin 2020 à 14:59
Hipparchia. Seule femelle connue d'une antique espèce de chiens macédoniens.
SommaireThraceLors des deux millénaires précédant la naissance imaginaire de Jésus, des populations d'hominines[1] que les historiens dénomment thraces s'installent progressivement dans les Balkans entre le fleuve Vardar et les rivages tchernomoriens[2], entre les Carpates et la mer Égée. Ces tribus partagent des pratiques linguistiques, des coutumes et des mythologies communes mais ne sont pas organisées politiquement entre elles. Elles forment de petits royaumes concurrents et prospères sur ces nouvelles terres où elles assimilent les hominines y vivant. Les tribus thraces dominent pendant quelques siècles la région, à l'exception de la côte égéenne sous le contrôle des colonies grecques. L'influence politique et culturelle qu'exerce ces dernières est forte. Certains royaumes thraces adoptent l'alphabet et la culture grecque, d'autres participent aux guerres expansionnistes que se livrent les cités-États grecques pour le contrôle des côtes de la Méditerranée orientale et de la mer Noire. Dans le courant du IVème siècle av. JCⒸ[3], le royaume de Macédoine met tout le monde d'accord en conquérant toute la région, cités-États et royaumes thraces passent sous sa domination. Alexandre III de Macédoine - dit le Grand - hérite de ce territoire et en fait le point de départ de ses projets de conquête du monde en 334 av. JCⒸ. Les thraces disparaissent dans la culture greco-macédonienne et la Thrace devient visible sur les cartes en tant que province. Au cours des siècles suivant la Thrace sera romaine, puis byzantine, et à partir du XIVème siècle intégrée à la Roumélie ottomane. TracesDe toutes les cité-États, Athènes est sans conteste la plus puissante économiquement et militairement mais son "impérialisme" incessant est contredit par les multiples alliances d'autres cités. Le développement du commerce et la multiplication des guerres ont fait naître deux nouvelles "castes" qui, devenues puissantes, contestent l'aristocratie en place. Elles réclament de nouveaux droits par des aménagements des mécanismes de prise de décision et de meilleurs partages du pouvoir. À l'exception des esclaves, des enfants, des femelles, des bâtards et des déclassés[4], les seuls hominines athéniens mâles se déclarent être "le peuple" et obtiennent des structures politiques qui donnent le "pouvoir au peuple", la démocratie. L'humour est né en Grèce. La vie sociale athénienne rayonne sur les autres cités et attire de nombreux hominines de la région. S'y croisent des mercenaires et des philosophes, des artistes et des historiens, tous formés dans les écoles, les arènes ou les places de marché athéniennes. Aux côtés des sciences, la philosophie est une occupation très à la mode parmi les hominines des classes dominantes. Les matières étudiées sont nombreuses - grammaire, astrologie, mathématique, politique, biologie, philosophie, etc. - et certains s'y attellent avec acharnement pour proposer une lecture du monde. Au Vème et IVème siècles av. JCⒸ, Athènes fourmille de philosophes dont les noms résonnent encore de nos jours dans les salles de classe : De l'athée et mortel Socrate à l'élitiste et anti-poète Platon, de l'accessoire du pouvoir Aristote au rabat-joie Épicure. Ils discutent, se chamaillent, écrivent (sauf Socrate), réfléchissent, se haïssent, font école ou pas. Pour autant les différentes écoles ne sont pas des lieux exclusifs et leurs paroles s'entrecroisent, les élèves fréquentent parfois plusieurs écoles.
Hipparchia est née dans le milieu du IVème siècle av. JCⒸ au sein d'une riche famille de la ville de Maronée, sur la côte nord-est de la mer Égée[6]. Les sources disponibles aujourd'hui ne permettent pas de déterminer avec exactitude son année de naissance. Maronée fut construite dans le courant du VIème siècle av. JCⒸ par des colons grecs venus de la cité-État de Chios, sur l'île du même nom, rivale d'Athènes. Elle est renommée pour sa production de vin et tient son nom du personnage mythique Maron, fils d'Ariane et de Dyonisos, spécialiste du vin doux. Hipparchia et son frère Métrocles reçoivent une éducation grecque. Fuyant probablement l'avancée des armées macédoniennes[7], la famille quitte Maronée pour s'installer à Athènes vers 355 av. JCⒸ. Métrocles se rapproche d'une des écoles de philosophie mais s'en auto-exclu après avoir péter bruyamment lors d'une prise de parole publique[8]. Alors que, honteux, il décide de se suicider en se laissant mourir de faim, il fait la rencontre de Cratès (de Thèbes)[9]. Après un bon plat de fèves, celui-ci lui démontre qu'il n'est pas honteux de péter. Telle les joutes entre Le Glaude et Le Bombé dans La soupe aux choux[10], tout deux conviennent que si des gaz doivent sortir des hominines il n'y a aucune raison d'empêcher cela. Grace à cette propagande par les fèves, Métroclès décide de brûler ses livres d'études et de suivre dorénavant les enseignements de Cratès[11]. Décrit comme laid, boiteux et bossu, Cratès est issu d'une riche famille mais il abandonne ses privilèges pour vivre dans le renoncement social et le doute existentiel selon les enseignements de feu Diogène (de Sinope). S'inspirant du bâtard gréco-thrace Antisthène[12], Diogène prône que la vertu n'est ni dans le pouvoir ni dans la richesse. Il s'oppose frontalement à Platon dont il moque régulièrement les enseignements. À ce dernier qui défini les hominines comme des animaux à deux pieds et sans plume, Diogène se promène dans les rues avec un poulet plumé en criant que selon Platon il s'agit d'un hominine. Fils de banquier, Diogène vit dans une grande jarre posée dans une rue d'Athènes, habillé d'un tissu, ne possédant qu'une canne et une lanterne. Connu pour ses réparties et ses interventions déconcertantes qui mettent en péril la parole des philosophes, contredisent les évidences et discréditent le pouvoir il survit grâce à l’aumône d'athéniens ou volant parfois les offrandes aux dieux pour se nourrir[13]. Intrigué, Alexandre le Grand lui demande s'il peut faire quelque chose pour lui. Ce à quoi Diogène répond "Ôte-toi de mon soleil !". Les anecdotes concernant Diogène sont nombreuses et succulentes[14]. Aspirant à vivre comme des chiens, les hominines qui entendent les discours et suivent les pratiques de Diogène sont surnommés les cyniques, du grec κύων "chien". Ce qualificatif est pleinement assumé par les concernés et les historiens racontent même que "pendant un repas, on jeta [à Diogène] des os comme à un chien ; alors, s’approchant des convives, il leur pissa dessus comme un chien". Les cyniques rejettent les conventions sociales, critiquent les croyances religieuses, prônent la libre sexualité et démontent les raisonnements philosophiques. Avec ironie et en y prenant plaisir. Par l'intermédiaire de son frère, Hipparchia fait la rencontre de Cratès. Elle approuve ses manières de "voir la vie" qu'elle veut faire siennes et est séduite par cet hominine plus vieux qu'elle. Elle déclare à ses parents qu'elle veut être sa femme et abandonner elle aussi les richesses familiales. Malgré les tentatives parentales de l'en dissuader, elle ne renonce pas et menace de se suicider si elle en est empêchée. Hipparchia et Cratès se marient et, en contradiction avec les mœurs athéniennes, fondent leur union sur l'égalité. Un "mariage de chien" selon leurs propres mots. Ne respectant pas les interdits sociaux, Hipparchia va partout où Cratès peut aller, elle participe aux discussions, s'invite dans les banquets et n'hésite pas à contredire publiquement des mâles, philosophes et autres fanfarons. Comme Diogène, Cratès et Hipparchia choquent par leurs attitudes publiques. Le duo est critiqué pour faire du sexe en public et les cyniques en général sont accusés de prôner une sexualité trop délivrée du poids de la morale. Illes défendent comme naturelle la masturbation solitaire ou la sexualité plurielle au même titre que se nourrir ou respirer.[15].
Dans cette cité d'Athènes où les femmes ont autant de droit que les esclaves, il est difficile pour une hominine femelle de se faire une place parmi les mâles[18], même philosophes[19]. Même si d'autres sources attestent de l'existence de philosophes femelles[20], Hipparchia est l'unique citée dans le catalogue historique de la philosophie grecque Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres écrit au IIIème siècle après JCⒸ par Diogène Laërce. Comme pour beaucoup de cyniques[21], il ne reste rien des écrits d'Hipparchia si ce n'est quelques titres d'ouvrages et de rares mentions chez d'autres auteurs. Parmi les écrits d'Hipparchia figurent Hypothèses philosophiques, Épichérèmes et Questions adressé à Théodore l’Athée. Dans Vies, doctrines et sentences..., il est mentionné une échange entre lui et Hipparchia où, alors qu'il tente de l'atteindre par ses mots, elle lui assène un raisonnement dont il ne sait que faire :
Hipparchia et Cratès font deux enfants, un mâle et une femelle. Nous ne savons rien des choix éducatifs de ces parents cyniques dans l'élevage de leur progéniture, hormis deux anecdotes qui précisent que, contrairement aux bonnes mœurs, Cratès amène leur fils voir des prostituées à sa puberté et, en contradiction avec les codes sociaux, que les deux proposent à leur fille d'instaurer une période d'essai d'un mois lors de son futur mariage. Les dates de mort d'Hipparchia, Cratès et Métroclès ne sont pas précisément connues et se situent dans le dernier quart du IIIème siècle av. JCⒸ. Les deux premiers meurent de vieillesse alors que Métroclès opte pour la suffocation. Ultime masturbation asphyxiophile qui tourne mal ?[22] Les quelques élèves de Cratès perpétuent ses réflexions et ses pratiques, et l'école cynique va perdurer encore jusqu'au IVème siècle. Discrètement. Entre le Ier siècle av. JCⒸ et le premier siècle après, des auteurs anonymes vont rédiger le recueil Épîtres cyniques dans lequel sont proposées 51 pseudo-lettres de Diogène et 36 de Cratès ainsi que quelques autres attribuées à divers philosophes pré-cyniques présentés comme des précurseurs, tel Anacharsis. Hipparchia apparaît dans ces lettres et le ton choisi montre son importance pour les auteurs anonymes. Malgré que Diogène soit probablement mort avant d'avoir entendu parler d'Hipparchia, la lettre n°43 du pseudo-Diogène invite les hominines de Maronée - qui tient son nom d'un vendeur de vin - à changer le nom de leur ville et lui préférer celui de la philosophe cynique. Il n'en sera rien. PoussièresDevant l'absence de textes, les rares mentions et anecdotes sur Hipparchia ont alimenté un personnage "mythique" qui parsème la littérature en Europe depuis le XVIIème siècle. Quelques romans et nouvelles sont publiés en français, en allemand, en italien ou en latin. L'accent est souvent mis sur l'histoire d'amour avec Cratès, le refus des parents d'Hipparchia et sa rupture avec eux. Le personnage de fiction qu'elle devient s'éloigne parfois fortement du cynisme pour faire d'elle un exemple de vertu et d'ascèse. Presque une bonne christienne[23]. Et pour les entomologistes, Hipparchia est depuis 1807 une espèce de papillon[24]. Dans une optique différente, l'écrivaine étasunienne Hilda Doolittle fait paraître en 1926 le recueil de nouvelles Palimpsest dans lequel apparaît la nouvelle intitulée Hipparchia qui retrace la vie inventée de la fille de Cratès et Hipparchia. Si les sources historiques mentionnent que leur fils se prénomme Pasicles, celui de leur fille reste inconnu. Dans cette nouvelle elle se nomme comme sa mère, Hipparchia. Pour l'artiste féministe étasunienne Judy Chicago, Hipparchia la cynique est l'une des 1038 hominines femelles qu'elle regroupe dans l'œuvre d'art contemporain The Dinner Party entre 1974 et 1979. La protivophilie s'interroge sur les raisons pour lesquelles elle n'en a pas ajouté 274 de plus pour faire un chiffre rond ? Toujours dans le domaine artistique, la sortie en 1990 de Cynismes. Portait du philosophe en chien[25] marque le début d'une longue carrière dans le stand-up comedy – monologue comique en français – pour Michel Onfray. En 2015 paraît Hipparchia mon amour ! un ouvrage collectif explorant les facettes et les approches sur l'antique chienne macédonienne.
TrashLa rareté des textes cyniques ne permet pas vraiment de définir avec précision ce qu'il en était de leurs pensées et de leurs pratiques. La plupart de ce que l'on sait des cyniques et les paroles qui leur sont prêtées sont issues de sources extérieures et/ou postérieures. Leurs contradicteurs ont laissé plus d'écrits que leurs défenseurs. C'est dans ce vide que s'engouffreront des philosophies postérieures ou des religions monothéistes. Par la radicalité de leur propos les cyniques sont une filiation "sérieuse" dans laquelle des philosophes ont puisé pour construire leurs réflexions et, de part leur "détachement du monde", illes sont aussi réinterprétés et promus précurseurs des enseignements du prophète des christiens. Il en est de même dans le domaine politique où des idéologies contemporaines ont assigné Diogène et ses disciples aux rôles d'anarchistes antiques ou de nihilistes macédoniens. Les études consacrées à une "histoire de l'anarchisme" aiment à les présenter comme tel et il est vrai qu'il est aisé de faire un parallèle entre ces aristocrates grecs qui font une rupture radicale avec leur environnement social, politique et économique pour mieux l'affronter, et qui abandonnent leurs privilèges, et les jeunes aristocrates et bourgeois russes du XIXème siècle qui composent la myriade nihiliste[28]. Prêter aux cyniques des intentions et des paroles est, qu'on le veuille ou non, une manière de les trahir. Quiconque peut imaginer ce que des historiens pourraient raconter de sa vie et de ses convictions, des centaines de siècles plus tard, à travers dix phrases et quinze lettres fragmentaires – dont la moitié écrites après sa propre mort ! – et une vingtaine de lettres écrites par un voisinage mécontent, des collègues jaloux ou des amanteries finissantes[29]. Cela explique, selon la protivophilie, l'absence de mention des cyniques dans Analectes de rien de F. Merdjanov. Dans le cadre de l'étude des éléments biographiques sur F. Merdjanov qui mentionnent une origine familiale macédonienne et la proximité de celle-ci avec le nihilisme politique, la postface de cet ouvrage y fait discrètement référence en précisant ne pas "y voir une source cynique forcément illusoire d’un "nihilisme macédonien" tout aussi illusoire". Mais des détracteurs ont mis en avant quelques traces de cynisme[27] dans Analectes de rien, sans provoquer, dans l'état actuel de nos connaissances, la colère ou des protestations de F. Merdjanov.
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Notes
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