Filareto Kavernido : Différence entre versions
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<blockquote>''Dans la grotte de Zarathoustra, pleine de recoins et de passages, se rassemblent tous les errants perdus et tous ceux qui sont victimes de harcèlement, les hors-la-loi et les fugitifs, pour devenir des sur-hommes''</blockquote> | <blockquote>''Dans la grotte de Zarathoustra, pleine de recoins et de passages, se rassemblent tous les errants perdus et tous ceux qui sont victimes de harcèlement, les hors-la-loi et les fugitifs, pour devenir des sur-hommes''</blockquote> | ||
− | [[Fichier: | + | [[Fichier:PetitNicois-26janv1927.jpeg|200px|thumb|right|''Le Petit Niçois'' du 26 janvier 1927]]La Kaverno di Zarathustra survit difficilement et Filareto est régulièrement inquiété par les autorités allemandes qui le suspectent de réaliser des avortements clandestins. Ce qui est alors formellement interdit. Il fait quelques passages en prison pour des infractions aux bonnes mœurs et son "comportement marginal" lui vaut régulièrement d'être accusé de "dérangement mental". Finalement, fin 1925, Filareto doit fuir l'Allemagne pour ses pratiques d'avortement et se réfugie en France. Il y rencontre E. Armand<ref>Lucien-Ernest Juin, dit E. Armand (1872 – 1962) est un anarchiste né en 1872 à Paris. Il publie en 1911 son ''Petit manuel anarchiste individualiste'' - [https://fr.wikisource.org/wiki/Petit_Manuel_anarchiste_individualiste En ligne]. Fonde en 1922 le journal ''L’En-Dehors''. Progressivement, au fil des numéros, il encourage les expérimentations dans le domaine des relations dite "amoureuses" ou sexuelles. Voir Gaetano Manfredonia, Francis Ronsin, ''E. Armand et "la camaraderie amoureuse". Le sexualisme révolutionnaire et la lutte contre la jalousie'', 2000 - [http://www.iisg.nl/womhist/manfredo.pdf En ligne]. À lire aussi ''L’illégaliste anarchiste est-il notre camarade ?'' publié en 1923 - [https://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99ill%C3%A9galiste_anarchiste_est-il_notre_camarade_%3F En ligne]. Il publie ''Entretien sur la liberté de l’amour'' - [http://anarlivres.free.fr/pages/documents/LiberteAmour_EArmand.pdf En ligne], ''Amour libre et liberté sexuelle'' (1925) - [http://anarlivres.free.fr/pages/documents/AmourLibre_Armand.pdf En ligne], ''Le Combat contre la jalousie et le sexualisme révolutionnaire'' (1926), ''Ce que nous entendons par liberté de l'amour'' (1928), ''La Camaraderie amoureuse ou "chiennerie sexuelle"'' (1930) et ''La Révolution sexuelle et la camaraderie amoureuse'' (1934). Il écrit une partie de la rubrique "amour" de ''L’encyclopédie anarchiste'' de Sébastien Faure - [http://www.encyclopedie-anarchiste.org/articles/a/amour.html En ligne]</ref>, rédacteur du journal anarchiste ''L'en-dehors'', avec qui il maintiendra des liens pendant des années. Écrite un an plus tôt, alors qu'il est encore en Allemagne, Filareto fait paraître en 1926 à Berlin une nouvelle en langue ido sous le titre ''La Raupo'', la chenille<ref>Filareto Kavernido, ''La raupo'', 1926. Texte en ido, en allemand et en castillan [https://filareto.info/es/oruga/ en ligne]</ref>. Cette même année, la petite communauté de la Kaverno quitte l'Allemagne et "''logiquement [...] suit la route solaire de Nietzsche et s'installe dans l'arrière-pays niçois''" <ref name="#reve">F. Merdjanov, ''Rêve-olte dans la révolution'', non daté - [http://analectes2rien.legtux.org/images/PDF/REVE_OLTE.pdf En ligne]</ref>, à Tourrettes-sur-Loup, au nord-est de [[Nice]]. Elle prône la nudité et l'amour libre. Selon le journal ''L'En-Dehors'' <ref>''L'En-Dehors'', n°110-11 du 1<sup>er</sup> juin 1927 - [http://filareto.info/blog/item/presse-lendehors-1927-110/ En ligne]</ref>, en avril 1927, ils sont 30 à vivre dans la communauté communiste-anarchiste : 8 hommes <ref>4 allemands dont Filareto Kavernido, Carl Uhrig et Alois Schenk, 2 bulgares, 1 tchèque et 1 français</ref>, 4 femmes et 18 enfants <ref>Elisabeth Burkhardt a 1 enfant (1919), Gerhard Schöndelen et Agnès "la grande" 4 (entre 1918 et 1925), Filareto Kavernido et Amalia Michaelis 5 (entre 1921 et 1926), Gerhard Schöndelen et Elisabeth Burkhardt 2 (1925 et 1927), Alois Schenk et Anna Beyer 1 (1927), Hannchen Gloger 4</ref>. |
<blockquote>''Une économie collective basée autour de l'horticulture, de l'élevage des poulets, de cultures vivrières et de petits artisanats aptes à satisfaire une vie assez ascétique" <ref name="#cors">F. Merdjanov, ''L'équation corse à la lumière de l'inconnue macédonienne. Précis de nihilisme montagnard et de contre-imaginaire historique'', date inconnue - [http://analectes2rien.legtux.org/images/PDF/CORSE_MACEDOINE.pdf En ligne]</ref></blockquote> | <blockquote>''Une économie collective basée autour de l'horticulture, de l'élevage des poulets, de cultures vivrières et de petits artisanats aptes à satisfaire une vie assez ascétique" <ref name="#cors">F. Merdjanov, ''L'équation corse à la lumière de l'inconnue macédonienne. Précis de nihilisme montagnard et de contre-imaginaire historique'', date inconnue - [http://analectes2rien.legtux.org/images/PDF/CORSE_MACEDOINE.pdf En ligne]</ref></blockquote> | ||
− | Les accusations d'attentats à la pudeur, les difficultés d'une vie en autonomie, les tracasseries administratives pour le séjour des étrangers et les dissensions internes poussent le restant de la communauté à quitter Tourrettes-sur-Loup. Vers la fin de 1927/début 1928, un groupe d'allemands et de suédois de la Kaverno rejoint la Corse et s'installe près d’Ajaccio, au lieu-dit "Les Baraques", villa Miramar, sur les contreforts de la Punta Pozzo di Borgo, au deux pas de l'ancienne colonie pénitentiaire pour enfants au lieu-dit "Castelluccio"<ref>Tiphaine Bacquet, "La colonie horticole de Saint-Antoine et le pénitencier de Castellucio", 2013 sur ''Crimino Corpus'' - [https://criminocorpus.hypotheses.org/7371 En ligne]</ref> | + | Les accusations d'attentats à la pudeur<ref>''Le Petit Niçois'' du 18 décembre 1928. Condamnation à un mois de prison pour outrage public à la pudeur pour quatre hominines mâles de la communauté.</ref>, les difficultés d'une vie en autonomie, les tracasseries administratives pour le séjour des étrangers et les dissensions internes poussent le restant de la communauté à quitter Tourrettes-sur-Loup. Vers la fin de 1927/début 1928, un groupe d'allemands et de suédois de la Kaverno rejoint la Corse et s'installe près d’Ajaccio, au lieu-dit "Les Baraques", villa Miramar, sur les contreforts de la Punta Pozzo di Borgo, au deux pas de l'ancienne colonie pénitentiaire pour enfants au lieu-dit "Castelluccio"<ref>Tiphaine Bacquet, "La colonie horticole de Saint-Antoine et le pénitencier de Castellucio", 2013 sur ''Crimino Corpus'' - [https://criminocorpus.hypotheses.org/7371 En ligne]</ref> |
<blockquote>''Nous sommes des communistes et non point des individualistes. Parmi nous l'importance fondamentale est attribuée au milieu, tandis que l'individu ne compte que comme moyen de construction et de développement. Dans le cadre de cette construction sociale, nous laissons à l'individu l'initiative personnelle, parce que nous croyons que c'est plus avantageux pour le développement de la communauté que le système autoritaire ; et c'est pour cela que nous nous dénommons "anarchistes". De cette conception résulte que nous comprenons par bien-être, une vie de dur travail, laquelle ne nous surmène pas, mais nous fortifie physiquement et moralement. Nous n'avons point adopté de régime spécial de nourriture. Nous n'avons pas le temps de nous occuper de questions qui n'intéressent que le goût personnel du palais d'hommes qui ne pensent à rien d'autre qu'aux besoins de leur estomac et à leur commodité, qu'ils cherchent vainement à cacher sous des théories "scientifiques". Nous mangeons ce qui coûte le moins cher et nous donne la plus grande force pour pouvoir créer. Malgré tout notre communisme nous ne sommes pas des altruistes. Nous ne nous occupons point des souffrances des autres. Nous vivons une vie qui nous plaît et nous laissons à chacun la liberté de vivre avec nous si cette vie peut lui plaire ; mais nous ne promettons à personne que ce qui nous semble être le paradis à nous, l'est aussi pour lui, vu la différence des opinions sur ce point. Notre vie sexuelle est réglée selon le principe de la liberté absolue de l'individu. C'est précisément la dernière expérience d'un camarade venu qui me fait préciser notre point de vue. Ce camarade me disait qu'il croyait trouver ici un milieu émancipé où l'on vive selon la maxime "toutes à tous et tous à toutes", et il s'est montré fort ennuyé de ne pas trouver dès son arrivée une femme "libre" pour lui. Il prétendait que le besoin sexuel est un besoin aussi naturel et important que le besoin de manger, et qu'une société communiste doit pourvoir à ses besoins. Une société anarchiste n'est pas une maison de prostitution où l'on peut économiser les frais, sans courir les risques d'infection. Il me faut encore ajouter encore que nous ne sommes point des révolutionnaires ni des "lutteurs de classe", que nous n'aspirons point à construire une société de culture prolétaire. Nous sommes d'avis que l'anarchiste n'a absolument rien à faire avec la politique, nous assimilons un anarchiste révolutionnaire à un "végétalien carnivore". L'anarchiste, selon notre avis, n'a pas le droit de molester autrui. Selon nous, il ne lui reste rien à faire que quitter la société qui ne lui plaît plus, se bâtir une vie qui lui donne la satisfaction cherchée, pourvu qu'il soit assez fort pour cette tâche ; s'il ne l'est pas, il doit se résigner ― ou se pendre ― ou encore devenir bolcheviste.'' <ref name="#115">''L'En-Dehors'', n° 115, 15 août 1927 - [http://filareto.info/blog/item/presse-ld-1927-115/ En ligne]</ref>.</blockquote> | <blockquote>''Nous sommes des communistes et non point des individualistes. Parmi nous l'importance fondamentale est attribuée au milieu, tandis que l'individu ne compte que comme moyen de construction et de développement. Dans le cadre de cette construction sociale, nous laissons à l'individu l'initiative personnelle, parce que nous croyons que c'est plus avantageux pour le développement de la communauté que le système autoritaire ; et c'est pour cela que nous nous dénommons "anarchistes". De cette conception résulte que nous comprenons par bien-être, une vie de dur travail, laquelle ne nous surmène pas, mais nous fortifie physiquement et moralement. Nous n'avons point adopté de régime spécial de nourriture. Nous n'avons pas le temps de nous occuper de questions qui n'intéressent que le goût personnel du palais d'hommes qui ne pensent à rien d'autre qu'aux besoins de leur estomac et à leur commodité, qu'ils cherchent vainement à cacher sous des théories "scientifiques". Nous mangeons ce qui coûte le moins cher et nous donne la plus grande force pour pouvoir créer. Malgré tout notre communisme nous ne sommes pas des altruistes. Nous ne nous occupons point des souffrances des autres. Nous vivons une vie qui nous plaît et nous laissons à chacun la liberté de vivre avec nous si cette vie peut lui plaire ; mais nous ne promettons à personne que ce qui nous semble être le paradis à nous, l'est aussi pour lui, vu la différence des opinions sur ce point. Notre vie sexuelle est réglée selon le principe de la liberté absolue de l'individu. C'est précisément la dernière expérience d'un camarade venu qui me fait préciser notre point de vue. Ce camarade me disait qu'il croyait trouver ici un milieu émancipé où l'on vive selon la maxime "toutes à tous et tous à toutes", et il s'est montré fort ennuyé de ne pas trouver dès son arrivée une femme "libre" pour lui. Il prétendait que le besoin sexuel est un besoin aussi naturel et important que le besoin de manger, et qu'une société communiste doit pourvoir à ses besoins. Une société anarchiste n'est pas une maison de prostitution où l'on peut économiser les frais, sans courir les risques d'infection. Il me faut encore ajouter encore que nous ne sommes point des révolutionnaires ni des "lutteurs de classe", que nous n'aspirons point à construire une société de culture prolétaire. Nous sommes d'avis que l'anarchiste n'a absolument rien à faire avec la politique, nous assimilons un anarchiste révolutionnaire à un "végétalien carnivore". L'anarchiste, selon notre avis, n'a pas le droit de molester autrui. Selon nous, il ne lui reste rien à faire que quitter la société qui ne lui plaît plus, se bâtir une vie qui lui donne la satisfaction cherchée, pourvu qu'il soit assez fort pour cette tâche ; s'il ne l'est pas, il doit se résigner ― ou se pendre ― ou encore devenir bolcheviste.'' <ref name="#115">''L'En-Dehors'', n° 115, 15 août 1927 - [http://filareto.info/blog/item/presse-ld-1927-115/ En ligne]</ref>.</blockquote> |
Version du 26 avril 2019 à 18:44
Filareto Kavernido. Surnom que se donne Heinrich Goldberg, un anarchiste-communiste non-"végétalien carnivore"[1].
a-NormalitéHeinrich Goldberg naît le 24 juillet 1880 après JC [2] à Berlin dans une famille moïsienne [3] aisée, d'une copulation entre deux hominines, Ludwig Goldberg et Elisa Karfunkel. Comme son père il entreprend des études de médecine. Il étudie à Berlin et à Fribourg, et se spécialise en psychiatrie et en gynécologie, puis s'installe comme médecin dans un hôpital berlinois. Il se marie et co-crée une enfant avec cette compagne maritale. Alors qu'il mène la vie bourgeoise d'un médecin berlinois, Goldberg découvre les écrits de Friedrich Nietzsche qui sont pour lui plus qu'une révélation. Vers 1910 il rompt avec le judaïsme et se déclare agnostique, puis quitte son travail, sa femme et sa fille. Il apprend l'ido, une forme d'espéranto réformé [5], dont il veut faire sa langue de communication et approfondit ses réflexions philosophiques. L'individu et ses interactions avec les autres sont au centre de ses préoccupations. De sa lecture de Nietzsche il dégage une éthique anarchiste-communiste aristocratique.
Après la fin de la Première guerre mondiale, entouré de quelques hominines de tout genre, Goldberg met en place une "communauté de vie" près de Berlin, une sorte de commune libre du nom de "La Kaverno di Zaratustra" (La Grotte de Zarathoustra en langue ido). Il découvre la fugue existentielle.
La Kaverno di ZarathustraAvec barbe et cheveux longs, Heinrich Goldberg abandonne nom et prénom pour dorénavant se faire appeler Filareto Kavernido, de Filareto "l'ami de la vertu" et Kavernido en référence à la grotte de Zarathoustra.
Le projet de la Kaverno di Zarathustra s'inscrit dans un vaste mouvement de rejet du monde existant qui, depuis le milieu du XIXème siècle, pousse des hominines à tenter de s'installer en marge, à côté, en communautés de vie. Rurales la plupart du temps. Des centaines d'expériences se vivent en Europe et sur le continent américain. Les modes d'organisation s'inspirent des modèles utopistes, d'approches anarchistes ou de conceptions communistes. Dans les communautés se réclamant de l'anarchisme ou du communisme, l'individu est souvent placé au centre des préoccupations. Certaines optent pour le végétarisme et le rejet de l'alcool et du tabac, d'autres non, certaines pratiquent des formes "d'amour libre", d'autres s'organisent autour de couples et de leurs enfants, certaines sont non-violentes, ou légalistes, là où d'autres assument la "violence politique" de la propagande par le fait et par l'écrit. Ce phénomène est généralement désigné par l'expression "Milieux libres". Toutes les communautés sont éphémères, de quelques jours à plusieurs années[9]. Les motivations de celleux qui y participent sont sans doute aussi diverses que ces expériences volontaires et collectives d'hominines et les raisons de leurs fins. Aucune n'aspire à révolutionner le monde mais plutôt à s'en extraire au maximum, une "Communauté par le retrait" pour reprendre le titre d'un texte de Gustav Landauer.
Filareto écrit dans la revue en langue ido La socio à partir de 1918 et il décrit et publie sa vision théorique et philosophie dans Mitteilungsblätter aus Zarathustras Höhle entre 1920 et 1921. Les textes de ces Bulletins de la grotte de Zarathoustra sont divisés en trois parties thématiques [11] et mélangent communisme agraire, anarchisme et sur-hominine nietzschéen. La Kaverno di Zarathustra survit difficilement et Filareto est régulièrement inquiété par les autorités allemandes qui le suspectent de réaliser des avortements clandestins. Ce qui est alors formellement interdit. Il fait quelques passages en prison pour des infractions aux bonnes mœurs et son "comportement marginal" lui vaut régulièrement d'être accusé de "dérangement mental". Finalement, fin 1925, Filareto doit fuir l'Allemagne pour ses pratiques d'avortement et se réfugie en France. Il y rencontre E. Armand[12], rédacteur du journal anarchiste L'en-dehors, avec qui il maintiendra des liens pendant des années. Écrite un an plus tôt, alors qu'il est encore en Allemagne, Filareto fait paraître en 1926 à Berlin une nouvelle en langue ido sous le titre La Raupo, la chenille[13]. Cette même année, la petite communauté de la Kaverno quitte l'Allemagne et "logiquement [...] suit la route solaire de Nietzsche et s'installe dans l'arrière-pays niçois" [6], à Tourrettes-sur-Loup, au nord-est de Nice. Elle prône la nudité et l'amour libre. Selon le journal L'En-Dehors [14], en avril 1927, ils sont 30 à vivre dans la communauté communiste-anarchiste : 8 hommes [15], 4 femmes et 18 enfants [16].
Les accusations d'attentats à la pudeur[18], les difficultés d'une vie en autonomie, les tracasseries administratives pour le séjour des étrangers et les dissensions internes poussent le restant de la communauté à quitter Tourrettes-sur-Loup. Vers la fin de 1927/début 1928, un groupe d'allemands et de suédois de la Kaverno rejoint la Corse et s'installe près d’Ajaccio, au lieu-dit "Les Baraques", villa Miramar, sur les contreforts de la Punta Pozzo di Borgo, au deux pas de l'ancienne colonie pénitentiaire pour enfants au lieu-dit "Castelluccio"[19]
Les relations interindividuelles entre les hominines de la Kaverno ne sont pas faciles[20]. La place centrale que Filareto se donne est un sujet de discorde mais celui-ci rétorque des arguments assez classiques qui nient la complexité des rapports de pouvoir et ne voient plus les individus mais sa seule individualité [21]. Filareto est de nouveau inquiété par la justice qui lui reproche son nudisme et un avortement clandestin sur Amalia Michaelis. Il est accusé de "viol d'avortement et outrage public à la pudeur" et mis en préventive à la prison d'Ajaccio le 2 octobre 1928 [24]. Il est jugé le 26 avril 1929, condamné à 6 mois pour le seul "outrage à la pudeur" [25] et libéré le jour même [23]. Filareto affirmera par la suite avoir passé au total six années de sa vie en prison ou asile dans cinq pays différents. Sa feuille de levée d'écrou mentionne qu'il est arrivé et est sorti habillé de la prison, en "veste kaki, pantalon noir, chemise blanche, sandales" [24]. Les procès-verbaux sont signés Filareto Kavernido et non Heinrich Goldberg. La Kaverno sort très affaiblie de cet emprisonnement. La décision est prise de partir en Haïti pour y retenter une nouvelle expérience. Trois hominines adultes - dont Filareto - et quatre enfants [26] embarquent le 1er juillet 1929 à Bordeaux pour un voyage de trois semaines en direction des Caraïbes. Mais à leur arrivée en Haïti, ils sont immédiatement expulsés. Avec ce qu'il leur reste d'argent, ils achètent une voiture et passent la frontière pour se rendre à Saint-Domingue où le gouvernement a mis en place une politique en faveur de la colonisation des terres "vierges". Une aide à la construction d'une première cabane et au défrichement, ainsi que quelques bêtes et des semences[27]. Ils se fixent en colonie agricole dans le nord, à Jamao près de Moca. Le terrain est sur les collines de Arroyo Frio qui surplombent. Jamao est alors peuplé de quelques sept cents colons, venus d'Europe. L'ouragan qui dévaste une partie de Saint-Domingue en 1930 ne fait que peu de dégâts sur les installations de la Kaverno [28]. Filareto devient progressivement médecin itinérant, tentant de soigner au mieux, sans médicaments ni instruments, les plus pauvres des hominines. Il s'inspire des pratiques médicinales locales, à base d'herbes et d'onguents, et de sa formation de médecin pour lutter contre le paludisme et les maladies vénériennes, tout autant généraliste que gynécologue. Des travaux pour construire un petit dispensaire sont lancés. Le gouvernement propose à Filareto d'être embauché comme médecin mais il décline l'offre car l'idée d'être salarié le rebute et qu'il ne veut pas y perdre de sa liberté d'action. La bibliothèque de la Kaverno est riche d'environ 500 livres [27]. Grace à une machine à écrire, Filareto parvient à sortir des tracts et des brochures sur sa vision de la Kaverno. Il entretient des liens épistolaires réguliers, avec L'en-dehors de E. Armand, par exemple, à qui il fait parvenir de petits compte-rendus sur la vie de la Kaverno [29].
Lors d'une conférence publique à Moca consacrée à expliquer les buts et les fonctionnements de la Kaverno, Filareto attire l'attention des autorités par ses discours contre l’État. En avril 1933, le rapport remis au président dominicain sur les activités "subversives" de la colonie préconise sa dissolution. Le 16 mai 1933, Filareto Kavernido est emmené par deux inconnus qui prétendent devoir le conduire à Moca. Il est retrouvé mort de deux balles de revolver le lendemain [30].
En suitePour la protivophilie, les raisons de la naissance en 1970 à Nice de F. Merdjanov restent pour l'instant mystérieuses. L'hypothèse de la présence d'une petite communauté bulgaro-macédonienne dans cette ville a été maintes fois avancée [32] pour justifier "l'origine macédonienne [d'une famille] dont l’histoire croise celle du nihilisme politique des années 1900"[33]. Les recherches entreprises jusqu'à maintenant autour de Svetoslav Merdjanov n'ont pas permis de mettre en évidence un quelconque lien avec F. Merdjanov. Pas plus qu'avec la sœur ou la mère de Svetoslav Merdjanov, d'ailleurs. Filareto Kavernido mentionne la présence de deux bulgares parmi les membres de la communauté installée au-dessus de Nice puis en Corse, sans rien préciser de plus. Nous ignorons tout d'eux. Le terme de bulgare est-il à prendre au sens strict de la nationalité ou doit-il être étendu à toute l'aire bulgarophone ? Dans ce cas, nous pourrions être en présence de bulgaro-macédoniens, dont l'un d'eux serait l'hypothétique ascendant de F. Merdjanov expliquant ainsi sa naissance en 1970 à Nice. Lequel des deux ? Rien pour autant n'infirme qu'il ne s'agit pas d'un descendant de Svetoslav Merdjanov, de sa sœur ou de sa mère. Était-il déjà installé à Nice - et quand ? - lorsque les membres de la Kaverno quittent l'Allemagne pour Tourrettes-sur-Loup, ou bien est-il arrivé en même temps qu'elleux ? Cette hypothèse d'un lien entre la Kaverno et F. Merdjanov est renforcée par la récurrence de la mention de Filareto Kavernido dans des écrits attribués à F. Merdjanov. Le premier[34], consacré à l'éphémère République des conseils en Bavière, contient de nombreux éléments biographiques sur Filareto Kavernido. Le deuxième[35] est une histoire croisée de la Corse et de la Macédoine qui mentionne à plusieurs reprises l'existence de la communauté de la Kaverno et ses activités sur l'île corse. Le troisième texte[36], intitulé Conversation à la mode de Han Ryner et sous-titré "Une rencontre cavernicole entre François Augieras et Filareto Kavernido" est un dialogue imaginaire entre ces deux hominines des cavernes, que seuls le temps et l'espace séparent. À sa manière - évanescente - F. Merdjanov les évoquent aussi tout deux dans son texte écrit en macédonien Le tout, le rien :
Loin de ces approches intellectualisantes , il convient de rappeler les aspects plus triviaux qui poussent parfois des hominines à sortir de leurs étroitesses, à s'extraire de quotidiens insupportables. Nul besoin d'avoir lu Karl Marx et ses épigones pour saisir la réalité de l'exploitation, nulle nécessité d'ingurgiter Max Stirner pour sentir que le monde s'oppose à soi ou d'investir dans un dictionnaire pour décrypter Tiqqun et enfin comprendre qu'il n'y a rien à (en) attendre. Si certaines comprennent l'absurdité des rôles genrées en regardant Candy, d'autres perçoivent le ridicule de la concurrence inter-hominines devant Les fous du volant, là où d'autres - comme F. Merdjanov ? - découvrent Filareto Kavernido et le Zarathoustra de Friedrich Nietzsche en s'abreuvant d'un autre personnage cavernicole, bien plus populaire qu'eux, le Capitaine Caverne. Celui-là même dont le cri [37] a fait vibrer des tympans dans les cours de récréation des écoles niçoises vers la fin des années 1970 et fait s'égosiller de minuscules hominines en quête d'affirmation de soi et d'une illusoire puissance qui renverse tout.
Notes
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