Fanny : Différence entre versions
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− | Fanny Dubriand se passionne pour la boule lyonnaise. Elle assiste en spectatrice aux parties qui s'enchaînent sur le clos Jouve. Le boulodrome est alors un endroit exclusivement masculin et le jeu n'est pas ouvert aux hominines femelles. Misogyne et bourgeois de son époque, Clair Tisseur rappelle dans ''Les vieilleries lyonnaises'' les structures sociales et les ségrégations de genre qui fondent l'univers bouliste en | + | Fanny Dubriand se passionne pour la boule lyonnaise. Elle assiste en spectatrice aux parties qui s'enchaînent sur le clos Jouve. Le boulodrome est alors un endroit exclusivement masculin et le jeu n'est pas ouvert aux hominines femelles. Misogyne et bourgeois de son époque, Clair Tisseur rappelle dans ''Les vieilleries lyonnaises'' les structures sociales et les ségrégations de genre qui fondent l'univers bouliste en cette fin de XIX<sup><small>ème</small></sup> siècle. |
<blockquote>''Le jeu de boules est le jeu des boulangers retirés, des pâtissiers, des notaires, c'est-à-dire de tout ce qui constitue la partie sérieuse et solide de la société. Celui-là seul peut vraiment comprendre le jeu de boules, qui a l'âme pure, qui n'a point connu les passions ou en est revenu, qui a le cœurs simple. Jusque-là même qu'à la campagne les dames, souvent, ne dédaignent point de prendre part à ce modeste amusement. Leur aimable gaucherie, leur faiblesse, leur charmante maladresse à lancer la boule, qu'elles sont obligées de tenir en dessus de leur petite main délicate, au lieu de la happer solidement, comme les hommes, dans la main renversée, donnent une grâce, une fraîcheur que l'on n'eût point soupçonnées à ce jeu prosaïque. À la fin de la partie, leurs bras retombent comme lassés; leurs cheveux sont légèrement dénoués sur le cou; leur front est un peu rose de fatigue, et, si c'est l'été, quelquefois il y brille comme une perle de tiède rosée.''<ref>Nizier Du Puitspelu (Clair Tisseur), ''Les vieilleries Lyonnaises'', 1891, pages 78-79 - [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2046201/f84.item En ligne]</ref></blockquote> | <blockquote>''Le jeu de boules est le jeu des boulangers retirés, des pâtissiers, des notaires, c'est-à-dire de tout ce qui constitue la partie sérieuse et solide de la société. Celui-là seul peut vraiment comprendre le jeu de boules, qui a l'âme pure, qui n'a point connu les passions ou en est revenu, qui a le cœurs simple. Jusque-là même qu'à la campagne les dames, souvent, ne dédaignent point de prendre part à ce modeste amusement. Leur aimable gaucherie, leur faiblesse, leur charmante maladresse à lancer la boule, qu'elles sont obligées de tenir en dessus de leur petite main délicate, au lieu de la happer solidement, comme les hommes, dans la main renversée, donnent une grâce, une fraîcheur que l'on n'eût point soupçonnées à ce jeu prosaïque. À la fin de la partie, leurs bras retombent comme lassés; leurs cheveux sont légèrement dénoués sur le cou; leur front est un peu rose de fatigue, et, si c'est l'été, quelquefois il y brille comme une perle de tiède rosée.''<ref>Nizier Du Puitspelu (Clair Tisseur), ''Les vieilleries Lyonnaises'', 1891, pages 78-79 - [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2046201/f84.item En ligne]</ref></blockquote> | ||
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− | Devenu herboriste, Claude Debriand meurt le 6 février 1866 <ref>Acte de décès de Claude Debriand, Lyon, 4<sup><small>ème</small></sup> arr. - [http://www.fondsenligne.archives-lyon.fr/v2/ark:/18811/7c3829de686dcc5be3d721aae53acd67 En ligne]</ref>. Âgée de 70 ans, Françoise Debriand se retrouve seule à faire fonctionner l'herboristerie et à s'occuper de sa fille Françoise "Fanny" qui vit toujours avec elle. Des recherches futures dans les archives policières devraient pouvoir dire ce qu'il en est de sa brève arrestation en 1868<ref>Archives police</ref>. L'annuaire de 1869 précise que l'herboristerie du 2 rue Duviard est tenue par "''M<sup><small>me</small></sup> Debrillant''". Les archives ne permettent pas de dire quel fut l'impact sur le reste de la famille Debriand des soulèvements populaires en 1870 et 1871<ref>Commune de Lyon et soulèvement de 1871</ref>. Fanny est "''admise volontairement'' à l'asile de l'Antiquaille le 20 juillet 1871 <ref name="#asi" /><ref>"Hospice de l'Antiquaille", recensement de 1872 - [https://archives.rhone.fr/ark:/28729/pmcv81nxgqdr/032a0812-0132-4c40-a388-32c01017bae4 En ligne]</ref>, quelques mois avant la mort de sa mère Françoise Debriand le 24 octobre <ref>Acte de décès de Françoise Debriand, née Perrot, Lyon, 4<sup><small>ème</small></sup> arr. - [http://www.fondsenligne.archives-lyon.fr/v2/ark:/18811/14d0dfcfe9478ab6bfea4b9468e67f76 En ligne]</ref>. Son frère Annel qui meurt en 1875 au dépôt de mendicité d'Albigny-sur-Saône <ref>Acte de décès de Annel Debriand, Albigny-sur-Saône - [https://archives.rhone.fr/ark:/28729/j3c1vdxklq8z/539601d8-872a-48da-aca0-2128bcb46a63 En ligne]</ref>, au nord de Lyon, n'est sans doute pas en mesure de l'aider. Rien n'est connu sur les relations qu'elle entretient avec le reste de son adelphie, ou avec sa fille Marie. Fanny Debriand est transférée au nouvel asile de Bron le 25 novembre 1876<ref name="#asi">Registre de décès, asile de Bron, 1876 - [[Média:decesbron.jpg|En ligne]]</ref>. Décidée en 1868, la construction de cet "''asile public d'aliénés''" prévoit de fournir, sur un espace vert de 34 hectares à quatre kilomètres de Lyon, 1000 places pour accueillir au quotidien des hominines en souffrance psychologique ou malades, ainsi que celleux charger de les soigner ou de les enfermer. Des dortoirs, des ateliers, des fermes et des lieux de vie sont érigés dans un environnement de verdure <ref>Devenu depuis le centre hospitalier Le Vinatier. Un court historique - [https://patrimoine.auvergnerhonealpes.fr/dossier/asile-d-alienes-de-bron-puis-asile-departemental-d-alienes-du-rhone-puis-asile-d-alienes-du-vinatier-actuellement-centre-hospitalier-le-vinatier/3a3dc5c1-a0ba-47f4-8deb-498b6f04808d En ligne]</ref>. Une bibliothèque et des bains. En 1875, 150 aliénés sont utilisés pour faire les travaux de terrassement. Faute de crédits suffisants, seulement un peu plus de 600 places sont effectivement disponibles. Les hominines sont répartis selon leur genre, mâle ou femelle, dans des bâtiments identiques de part et d'autre d'une allée centrale, puis selon différentes catégories établies par les aliénistes : les "''tranquilles''", les "''semi-tranquilles''", les "''faibles et vieillards'', les "''agitables''" et les "''convalescents''". Quelques places aussi pour les épileptiques. Un bâtiment pour chaque catégorie, avec dortoirs et cellules d'isolement. Avant cet asile, la plupart des hominines mâles et femelles aux troubles psychologiques sont pris en charge par l'hôpital de l'Antiquaille situé dans un ancien couvent du cinquième arrondissement de Lyon <ref>Joseph Arthaud (Médecin à l'Antiquaille), ''Observations de crétinisme'', 1854 - [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54632237 En ligne]. Et ''De la possibilité et de la convenance de faire sortir certaines catégories d'aliénés des asiles spéciaux'', 1865 - [https://numelyo.bm-lyon.fr/f_view/BML:BML_00GOO0100137001100325468 En ligne]. Mélanie Baudy, ''La perception et le traitement de la folie à Lyon : l'Antiquaille 1803-1877'', mémoire de maîtrise, 2000 - [En ligne]</ref>. Celui-ci est surchargé et mal adapté aux nouvelles approches psychiatriques. En 1876, le déplacement de l'ensemble des malades de l'Antiquaille vers l'asile public d'aliénés de Bron est lancé <ref>Antoine Lacour, ''Le transfert des aliénés du quartier de l’Antiquaille à l’Asile départemental de Bron'', Lyon, Association typographique, 1877 - [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5618980b En ligne]</ref>. Les capacités d'accueil ne sont pas suffisantes et des projets d'extension sont envisagés pour l'année suivante. | + | Devenu herboriste, Claude Debriand meurt le 6 février 1866 <ref>Acte de décès de Claude Debriand, Lyon, 4<sup><small>ème</small></sup> arr. - [http://www.fondsenligne.archives-lyon.fr/v2/ark:/18811/7c3829de686dcc5be3d721aae53acd67 En ligne]</ref>. Âgée de 70 ans, Françoise Debriand se retrouve seule à faire fonctionner l'herboristerie et à s'occuper de sa fille Françoise "Fanny" qui vit toujours avec elle. Des recherches futures dans les archives policières devraient pouvoir dire ce qu'il en est de sa brève arrestation en 1868<ref>Archives police</ref>. L'annuaire de 1869 précise que l'herboristerie du 2 rue Duviard est tenue par "''M<sup><small>me</small></sup> Debrillant''". Les archives ne permettent pas de dire quel fut l'impact sur le reste de la famille Debriand des soulèvements populaires en 1870 et 1871<ref>Commune de Lyon et soulèvement de 1871</ref>. Fanny est "''admise volontairement'' à l'asile de l'Antiquaille le 20 juillet 1871 <ref name="#asi" /><ref>"Hospice de l'Antiquaille", recensement de 1872 - [https://archives.rhone.fr/ark:/28729/pmcv81nxgqdr/032a0812-0132-4c40-a388-32c01017bae4 En ligne]</ref>, quelques mois avant la mort de sa mère Françoise Debriand le 24 octobre <ref>Acte de décès de Françoise Debriand, née Perrot, Lyon, 4<sup><small>ème</small></sup> arr. - [http://www.fondsenligne.archives-lyon.fr/v2/ark:/18811/14d0dfcfe9478ab6bfea4b9468e67f76 En ligne]</ref>. Son frère Annel qui meurt en 1875 au dépôt de mendicité d'Albigny-sur-Saône <ref>Acte de décès de Annel Debriand, Albigny-sur-Saône - [https://archives.rhone.fr/ark:/28729/j3c1vdxklq8z/539601d8-872a-48da-aca0-2128bcb46a63 En ligne]</ref>, au nord de Lyon, n'est sans doute pas en mesure de l'aider. Rien n'est connu sur les relations qu'elle entretient avec le reste de son adelphie, ou avec sa fille Marie. Fanny Debriand est transférée au nouvel asile de Bron le 25 novembre 1876 <ref name="#asi">Registre de décès, asile de Bron, 1876 - [[Média:decesbron.jpg|En ligne]]</ref>. Décidée en 1868, la construction de cet "''asile public d'aliénés''" prévoit de fournir, sur un espace vert de 34 hectares à quatre kilomètres de Lyon, 1000 places pour accueillir au quotidien des hominines en souffrance psychologique ou malades, ainsi que celleux charger de les soigner ou de les enfermer. Des dortoirs, des ateliers, des fermes et des lieux de vie sont érigés dans un environnement de verdure <ref>Devenu depuis le centre hospitalier Le Vinatier. Un court historique - [https://patrimoine.auvergnerhonealpes.fr/dossier/asile-d-alienes-de-bron-puis-asile-departemental-d-alienes-du-rhone-puis-asile-d-alienes-du-vinatier-actuellement-centre-hospitalier-le-vinatier/3a3dc5c1-a0ba-47f4-8deb-498b6f04808d En ligne]</ref>. Une bibliothèque et des bains. En 1875, 150 aliénés sont utilisés pour faire les travaux de terrassement. Faute de crédits suffisants, seulement un peu plus de 600 places sont effectivement disponibles. Les hominines sont répartis selon leur genre, mâle ou femelle, dans des bâtiments identiques de part et d'autre d'une allée centrale, puis selon différentes catégories établies par les aliénistes : les "''tranquilles''", les "''semi-tranquilles''", les "''faibles et vieillards'', les "''agitables''" et les "''convalescents''". Quelques places aussi pour les épileptiques. Un bâtiment pour chaque catégorie, avec dortoirs et cellules d'isolement. Avant cet asile, la plupart des hominines mâles et femelles aux troubles psychologiques sont pris en charge par l'hôpital de l'Antiquaille situé dans un ancien couvent du cinquième arrondissement de Lyon <ref>Joseph Arthaud (Médecin à l'Antiquaille), ''Observations de crétinisme'', 1854 - [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54632237 En ligne]. Et ''De la possibilité et de la convenance de faire sortir certaines catégories d'aliénés des asiles spéciaux'', 1865 - [https://numelyo.bm-lyon.fr/f_view/BML:BML_00GOO0100137001100325468 En ligne]. Mélanie Baudy, ''La perception et le traitement de la folie à Lyon : l'Antiquaille 1803-1877'', mémoire de maîtrise, 2000 - [En ligne]</ref>. Celui-ci est surchargé et mal adapté aux nouvelles approches psychiatriques. En 1876, le déplacement de l'ensemble des malades de l'Antiquaille vers l'asile public d'aliénés de Bron est lancé <ref>Antoine Lacour, ''Le transfert des aliénés du quartier de l’Antiquaille à l’Asile départemental de Bron'', Lyon, Association typographique, 1877 - [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5618980b En ligne]</ref>. Les capacités d'accueil ne sont pas suffisantes et des projets d'extension sont envisagés pour l'année suivante. |
[[Fichier:Boulbron.jpg|300px|vignette|droite|Fanny et boules lyonnaises à l'hôpital de Bron<ref>Prise entre 1905 et 1908, cette photo montre une partie de boules lyonnaises entre des membres du personnel de l'hôpital de Bron. Accrochée à l'arbre, une représentation des fesses de la Fanny. Savent-ils que la vraie Fanny fut une des premières pensionnaires de l'asile, trente ans plus tôt ?</ref>]] | [[Fichier:Boulbron.jpg|300px|vignette|droite|Fanny et boules lyonnaises à l'hôpital de Bron<ref>Prise entre 1905 et 1908, cette photo montre une partie de boules lyonnaises entre des membres du personnel de l'hôpital de Bron. Accrochée à l'arbre, une représentation des fesses de la Fanny. Savent-ils que la vraie Fanny fut une des premières pensionnaires de l'asile, trente ans plus tôt ?</ref>]] |
Version du 22 septembre 2022 à 17:26
Fanny (Фани en macédonien - Fanì en nissard) Dégât collatéral
SommaireUsagesDans l'usage populaire de la langue française, les expressions "Être Fanny", "Faire Fanny" ou "Embrasser Fanny" sont similaires. Elles s'emploient dans un contexte ludique, lorsque l'une des personnes ou des équipes n'obtient aucun point au jeu auquel illes participent. Zéro. Rien. Cela vaut pour les jeux de boules, les cartes, le baby-foot, le ping-pong et quelques autres encore. Généralement, cela se conclut par un gage imposé aux hominines [1] et qui varie selon les traditions liées à chaque jeu, selon les régions et les époques, ou selon des règles éphémères établies entre des hominines qui jouent ensemble. Cela va de la simple tournée au bar offerte aux hominines ayant gagné jusqu'à des rituels ridiculisant les hominines ayant perdu. L'humiliation reste symbolique. Les pleurs sont provoqués par le score nul et non par la dureté du châtiment. Le gage est accompli en public et l'annonce de ce Fanny est clamée haut et fort. Les rires des anonymes et les taquineries des proches sont une manière de marquer l'évènement sans volonté réelle de blesser ou de dénigrer. Les hominines adorent ritualiser leurs comportements sociaux. Celui-ci est loin d'être le plus ridicule ! Rien ne ressemble plus au mot fanny que le prénom Fanny. Il est le diminutif de Frances en anglais et de Françoise en français. Parfois celui de Stéphanie. Il est devenu un prénom à part entière mais dans le calendrier christien [3] il est fêté le 9 mars avec les Françoise et les France, le 26 décembre lorsqu'il est basé sur Stéphanie. Fanny et ses dérivés sont utilisés pour des hominines femelles. Fanette est un diminutif possible de Fanny. Dans le sud de la France, où les langues occitanes ont laissé leurs empreintes, ce prénom est parfois utilisé sous la forme Fanì mais le plus courant reste l'orthographe Fanny, celle retenue par Marcel Pagnol pour sa pièce de théâtre éponyme. Interprétée en 1931 après JCⒸ[4], Fanny [5] raconte l'histoire d'une jeune hominine femelle de Marseille, fille d'une marchande de poisson. Elle enfante seule après un accouplement furtif avec Marius — parti en mer et qui n'en sait rien — et se voit contrainte d'accepter de se marier avec Honoré Panisse, un hominine mâle de 30 ans plus vieux qu'elle. Pour sa survie et sa respectabilité. Il est aussi le prénom de Fanny Kaplan et, hypothétiquement, celui de F. Merdjanov. Si dans la langue française le mot fanny semble n'être qu'un prénom, dans l'anglaise il est aussi un nom commun. Fanny désigne la vulve des hominines femelles mais dans l'anglais étasunien il nomme aussi les fesses [6]. Les étymologistes divergent sur les origines de ces emplois. L'une des possibilités évoque le lien entre le sens sexuel de fanny et le roman érotique de John Cleland publié au milieu du XVIIIème siècle, Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir [7]. Le livre est rapidement interdit pour obscénité par les autorités britanniques. Sous formes de lettres, Fanny Hill, elle-même prostituée pour survivre à Londres, raconte dans le détail ses mœurs et ses pratiques avec sa clientèle. Malgré l'interdiction, le livre circule clandestinement. Les États-Unis d'Amérique l'interdisent pour le même motif au début du XIXème siècle. Alors que la plupart des versions qui circulent sont tronquées, une traduction du texte original est publiée en France en 1914 sous les auspices du poète Guillaume Apollinaire [8]. Il reste interdit jusque dans la seconde moitié du XXème siècle au Royaume-Unis et aux États-Unis. L'argot anglais utilise naff [9], le verlan[10] de fanny, pour désigner les parties génitales externes des hominines femelles. Dans l'argot de la prostitution, naff signifie nothing, "rien". Si ce sens n'est pas issu de fanny, il peut être l'apocope de nothing, comme en français avec que dalle [11] qui signifie "rien" et peut se dire simplement queud’. IllusionsLe folklore et l'histoire des jeux de boules proposent une version de Fanny. En 1852, la petite ville de la Croix-Rousse est rattachée à la ville de Lyon dont elle devient un arrondissement. Située sur l'une des collines de Lyon, la Croix-Rousse est un quartier où les ateliers de tissage de soie sont très nombreux dans la première moitié du XIXème siècle. Elle est le lieu central des révoltes des artisans tisserands entre 1831 et 1834, appelés canuts [12]. Les revendications concernent autant l'amélioration des conditions de travail et de revenus que le refus de la mécanisation qui menace leur profession. Les affrontements avec les forces armées font plusieurs centaines de morts et de blessés de part et d'autre. Les insurrections des Voraces [13] en 1848 et 1849 sont les derniers sursauts de la contestation politique des canuts. La tension sociale retombe dans les décennies suivantes, les contestations dans les ateliers ont fait place au paternalisme patronal comme le remarque le sociologue de la famille Jules Vallès lors d'un court passage à la Croix-Rousse en 1866 :
L'inauguration en 1862 d'un funiculaire, surnommé la "Ficelle", qui réunit les bas des pentes au plateau de la Croix-Rousse, et l'année suivante celle de la gare de la ligne de chemin de fer qui dessert le plateau entre le Rhône et la Saône, marquent l'intégration urbanistique de la Croix-Rousse à Lyon. C'est dans ce contexte politique que s'officialise la boule lyonnaise [15]. La société sportive du Clos Jouve est créée en 1850. Ancienne propriété d'une congrégation religieuse, le clos Jouve appartient au ministère de la guerre qui y fait parfois des exercices militaires pour entraîner ses soldats. Une partie de l'espace est occupée par les boulodromes qui s'installent régulièrement. Comme tous les jeux de ce type, la boule lyonnaise consiste à jeter des boules en direction d'une plus petite et de s'en rapprocher le plus possible. Apparue dans le courant du XVIIIème siècle, elle est une variante des très nombreuses pratiques de jeux de boules qui existent dans différentes régions d'Europe. La spécificité lyonnaise tient dans la dimension des boules et leur poids, plus grosses et plus lourdes que dans la pétanque, qui nécessitent de faire quelques pas d'élan pour les lancer sur un terrain deux fois plus long que pour la pétanque. Cette dernière est une adaptation du jeu provençal pour hominines à mobilité réduite. La longueur du boulodrome est divisée de moitié et plus besoin de faire des sauts avant de jeter la boule ; elle se joue à pieds-plantés, pèd-tanca en provençal. Les trois se jouent sur un sol naturel avec des boules rondes. Il existe des jeux de boules sur herbe, sur sable et sur bitume. Certains avec des boules en bois ou en métal. D'autres avec des boules ovales ou carrées. Même s'il n'est pas le seul à Lyon, le clos Jouve devient le principal lieu de rencontre pour les adeptes de la boule lyonnaise. En France et en Angleterre, les jeux de boules et de balles sont régulièrement interdits depuis le XIVème siècle par les autorités politiques et moralement condamnés par les religieux. Certains sont néanmoins pratiqués par les hominines appartenant à la noblesse ou dans les petits souliers de la royauté. Le bilboquet [16], par exemple. Les interdictions sont levées en France en 1789 après le renversement de la royauté et l'abolition formelle des privilèges, et seulement en 1845 sur l'île britannique. Dans les faits, ces interdictions n'ont pas empêché la pratique de jeux de boules parmi les populations d'hominines de ces deux pays au fil des siècles. La folklorisation des pratiques populaires régionales pour alimenter la mythologie nationaliste du XIXème siècle a permis la préservation d'anciens jeux et l'émergence de nouveaux. La France dénombre plusieurs dizaines de variantes de jeux de boules, dont presque une vingtaine en Bretagne. La plupart ont été inscrits à l'inventaire du patrimoine culturel immatériel en France dans les années 2000. Les différences entre ces jeux de boules sont du domaine des règles, de la dimension du terrain et des boules. Tout est dans la nuance. Il y a autant de différences entre les boules lyonnaises et les parisiennes qu'entre la salade niçoise et la salade chopska.
Fanny Dubriand se passionne pour la boule lyonnaise. Elle assiste en spectatrice aux parties qui s'enchaînent sur le clos Jouve. Le boulodrome est alors un endroit exclusivement masculin et le jeu n'est pas ouvert aux hominines femelles. Misogyne et bourgeois de son époque, Clair Tisseur rappelle dans Les vieilleries lyonnaises les structures sociales et les ségrégations de genre qui fondent l'univers bouliste en cette fin de XIXème siècle.
Les parents de Fanny Dubriand sont les hominines qui tiennent l'herboristerie près de la mairie du 4ème arrondissement, pas très loin de la station du funiculaire. Elle a environ 20 ans dans les années 1860. Selon ses biographes [18], Fanny Dubriand est considérée comme une "simple d'esprit", "sale et mal habillée". Elle dort souvent dans la rue et traîne près du clos Jouve. Lorsque des hominines perdent une partie sur le score de treize à zéro, il est instauré un gage consistant à aller "Voir Fanny". Le rituel est simple. En échange d'une pièce de monnaie, Fanny accepte de soulever ses jupes pour montrer ses fesses. L'acte n'a aucune connotation sexuelle mais se veut humiliant car la beauté et la propreté de Fanny ne sont pas du goût des boulistes. Il existe plusieurs variantes dans les descriptifs des rituels. Cela ressemble à une grosse blague potache. Les hominines mâles ont depuis longtemps développé un humour bien à eux ! Pour faire une comparaison moderne, c'est un peu comme demander à la vieille clocharde avinée du coin de la rue de montrer ses fesses contre une cigarette. Que de franches rigolades pour celleux qui aiment s'amuser en faisant de la merde. Et cela bien avant le premier cas de hooliganisme constaté dans les jeux de boules [19]. En 1868, Fanny Dubriand est arrêtée par la police pour son errance et son exhibitionnisme. Solidaires, les boulistes expliquent que c'est eux qui lui demandent et non elle qui se montre dans la rue. Elle est finalement relâchée, sans aucune charge contre elle. Sa rencontre avec un hominine porté sur la boisson va déboucher environ 9 mois plus tard sur la naissance d'un enfant — mâle ou femelle ? Seule et trop pauvre pour subvenir aux besoins de sa progéniture, elle la place à l'assistance publique. Par la suite, Fanny Dubriand est hospitalisée dans un asile où elle meurt rapidement.
Touchés par le sort de "leur" Fanny — et l'absence de candidates à son remplacement —, les boulistes décident de mettre en place un nouveau gage pour lui rendre hommage. À leur manière. Dorénavant il faut embrasser une photo de fesses, présentées comme celles de Fanny. Les poètes croix-roussiens font rimer la boule avec le boul [22]. Le succès de la boule lyonnaise et son influence sur les autres jeux de boules contemporains aident à la diffusion du rituel de Fanny. Il est présent dans des jeux aussi éloignés géographiquement que la pétanque méridionale et la boule de fort angevine [23]. Le pataphysicien Alfred Jary fait commencer son roman La dragonne, écrit en 1904, par une scène de Fanny inspirée de son court passage dans la petite ville de Le Grand-Lemps en Isère, à environ 80 kilomètres de Lyon. Le jeu provençal et la pétanque ont conservé cette tradition. Chaque nouvelle société de boules, lyonnaises, provençales ou pied-tanquées se fait fabriquer sa propre Fanny : un petit tableau en relief représentant une paire de fesses. Sans tronc, ni jambes. Il est une relique pour chaque club. Rangée précieusement dans un coffre, elle est sortie uniquement lors d'une défaite à zéro point. Il faut alors "Embrasser Fanny". Un petit tapis est parfois prévu afin de protéger les genoux de ceux qui viennent de perdre et une clochette annonce publiquement une telle défaite. Si les aspects humiliants du rituel de la Fanny peuvent sembler assez relatifs pour beaucoup d'hominines, il faut le replacer dans le contexte social de son apparition pour en mesurer ses véritables enjeux. Les premiers boulistes de la Croix-Rousse sont principalement des petits artisans, des manœuvres, des commerçants et des notables. Par la suite, le jeu se répand aussi parmi le "petit peuple" et les boulodromes deviennent un espace de "mixité sociale" dans tous les différents jeux de boules qui se développent en France à partir du début du XXème siècle. Il est toujours plus facile d'accepter de se prêter au rituel de la Fanny dans un cadre privé, amical ou familial, que de le faire en public pour des hominines qui bénéficient d'un statut social privilégié. Si l'oncle ou le voisin peuvent se le permettre, Monsieur le Maire, le pharmacien ou le gendarme peuvent-ils accepter l'humiliation sans mettre en péril le sérieux de leur fonction ? Peuvent-ils ainsi se ridiculiser ? L'équipe ouvrière peut-elle vraiment se mettre à genoux devant celle des petit-chefs ? La littérature sur les jeux de boules regorge d'anecdotes sur des hominines ayant refusé de s'y plier, préférant même arrêter les boules plutôt que d'accepter d'embrasser Fanny. Soit pour des raisons de prestige social, soit par simple fierté personnelle démesurée.
Pour les folkloristes, l'histoire bouliste de Fanny alimente des poèmes, des chansons ou des textes, parfois en parler lyonnais [25]. Pour les illustrateurs, les peintres et les photographes, c'est son boul qui les fascine. L'imagerie est de plus en plus "polissonne". Les illustrations et les cartes postales montrent une jeune hominine femelle, jupe retroussée, exhibant des fesses rebondies avec le sourire. Il ne reste rien de la "simple d'esprit", "sale et mal habillée", place dorénavant à la pin-up modelée par les critères esthétiques et les modes successives. La relique de Fanny est dans les premières décennies faîte à la demande par chaque société bouliste auprès d'artisans, avant de devenir progressivement à partir de la seconde moitié du XXème siècle un objet issu de l'industrie et tendant donc à s'uniformiser [26].
Sans que l'on sache comment, cette expression de Fanny s'est étendue à d'autres jeux. Non pas le rituel d'embrasser de fausses fesses mais celui d'un gage pour une partie perdue à zéro point marqué, "Être Fanny". Seuls les jeux de boules persistent dans leur mise en scène de l'embrassade. À tort la Fanny est bien souvent assimilée à la seule pétanque — devenue depuis son invention en 1907 le sport de boules le plus pratiqué en France — et à la France méridionale. Cette confusion est peut-être due à la pièce Fanny de Marcel Pagnol et au succès de son adaptation cinématographique en 1932. La partie de boules dans les rues de Marseille n'est pas de la pétanque mais du jeu provençal [28]. Trois pas sont nécessaires avant le lancer. Dans Le temps des amours, quatrième tome de ses souvenirs de jeunesse, Marcel Pagnol raconte une partie de ce jeu qui se finit sur une Fanny. La confusion vient peut-être aussi du score de zéro à treize, chiffre qui rappelle le département des Bouches-du-Rhône et sa capitale Marseille. Malgré cela, les expressions avec Fanny se sont étendues à la belote, au baby-foot, au ping-pong et au bowling, pour ne citer que quelques exemples. En 1987, une artiste installe à Lyon une œuvre dédiée à Fanny Dubriand, dans une zone piétonne aménagée, seul vestige de l'ancien clos Jouve. Elle est constituée d'un fessier joufflu et sans corps, exhibé sous une jupe de bronze en forme de rose dont il forme le cœur, posé sur un piédestal et enfermé dans une grande boule. En "hommage à toutes les femmes culottées de l’Histoire", les pétales de la rose sont parcourus de prénoms. Les inscriptions "Fanny 20 ans, Fanny 100 ans, courage, amour, bonheur, colère, audace, pensée, mémoire"[29] forment les parois de la sphère et cachent partiellement les fesses de la vue des hominines qui passent devant. Pour "Embrasser Fanny", il faut maintenant avoir la clef. Réalités
Le folklore populaire n'est pas que des contes peuplés d'êtres imaginaires pour effrayer les enfants ou les amuser, il raconte aussi des pans de la réalité. Déformée par les modes de transmission d'histoires réelles d'hominines. Il n'existe aucune Fanny Dubriand dans l'ensemble des archives de la ville de Lyon de la seconde moitié du XIXème siècle. Par contre, une Françoise Debriand apparaît dans plusieurs registres. L'orthographe de son patronyme est changeante, selon les documents consultés on retrouve aussi Debrillant, Dubrian ou Debrian. Elle est née le 11 août 1834 à Lyon [31]. Son père, Claude Debriand, et sa mère, Françoise Perrot, ont alors presque 40 ans. La famille compte déjà 7 enfants, deux femelles et cinq mâles, dont les naissances s'étalent entre 1817 et 1832. Deux autres sœurs naissent, en 1837 et 1838. Les registres d’État civil mentionnent la famille de Françoise Perrot à la Guillotière, alors ville séparée de Lyon, dès la fin du XVIIème siècle. Son père, Barthélemy Perrot, ancien canonnier dans le 4ème bataillon des fédérés nationaux, reçoit une indemnité mensuelle pour avoir eu le bras arraché. En mai 1795, Barthélemy Perrot et Marie-Louise Renaud se marient. Leur fille Françoise naît en février de l'année suivante. Après un divorce, Marie-Louise Renaud se remarie en 1798 avec François Ren (Rang), né à Lille de parents inconnus. Il est ouvrier orfèvre. Avec un demi-frère né en 1811, Françoise Perrot et sa famille recomposée habitent 62 rue de la Vieille-Monnaie, aujourd'hui rue René Leynaud, sur les pentes de la Croix-Rousse. La mère de Claude Debriand est née au sud de Lyon, à Irigny, et son père est issu d'hominines de la Creuse, à quelques 400 kilomètres à l'ouest de la région lyonnaise, dont l'un, son propre père, s'installe à la Guillotière dans le courant du XVIIIème siècle. Retrouvé noyé en 1805, le père de Claude Debriand laisse une veuve et 5 enfants. Celle-ci se remarie l'année suivante. Les enfants mâles et femelles sont abandonnés auprès des Hospices civils de Lyon, puis envoyés en apprentissage dans différentes familles d'accueil avant de retourner progressivement auprès de leur famille. Claude est de retour en 1811. Après sa participation aux campagnes militaires de l'empereur français Napoléon de 1813 à 1814 [32], il se marie avec Françoise Perrot en 1815 à la Guillotière. Selon les actes de naissances de leurs enfants entre 1816 et 1834, illes habitent alors Grande-Rue à la Guillotière, puis 16 rue de la Barre sur la presqu'île lyonnaise. Un logement est loué pour la famille nombreuse et un local pour les activités de ferblantier de Claude Debriand, le père[34]. Françoise Debriand, la mère, est modiste et tient une boutique au 1 de la rue Raisin, actuelle rue Jean-de-Tournes dans le deuxième arrondissement [35]. Illes déménagent ensuite sur l'autre rive du Rhône, rue Saint-George. Au 25. Leur adresse lorsque naît Françoise "Fanny" en août 1834. Le recensement de 1836 précise qu'il est ouvrier ferblantier et qu'elle est lingère [36]. La famille Debriand demeure au rez-de-chaussée où un logement et un local commercial sont loués [37]. Au recensement de 1851 [38], illes habitent au 2 rue Duviard à la Croix-Rousse — qui est jusqu'en 1852 une ville indépendante de Lyon. Juste au croisement avec le boulevard de la Croix-Rousse, derrière la mairie du 4ème arrondissement. Il est indiqué que le couple vit avec Fanny et l'une de ses jeunes sœurs [39]. Dans la case prévue à cet effet, il est précisé que Françoise "Fanny", alors âgée de 16 ans, a un goitre et est considérée "idiote". Dans la case "métier" il est sous-entendu qu'elle est à la charge de ses parents. En 1856, Claude Debriand est épicier [40]. La boutique d'alors est aujourd'hui une grande droguerie en coin, au croisement des deux rues. Annel, le plus jeune des frères, est de retour au foyer familial. Le 3 octobre 1859 à l'hôpital de la Charité, Fanny donne naissance à Marie [41]. L'acte ne précise pas le nom du père. Un ivrogne selon la tradition bouliste, ou un militaire. Voire les deux, ce qui n'est pas incompatible. L'enfant est placée dans une crèche [42]. Fanny sort de l'hôpital une semaine après l'accouchement. Marie semble être prise en charge par l'assistance publique [43], comme l'affirme la tradition bouliste. Elle n'apparaît pas dans le recensement de 1861 avec sa mère [44]. Son acte de mariage indique qu'elle est "fille [...] non reconnue de Françoise Debriand" [45]. Rien n'est su sur les circonstances de la procréation. Dans quelles mesures furent-elles consenties par Fanny Debriand dont les facultés mentales sont sans doute perturbées ? Selon les définitions médicales du XIXème siècle, elle est atteinte de crétinisme. La médecine en Europe parvient à comprendre que les carences en iode dans l'alimentation des hominines crée des dysfonctionnements de la thyroïde et des malformations. Parfois accompagnés de cas de nanisme dysharmonieux. Très souvent, le crétinisme se concrétise par un goitre, c'est à dire une hypertrophie au niveau du cou, là où se situe la glande thyroïdienne. Il peut être très volumineux. Outre des malformations ou des retards de croissance, les dérèglements biologiques peuvent provoquer une "arriération mentale, intellectuelle" [46]. L'histoire bouliste et le qualificatif "idiote" de l'administration laissent à penser que Fanny Debriand est dans ce cas. Le crétinisme passionne. Des villages isolés des Alpes et des Pyrénées sont étudiés car ils présentent des taux très élevés de crétinisme dans leur population. Les "Crétins des Alpes" entrent dans l'histoire[47]. Le terme est alors médical, et non injurieux. Photographies et études se multiplient. Un rapport ministériel de 1873 indique que le département du Rhône abrite 5000 crétins mâles et 14000 femelles, de plus de 20 ans, soit un total de 4,6% de la population totale. Le Rhône est classé parmi les départements particulièrement concernés [48]. Dans les régions montagneuses où l'absence d'iode est patente et où la consanguinité n'est pas une exception, 10 départements sont les plus touchés, avec des pourcentages de 5% pour les Alpes-Maritimes jusqu'à 13% en Savoie. Les avis divergent sur le sort à réserver aux hominines "souffrant" de crétinisme. Pour ces populations villageoises, la solution prônée est l'apport d'iode dans leur alimentation par la consommation de produits marins. Le crétinisme disparaîtra ainsi au fil des générations. Un tel apport fait diminuer les goitres, parfois jusqu'à les résorber, lorsque cela est fait chez les hominines les plus jeunes. Pour les populations urbaines, la crétinisme est médicalisé. Le recensement de 1851 prévoit plusieurs colonnes pour répertorier les différentes "maladies et infirmités apparentes", dont le goitre [49]. Les spécialistes qui pensent qu'il est possible d'en soigner les aspects psychologiques préconisent l'internement dans des asiles. Par des thérapies, parfois de choc, des activités sociales et des incitations intellectuelles, les hominines mâles et femelles doivent pouvoir se rapprocher des standards sociaux attendus pour vivre en société. Même les plus débiles. Avant d'être internée, Fanny Debriand est en capacité de vivre dans sa famille pendant des décennies et d'interagir avec son environnement. Tel que les boulistes du clos Jouve. Et son arrestation en 1868 confirme qu'elle peut se faire comprendre. Aucune information sur son type de crétinisme et son degrés de troubles mentaux n'est disponible. Nulle indication dans les archives sur les raisons de son crétinisme. Est-il congénital ou lié à des carences en iode pendant la grossesse de sa mère ? Sa proche parentèle ne semble pas atteinte. Françoise "Fanny" Debriand apparaît en filigrane dans le rapport sanitaire de 1866 dont elle est l'une des protagonistes.
Devenu herboriste, Claude Debriand meurt le 6 février 1866 [51]. Âgée de 70 ans, Françoise Debriand se retrouve seule à faire fonctionner l'herboristerie et à s'occuper de sa fille Françoise "Fanny" qui vit toujours avec elle. Des recherches futures dans les archives policières devraient pouvoir dire ce qu'il en est de sa brève arrestation en 1868[52]. L'annuaire de 1869 précise que l'herboristerie du 2 rue Duviard est tenue par "Mme Debrillant". Les archives ne permettent pas de dire quel fut l'impact sur le reste de la famille Debriand des soulèvements populaires en 1870 et 1871[53]. Fanny est "admise volontairement à l'asile de l'Antiquaille le 20 juillet 1871 [54][55], quelques mois avant la mort de sa mère Françoise Debriand le 24 octobre [56]. Son frère Annel qui meurt en 1875 au dépôt de mendicité d'Albigny-sur-Saône [57], au nord de Lyon, n'est sans doute pas en mesure de l'aider. Rien n'est connu sur les relations qu'elle entretient avec le reste de son adelphie, ou avec sa fille Marie. Fanny Debriand est transférée au nouvel asile de Bron le 25 novembre 1876 [54]. Décidée en 1868, la construction de cet "asile public d'aliénés" prévoit de fournir, sur un espace vert de 34 hectares à quatre kilomètres de Lyon, 1000 places pour accueillir au quotidien des hominines en souffrance psychologique ou malades, ainsi que celleux charger de les soigner ou de les enfermer. Des dortoirs, des ateliers, des fermes et des lieux de vie sont érigés dans un environnement de verdure [58]. Une bibliothèque et des bains. En 1875, 150 aliénés sont utilisés pour faire les travaux de terrassement. Faute de crédits suffisants, seulement un peu plus de 600 places sont effectivement disponibles. Les hominines sont répartis selon leur genre, mâle ou femelle, dans des bâtiments identiques de part et d'autre d'une allée centrale, puis selon différentes catégories établies par les aliénistes : les "tranquilles", les "semi-tranquilles", les "faibles et vieillards, les "agitables" et les "convalescents". Quelques places aussi pour les épileptiques. Un bâtiment pour chaque catégorie, avec dortoirs et cellules d'isolement. Avant cet asile, la plupart des hominines mâles et femelles aux troubles psychologiques sont pris en charge par l'hôpital de l'Antiquaille situé dans un ancien couvent du cinquième arrondissement de Lyon [59]. Celui-ci est surchargé et mal adapté aux nouvelles approches psychiatriques. En 1876, le déplacement de l'ensemble des malades de l'Antiquaille vers l'asile public d'aliénés de Bron est lancé [60]. Les capacités d'accueil ne sont pas suffisantes et des projets d'extension sont envisagés pour l'année suivante. Françoise "Fanny" Debriand y meurt le 16 décembre 1876 [62] à l'âge de 42 ans. L'acte de décès de l'asile de Bron précise qu'elle est surnommée Fanny [54]. La cause de sa mort est une attaque d’éclampsie [54]. Cela implique qu'elle est alors enceinte. En effet, l'éclampsie est une crise convulsive généralisée, comparable à une crise d'épilepsie, provoquée par un fœtus qui perturbe trop fortement la tension artérielle. Son lieu d'inhumation est encore inconnu. L'asile de Bron n'a pas de cimetière propre avant 1880. Est-elle alors enterrée dans un cimetière communal ?[63] La seule quasi certitude est qu'elle est passée par la chambre mortuaire de l'asile de Bron. Visite guidée.
La mascotte Françoise "Fanny" Debriand est morte dans l'anonymat. Sans imaginer un instant que son geste de montrer ses fesses aux boulistes perdants du clos Jouve serait à l'origine d'une expression populaire et de la mise en place de véritables rituels dans les jeux de boules. Jusqu'à disparaître complètement en tant que personne réelle pour n'être plus qu'une imagerie populaire. Si son crétinisme et son goitre sont sans doute une des raisons pour lesquelles les boulistes se moquent d'elle, Fanny n'est pas que cela. Elle traîne autour du boulodrome. Regarde les parties. Ont-ils été attendri par cette fenotte [65] qu'ils trouvent simplette et moche ? Discutent-ils avec elle ? Vient-elle seule ou son père est-il bouliste pratiquant ? La tradition bouliste perpétue une histoire du Clos Jouve où les joueurs ne sont pas méchants avec elle et témoignent même en sa faveur en 1868 lors de son arrestation. Un peu comme si leur choix de Fanny pour leur rituel était une macédoine étrange de dégoût et de sympathie. Vrai-alitéÉtablir la réalité de Françoise "Fanny" Debriand ne dit rien sur le rituel bouliste qui l'entoure et de son évolution. Quelles sont les liens entre le gage qui consiste à regarder les fesses, peu ragoûtantes selon les boulistes, de Fanny et le fait d'embrasser une représentation de fesses ? De quand datent les premières utilisations de l'expression. Dans son article consacré aux boules, écrit en 1873, Nizier du Puitspelu consacre un chapitre au lexique propre aux boulistes. Il affirme que lorsqu'une personne ne fait aucun point, elle doit "Baiser le cul de la vieille" [66]. Mais sa description ne vaut que pour son environnement proche car, comme il le dit lui-même, il ne connaît pas ce qui se passe dans d'autres quartiers lyonnais. "Il paraît qu'il existe aussi un jeu de boules renommé à la Croix-Rousse. Je ne le connais que par une grande caricature qu'avait faite, vers 1865, le dessinateur Labbé [...] On dit que le personnel habituel des joueurs y était tiré au vif". Si l'expression est peut-être déjà utilisée à la Croix-Rousse, elle peut ne pas encore avoir franchi les frontières des arrondissements lyonnais. Il ajoute que "dans le beau monde, on se contente de la plaisanterie en paroles", alors qu'ailleurs d'autres le font en acte avec "un tableau représentant en profil une horrible vieille, avec trois poils sur le nez". Cette expression de "Baiser le cul de la vieille" n'est pas typique de la région lyonnaise mais est présente dans plusieurs autres régions françaises, avec ce même sens de "perdre". Elle est antérieure à celle sur Fanny. Il est probable que les premiers boulistes du Clos Jouve l'aient adapté à leur propre boulodrome et son environnement. Leur vieille symbolique et ses fesses sont remplacées par celles de Françoise "Fanny" Debriand. Il ne faut plus les embrasser, mais les regarder. Ce n'est pas l'acte de Fanny de montrer ses fesses aux perdants contre une pièce de monnaie qui crée le rituel mais le rituel symbolique préexiste et elle ne fait que l'incarner en chair et en os pour les boulistes de la Croix-Rousse. Dans leurs esprits, embrasser un représentation de fesses d'une hominine femelle âgée et laide est un gage équivalent à celui de regarder celles, bien réelles, de la goitreuse et "simplette" qu'est Fanny ! Une mauvaise oxygénation après un effort sportif prolongé et une concentration extrême sont parfois la cause d'altération de la vrai-alité.
L'imagerie liée à la Fanny croix-roussienne s'est éloignée de la dimension supposément repoussante de son boul pour mettre en avant des postérieurs aux formes jugées attirantes. Avec le cérémonial de la Fanny, il ne s'agit plus de regarder le cul d'un goitreuse ou d'embrasser celui d'une vieille mais de s'agenouiller devant celui d'une hominine femelle aguichante. "Embrasser" ou "Baiser le cul de la vieille" n'est pas propre aux jeux de boules. Cette expression se retrouve en 1718 où elle est une "manière de parler uſitée à Paris [qui] ſe dit ordinairement au jeu de billard & autres, [et] ſignifie ne faire pas un ſeul point, perdre ſans avoir pû gagner ni prendre un point." [68]. L'auteur de ces lignes ne précisent pas quels sont les autres jeux. Le cricket ou la soule ? [69] Peut-être le jeu de paume, lointain ancêtre du tennis, qui se joue à mains nues à la fin du XIIIème siècle puis avec des raquettes au début du XVIème. Très populaire, ce jeu de balle est longtemps interdit, puis très encadré, avant que les autorités françaises n'introduisent et diffusent la pratique du billard de table dans la première moitié du XVIIème siècle afin de le supplanter. En 1640, Curiositez françoises pour supplément aux dictionnaires rapporte que gagner à un jeu sans que l'adversaire ne fasse un seul point se dit "Faire chevaucher la vieille" [70]. L'idée d'embrasser les fesses se retrouve aussi dans des variantes locales du piquet, un jeu de cartes datant du XVIème. Une description de 1878 précise que "autrefois, celui qui ne comptait que 27 points avait la faculté de faire pic, s'il consentait à baiser le derrière de son adversaire." [71]. Cette allusion dans cet ancien jeu de cartes pourrait être une des explications à l'existence de l'expression "Être Fanny" dans des jeux de cartes plus contemporains, comme la belote ou la coinche. Une transmission entre boules et cartes par contact et par glissement. Pour qui n'a rien d'autre de mieux à faire, quoi de mieux après une après-midi boules qu'une soirée cartes ? "Fanny au bar" ! Qui perd, paye sa tournée. Plus de fesses à regarder ou à embrasser. Depuis des siècles, dans des domaines très éloignés des jeux, montrer ses fesses est un geste de défiance vis à vis de celleux vers qui elles sont exhibées. L'histoire des hominines est ponctuée de tels actes. À Nice par exemple, Catherine Ségurane se rend célèbre en 1543 pour avoir défié la coalition militaire franco-ottomane qui assiège la ville en offrant en spectacle son postérieur et en exhortant la foule niçoise à résister. Dans Le quart livre des faicts et dicts heroiques du bon Pantagruel [72], édité par Rabelais en 1552, la vieille de Papefigues parvient ainsi à faire fuir le diable. Par contre, tendre ses fesses pour qu'elles soient embrassées équivaut plutôt à une proposition de soumission de celleux qui doivent y poser leurs lèvres. Ce cérémonial se rapproche de l'expression "Embrasser le cul de la vieille". Cette façon d'humilier et de marquer la soumission semble ancienne. Parfois considérée à l'origine de l'expression, la première allusion répertoriée est celle contenue dans le roman anonyme Audigier [73], écrit à la fin du XIIème siècle ou au début du XIIIème. Dans cette parodie de chanson de geste où les références au caca et aux fesses sont nombreuses [74], Audigier est en conflit avec la vieille Grinberge de Valgrifier. Après une première défaite, elle lui propose d'embrasser ses fesses en guise de soumission ou de mourir. Humilié, mais vivant, Audigier décide de se venger. Il repart au combat mais échoue de nouveau. La défaite est totale. Grinberge de Valgrifier lui propose alors une nouvelle embrassade :
La présence au Québec de l'expression "Embrasser le cul de la vieille", avec le sens de perdre ou de rentrer bredouille de la chasse ou de la pêche, par exemple, est sans aucun doute un héritage du français de France. Si la majorité des premiers colons, mâles et femelles, viennent de la région parisienne, beaucoup sont originaires d'autres provinces françaises et parlent des "langues régionales", picard, poitevin, etc. À partir de la seconde moitié du XVIème siècle, les français du nord de l'Amérique se construisent sur des bases linguistiques sensiblement différentes. L'acadien n'est pas l'ontarien. Les raisons de l'utilisation de fanny pour dire "popotin" dans l'argot de l'anglais étasunien ne sont pas établies. Dans un entretien après la sortie aux États-Unis d'Amérique du film Fanny, Marcel Pagnol raconte que le journal Herald Tribune plaisante sur le fait que ce titre est une rare occasion de mettre ce mot à la Une du journal. Il explique que les soldats étasuniens découvrent la pétanque lors de la Première guerre dite mondiale. Inventé quelques années plus tôt, ce nouveau jeu sportif est en plein essor. Les soldats utilisent déjà fanny pour désigner le sexe des hominines femelles et découvrent la Fanny bouliste, réduite à une simple paire de fesses encadrée. Aussi grivois et plein de finesse que leurs homologues en civil, il y a fort à parier que les militaires se soient emballés pour ce rituel et beaucoup amusés de telles proximités linguistiques. Selon Marcel Pagnol, la guerre terminée, ils repartent avec un nouveau sens pour le mot fanny [75]. Un glissement. Un peu comme en français où une relation sexuelle est une histoire de cul. La plus ancienne mention de "fanny" dans le sens de "fesses" ou "popotin" est, selon le Green’s Dictionary of Slang, datée de 1919. Elle apparaît dans la description d'une scène au sein d'un régiment étasunien où une personne inflige des coups de sangle sur les fesses d'une autre, en tournant autour de lui, dans un jeu appelé "Bat the Fanny" [76]. Très cinéphile, la protivophilie note un tel glissement dans ce qu'il est communément appelé le 7ème art. Une confusion des sens. Le classique "film de cul" est devenu le moderne "film de boul", confondu à tort avec le "film de boules" — en références aux gonades extérieurs des hominines mâles. Mais il y a "film de boul" et "vrai film de boules" ! L'un est effectivement un film pornographique, toutes catégories et sous-genres confondus, et l'autre une campagne de prévention du cancer testiculaire dont un spot se déroule sur un boulodrome [77] et l'autre autour d'une piste de bowling [78]. Quand "Être Fanny" est une nouvelle poésie médicale pour annoncer à un hominine mâle que son score final est de 2 boules à 0. Notes
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