Zana : Différence entre versions
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− | '''Zana''' | + | '''Zana''' (''Зана'' en [[macédonien]] - ''Zana'' en [[nissard]]) Tragique fantasme du Caucase. |
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== Imaginaires == | == Imaginaires == | ||
− | + | Au cours des millénaires qui précèdent la parution du ''Seigneur des Anneaux'' ou la sortie de ''Warcraft'' en 2016 après JC<sup>Ⓒ</sup><ref name="#JC">Si "''Crève''" est le cri primal lancé à JC<sup>Ⓒ</sup> et à ses adeptes christiens qui prônent la soumission, c'est aussi le titre de l'autobiographie d'un JC bien plus respectable. Afro-étasunien né en 1943 dans la misère et tentant d'y survivre, James Carr expérimente tous les types de détention dès son plus jeune âge : école, maison de redressement, prison. Il brûle la première, s'échappe de la deuxième et s'échoue dans la troisième. Il refuse sa condition et ne cesse de s'opposer à ce qui l'enferme. Sans conditions. Libéré depuis peu, il est abattu en avril 1972. James Carr, ''Crève'', Éditions Stock, 1978.</ref>, les hominines se sont progressivement forgés des imaginaires pour décrire les régions qui leur restent inaccessibles. Les océans, les fleuves, les forêts, les montagnes et les déserts sont des lieux de vie pour d'innombrables êtres vivants homininoïdes et organisés en sociétés distinctes, ou parfois solitaires. L'expansion des hominines à travers le globe terrestre a mis à mal ces univers parallèles. Le développement de la navigation a fait chavirer les mythes des sirènes et des monstres marins, la déforestation est venue à bout des lutins, des fées et des magiciens, l'urbanisation galopante a expulsé et rasé des villages entiers de gnomes, l'électrification a emprisonné les trolls<ref>''The Troll Hunter'', réalisé en 2010 par le norvégien André Øvredal</ref>, les animaux fantastiques se sont éteints. L'exemple le plus connu est celui des tanuki dans le documentaire ''Pompoko''<ref>Réalisé en 1994 par le japonais Isao Takahata, le documentaire ''Pompoko'' retrace l'histoire de la ZAD tanuki à l'ouest de Tokyo</ref> en 1994 qui relate la tentative de les exproprier en 1960 et la résistance menée grâce à la peau de leurs testicules, multi-fonctionnelle, extensible et indestructible. Afin de minimiser un propos qui pourrait être interprété comme cryptozoophobe<ref>La cryptozoologie recherche les formes de vie, animales ou végétales, dont nous ne disposons que de témoignages et dont aucune preuve tangible de l'existence n'a été clairement établie : de l'agneau-végétal de Tartarie au bonnacon, le taureau péteur, en passant par le monstre du Loch Ness ou le Poisson Évêque, mi-hominine mi-poisson habillé en évêque. Benoît Brison, ''Du yéti au calmar géant'', Delachaux et Niestlé, 2016. Pour un bestiaire en anglais, George M. Eberhart, ''Mysterious Creatures. A Guide to Cryptozoology'', 2002 - [http://nkatz.org/animaliam/wp-content/uploads/2011/10/15664-mysterious_creatures_a_guide3.pdf En ligne]</ref>, la [[protivophilie]] réaffirme ici qu'il n'est pas plus risible de croire en ces mythes qu'en une quelconque divinité, à des prophètes ou à des miracles. Mais pas moins non plus. L'humour est toujours relatif mais il n'en reste pas moins qu'il n'y a toujours pas plus de preuves sur l'existence de dieu, que sur Gollum et son précieux ou les pères Noël et Fouettard. | |
− | Au cours des millénaires qui précèdent la parution du ''Seigneur des Anneaux'' ou la sortie de ''Warcraft'' en 2016 après JC<sup>Ⓒ</sup><ref>JC<sup>Ⓒ</sup></ref>, les hominines se sont progressivement forgés des imaginaires pour décrire les régions qui leur restent inaccessibles. Les océans, les fleuves, les forêts, les montagnes et les déserts sont des lieux de vie pour d'innombrables | ||
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+ | ''Dieu nie le monde, et moi je nie Dieu ! Vive rien puisque c’est la seule chose qui existe !''<ref>Albert Camus, ''L’État de siège''. Cité à l'entrée "cosmovision" dans F. Merdjanov, ''Analectes de rien'', Gemidžii Éditions, 2017</ref> | ||
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− | + | [[Fichier:Tanuki.jpg|300px|vignette|droite|Un village tanuki au XIX<sup>ème</sup> siècle]] | |
+ | Les hominines sont de très petits animaux en comparaison des dimensions du globe terrestre. Malgré leurs artifices techniques, l'immensité des océans reste encore inexplorée et les zones difficilement habitables, tel les déserts et les montagnes gigantesques, sont toujours les lieux d'histoires fantastiques. La diversité des mythes des hominines désignent par une multitude de noms des êtres vivant dans les hauteurs enneigées ou les vastes forêts d'altitude<ref>Les déserts semblent abriter des êtres plutôt évanescents, génies et autres esprits. La chaleur est rude à supporter.</ref>. Plus d'une trentaine à travers le monde dont les plus connus sont le yéti himalayen et le bigfoot nord-américain. Les récits et témoignages qui mentionnent depuis des siècles ces êtres mystérieux parlent de formes homininoïdes, de grandes tailles et partiellement recouverts de pelage. La couleur de celui-ci est différent selon les régions du monde, plutôt blanche dans les zones enneigées, plutôt brune dans les zones forestières. Les descriptions sont très floues et les rencontres éphémères. Il n'existe aucune photo et les quelques représentations sont des dessins réalisés d'après les témoignages ou les divagations de l'artiste. Aucun objet, aucun cadavre. Rien ne vient étayer leur existence réelle. Il en est ainsi pour toutes les créatures des mythologies des hominines. Pas plus de nouvelles de Bouraq<ref>Dans l'univers mahométien, Bouraq permet au prétendant prophète de se déplacer par les airs entre La Mecque et Jérusalem, et d'aller jusqu'au "Ciel", le quartier-général céleste de la divinité.</ref>, l'âne ailé de Mahomet le prophète des mahométiens<ref name="#mah">''Mahométien'' désigne celles et ceux qui croient que Mahomet est un prophète - les musulmans - comme le terme de christien désigne les chrétiens adeptes de Jésus ''aka'' Christ<sup>Ⓒ</sup>, celui de moïsien les adeptes de Moïse, les juifs, et de bouddhaïen pour les adeptes de Bouddha.</ref>, que du Pégase de l'antiquité grecque ou des licornes de ''Mon Petit Poney''. Idem des géants bibliques, des "hommes sans tête" de Marco Polo, de la bête du Gévaudan ou du tigre Régory<ref>Selon des traditions locales et populaires, le tigre Régory est le seul tigre qui ne sache pas nager</ref>. | ||
− | + | À partir du XVII<sup>ème</sup> siècle après le prophète des christiens, les démarches scientifiques s'emparent de ces récits. Au cours des siècles, des expéditions se montent, à la recherche des êtres mythologiques. Conformément aux sciences de leur époque, encore balbutiantes dans le domaine du vivant, des hominines voient dans ces homininoïdes le "''chaînon manquant''" entre les grands singes et les hominines "homo sapiens". Ce modèle explicatif - dit transformiste - est par la suite invalidé par l'approche évolutionniste. Il persiste encore de nos jours dans une représentation populaire du "progrès" qui montre une suite de personnages allant du petit singe se transformant progressivement en un hominine "homo sapiens" ou dans l'affirmation erronée que "''l'Homme descend du singe''". Aussi saugrenue puisse-t-elle paraître, cette hypothèse du chaînon manquant tente de répondre à des problématiques avec les outils disponibles, la biologie est naissante et la religion omniprésente. De la même façon que les théories sur des continents engloutis s'expliquent par la volonté de comprendre les similarités de faune et de flore dans des régions très éloignées à une époque où la dérive des continents est encore loin d'être une théorie. Les représentations du chaînon manquant se conforment à l'image que se font les préhistoriens du XIX<sup>ème</sup> siècle des "''hommes préhistoriques''"<ref>Jean-Paul Demoule, "Sciences de l'Homme : le retour de l'irrationnel ?", ''La Recherche'', vol. 23, n° 246, 1992.</ref>. | |
− | Les nouvelles découvertes d'ossements et les progrès technologiques au cours des XX<sup>ème</sup> et XXI<sup>ème</sup> siècles ont permis d'étoffer les scénarios sur l'évolution des hominines, malgré l'obstruction des religions qui persistent avec leurs théories créationnistes<ref>Pascal Picq, ''Lucy et l'obscurantisme'', Odile Jacob, 2007</ref>. Les premiers schémas simplistes et linéaires | + | |
+ | Les nouvelles découvertes d'ossements et les progrès technologiques au cours des XX<sup>ème</sup> et XXI<sup>ème</sup> siècles ont permis d'étoffer les scénarios sur l'évolution des hominines, malgré l'obstruction des religions qui persistent avec leurs théories créationnistes<ref>Pascal Picq, ''Lucy et l'obscurantisme'', Odile Jacob, 2007</ref>. Les premiers schémas simplistes et linéaires — de type arbre de l'évolution et sortie unique d'Afrique — ont laissé place à des visions plus buissonnantes et des hypothèses multiples quant aux modalités de sortie. La diversité des squelettes disponibles permet aujourd'hui d'identifier plusieurs types d'hominines et de supposer que les croisements génétiques se font tout autant en Afrique que dans le reste du monde, à différentes époques et sans suivre de schémas systématiques. Telle "''une belle bande de bâtards !''", l'être humain (homo sapiens) actuel est l'unique espèce survivante et génétiquement héritière de tous ces hominines. Les nouvelles théories sur l'évolution des hominines ont réactivé, bien malgré elles, les croyances sur le "chaînon manquant" qui y voient dorénavant une survivance d'une espèce d'hominine, injustement décrétée disparue ou non encore identifiée. Avec quelques rares témoignages récents, la traque planétaire continue. Malgré un nombre de ''followers'' bien moins élevé que Hulk, le chaînon manquant 2.0 s'intègre à la culture populaire moderne, sortant parfois du simple registre de la "''bête humaine''", faisant des apparitions au cinéma, dans la littérature et la musique aux côtés de stars du moment. Loin de la représentation classique du bigfoot, le numéro 179 de la revue publiée par la société d'histoire étasunienne Marvel, est entièrement consacré au Chaînon Manquant<ref name="#cha">Dans l'univers de Marvel, Chaînon Manquant est découvert en 1968. Emprisonné sous terre depuis des millénaires, Chaînon Manquant est un "néandertaloïde" de plus de deux mètres pesant plus de 500 kg, doté d'une très grande force. Son corps émet des radiations mortelles - [http://www.marvunapp.com/Appendix2/missinglinkhulk.htm En ligne]</ref>. De manière récurrente, les sociétaires de Marvel organisent des rencontres avec Hulk qui est le seul à pouvoir véritablement l'affronter. Et peut-être vaincre ? Tout deux ont un vocabulaire très limité et leurs rencontres ne sont que bagarres brutales et destructrices : il est par conséquent toujours impossible d'en apprendre plus sur les mœurs du Chaînon Manquant, sa vie sociale, sa sexualité ou ses croyances. Que pense-t-il de Michel Onfray ou du dernier Booba ? Le mystère demeure. Star discrète, fuyant les endroits ''people'', nous ne disposons toujours que de photographies floues et ses seules apparitions se font sous le masque de la fiction et des effets spéciaux. Des analyses récentes sur des échantillons récoltés dans le Caucase et prétendument d'origine "''inconnue''" n'ont pas permis de mettre en évidence une quelconque preuve de l'existence d'un chaînon manquant ou d'un ancien hominine. Tout au plus ont-elles relancé l'hypothèse sur des espèces de grand ours, non répertoriées, apparentées aux ours polaires et sylvestres... | ||
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+ | La dernière expédition française à la recherche de l'almasty caucasien dans la région russe de Kabardino-balkarie est organisée en 1992 par la cryptozoologue franco-russe Marie-Jeanne Kaufman. Un peu comme elle le ferait avec les hallucinations de Bernadette Soubirou ou des enfants de Fatima pour obtenir un portrait-robot de Marie la vierge, mère-porteuse du messie des christiens, elle recueille les traces, les témoignages et les légendes et dresse un tableau de ce yéti local. A-t-elle face à elle des mythomanes qui obtiennent une reconnaissance sociale par leur histoire, des hominines victimes involontaires de phénomènes hallucinatoires, de troubles psychologiques ou de gros consommateurs de rhododendron ou d'azalée pontiques<ref>Le rhododendron pontique et l'azalée pontique ont des effets très enivrants. Les principes actifs de la plante sont transférés par les abeilles dans le miel qu'elles fabriquent. Il est aussi possible de les fumer. Alexandre Grigoriantz, ''La montagne du sang''</ref> ? L'almasty est une grande créature mi-hominine mi-bête de plus de deux mètres, à la peau foncée et au pelage long roux ou noir, ses yeux jaune-rouge aux pupilles verticales sont adaptés à la vision nocturne. Les grognements sont les seuls sons qui sortent de sa gueule à la dentition particulière. Des témoins mentionnent aussi des almasty de petite taille. Des enfants ? Si la plupart des rencontres restent lointaines, quelques récits parlent de tête-à-tête fortuits et éphémères. L'almasty maîtriserait le feu. Selon la cryptozoologue, l'almasty n'est pas dangereux pour les hominines : "''Je n'ai jamais entendu parler d'une agression vis-à-vis de l'Homme''". Pour certains il peut se rendre invisible. Afin de donner une caution scientifique, le documentaire humoristique ''Almasty. Yéti du Caucase''<ref>Sylvain Pallix, ''Almasty. Yéti du Caucase'', janvier 1993, 26 min. - À voir en trois parties : [https://www.youtube.com/watch?v=_qZ7HDYfwSg I] [https://www.youtube.com/watch?v=QdzYiQYg9UM II] [https://www.youtube.com/watch?v=wU3rive0bog III]</ref> consacré à l'expédition de 1992 précise que si l'almasty réussit si bien à se dissimuler aux hominines c'est une preuve de sa grande intelligence et de son refus du contact. | ||
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+ | Toutes les expéditions parties à la recherche de ce "chaînon" ces deux derniers siècles se sont soldées par des échecs. Rien de plus. Aucune trace du chuchuna sibérien ou du kaptar caucasien. | ||
=== Caucase ? === | === Caucase ? === | ||
− | Conséquence de la rencontre des plaques tectoniques arabique et eurasiatique, la chaîne montagneuse du Caucase s'étend sur plus de 1200 kilomètres entre les mers Caspienne et Noire, et une vingtaine de ses sommets culminent entre 4000 et 5600 mètres d'altitude. La partie orientale, la plus basse, est plutôt sèche, la centrale est faîte de hautes montagnes et de sommets enneigés et la partie occidentale est une zone de forêts. La géopolitique moderne divise le Caucase entre, au sud, l'Azerbaïdjan, l'Arménie, la Géorgie et les auto-proclamées Ossétie du Sud et Abkhazie, et au nord la Russie et ses nombreux découpages administratifs, tel le Daghestan, l'Ossétie du Nord ou la Tchétchénie par exemple<ref>''Ordres et désordres au Caucase'' - [En ligne]. ''Religion et politique dans le Caucase post-soviétique''. </ref>. | + | [[Fichier:Langcaucaz.png|300px|vignette|droite|Carte linguistique simplifiée du Caucase<ref>Sur cette carte ne figure que les pratiques linguistiques érigées en langues littéraires ou nationales. Par exemple, l'appellation "abkhaze" regroupe en fait trois pratiques régionales distinctes dont une seule sert de base à la langue littéraire abkhaze. L'appellation "géorgien" regroupe quant à elle plusieurs dizaines de pratiques régionales, linguistiquement proches mais différenciées, parmi lesquelles on retrouve entre autres le mingrélien, le svane, l'adjar ou le gourien, généralement appelées langues kartvéliennes. Les pratiques linguistiques de Karthlie, en Géorgie centrale, constituent la base de la langue nationale sous le nom de géorgien.</ref>]] |
+ | Conséquence de la rencontre des plaques tectoniques arabique et eurasiatique, la chaîne montagneuse du Caucase s'étend sur plus de 1200 kilomètres entre les mers Caspienne et Noire, et une vingtaine de ses sommets culminent entre 4000 et 5600 mètres d'altitude. La partie orientale, la plus basse, est plutôt sèche, la centrale est faîte de hautes montagnes et de sommets enneigés et la partie occidentale est une zone de forêts. La géopolitique moderne divise le Caucase entre, au sud, l'Azerbaïdjan, l'Arménie, la Géorgie et les auto-proclamées [[Corridor de Latchin|Artsakh]], Ossétie du Sud et Abkhazie, et au nord la Russie et ses nombreux découpages administratifs, tel le Daghestan, l'Ossétie du Nord ou la Tchétchénie par exemple<ref>''Ordres et désordres au Caucase'', Éditions de l’Université libre de Bruxelles, 2010 - [https://www.academia.edu/3836888/_Ordres_et_Désordres_au_Caucase_ En ligne]. ''Religion et politique dans le Caucase post-soviétique'', Institut français d’études anatoliennes, 2007 - [https://books.openedition.org/ifeagd/1527 En ligne]. </ref>. | ||
− | + | Depuis des millénaires les hominines s'installent dans les innombrables vallées et les plaines des versants nord et sud de la chaîne montagneuse<ref>Pierre Thorez, "Population et peuplement dans le Grand Caucase", ''Annales de Géographie'', t. 92, n° 514, 1983 - [https://www.persee.fr/doc/geo_0003-4010_1983_num_92_514_20221 En ligne]</ref>. Des royaumes s'y sont constitués, des empires s'y sont échoués et des populations s'y sont réfugiées. Selon des mythes de l'antiquité grecque, le Caucase est une escale pour Jason et ses argonautes dans leur périlleuse quête de la Toison d'Or et le lieu du supplice de Prométhée, condamné à avoir son foie dévoré jusqu'à la mort et à revivre éternellement cette torture pour avoir offert la connaissance (du feu) aux hominines. Dans les recoins et les étendues caucasiennes des sociétés d'hominines se constituent. En parallèle des centres urbains qui s'érigent, la géographie du Caucase favorise l'éclosion d'une multitude de communautés éparses. Certaines sont très isolées et participent peu aux échanges commerciaux ou culturels avec les villages et villes de la région. La chaîne montagneuse du Caucase et ses deux versants abritent plus d'une centaine de pratiques linguistiques différentes, certaines parlées par une centaine d'hominines seulement. Une copieuse [[macédoine]]. Leurs origines et leurs influences sont multiples. Des cultures singulières se sont forgées le long des méandres et des vallées profondes<ref>Alexandre Grigoriantz, ''La montagne du sang. Histoire, rites et coutumes des peuples montagnards du Caucase'', Georg Éditeur, 1998.</ref>. Cette chaîne montagneuse est une vraie cour de récréation pour les linguistes et les anthropologues, voulant étudier, par exemple, les mœurs des "''juifs des montagnes''"<ref>"Juifs des montagnes" est l'autre nom des judéo-tats, une communauté aux croyances moïsiennes parlant le juhuri — une variante de la langue tat parlée par des mahométiens et des christiens — et vivant à l'est du Caucase (Daghestan russe et Azerbaïdjan). V.A. Dmitriev, "Les Juifs des montagnes : un groupe ethnique et confessionnel stable", ''Religion et politique dans le Caucase post-soviétique'', 2007 - [https://books.openedition.org/ifeagd/1565?lang=fr En ligne]. Joseph de Baye, ''Les juifs des montagnes et les Juifs géorgiens : souvenirs d'une mission'', Nilsson, Paris, 1902, 36 p.</ref>, interroger le dernier locuteur de l'oubykh<ref>Tevfik Esenç meurt en 1992 en Turquie à l'âge de 88 ans. Il était le dernier locuteur de l'oubykh, une langue apparentée à l'abkhaze. Il fut l'un des hominines auprès de qui le linguiste français Georges Dumezil a recueilli la matière pour son dictionnaire et sa grammaire oubykh, ainsi que des légendes et des mythologies. Georges Dumezil, ''Contes et légendes des Oubykhs'', Institut d'ethnologie, 1957 - [https://abkhazworld.com/aw/Pdf/Dumezil_Contes_et_legendes_des_oubykhs.pdf En ligne]. Sur les circonstances de la rencontre avec des oubykhophones, voir ''Entretiens avec Didier Eribon'', Folio, 1987 </ref>, identifier une nouvelle "langue" ou en exhumer une antique, ou bien encore converser avec des mystiques de tout poil. Les mythologies des moïsiens, des christiens, des mahométiens et des bouddhaïens<ref name="#mah" /> imprègnent la vie sociale des hominines du Caucase. Parfois de façons peu orthodoxes. À la charnière du XIX<sup>ème</sup> et du XX<sup>ème</sup> siècle, des voyageurs européens documentent leurs passages dans le Caucase en publiant leurs récits et leurs observations ethnologiques, botaniques ou animalières<ref>En [[français]] voir par exemple : Jean-François Gamba, ''Voyage dans la Russie méridionale, et particulièrement dans les provinces situées au delà du Caucase'', 1826 - [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k117808v En ligne]. Alexandre Dumas, ''Le Caucase'', 1859 - [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9935c/f4.image En ligne]. Carla Serena, "Excursion au Samourzakan et en Abkasie", ''Le Tour du Monde'', n° 43, 1882 - [https://abkhazworld.com/aw/Pdf/carla_serena_abkhazia_abkasie_1882.pdf En ligne]. Joseph de Baye, ''En Abkhasie: Souvenirs d'une mission'', 1904 - [https://abkhazworld.com/aw/Pdf/En_Abkhasie_Souvenirs_dune_mission_1904.pdf En ligne]. Ella Maillart, ''Parmi la jeunesse russe - De Moscou au Caucase'', Paris, Fasquelle, 1932</ref>. | |
− | Depuis des millénaires les hominines s'installent dans les innombrables vallées et les plaines des versants nord et sud de la chaîne montagneuse. Des royaumes s'y sont constitués, des empires s'y sont échoués et des populations s'y sont réfugiées. Selon des mythes de l'antiquité grecque, le Caucase est une escale pour Jason et ses argonautes dans leur périlleuse quête de la Toison d'Or et le lieu du supplice de Prométhée | ||
=== Capture === | === Capture === | ||
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+ | À environ 2700 kilomètres de [[Nice]] et 1600 de la Macédoine, dans les alentours d'Ochamchiré en Abkhazie<ref>Dans l'actuelle république auto-proclamée d'Abkhazie, à l'ouest de la Géorgie. Ochamchiré est jumelée avec Bender en république auto-proclamée de [[Pridniestrie]]</ref>, près des côtes au climat tropical de la mer Noire à l'ouest de la chaîne montagneuse du Caucase, des marchands capturent vers 1850 une créature "''mi humaine, mi singe''". Cette femelle est décrite comme mesurant environ deux mètres et dotée d'une force physique hors-norme. Elle est bâillonnée lors de sa capture, frappée à coup de gourdins puis ligotée. Un fossé entouré de pics en bois lui sert de prison. Selon les témoignages de cette époque, "''très résistante au froid, son corps est entièrement couvert d'un duvet roux, à l'exception de son visage, de ses mains et de ses pieds''". Sa peau est foncée et son visage se caractérise par une large dentition, des pommettes proéminentes, un nez aplati et des sourcils épais. Il est dit qu'elle peut concurrencer un cheval à la course, remonter le vif courant d'une rivière et être en capacité de porter de très lourdes charges. Son langage est incompréhensible pour ses ravisseurs qui ne mentionnent que des cris et des grognements pour seule expression orale. Elle "correspond" aux croyances sur l'abnauayu abkhaze<ref>Abnauayu en langue abkhaze, Bnahua en abaza et Ochokochi en mingrélien, trois des langues parlées dans la région où est capturée Zana. </ref>, sorte de chaînon manquant local ou de "''yéti caucasien''". Jugée peu coopérative et agressive, elle est mise en cage pendant plus de trois années. "Adoucie" par sa captivité, elle est offerte à Edghi Ghenaba un notable du village de Tkhina, à une vingtaine de kilomètres au nord d'Ochamchiré, où il l'emploie pour les travaux aux champs, la collecte de bois et, de manière générale, pour tous les travaux pénibles. Surnommée Zana, elle décède vers 1890 après plusieurs décennies de captivité. | ||
== Imaginez == | == Imaginez == | ||
− | === | + | Les scénarios scientifiques actuels sur le peuplement de la planète par les hominines sont encore incertains. Les vagues successives et désordonnées d'hominines quittant le continent africain s'échelonnent sur plusieurs dizaines de millénaires. Les recherches en génétique ne permettent pas encore d'établir de schémas et de parcours précis pour expliquer la présence hors d'Afrique de populations d'hominines qualifiées de "''noires''" dans le sud du globe, des populations de Tasmanie - aujourd'hui disparues<ref>Matthew Kneale, ''Les Passagers anglais'', 2000. Ce roman raconte les massacres, les déportations et la résistance des hominines à la colonisation anglaise de la Tasmanie.</ref> - à celles de l'archipel d'[[Andaman et Nicobar (Îles)|Andaman et Nicobar]], de Papouasie, d'Australie, des Philippines, de Malaisie, de Thaïlande ou d'Inde. |
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+ | [[Fichier:Afrocaucaz.jpg|200px|vignette|droite|Afro-caucasien en 1870<ref>Cette photo est réalisée en 1870 par l'étasunien George Kennan dans la région du [[Corridor de Latchin|Karabagh]], à l'est de la chaîne caucasienne.</ref>]] | ||
+ | Il en est de même avec les populations d'hominines à la peau "noire" peuplant les rivages des mers Caspienne et Noire. La plus ancienne mention de telles populations dans la région est celle de l'historien grec Hérodote dans ses ''Histoires''<ref>Hérodote, ''Histoires'', Livre II, chapitre CIV - [https://fr.wikisource.org/wiki/Histoire_(H%C3%A9rodote)/Trad._Larcher,_1850/Livre_II En ligne]</ref>, écrites vers le V<sup>ème</sup> siècle avant JC<sup>Ⓒ</sup>. Selon lui, les hominines de l'antique royaume de Colchide sont "''descendants d’une partie des troupes [du pharaon] Sésostris. [...] Deux indices : le premier, c’est qu’ils sont noirs, et qu’ils ont les cheveux crépus, preuve assez équivoque, puisqu’ils ont cela de commun avec d’autres peuples ; le second, et le principal, c’est que les Colchidiens, les Égyptiens et les Éthiopiens sont les seuls hommes qui se fassent circoncire de temps immémorial''". Cette hypothèse fait donc remonter leur installation aux environs de 2000 avant JC<sup>Ⓒ</sup>. Pour cet historien ces populations d'hominines arrivent dans la région avec les tentatives de conquête égyptienne et en sont les descendantes. Le terme de Colchide vient du grec "cuivre" en référence au minerai présent dans la région ou à la couleur de peau de ses habitants pour les adeptes de l'hypothèse égyptienne. Peuplée alors de différentes tribus, la Colchide correspond approximativement aux régions actuelles de Mingrélie, de Svanetie, de Gurie et d'Adjarie en Géorgie et aux rivages tchernomoriens<ref>Relatif à la mer Noire (Tcherno Mori). Rappelons ici que l'utilisation du qualificatif "noire" pour cette mer n'a aucun lien avec la présence sur ses côtes d'hominines "à la peau noire", elle n'est pas une forme de géographie raciste. Noire est à prendre au sens de "nord" dans la géographie islamico-ottomane qui nomme les points cardinaux par des couleurs.</ref> d'Abkhazie. Au fil des siècles, l'avancée des empires grec, perse, romain puis byzantin intègre de fait la Colchide à leurs territoires, tout en accordant une certaine autonomie à des dynasties et royaumes locaux. | ||
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+ | À partir du XV<sup>ème</sup> siècle, la région du Caucase est disputée par les empires russe, perse et ottoman, puis devient dans les siècles suivants le point de rencontre de ces trois empires<ref>Chantal Lemercier-Quelquejay, "La structure sociale, politique et religieuse du Caucase du Nord au XVIe siècle", ''Cahiers du monde russe et soviétique'', vol. 25, n°2-3, Avril-Septembre 1984 - [https://www.persee.fr/doc/cmr_0008-0160_1984_num_25_2_2008 En ligne]</ref>. Progressivement, une grande partie du Caucase passe sous la domination de l'empire ottoman. D'après certaines sources, au XVII<sup>ème</sup> siècle, quelques dizaines d'esclaves africains sont offerts par le tsar russe à un prince abkhaze afin de les faire travailler dans des plantations d'agrumes, alors que d'autres sources mentionnent le naufrage d'un bateau d'esclaves dont les quelques survivants s'établissent près de Adzyubzha, sur les côtes de la mer Noire, à l'embouchure de la rivière Kodori. D'après des historiens<ref>Manuscrit anonyme rédigé au XVI<sup>ème</sup> siècle et conservé à Paris</ref>, ces esclaves venaient d’Éthiopie, conquise partiellement par l’Égypte mamelouk au cours du XVI<sup>ème</sup> siècle, du Soudan et de la Corne de l'Afrique. Le bateau est envoyé en direction de la Crimée pour être offert en cadeau au pouvoir local mais il s'échoue sur les côtes orientale de la mer Noire. D'autres encore citent l'achat par un prince abkhaze d'esclaves noirs et leur installation le long de la rivière Kodori pour protéger la frontière entre l'Abkhazie et la Mingrélie dans la seconde moitié du XVII<sup>ème</sup> siècle. | ||
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+ | L'empire russe, après des guerres contre les perses et les ottomans, parvient à conquérir progressivement le Caucase dans la première moitié du XIX<sup>ème</sup> siècle. Le retrait des ottomans n'entame pas la détermination de quelques "''peuples montagnards''" qui résistent à l'avancée russe avant d'être progressivement défaits entre 1859 et 1864<ref>Dans la première moitié du XIX<sup>ème</sup> siècle, la Russie tsariste se lance à la conquête du Caucase. La résistance s'organise autour de quelques dignitaires mahométiens qui appellent à se battre contre l'invasion russe dans le Caucase du Nord. Même si elles sont fragiles, les alliances dépassent les clivages régionaux ou linguistiques. L'imamat du Caucase est proclamé dans le Caucase du Nord avec à sa tête Mohammed Ghazi. À sa mort, Gamzat-bek lui succède puis, à la mort de ce dernier, l'imam Chamil prend la direction de l'imamat et des troupes armées. Malgré un résistance acharnée, les rebelles caucasiens sont défaits en 1864. La reddition entraîne la déportation vers l'empire ottoman ou le départ massif des populations de mahométiens qui fuient les massacres, les pillages systématiques et les destructions de villages. Plus d'un millions de personnes se refugient hors du Caucase. Les populations d'hominines les plus touchées sont les adhyguéens, les abkhazes, les abazines, les oubykhs, les tchétchènes, les ingouches, les laks, les kabardes et les lezguiens. Et quelques autres encore.</ref>. L'administration locale mise en place par le nouveau gouverneur se dote d'une garde rapprochée composée de quelques afro-caucasiens. Les statistiques russes du XIX<sup>ème</sup> siècle les classent parfois dans la catégorie "Arabe" ou "Juif" — comprenez moïsien<ref name="#mah" />. Des photographies sont même réalisées par l'explorateur étasunien George Kennan vers 1870. En effet, tout au long du XIX<sup>ème</sup> siècle, des aventuriers, des explorateurs, des écrivains et des savants européens découvrent les cultures et les légendes caucasiennes, et de nombreux ouvrages sont publiés sur ces sujets. Parmi ceux-ci, les récits mythiques de l'épopée narte<ref>L'épopée narte est un ensemble de contes et légendes orales autour d'héroïques géants. Le premier d'entre eux naît après qu'un berger se soit masturbé sur une pierre en pensant à la belle Satana, ce qui fait d'elle sa mère symbolique. Ces traditions, orales jusqu'au XVIII<sup>ème</sup> siècle, sont en partie partagées par plusieurs communautés culturo-linguistiques du Caucase</ref> sont étudiés. Ils mentionnent l'existence de plusieurs centaines d'hominines à la peau noire ramenés dans le Caucase après un voyage africain des héros légendaires de cette épopée commune à plusieurs populations caucasiennes. | ||
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+ | Quelles que soient les origines exactes de ces hominines à la peau noire, au XIX<sup>ème</sup> siècle leur nombre est estimé à quelques familles vivant dans des villages sur le cours des rivières Moski et Kodori dans la région d'Ochamchiré. Les pratiques linguistiques, culturelles et religieuses de ces afro-abkhazes sont alors largement similaires à celles des populations abkhazes alentour. La plupart sont employées dans l'agriculture (maïs, vigne et agrumes), l'extraction de charbon dans les mines de Tkvarchreli ou dans l'industrie textile. La prise de pouvoir des bolchevistes<ref>Les bolchevistes sont une tendance politique qui s'empare du pouvoir en Russie par un coup d’État et en écrasant ses alliés d'hier. L'absolutisme tsariste est remplacé par l'autoritarisme bureaucratique, la nouvelle religion d’État s'appelle marxisme, et le servage est aboli pour être remplacé par le salariat étatique. La police politique est conservée, et améliorée, et les anciens camps d'internement deviennent des camps de réhabilitation par le travail forcé.</ref> en Russie en 1917, la mise en place de l'Union Soviétique et l'industrialisation poussent les afro-abkhazes - et d'autres populations locales - à migrer vers d'autres régions caucasiennes pour y travailler. Leurs villages se vident petit à petit des jeunes hominines. Lors de leur visite en 1927 dans le village d'Adzyubzha, les écrivains russe Maxime Gorki et abkhaze Samson Chanba relatent leurs rencontres avec quelques personnes âgées encore présentes. Il existe quelques rares images vidéos de 1927, sans son, du village d'Adzyubzha<ref>Afro-abkhazes du village d'Adzyubzha en 1927 - [https://www.youtube.com/watch?v=2HTpMAvGafU En ligne]</ref>. De ces discussions, ils en concluent à l'origine éthiopienne des afro-abkhazes et, comme des anthropologues et des linguistes avant eux, remarquent les similitudes entre les noms de certains de leurs villages avec d'autres situés en Éthiopie<ref>Le linguiste abkhaze Dimitri Gulia (1874 - 1960) remarque les proximités sonores entre, d'une part, les patronymes abkhazes et afro-abkhazes, et d'autre part, les noms de villages et de rivières en Abkhazie et en Éthiopie. Il publie une ''Histoire de l'Abkhazie''. Voir aussi Patrick T. English, "Cuschites, Colchians and Khazars", ''Journal of Near Eastern Studies'', 18, n° 1, janvier 1959 - [https://analectes2rien.legtux.org/images/PDF/colch.pdf En ligne]</ref>. La politique des nationalités du pouvoir soviétique reconnaît environ 200 communautés "ethno-linguistiques" minoritaires à qui sont attribués des statuts de "république" ou "territoire" autonomes, voire de reconnaissance non-territoriale, une normalisation de pratiques linguistiques pour consolider les différentes langues et programmes de scolarisation dans ces dites langues minoritaires. Il n'en est rien pour les afro-abkhazes. Paradoxalement, c'est pour avoir la peau noire et des origines africaines que les afro-abkhazes n'obtiennent pas de statut particulier et que la politique à leur encontre est de faire comme si ce n'était pas le cas<ref>Kesha Fikes, Alaina Lemon, "African Presence in Former Soviet Spaces", ''Annual Review of Anthropology'', Vol. 31, 2002 - [https://analectes2rien.legtux.org/images/PDF/blackruss.pdf En ligne]</ref>. D'après les critères de la politique des nationalités, les afro-abkhazes ne sont pas une "''nation historique''" et leur situation ne permet pas d'imaginer qu'elle puisse se développer économiquement et culturellement. Selon Joseph "Staline" Djougachvili, autoproclamé — sans ironie<ref>Collectif, ''Les déportations en héritage. Les peuples réprimés du Caucase et de Crimée hier et aujourd'hui'', Presses Universitaires de Rennes, 2009</ref> — "''Petit Père des Peuples''", "''une nation est une communauté stable, historiquement constituée, de langue, de territoire, de vie économique et de formation psychique, qui se traduit dans la communauté de culture. Et il va de soi que la nation, comme tout phénomène historique, est soumise aux lois de l’évolution, a son histoire, un commencement et une fin.''"<ref>Joseph Staline, ''Le Marxisme et la Question nationale'', 1913 - [http://classiques.chez-alice.fr/staline/stal4.pdf En ligne]. Voir aussi Aude Merlin, Jean Radvanyi, "Russes et Caucasiens à la fin du XXe siècle. Identités et territoires", ''Revue d'études comparatives Est-Ouest'', vol. 34, 2003, n°4. Dossier : Recenser la Russie en 2002 - [https://www.persee.fr/doc/receo_0338-0599_2003_num_34_4_1630 En ligne]</ref>. Sa disparition est l'avenir de la minuscule communauté afro-abkhaze. Les individus sont appelés à dissoudre leur "particularité" dans un projet d'''homo sovieticus''. Nulle intention génocidaire mais un projet d'intégration individuelle par la scolarisation, les fermes collectives et les mariages mixtes. Des journaux étasuniens<ref>En Pennsylvanie, ''The Daily Notes'' du 23 août 1934 et ''Shamokin News Dispatch'' du 13 septembre 1934 reprennent la même dépêche - [https://abkhazworld.com/aw/images/img/afro-abkhazians/Shamokin_News_Dispatch_Thu__Sep_13__1934_.jpg En ligne]. ''The Pittsburgh Courier'' du 2 janvier 1937 - [https://abkhazworld.com/aw/images/img/afro-abkhazians/The_Pittsburgh_Courier_Sat__Jan_2__1937_.jpg En ligne]</ref> des années 1930 consacrent de cours articles aux afro-abkhazes où il est expliqué qu'une cinquantaine d'entre elleux vivent en Abkhazie et que beaucoup travaillent dans les fermes de citrons et d'oranges. Si ce n'est leur couleur de peau, rien ne les différencie des autres abkhazes dont illes partagent la langue et les coutumes. En 1942, le journal pro-soviétique de langue anglaise ''Soviet Russia Today'' publie un article dans lequel il met en scène un afro-abkhaze et justifie de fait cette absence. Le titre est un bon résumé : "''A Negro Citizen of Soviet Georgia: The Story of Bashir Shambe, Brought from Persia into Tsarist Russia as a Slave, Now one of Soviet Georgia's Distinguished Citizen''" !<ref>Isidor Schneider, "A Negro Citizen of Soviet Georgia: The Story of Bashir Shambe, Brought from Persia into Tsarist Russia as a Slave, Now one of Soviet Georgia's Distinguished Citizen", ''Soviet Russia Today'', 1942</ref> Le pouvoir préfère valoriser les quelques africains, afro-étasuniens et caribéens qui s'installent en Union soviétique pour fuir les situations de racisme dans leurs pays respectifs ou pour soutenir l'expérience soviétique et vivre le communisme<ref>H. Haywood, ''Black Bolshevik : Autobiography of an Afro-American Communist'', Chicago, 1978</ref>, ou bien encore publiciser les voyages de quelques-uns des intellectuels et activistes des luttes anti-racistes des années 1960-1970. Les étudiants africains inscrits dans les universités sont aussi une bonne vitrine. Pouchkine<ref name="#pou">D'ascendance africaine par son arrière-grand-père maternel, proche du tsar et anobli, l'écrivain russe Alexandre Pouchkine publie en 1837 ''Le Nègre de Pierre le Grand''. </ref> reste un auteur russe<ref>Allison Blackely, ''Russia and the Negro. Blacks in Russian History and Thought'', Howard University Press, 1986 - [http://abkhazworld.com/aw/Pdf/Russia_and_the_Negro_Blacks.pdf En ligne] </ref>. Faute d'effort des autorités soviétiques, les quelques demandes de prise de contact avec des afro-abkhazes ne purent jamais aboutir. | ||
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+ | [[Fichier:Abash.jpg|300px|vignette|droite|Shirin Abash recevant sa médaille du Travail]] | ||
+ | Née en Union soviétique de parents étasuniens<ref>Quatorze ingénieurs afro-étasuniens sont envoyés en 1931 pour aider à la reconstruction de l'Union soviétique. Parmi eux, l'agronome Olivier Golden. Marié à Bertha Bialek, d'origine juive polonaise, contre l'avis de "leurs" communautés respectives le couple s'installe en Ouzbekistan soviétique. Née dans ce pays, leur fille Liya "Lily" Golden devient dans les années 1960 membre éminent de l'Institut africain de l'Académie des Sciences. Elle meurt en 2010.</ref>, l'afro-russe Liya "Lily" Golden publie en 1967 le livre ''Africains de Russie'' où elle consacre un chapitre aux afro-abkhazes et relate ses visites à Adzyubzha. Après avoir fuit en 1967 aux États-Unis où elle demande l'asile, la fille de Staline et de sa seconde épouse Nadejda Sergueïevna Allilouïeva, Svetlana Allilouïeva, fait paraître en 1969 le livre ''Only One Year''<ref>Svetlana Allilouïeva, ''En une année'', Robert Laffont, 1970. La famille de Staline est originaire de Géorgie.</ref> dans lequel elle rappelle la présence de populations d'hominines à la "peau noire" vivant dans les régions montagneuses d'Abkhazie. Selon elle, les afro-abkhazes vivent pauvrement, sont peu alphabétisés et les mélanges avec les autres populations locales sont très rares. Comme pour les autres abkhazes, le russe est devenu la langue de communication et quelques jeunes font leurs études dans cette langue. Elle précise que les populations d'hominines afro-abkhazes ont quasiment disparues au cours de la première moitié du XX<sup>ème</sup> siècle. Quelle valeur accorder à ce témoignage d'une ''apparatchik'' qui doit être bien loin des réalités des pauvres d'Abkhazie ? En février 1973 le journal étasunien ''The Afro-American'' publie en trois parties un reportage sur les afro-abkhazes réalisé par un journaliste afro-américain de l'agence de presse soviétique<ref>Slava Tynes, "When Did Africans Get To Soviet Union?", ''The Afro-American'', 3 février 1973 - [https://abkhazworld.com/aw/publications/archives/971-when-did-africans-get-to-soviet-union-1973 En ligne], "Many Africans Came To The Soviet Union During Turkish Rule", 10 février 1973 - [https://abkhazworld.com/aw/publications/archives/972-many-africans-came-to-the-soviet-afro-american-part-ii En ligne], "Skin Color Creates No Barrier To Africans In The Soviet Union", 17 février 1973 - [https://abkhazworld.com/aw/publications/archives/967-skin-color-creates-no-barrier-afro-american-final-1973 En ligne]</ref>. Il indique que onze villages sont encore habités par des afro-abkhazes. Le journaliste se rend à Adzyubzha et fait la rencontre de la famille Abash, descendante d'esclaves africains ayant appartenu à la famille princière abkhaze des Abashidze<ref>La dynastie des Abashidze règne sur des royaumes du sud-ouest caucasien entre le XV<sup>ème</sup> et le XVII<sup>ème</sup> siècle, puis est vassalisée par les empires russes et ottomans. Selon la légende familiale, le nom Abashidze dérive de Abasha le nom de l'Abyssinie, l'ancienne Éthiopie.</ref>. L'histoire familiale s’enorgueillit d'avoir en son sein le premier élu de la ferme collective d'Adzyubzha dans les années 1930 et un ancien combattant de la Première guerre mondiale doublé d'un membre décoré de l'armée révolutionnaire. Les personnes interviewées indiquent ne pas rencontrer de problèmes de racisme. Il y a des mariages mixtes — comme chez les Abash — et l'ascension sociale n'est pas qu'une promesse fumeuse — l'une des interviewées est gynécologue à Tbilissi, la capitale géorgienne. Quelques années plus tard, l'écrivain abkhaze Fazil Iskander publie le roman ''Sandro de Tchéguem'', écrit entre 1973 et 1988, qui retrace la vie de l'imaginaire village abkhaze de Tchéguem entre 1890 et 1980 et pour lequel il reçoit en 1989 le Prix d'État de l'URSS, l'ex-Prix Staline. | ||
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+ | ''- Et comment vivent les noirs en Union soviétique ?''<br /> | ||
+ | ''- Quels noirs ? demande l'hôte.''<br /> | ||
+ | ''- Comment ça quels noirs ? — s'étonne le prince en regardant les autres noirs assis à la même table — Vous !''<br /> | ||
+ | ''- Nous ne sommes pas noirs, — répond l'hôte avec son sourire caractéristique et en hochant la tête vers les autres noirs — nous sommes abkhazes.''<ref>Fazil Iskander, ''Sandro de Tchéguem''</ref><br /> | ||
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+ | La guerre qui oppose entre 1992 et 1993 la Géorgie à sa province sécessionniste d'Abkhazie se solde par l'indépendance de cette dernière<ref>Soutenues par l'armée russe, des milices locales arméniennes et des combattants volontaires de la Confédération des peuples des montagnes du Caucase, les forces armées abkhazes s'opposent à l'armée géorgienne et ses milices locales. Les affrontements font quelques milliers de morts parmi les combattants des deux bords et plusieurs dizaines de milliers parmi la population civile. La population géorgienne abkhaze est la plus touchée. Plus de 200000 géorgiens sont contraints de fuir l'Abkhazie et se réfugient dans les zones frontalières abkhazo-géorgiennes, principalement en Mingrélie. </ref>. Dans le but d'isoler la ville stratégique de Tkvarcheli dont elles font le siège entre octobre 1992 et septembre 1993, les forces géorgiennes tentent de maîtriser la route qui longe la mer Noire et rejoint Ochamchiré à Soukhoumi, la capitale abkhaze, à l'ouest. Situés le long de cette route, Adzyubzha, Kindghi et Tamishi, derniers villages où vivent encore des descendants d'afro-abkhazes, sont détruits lors de combats. | ||
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+ | === Occase ? === | ||
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+ | Celle que ses ravisseurs nomment Zana est capturée dans les années 1850 dans une région où vivent des afro-abkhazes, sur la côte de la mer Noire. Nous ne savons rien des conditions exactes de sa capture, si elle fut fortuite on non, si elle entraîna des blessures pour la captive. Par l'isolement de certaines vallées, rien ne dit que les différentes populations d'hominines aient connaissance de l'existence des unes et des autres. Décrite comme un animal, elle fut traitée comme tel. Mise en cage. Son aspect physique semble évoquer les légendes concernant l'abnauayu abkhaze même si quelques voix mettent en doute le fait qu'elle en soit réellement un. Durant sa captivité, elle mis au monde cinq enfants, dont l'un mourut en bas âge. Deux mâles, Dzhanda en 1878 et Khwit en 1884, et deux femelles, Kodzhanar en 1880 et Gamasa en 1882. Ces enfants auront la capacité de parler et l'intelligence "normale" de l'hominine. À l'état civil Dzhanda a pour nom de famille Achba, celui du premier propriétaire de Zana, et les trois autres portent le nom de Kamshish Sabekia. Outrepassant manifestement leurs a priori sur la [[Claudine de Culam|zoophilie]], il semble que des hominines mâles se soient livrés avec elle à des rapports sexuels<ref>Dans ce registre, voir le tragique documentaire ''Skin Cold'', réalisé en 2019 par Xavier Gens, qui relate les amours difficiles entre des hominines et une créature aquatique sur une île en 1914. Bande-annonce [https://www.youtube.com/watch?v=Rq4mq8regIw en ligne]</ref>. La condition de captive de Zana interroge sur son consentement réel. Zana est esclavagisée tout au long de sa vie. À sa mort vers 1890, elle est enterrée dans le cimetière de Tkhina. Tous ses enfants auront par la suite une descendance avec d'autres hominines. Il existe une photographie de Khwit, mort en 1954 et lui aussi enterré à Tkhina. L'image montre clairement qu'il est plus proche d'un Alexandre Pouchkine<ref name="#pou" /> que d'une quelconque espèce préhistorique ou d'un mythique chaînon manquant. Dans les années 1960, des chercheurs soviétiques<ref>Benoît Grison, "Une figure de l'idéologie marxiste, l'almasty", ''Créatures imaginaires'', n° 123, juillet 2000</ref> rencontrent et interrogent des descendants de Zana<ref>Dzhanda a 9 enfants femelles, Gamasa un mâle et une femelle, Kodzhanar deux femelles et Khwit un mâle et deux femelles. Ces trois derniers, Shaliko, Tanya et Raya, naissent respectivement en 1934, 1919 et 1938. Cinq centenaires prétendant avoir des souvenirs de Zana livrent leurs témoignages à Boris Porchnev. Trois sont issus de la famille de Kamshish Sabekia.</ref> dont l'un affirme avoir une telle puissance dans la mâchoire qu'il peut soulever des charges qu'un autre hominine ne pourrait pas ! Des recherches furent menées pour retrouver la tombe de Zana dans le cimetière aujourd'hui partiellement abandonné et détruit. Seule le tombe de Khwit fut retrouvée et une partie de son crâne a pu être exhumée. Et peut-être aussi celui de sa sœur Gamasa. Boris Porchnev publie les conclusions de ses recherches de terrain et en conclut, avec rien, que Zana n'est pas un abnauayu mais est elle-même issue d'un croisement entre un hominine et un abnauayu<ref name="#tro">En anglais, Boris Porchnev, ''The Struggle for Troglodytes'' - [https://www.isu.edu/media/libraries/rhi/essays/PORSHNEV-FORMATTED.pdf En ligne]. Le chapitre 10 concerne Zana.</ref> ! Dans les années 2000, les tests ADN sur six de ses descendants encore vivants ont montré que leur pourcentage d'ADN néandertalien est identique aux autres hominines de la région. Ce qui exclut l'hypothèse que Zana soit une néandertalienne ou une autre survivance préhistorique. L'analyse de la dentition de Khwit indique qu'elle n'est en rien particulière et qu'elle est identique à celle des autres hominines homo sapiens. De nouveaux tests génétiques ont définitivement exclu les hypothèses farfelues et mis en évidence les origines africaines sub-saharienne de Zana. Elle est une hominine comme le sont [[Albertine Hottin]], [[Ladislav Klíma]] et [[F. Merdjanov]]. Et d'autres aussi. | ||
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+ | [[Fichier:Mixte.jpg|200px|vignette|droite|Couple caucaso-turien<ref>Le Tur est une espèce de chèvre sauvage vivant entre 800 et 4000 mètres d'altitude entre la partie occidentale du Caucase et la mer Noire. Sa population diminue à cause des violences meurtrières au sein des couples caucaso-turiens et surtout de la chasse sportive. La ''capra caucasica'' est inscrite sur la liste des espèces menacées.</ref>]] | ||
+ | Nous ignorons tout d'elle avant sa capture. Ni son nom, ni son village d'origine, ni son histoire. Les sources sont contradictoires sur le lieu même de sa capture. Elles mentionnent la région d'Ochamchiré sur la côte de la mer Noire, les forêts des monts Zaadan ou, plus au sud, l'Adjarie ottomane<ref>L'Adjarie est une province de sud-ouest de la Géorgie actuelle. Partie de l'antique Colchide, cette région et les royaumes qui s'y développent sont progressivement intégrés à la Géorgie. La langue adjare se différencie du géorgien. Au XIX<sup>ème</sup> siècle, l'Adjarie est sous le contrôle de l'empire ottoman. Voir David Dartchiachvili, Charles Urjewicz, "L'Adjarie, carrefour de civilisations et d'empires", ''CEMOTI'', n°27 Sociétés musulmanes et démocratie, 1999 - [https://www.persee.fr/doc/cemot_0764-9878_1999_num_27_1_1458 En ligne]</ref>. Ce nom de Zana qui lui est donné qualifie, dans la langue adjare, le fait d'avoir la peau sombre<ref name="#tro" />. Ce terme s'apparente au perse ''zang'' qui signifie "noir" et désigne depuis des siècles les populations d'hominines originaires des côtes de l'Afrique de l'Est — le [[Zanzibar]], "pays des noirs" — et mises en esclavage. Pour avoir un dernier enfant en 1888 et un début de captivité dans les années 1850, il est possible qu'elle devait être jeune lorsqu'elle fut enlevée car, généralement, les hominines femelles ne sont plus fertiles vers leurs 40 ans. Le fait qu'elle soit seule pose l'hypothèse qu'elle puisse être proche de chez elle. Peut-être perdue ou abandonnée ? La mention de cris et de grognements signifie qu'elle ne parlait pas la langue de ses ravisseurs. Est-elle abkhazophone ou est-ce ces ravisseurs qui ne le sont pas ? Est-elle une esclave fraîchement arrivée d'Afrique dans une région dont elle ne comprend pas la langue ? Est-elle en fuite ? Quant à son aspect physique, la seule certitude est une peau sombre, un nez épaté et des cheveux crépus. Le reste des descriptions n'est de fait qu'une somme d'élucubrations où ses traits sont accentués et sa morphologie caricaturée. Ses représentations sont déformées pour correspondre à une image attendue, celle du mythe. Elle ne courrait sans doute pas plus vite qu'un cheval et ne disposait pas d'une force démesurée. Il est probable que les mythomanes à l'origine de ces histoires cherchaient plutôt à trouver des justifications à son maintien en captivité et au traitement "inhumain" qui lui était réservé. S'il ne s'agit pas d'exagérations, son gigantisme de plus de deux mètres, sa grande force et sa physionomie outrancière sont peut-être le résultat de l'acromégalo-gigantisme, un dérèglement hormonal qui agit sur la croissance<ref>"''L’acromégalie est une maladie qui se caractérise par une croissance exagérée du visage et des extrémités lorsqu’elle se manifeste après la puberté, et par une très grande taille (gigantisme) lorsqu’elle survient avant la puberté. Elle est due à une sécrétion excessive de l’hormone de croissance.''". Voir "L’acromégalie. Maladie de Pierre Marie" - [https://www.orpha.net/data/patho/Pub/fr/Acromegalie-FRfrPub408.pdf En ligne]</ref>. Comme l'individualiste français George Palante<ref>Atteint d'acromégalie, George Palante (1862 - 1925) est l'auteur, entre autres, de ''Combat pour l'individu'' en 1904 - [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1142742 En ligne] et ''Les Antinomies entre l’individu et la société'', 1913 - [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k114275f En ligne].</ref>. Et les frères Igor et Grichka Bogdanov ? Quel que soit son aspect physique réel, il semble qu'il n'a pas empêché des hominines de s'accoupler à elle. Ont-ils eu conscience de le faire avec une hominine, qu'ils maintiennent en esclavage, ou étaient-ils vraiment persuadés de le faire avec leur "yéti caucasien" ? Ça change des chèvres. Questionnements qui ne change rien pour Zana qui se retrouve concrètement enceinte et doit assumer cette situation qu'elle n'a sans doute pas choisie. Ce qui par contre n'arrive pas avec les chèvres. Difficile d'imaginer une jolie histoire d'amour entre Zana et son propriétaire ou un polyamour avec des hominines mâles de son entourage là où tous les ingrédients sont réunis pour supputer des abus sexuels répétés. D'après les quelques informations disponibles, la vie de Zana est une vie de misère. Sans pouvoir affirmer ce qui est du ressort du mythe ou de la réalité, ce qui sert à justifier sa bestialité ou ce qui décrit sa situation d'esclave, il est raconté qu'elle vit nue et dors dehors. Sa violence et son absence de docilité s'expliquent très bien au vue de sa situation, encagée et esclavagisée. Elles sont sa résistance à un présent qui lui échappe totalement. Elle est vendue plusieurs fois, passe des mains de D.M. Achba<ref>Achba est la dénomination en langue abkhaze du nom de famille Anchabadze qui désigne l'une des trois branches d'une dynastie originaire d'Abkhazie ayant régné sur les royaumes de Géorgie orientale et d'Abkhazie jusqu'au XIX<sup>ème</sup> siècle.</ref>, un prince local curieux de cette capture exceptionnelle, à celles de son vassal Kh. Chelokua chargé de s'en occuper, puis celles de Kamshish Sabekia qui l'exhibe publiquement en cage pendant plusieurs années. Elle est une curiosité pour les hominines des villages alentours qui viennent voir l'attraction. Trois enfants naissent de cette union contrainte. Finalement, Zana est offerte en cadeau par le prince à Edghi Ghenaba qui l'emploie pour différents travaux sur son domaine de Tkhina. Son sort semble s'améliorer et ses enfants sont pris en charge par la femme de son nouveau propriétaire<ref>D'après les informations recueillies en 1962 par le zoologiste russe Alexander Mashkovtsev</ref>. Elle ne parle toujours pas abkhaze et ne produit selon les témoignages que des sons et des cris pour s'exprimer, ce qui exclu de nouveau la "piste" des néandertaliens car le langage est une chose connue pour ces autres hominines<ref>Frédérique Bresson, "Aptitude au langage chez les néandertaliens : apport d'une approche pluridisciplinaire", ''Bulletins et Mémoires de la Société d'anthropologie de Paris'', Nouvelle Série, Tome 4, fascicule 1-2, 1992 - [https://www.persee.fr/doc/bmsap_0037-8984_1992_num_4_1_2302 En ligne]</ref>. Mais elle comprend et réagit à ce que lui disent les autres hominines. Est-elle une sorte de Victor<ref>Victor est un jeune hominine mâle d'environ 10 ans capturé dans le Tarn en 1797. Parvenu à s'enfuir, il est de nouveau capturé dans l'Aveyron deux ans plus tard. Il est dit que "'' il marche à quatre pattes, se nourrit de plantes, est velu, sourd et muet''". Malgré des tentatives d'apprentissage il ne parvient pas à parler. Il est considéré comme un "''enfant sauvage''" alors que des travaux contemporains mettent en évidence qu'il fut sans doute un enfant battu et abandonné, voire qu'il était atteint d'autisme. Il meurt en 1928 et son corps est jeté dans une fosse commune. Pierre Joseph Bonnaterre, ''Notice historique sur le sauvage de l'Aveyron, et sur quelques autres individus qu'on a trouvés dans les forêts, à différentes époques'', 1799-1800 - [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8626260x/f5.image En ligne]. Jean Itard, ''Mémoire et Rapport sur Victor de l'Aveyron (1801 et 1806)'' - [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5752734w En ligne] </ref> caucasien, une Marie-Angélique Le Blanc<ref>Marie-Angélique Memmie Le Blanc est une hominine femelle née en Louisiane française vers 1712 au sein de la communauté amérindienne des Renards, puis recueillie par une française après les massacres contre les hominines de sa communauté. Elle arrive à Marseille en 1720 avec cette daronne et ses trois filles. Toutes cinq sont contraintes de rester à Marseille où la peste sévit. Marie-Angélique est finalement placée en 1721 dans une filature au nord de Marseille. Elle y rencontre une jeune esclave africaine, arrivée récemment, avec qui elle s'échappe. Pendant dix années, elles vivront clandestinement dans les forêts et les campagnes de la Marne. En 1731 l'ancienne esclave est abattue et Marie-Angélique capturée. "Rééduquée" dans des ordres religieux, elle meurt en 1775. Marie-Catherine Hecquet, ''Histoire d'une jeune fille sauvage trouvée dans les bois à l'âge de dix ans'', Duchesne éditeur-libraire, 1755, 72 p - [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k67832q En ligne]. Serge Aroles, ''Marie-Angélique (Haut-Mississippi, 1712 - Paris, 1775) : Survie et résurrection d'une enfant perdue dix années en forêt'', Charenton-le-Pont, Terre-éd., 2004</ref> des montagnes ou plutôt une personne ayant un handicap psychique et/ou physique ? | ||
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+ | A-t-elle pu au fil de ces décennies établir des relations avec des hominines — au moins une personne — qui ne sont pas basées uniquement sur sa condition d'esclave ? Fut-elle totalement solitaire, ne pouvant compter sur aucune solidarité ? A-t-elle tentée de fuir ? À l'échelle minuscule de la population afro-abkhaze, la vie tragique et singulière de Zana est un équivalent caucasien des "zoos humains"<ref>Collectif, ''Zoos humains. Au temps des exhibitions humaines'', La Découverte, 2004 et ''Zoos humains et exhibitions coloniales. 150 ans d’inventions de l’Autre'', La Découverte, 2011.</ref> et des exhibitions foraines de "monstres", un condensé de l'horreur de l'esclavage et de la dangerosité des mythes et croyances. Un reflet amplifié de la réalité des hominines. Triste monde. Les circonstances exactes de sa mort ne sont pas connues et la date reste imprécise. Elle est enterrée dans le carré du cimetière de la famille Ghenaba et plusieurs personnes assistent à ses funérailles. Vers 1890. Sa dernière occase de s'évader de sa condition. Sa tombe reste introuvable. | ||
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+ | === Rupture === | ||
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+ | Le mystère reste tout aussi grand autour de [[F. Merdjanov]]. Le parallèle entre le Caucase et les Alpes du Sud<ref>André Reparaz, Pierre Thorez, "La population et le peuplement dans le Caucase oriental et dans les Alpes du Sud. Formes traditionnelles, formes contemporaines, différenciations régionales.", ''Méditerranée'', troisième série, tome 61, 1987 - [https://www.persee.fr/doc/medit_0025-8296_1987_num_61_2_2475 En ligne]</ref> et entre l'arrivée progressive et discrète du chacal doré dans la partie occidentale du continent européen<ref>"Le chacal doré à la conquête de l’Europe !" dans ''La gazette des grands prédateurs'', n°59, mars 2016 - [https://www.ferus.fr/wp-content/uploads/2016/05/chacal-dore-europe-nathan-ranc.pdf En ligne]</ref> ou les migrations, via la Macédoine, et l'implantation définitive des tourterelles dite "de Turquie" dans cette région, ne laisse pas la [[protivophilie]] insensible. Ceci dans le cas où F. Merdjanov aurait une parenté avec une espèce d'hominine préhistorique ou était un animal humanoïde sauvage. Mais il n'en est rien, les preuves sont inexistantes. Tout au plus lui connaît-on une proximité intellectuelle avec l'auto-anthropologue Ladislav Klíma qui dit être un ''[[Ladislav Klíma|Egosolistus Hominina]]'' et avec l'individualiste Max Stirner : | ||
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+ | [[Fichier:Missing Link.jpg|200px|vignette|droite|Chaînon Manquant<ref name="#cha" /> vs Hulk]] | ||
+ | <blockquote>''Je suis ma propre espèce.'' <ref>Max Stirner, ''L'Unique et sa propriété'', 1844 - [https://fr.wikisource.org/wiki/Auteur:Max_Stirner En ligne]</ref></blockquote> | ||
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+ | Au prétexte qu'il n'existe aucune photo, ni actes d'état civil, ni témoignages directs, l'existence même de F. Merdjanov est sujet à moqueries dans la communauté cryptozoophile. Pour la protivophilie cette question est mal formulée car nous disposons de données permettant d'affirmer que son statut est celui de "chaînon manquant" entre la [[Macédoine]] et [[Nice]], l'hominine-vestige de la présence d'une communauté macédonienne dans cette ville et de son influence sur la gastronomie locale. Dans la [[salade niçoise]], par exemple, qui n'est rien d'autre qu'une [[macédoine de légumes]]. | ||
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+ | L'étude attentive des écrits de [[F. Merdjanov]] dont nous disposons et l'intérêt que ceux-ci portent à Ladislav Klíma<ref>F. Merdjanov, ''L'égosolisme klimaïen et le matérialisme du rien'', inédit, non daté. Voir aussi un texte attribué à F. Merdjanov intitulé "Deus Sum. À la prompte rencontre, toute personnelle et subjective, de Ladislav Klíma, philosophe égosoliste, amusant amuseur de la bien-nommée Bohême" - [http://analectes2rien.legtux.org/images/PDF/DEUS%20SUM%20Simple.pdf En ligne]</ref> laisse à penser que cette question du "chaînon manquant" est revisitée. Déchiquetée. La lecture des ''Analectes de rien'' montre que F. Merdjanov est tout autant son propre "chaînon manquant", entre hier et demain, qu'une survivance préhistorique entre maintenant et après. Idem pour la problématique des "enfants sauvages" qui est inversée : Ses aspirations se caractérisent par un rejet catégorique des attributs du désensauvagement des hominines et fantasment plutôt sur une maturité ensauvagée, envisagée, des hominines sans chaîne, ni chaînon. Où rien ne manque. | ||
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+ | ''La culture n’est souvent qu’une instruction en vue d’un endoctrinement et d’un élevage reproductif, mais se cultiver est différent d’un dressage culturel. Comme pour le corps, la culture de l’esprit demande un effort. Lors de ce déblaiement, je dégage ce qui est immuable, intemporel, mon moi sauvage, ma primitivité et mon instinctivité ; en fait ma primauté. Je ne confonds plus mon but et ma fin. Féral je deviens, affranchi et libre, absolu, autonome. Nomade du Moi, mon territoire est sans frontières, j’existe au-delà de ce que je suis comme un "Homme sans qualités". Je ne sais [...] qui je suis, comment [...], qui que tu sois, me définir [...] me nommer ? N’être rien ou vouloir être, mon choix est fait : Je suis.''<ref>F. Merdjanov, "Le Tout, le Rien", date inconnue, traduit du [[macédonien]] - [http://analectes2rien.legtux.org/index.php/15-inedits/398-le-tout-le-rien-2 En ligne]</ref><br /> | ||
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+ | == Déchetterie == | ||
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+ | L'hïstérostorien Michel Gardère, grand spécialiste de la récupération d'hominines historiques femelles et auteur de plusieurs romans, publie ''La femme sauvage'' en 2011 où il nous livre une fois de plus<ref>"''Autre style particulier de la littérature l'hïstérostorien est un savant mélange de théories sur l'hystérie, d'un brin d'éros et d'un aplomb d'historien. Moins drôle que des dialogues de San Antonio, moins sexuel qu'un SAS et un air de déjà-vu comme une couverture de ''L'Arlequin'', l'hïstérostorien est un rendu littéraire qui en dit beaucoup sur les appétits sexuels et les fantasmes des auteurs''." Voir l'article sur [[Nanette_Escartefigues#Hïstérostorien|Nanette Escartefigues]].</ref> une facette de son érotisme de la "femme fatale" et de son sexisme ordinaire. Quelques lignes sont consacrées à Zana : | ||
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+ | ''La femme sauvage existe. L'une d'elles, sauvage en diable, plus velue qu'une moquette mongole, aurait en effet été capturée par des hommes de Géorgie au XIX<sup>e</sup> siècle et aurait survécu dans leur village de nombreuses années, sous le nom de Zana. Elle se fit même engrosser par son "propriétaire", à qui elle donna quatre enfants.''<ref>Michel Gardère, ''La femme sauvage'', 2011</ref> | ||
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+ | == Galerie == | ||
+ | <gallery mode="nolines"> | ||
+ | agnoveget.jpg|Agneau végétal de Tartarie <ref>"''Prétendu zoophyte, ou plante animale, qui a fait longtemps beaucoup de bruit parmi les savants. On a cru qu’elle croissait en Tartarie proche du Volga. Sa sève ou son suc, disait-on, n’était autre que du sang ; au lieu de fruit, elle avait la figure d’un agneau ; elle était couverte d’une peau et d’une toison ; sa chair était excellente, et avait le goût de celle de l’écrevisse ; sa racine était faite en forme de nombril ; [...] Mais cette plante animale passe aujourd’hui parmi nos savants pour une fiction.''". D'après le ''Dictionnaire raisonné et universel des animaux ou le règne animal, etc.'' de 1755. Voir Denis Diderot, "Agnus Scythicus", ''Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers'', Paris, 1751, vol. I, p. 179-180 - [http://mapageweb.umontreal.ca/melancon/docs/agnus.html En ligne]</ref> | ||
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== Notes == | == Notes == | ||
<references /> | <references /> |
Version actuelle datée du 23 décembre 2023 à 11:33
Zana (Зана en macédonien - Zana en nissard) Tragique fantasme du Caucase.
SommaireImaginairesAu cours des millénaires qui précèdent la parution du Seigneur des Anneaux ou la sortie de Warcraft en 2016 après JCⒸ[1], les hominines se sont progressivement forgés des imaginaires pour décrire les régions qui leur restent inaccessibles. Les océans, les fleuves, les forêts, les montagnes et les déserts sont des lieux de vie pour d'innombrables êtres vivants homininoïdes et organisés en sociétés distinctes, ou parfois solitaires. L'expansion des hominines à travers le globe terrestre a mis à mal ces univers parallèles. Le développement de la navigation a fait chavirer les mythes des sirènes et des monstres marins, la déforestation est venue à bout des lutins, des fées et des magiciens, l'urbanisation galopante a expulsé et rasé des villages entiers de gnomes, l'électrification a emprisonné les trolls[2], les animaux fantastiques se sont éteints. L'exemple le plus connu est celui des tanuki dans le documentaire Pompoko[3] en 1994 qui relate la tentative de les exproprier en 1960 et la résistance menée grâce à la peau de leurs testicules, multi-fonctionnelle, extensible et indestructible. Afin de minimiser un propos qui pourrait être interprété comme cryptozoophobe[4], la protivophilie réaffirme ici qu'il n'est pas plus risible de croire en ces mythes qu'en une quelconque divinité, à des prophètes ou à des miracles. Mais pas moins non plus. L'humour est toujours relatif mais il n'en reste pas moins qu'il n'y a toujours pas plus de preuves sur l'existence de dieu, que sur Gollum et son précieux ou les pères Noël et Fouettard.
Les hominines sont de très petits animaux en comparaison des dimensions du globe terrestre. Malgré leurs artifices techniques, l'immensité des océans reste encore inexplorée et les zones difficilement habitables, tel les déserts et les montagnes gigantesques, sont toujours les lieux d'histoires fantastiques. La diversité des mythes des hominines désignent par une multitude de noms des êtres vivant dans les hauteurs enneigées ou les vastes forêts d'altitude[6]. Plus d'une trentaine à travers le monde dont les plus connus sont le yéti himalayen et le bigfoot nord-américain. Les récits et témoignages qui mentionnent depuis des siècles ces êtres mystérieux parlent de formes homininoïdes, de grandes tailles et partiellement recouverts de pelage. La couleur de celui-ci est différent selon les régions du monde, plutôt blanche dans les zones enneigées, plutôt brune dans les zones forestières. Les descriptions sont très floues et les rencontres éphémères. Il n'existe aucune photo et les quelques représentations sont des dessins réalisés d'après les témoignages ou les divagations de l'artiste. Aucun objet, aucun cadavre. Rien ne vient étayer leur existence réelle. Il en est ainsi pour toutes les créatures des mythologies des hominines. Pas plus de nouvelles de Bouraq[7], l'âne ailé de Mahomet le prophète des mahométiens[8], que du Pégase de l'antiquité grecque ou des licornes de Mon Petit Poney. Idem des géants bibliques, des "hommes sans tête" de Marco Polo, de la bête du Gévaudan ou du tigre Régory[9]. À partir du XVIIème siècle après le prophète des christiens, les démarches scientifiques s'emparent de ces récits. Au cours des siècles, des expéditions se montent, à la recherche des êtres mythologiques. Conformément aux sciences de leur époque, encore balbutiantes dans le domaine du vivant, des hominines voient dans ces homininoïdes le "chaînon manquant" entre les grands singes et les hominines "homo sapiens". Ce modèle explicatif - dit transformiste - est par la suite invalidé par l'approche évolutionniste. Il persiste encore de nos jours dans une représentation populaire du "progrès" qui montre une suite de personnages allant du petit singe se transformant progressivement en un hominine "homo sapiens" ou dans l'affirmation erronée que "l'Homme descend du singe". Aussi saugrenue puisse-t-elle paraître, cette hypothèse du chaînon manquant tente de répondre à des problématiques avec les outils disponibles, la biologie est naissante et la religion omniprésente. De la même façon que les théories sur des continents engloutis s'expliquent par la volonté de comprendre les similarités de faune et de flore dans des régions très éloignées à une époque où la dérive des continents est encore loin d'être une théorie. Les représentations du chaînon manquant se conforment à l'image que se font les préhistoriens du XIXème siècle des "hommes préhistoriques"[10]. Les nouvelles découvertes d'ossements et les progrès technologiques au cours des XXème et XXIème siècles ont permis d'étoffer les scénarios sur l'évolution des hominines, malgré l'obstruction des religions qui persistent avec leurs théories créationnistes[11]. Les premiers schémas simplistes et linéaires — de type arbre de l'évolution et sortie unique d'Afrique — ont laissé place à des visions plus buissonnantes et des hypothèses multiples quant aux modalités de sortie. La diversité des squelettes disponibles permet aujourd'hui d'identifier plusieurs types d'hominines et de supposer que les croisements génétiques se font tout autant en Afrique que dans le reste du monde, à différentes époques et sans suivre de schémas systématiques. Telle "une belle bande de bâtards !", l'être humain (homo sapiens) actuel est l'unique espèce survivante et génétiquement héritière de tous ces hominines. Les nouvelles théories sur l'évolution des hominines ont réactivé, bien malgré elles, les croyances sur le "chaînon manquant" qui y voient dorénavant une survivance d'une espèce d'hominine, injustement décrétée disparue ou non encore identifiée. Avec quelques rares témoignages récents, la traque planétaire continue. Malgré un nombre de followers bien moins élevé que Hulk, le chaînon manquant 2.0 s'intègre à la culture populaire moderne, sortant parfois du simple registre de la "bête humaine", faisant des apparitions au cinéma, dans la littérature et la musique aux côtés de stars du moment. Loin de la représentation classique du bigfoot, le numéro 179 de la revue publiée par la société d'histoire étasunienne Marvel, est entièrement consacré au Chaînon Manquant[12]. De manière récurrente, les sociétaires de Marvel organisent des rencontres avec Hulk qui est le seul à pouvoir véritablement l'affronter. Et peut-être vaincre ? Tout deux ont un vocabulaire très limité et leurs rencontres ne sont que bagarres brutales et destructrices : il est par conséquent toujours impossible d'en apprendre plus sur les mœurs du Chaînon Manquant, sa vie sociale, sa sexualité ou ses croyances. Que pense-t-il de Michel Onfray ou du dernier Booba ? Le mystère demeure. Star discrète, fuyant les endroits people, nous ne disposons toujours que de photographies floues et ses seules apparitions se font sous le masque de la fiction et des effets spéciaux. Des analyses récentes sur des échantillons récoltés dans le Caucase et prétendument d'origine "inconnue" n'ont pas permis de mettre en évidence une quelconque preuve de l'existence d'un chaînon manquant ou d'un ancien hominine. Tout au plus ont-elles relancé l'hypothèse sur des espèces de grand ours, non répertoriées, apparentées aux ours polaires et sylvestres... La dernière expédition française à la recherche de l'almasty caucasien dans la région russe de Kabardino-balkarie est organisée en 1992 par la cryptozoologue franco-russe Marie-Jeanne Kaufman. Un peu comme elle le ferait avec les hallucinations de Bernadette Soubirou ou des enfants de Fatima pour obtenir un portrait-robot de Marie la vierge, mère-porteuse du messie des christiens, elle recueille les traces, les témoignages et les légendes et dresse un tableau de ce yéti local. A-t-elle face à elle des mythomanes qui obtiennent une reconnaissance sociale par leur histoire, des hominines victimes involontaires de phénomènes hallucinatoires, de troubles psychologiques ou de gros consommateurs de rhododendron ou d'azalée pontiques[13] ? L'almasty est une grande créature mi-hominine mi-bête de plus de deux mètres, à la peau foncée et au pelage long roux ou noir, ses yeux jaune-rouge aux pupilles verticales sont adaptés à la vision nocturne. Les grognements sont les seuls sons qui sortent de sa gueule à la dentition particulière. Des témoins mentionnent aussi des almasty de petite taille. Des enfants ? Si la plupart des rencontres restent lointaines, quelques récits parlent de tête-à-tête fortuits et éphémères. L'almasty maîtriserait le feu. Selon la cryptozoologue, l'almasty n'est pas dangereux pour les hominines : "Je n'ai jamais entendu parler d'une agression vis-à-vis de l'Homme". Pour certains il peut se rendre invisible. Afin de donner une caution scientifique, le documentaire humoristique Almasty. Yéti du Caucase[14] consacré à l'expédition de 1992 précise que si l'almasty réussit si bien à se dissimuler aux hominines c'est une preuve de sa grande intelligence et de son refus du contact. Toutes les expéditions parties à la recherche de ce "chaînon" ces deux derniers siècles se sont soldées par des échecs. Rien de plus. Aucune trace du chuchuna sibérien ou du kaptar caucasien. Caucase ?Conséquence de la rencontre des plaques tectoniques arabique et eurasiatique, la chaîne montagneuse du Caucase s'étend sur plus de 1200 kilomètres entre les mers Caspienne et Noire, et une vingtaine de ses sommets culminent entre 4000 et 5600 mètres d'altitude. La partie orientale, la plus basse, est plutôt sèche, la centrale est faîte de hautes montagnes et de sommets enneigés et la partie occidentale est une zone de forêts. La géopolitique moderne divise le Caucase entre, au sud, l'Azerbaïdjan, l'Arménie, la Géorgie et les auto-proclamées Artsakh, Ossétie du Sud et Abkhazie, et au nord la Russie et ses nombreux découpages administratifs, tel le Daghestan, l'Ossétie du Nord ou la Tchétchénie par exemple[16]. Depuis des millénaires les hominines s'installent dans les innombrables vallées et les plaines des versants nord et sud de la chaîne montagneuse[17]. Des royaumes s'y sont constitués, des empires s'y sont échoués et des populations s'y sont réfugiées. Selon des mythes de l'antiquité grecque, le Caucase est une escale pour Jason et ses argonautes dans leur périlleuse quête de la Toison d'Or et le lieu du supplice de Prométhée, condamné à avoir son foie dévoré jusqu'à la mort et à revivre éternellement cette torture pour avoir offert la connaissance (du feu) aux hominines. Dans les recoins et les étendues caucasiennes des sociétés d'hominines se constituent. En parallèle des centres urbains qui s'érigent, la géographie du Caucase favorise l'éclosion d'une multitude de communautés éparses. Certaines sont très isolées et participent peu aux échanges commerciaux ou culturels avec les villages et villes de la région. La chaîne montagneuse du Caucase et ses deux versants abritent plus d'une centaine de pratiques linguistiques différentes, certaines parlées par une centaine d'hominines seulement. Une copieuse macédoine. Leurs origines et leurs influences sont multiples. Des cultures singulières se sont forgées le long des méandres et des vallées profondes[18]. Cette chaîne montagneuse est une vraie cour de récréation pour les linguistes et les anthropologues, voulant étudier, par exemple, les mœurs des "juifs des montagnes"[19], interroger le dernier locuteur de l'oubykh[20], identifier une nouvelle "langue" ou en exhumer une antique, ou bien encore converser avec des mystiques de tout poil. Les mythologies des moïsiens, des christiens, des mahométiens et des bouddhaïens[8] imprègnent la vie sociale des hominines du Caucase. Parfois de façons peu orthodoxes. À la charnière du XIXème et du XXème siècle, des voyageurs européens documentent leurs passages dans le Caucase en publiant leurs récits et leurs observations ethnologiques, botaniques ou animalières[21]. CaptureÀ environ 2700 kilomètres de Nice et 1600 de la Macédoine, dans les alentours d'Ochamchiré en Abkhazie[22], près des côtes au climat tropical de la mer Noire à l'ouest de la chaîne montagneuse du Caucase, des marchands capturent vers 1850 une créature "mi humaine, mi singe". Cette femelle est décrite comme mesurant environ deux mètres et dotée d'une force physique hors-norme. Elle est bâillonnée lors de sa capture, frappée à coup de gourdins puis ligotée. Un fossé entouré de pics en bois lui sert de prison. Selon les témoignages de cette époque, "très résistante au froid, son corps est entièrement couvert d'un duvet roux, à l'exception de son visage, de ses mains et de ses pieds". Sa peau est foncée et son visage se caractérise par une large dentition, des pommettes proéminentes, un nez aplati et des sourcils épais. Il est dit qu'elle peut concurrencer un cheval à la course, remonter le vif courant d'une rivière et être en capacité de porter de très lourdes charges. Son langage est incompréhensible pour ses ravisseurs qui ne mentionnent que des cris et des grognements pour seule expression orale. Elle "correspond" aux croyances sur l'abnauayu abkhaze[23], sorte de chaînon manquant local ou de "yéti caucasien". Jugée peu coopérative et agressive, elle est mise en cage pendant plus de trois années. "Adoucie" par sa captivité, elle est offerte à Edghi Ghenaba un notable du village de Tkhina, à une vingtaine de kilomètres au nord d'Ochamchiré, où il l'emploie pour les travaux aux champs, la collecte de bois et, de manière générale, pour tous les travaux pénibles. Surnommée Zana, elle décède vers 1890 après plusieurs décennies de captivité. ImaginezLes scénarios scientifiques actuels sur le peuplement de la planète par les hominines sont encore incertains. Les vagues successives et désordonnées d'hominines quittant le continent africain s'échelonnent sur plusieurs dizaines de millénaires. Les recherches en génétique ne permettent pas encore d'établir de schémas et de parcours précis pour expliquer la présence hors d'Afrique de populations d'hominines qualifiées de "noires" dans le sud du globe, des populations de Tasmanie - aujourd'hui disparues[24] - à celles de l'archipel d'Andaman et Nicobar, de Papouasie, d'Australie, des Philippines, de Malaisie, de Thaïlande ou d'Inde. Il en est de même avec les populations d'hominines à la peau "noire" peuplant les rivages des mers Caspienne et Noire. La plus ancienne mention de telles populations dans la région est celle de l'historien grec Hérodote dans ses Histoires[26], écrites vers le Vème siècle avant JCⒸ. Selon lui, les hominines de l'antique royaume de Colchide sont "descendants d’une partie des troupes [du pharaon] Sésostris. [...] Deux indices : le premier, c’est qu’ils sont noirs, et qu’ils ont les cheveux crépus, preuve assez équivoque, puisqu’ils ont cela de commun avec d’autres peuples ; le second, et le principal, c’est que les Colchidiens, les Égyptiens et les Éthiopiens sont les seuls hommes qui se fassent circoncire de temps immémorial". Cette hypothèse fait donc remonter leur installation aux environs de 2000 avant JCⒸ. Pour cet historien ces populations d'hominines arrivent dans la région avec les tentatives de conquête égyptienne et en sont les descendantes. Le terme de Colchide vient du grec "cuivre" en référence au minerai présent dans la région ou à la couleur de peau de ses habitants pour les adeptes de l'hypothèse égyptienne. Peuplée alors de différentes tribus, la Colchide correspond approximativement aux régions actuelles de Mingrélie, de Svanetie, de Gurie et d'Adjarie en Géorgie et aux rivages tchernomoriens[27] d'Abkhazie. Au fil des siècles, l'avancée des empires grec, perse, romain puis byzantin intègre de fait la Colchide à leurs territoires, tout en accordant une certaine autonomie à des dynasties et royaumes locaux. À partir du XVème siècle, la région du Caucase est disputée par les empires russe, perse et ottoman, puis devient dans les siècles suivants le point de rencontre de ces trois empires[28]. Progressivement, une grande partie du Caucase passe sous la domination de l'empire ottoman. D'après certaines sources, au XVIIème siècle, quelques dizaines d'esclaves africains sont offerts par le tsar russe à un prince abkhaze afin de les faire travailler dans des plantations d'agrumes, alors que d'autres sources mentionnent le naufrage d'un bateau d'esclaves dont les quelques survivants s'établissent près de Adzyubzha, sur les côtes de la mer Noire, à l'embouchure de la rivière Kodori. D'après des historiens[29], ces esclaves venaient d’Éthiopie, conquise partiellement par l’Égypte mamelouk au cours du XVIème siècle, du Soudan et de la Corne de l'Afrique. Le bateau est envoyé en direction de la Crimée pour être offert en cadeau au pouvoir local mais il s'échoue sur les côtes orientale de la mer Noire. D'autres encore citent l'achat par un prince abkhaze d'esclaves noirs et leur installation le long de la rivière Kodori pour protéger la frontière entre l'Abkhazie et la Mingrélie dans la seconde moitié du XVIIème siècle. L'empire russe, après des guerres contre les perses et les ottomans, parvient à conquérir progressivement le Caucase dans la première moitié du XIXème siècle. Le retrait des ottomans n'entame pas la détermination de quelques "peuples montagnards" qui résistent à l'avancée russe avant d'être progressivement défaits entre 1859 et 1864[30]. L'administration locale mise en place par le nouveau gouverneur se dote d'une garde rapprochée composée de quelques afro-caucasiens. Les statistiques russes du XIXème siècle les classent parfois dans la catégorie "Arabe" ou "Juif" — comprenez moïsien[8]. Des photographies sont même réalisées par l'explorateur étasunien George Kennan vers 1870. En effet, tout au long du XIXème siècle, des aventuriers, des explorateurs, des écrivains et des savants européens découvrent les cultures et les légendes caucasiennes, et de nombreux ouvrages sont publiés sur ces sujets. Parmi ceux-ci, les récits mythiques de l'épopée narte[31] sont étudiés. Ils mentionnent l'existence de plusieurs centaines d'hominines à la peau noire ramenés dans le Caucase après un voyage africain des héros légendaires de cette épopée commune à plusieurs populations caucasiennes. Quelles que soient les origines exactes de ces hominines à la peau noire, au XIXème siècle leur nombre est estimé à quelques familles vivant dans des villages sur le cours des rivières Moski et Kodori dans la région d'Ochamchiré. Les pratiques linguistiques, culturelles et religieuses de ces afro-abkhazes sont alors largement similaires à celles des populations abkhazes alentour. La plupart sont employées dans l'agriculture (maïs, vigne et agrumes), l'extraction de charbon dans les mines de Tkvarchreli ou dans l'industrie textile. La prise de pouvoir des bolchevistes[32] en Russie en 1917, la mise en place de l'Union Soviétique et l'industrialisation poussent les afro-abkhazes - et d'autres populations locales - à migrer vers d'autres régions caucasiennes pour y travailler. Leurs villages se vident petit à petit des jeunes hominines. Lors de leur visite en 1927 dans le village d'Adzyubzha, les écrivains russe Maxime Gorki et abkhaze Samson Chanba relatent leurs rencontres avec quelques personnes âgées encore présentes. Il existe quelques rares images vidéos de 1927, sans son, du village d'Adzyubzha[33]. De ces discussions, ils en concluent à l'origine éthiopienne des afro-abkhazes et, comme des anthropologues et des linguistes avant eux, remarquent les similitudes entre les noms de certains de leurs villages avec d'autres situés en Éthiopie[34]. La politique des nationalités du pouvoir soviétique reconnaît environ 200 communautés "ethno-linguistiques" minoritaires à qui sont attribués des statuts de "république" ou "territoire" autonomes, voire de reconnaissance non-territoriale, une normalisation de pratiques linguistiques pour consolider les différentes langues et programmes de scolarisation dans ces dites langues minoritaires. Il n'en est rien pour les afro-abkhazes. Paradoxalement, c'est pour avoir la peau noire et des origines africaines que les afro-abkhazes n'obtiennent pas de statut particulier et que la politique à leur encontre est de faire comme si ce n'était pas le cas[35]. D'après les critères de la politique des nationalités, les afro-abkhazes ne sont pas une "nation historique" et leur situation ne permet pas d'imaginer qu'elle puisse se développer économiquement et culturellement. Selon Joseph "Staline" Djougachvili, autoproclamé — sans ironie[36] — "Petit Père des Peuples", "une nation est une communauté stable, historiquement constituée, de langue, de territoire, de vie économique et de formation psychique, qui se traduit dans la communauté de culture. Et il va de soi que la nation, comme tout phénomène historique, est soumise aux lois de l’évolution, a son histoire, un commencement et une fin."[37]. Sa disparition est l'avenir de la minuscule communauté afro-abkhaze. Les individus sont appelés à dissoudre leur "particularité" dans un projet d'homo sovieticus. Nulle intention génocidaire mais un projet d'intégration individuelle par la scolarisation, les fermes collectives et les mariages mixtes. Des journaux étasuniens[38] des années 1930 consacrent de cours articles aux afro-abkhazes où il est expliqué qu'une cinquantaine d'entre elleux vivent en Abkhazie et que beaucoup travaillent dans les fermes de citrons et d'oranges. Si ce n'est leur couleur de peau, rien ne les différencie des autres abkhazes dont illes partagent la langue et les coutumes. En 1942, le journal pro-soviétique de langue anglaise Soviet Russia Today publie un article dans lequel il met en scène un afro-abkhaze et justifie de fait cette absence. Le titre est un bon résumé : "A Negro Citizen of Soviet Georgia: The Story of Bashir Shambe, Brought from Persia into Tsarist Russia as a Slave, Now one of Soviet Georgia's Distinguished Citizen" ![39] Le pouvoir préfère valoriser les quelques africains, afro-étasuniens et caribéens qui s'installent en Union soviétique pour fuir les situations de racisme dans leurs pays respectifs ou pour soutenir l'expérience soviétique et vivre le communisme[40], ou bien encore publiciser les voyages de quelques-uns des intellectuels et activistes des luttes anti-racistes des années 1960-1970. Les étudiants africains inscrits dans les universités sont aussi une bonne vitrine. Pouchkine[41] reste un auteur russe[42]. Faute d'effort des autorités soviétiques, les quelques demandes de prise de contact avec des afro-abkhazes ne purent jamais aboutir. Née en Union soviétique de parents étasuniens[43], l'afro-russe Liya "Lily" Golden publie en 1967 le livre Africains de Russie où elle consacre un chapitre aux afro-abkhazes et relate ses visites à Adzyubzha. Après avoir fuit en 1967 aux États-Unis où elle demande l'asile, la fille de Staline et de sa seconde épouse Nadejda Sergueïevna Allilouïeva, Svetlana Allilouïeva, fait paraître en 1969 le livre Only One Year[44] dans lequel elle rappelle la présence de populations d'hominines à la "peau noire" vivant dans les régions montagneuses d'Abkhazie. Selon elle, les afro-abkhazes vivent pauvrement, sont peu alphabétisés et les mélanges avec les autres populations locales sont très rares. Comme pour les autres abkhazes, le russe est devenu la langue de communication et quelques jeunes font leurs études dans cette langue. Elle précise que les populations d'hominines afro-abkhazes ont quasiment disparues au cours de la première moitié du XXème siècle. Quelle valeur accorder à ce témoignage d'une apparatchik qui doit être bien loin des réalités des pauvres d'Abkhazie ? En février 1973 le journal étasunien The Afro-American publie en trois parties un reportage sur les afro-abkhazes réalisé par un journaliste afro-américain de l'agence de presse soviétique[45]. Il indique que onze villages sont encore habités par des afro-abkhazes. Le journaliste se rend à Adzyubzha et fait la rencontre de la famille Abash, descendante d'esclaves africains ayant appartenu à la famille princière abkhaze des Abashidze[46]. L'histoire familiale s’enorgueillit d'avoir en son sein le premier élu de la ferme collective d'Adzyubzha dans les années 1930 et un ancien combattant de la Première guerre mondiale doublé d'un membre décoré de l'armée révolutionnaire. Les personnes interviewées indiquent ne pas rencontrer de problèmes de racisme. Il y a des mariages mixtes — comme chez les Abash — et l'ascension sociale n'est pas qu'une promesse fumeuse — l'une des interviewées est gynécologue à Tbilissi, la capitale géorgienne. Quelques années plus tard, l'écrivain abkhaze Fazil Iskander publie le roman Sandro de Tchéguem, écrit entre 1973 et 1988, qui retrace la vie de l'imaginaire village abkhaze de Tchéguem entre 1890 et 1980 et pour lequel il reçoit en 1989 le Prix d'État de l'URSS, l'ex-Prix Staline.
La guerre qui oppose entre 1992 et 1993 la Géorgie à sa province sécessionniste d'Abkhazie se solde par l'indépendance de cette dernière[48]. Dans le but d'isoler la ville stratégique de Tkvarcheli dont elles font le siège entre octobre 1992 et septembre 1993, les forces géorgiennes tentent de maîtriser la route qui longe la mer Noire et rejoint Ochamchiré à Soukhoumi, la capitale abkhaze, à l'ouest. Situés le long de cette route, Adzyubzha, Kindghi et Tamishi, derniers villages où vivent encore des descendants d'afro-abkhazes, sont détruits lors de combats. Occase ?Celle que ses ravisseurs nomment Zana est capturée dans les années 1850 dans une région où vivent des afro-abkhazes, sur la côte de la mer Noire. Nous ne savons rien des conditions exactes de sa capture, si elle fut fortuite on non, si elle entraîna des blessures pour la captive. Par l'isolement de certaines vallées, rien ne dit que les différentes populations d'hominines aient connaissance de l'existence des unes et des autres. Décrite comme un animal, elle fut traitée comme tel. Mise en cage. Son aspect physique semble évoquer les légendes concernant l'abnauayu abkhaze même si quelques voix mettent en doute le fait qu'elle en soit réellement un. Durant sa captivité, elle mis au monde cinq enfants, dont l'un mourut en bas âge. Deux mâles, Dzhanda en 1878 et Khwit en 1884, et deux femelles, Kodzhanar en 1880 et Gamasa en 1882. Ces enfants auront la capacité de parler et l'intelligence "normale" de l'hominine. À l'état civil Dzhanda a pour nom de famille Achba, celui du premier propriétaire de Zana, et les trois autres portent le nom de Kamshish Sabekia. Outrepassant manifestement leurs a priori sur la zoophilie, il semble que des hominines mâles se soient livrés avec elle à des rapports sexuels[49]. La condition de captive de Zana interroge sur son consentement réel. Zana est esclavagisée tout au long de sa vie. À sa mort vers 1890, elle est enterrée dans le cimetière de Tkhina. Tous ses enfants auront par la suite une descendance avec d'autres hominines. Il existe une photographie de Khwit, mort en 1954 et lui aussi enterré à Tkhina. L'image montre clairement qu'il est plus proche d'un Alexandre Pouchkine[41] que d'une quelconque espèce préhistorique ou d'un mythique chaînon manquant. Dans les années 1960, des chercheurs soviétiques[50] rencontrent et interrogent des descendants de Zana[51] dont l'un affirme avoir une telle puissance dans la mâchoire qu'il peut soulever des charges qu'un autre hominine ne pourrait pas ! Des recherches furent menées pour retrouver la tombe de Zana dans le cimetière aujourd'hui partiellement abandonné et détruit. Seule le tombe de Khwit fut retrouvée et une partie de son crâne a pu être exhumée. Et peut-être aussi celui de sa sœur Gamasa. Boris Porchnev publie les conclusions de ses recherches de terrain et en conclut, avec rien, que Zana n'est pas un abnauayu mais est elle-même issue d'un croisement entre un hominine et un abnauayu[52] ! Dans les années 2000, les tests ADN sur six de ses descendants encore vivants ont montré que leur pourcentage d'ADN néandertalien est identique aux autres hominines de la région. Ce qui exclut l'hypothèse que Zana soit une néandertalienne ou une autre survivance préhistorique. L'analyse de la dentition de Khwit indique qu'elle n'est en rien particulière et qu'elle est identique à celle des autres hominines homo sapiens. De nouveaux tests génétiques ont définitivement exclu les hypothèses farfelues et mis en évidence les origines africaines sub-saharienne de Zana. Elle est une hominine comme le sont Albertine Hottin, Ladislav Klíma et F. Merdjanov. Et d'autres aussi. Nous ignorons tout d'elle avant sa capture. Ni son nom, ni son village d'origine, ni son histoire. Les sources sont contradictoires sur le lieu même de sa capture. Elles mentionnent la région d'Ochamchiré sur la côte de la mer Noire, les forêts des monts Zaadan ou, plus au sud, l'Adjarie ottomane[54]. Ce nom de Zana qui lui est donné qualifie, dans la langue adjare, le fait d'avoir la peau sombre[52]. Ce terme s'apparente au perse zang qui signifie "noir" et désigne depuis des siècles les populations d'hominines originaires des côtes de l'Afrique de l'Est — le Zanzibar, "pays des noirs" — et mises en esclavage. Pour avoir un dernier enfant en 1888 et un début de captivité dans les années 1850, il est possible qu'elle devait être jeune lorsqu'elle fut enlevée car, généralement, les hominines femelles ne sont plus fertiles vers leurs 40 ans. Le fait qu'elle soit seule pose l'hypothèse qu'elle puisse être proche de chez elle. Peut-être perdue ou abandonnée ? La mention de cris et de grognements signifie qu'elle ne parlait pas la langue de ses ravisseurs. Est-elle abkhazophone ou est-ce ces ravisseurs qui ne le sont pas ? Est-elle une esclave fraîchement arrivée d'Afrique dans une région dont elle ne comprend pas la langue ? Est-elle en fuite ? Quant à son aspect physique, la seule certitude est une peau sombre, un nez épaté et des cheveux crépus. Le reste des descriptions n'est de fait qu'une somme d'élucubrations où ses traits sont accentués et sa morphologie caricaturée. Ses représentations sont déformées pour correspondre à une image attendue, celle du mythe. Elle ne courrait sans doute pas plus vite qu'un cheval et ne disposait pas d'une force démesurée. Il est probable que les mythomanes à l'origine de ces histoires cherchaient plutôt à trouver des justifications à son maintien en captivité et au traitement "inhumain" qui lui était réservé. S'il ne s'agit pas d'exagérations, son gigantisme de plus de deux mètres, sa grande force et sa physionomie outrancière sont peut-être le résultat de l'acromégalo-gigantisme, un dérèglement hormonal qui agit sur la croissance[55]. Comme l'individualiste français George Palante[56]. Et les frères Igor et Grichka Bogdanov ? Quel que soit son aspect physique réel, il semble qu'il n'a pas empêché des hominines de s'accoupler à elle. Ont-ils eu conscience de le faire avec une hominine, qu'ils maintiennent en esclavage, ou étaient-ils vraiment persuadés de le faire avec leur "yéti caucasien" ? Ça change des chèvres. Questionnements qui ne change rien pour Zana qui se retrouve concrètement enceinte et doit assumer cette situation qu'elle n'a sans doute pas choisie. Ce qui par contre n'arrive pas avec les chèvres. Difficile d'imaginer une jolie histoire d'amour entre Zana et son propriétaire ou un polyamour avec des hominines mâles de son entourage là où tous les ingrédients sont réunis pour supputer des abus sexuels répétés. D'après les quelques informations disponibles, la vie de Zana est une vie de misère. Sans pouvoir affirmer ce qui est du ressort du mythe ou de la réalité, ce qui sert à justifier sa bestialité ou ce qui décrit sa situation d'esclave, il est raconté qu'elle vit nue et dors dehors. Sa violence et son absence de docilité s'expliquent très bien au vue de sa situation, encagée et esclavagisée. Elles sont sa résistance à un présent qui lui échappe totalement. Elle est vendue plusieurs fois, passe des mains de D.M. Achba[57], un prince local curieux de cette capture exceptionnelle, à celles de son vassal Kh. Chelokua chargé de s'en occuper, puis celles de Kamshish Sabekia qui l'exhibe publiquement en cage pendant plusieurs années. Elle est une curiosité pour les hominines des villages alentours qui viennent voir l'attraction. Trois enfants naissent de cette union contrainte. Finalement, Zana est offerte en cadeau par le prince à Edghi Ghenaba qui l'emploie pour différents travaux sur son domaine de Tkhina. Son sort semble s'améliorer et ses enfants sont pris en charge par la femme de son nouveau propriétaire[58]. Elle ne parle toujours pas abkhaze et ne produit selon les témoignages que des sons et des cris pour s'exprimer, ce qui exclu de nouveau la "piste" des néandertaliens car le langage est une chose connue pour ces autres hominines[59]. Mais elle comprend et réagit à ce que lui disent les autres hominines. Est-elle une sorte de Victor[60] caucasien, une Marie-Angélique Le Blanc[61] des montagnes ou plutôt une personne ayant un handicap psychique et/ou physique ? A-t-elle pu au fil de ces décennies établir des relations avec des hominines — au moins une personne — qui ne sont pas basées uniquement sur sa condition d'esclave ? Fut-elle totalement solitaire, ne pouvant compter sur aucune solidarité ? A-t-elle tentée de fuir ? À l'échelle minuscule de la population afro-abkhaze, la vie tragique et singulière de Zana est un équivalent caucasien des "zoos humains"[62] et des exhibitions foraines de "monstres", un condensé de l'horreur de l'esclavage et de la dangerosité des mythes et croyances. Un reflet amplifié de la réalité des hominines. Triste monde. Les circonstances exactes de sa mort ne sont pas connues et la date reste imprécise. Elle est enterrée dans le carré du cimetière de la famille Ghenaba et plusieurs personnes assistent à ses funérailles. Vers 1890. Sa dernière occase de s'évader de sa condition. Sa tombe reste introuvable. RuptureLe mystère reste tout aussi grand autour de F. Merdjanov. Le parallèle entre le Caucase et les Alpes du Sud[63] et entre l'arrivée progressive et discrète du chacal doré dans la partie occidentale du continent européen[64] ou les migrations, via la Macédoine, et l'implantation définitive des tourterelles dite "de Turquie" dans cette région, ne laisse pas la protivophilie insensible. Ceci dans le cas où F. Merdjanov aurait une parenté avec une espèce d'hominine préhistorique ou était un animal humanoïde sauvage. Mais il n'en est rien, les preuves sont inexistantes. Tout au plus lui connaît-on une proximité intellectuelle avec l'auto-anthropologue Ladislav Klíma qui dit être un Egosolistus Hominina et avec l'individualiste Max Stirner :
Au prétexte qu'il n'existe aucune photo, ni actes d'état civil, ni témoignages directs, l'existence même de F. Merdjanov est sujet à moqueries dans la communauté cryptozoophile. Pour la protivophilie cette question est mal formulée car nous disposons de données permettant d'affirmer que son statut est celui de "chaînon manquant" entre la Macédoine et Nice, l'hominine-vestige de la présence d'une communauté macédonienne dans cette ville et de son influence sur la gastronomie locale. Dans la salade niçoise, par exemple, qui n'est rien d'autre qu'une macédoine de légumes. L'étude attentive des écrits de F. Merdjanov dont nous disposons et l'intérêt que ceux-ci portent à Ladislav Klíma[66] laisse à penser que cette question du "chaînon manquant" est revisitée. Déchiquetée. La lecture des Analectes de rien montre que F. Merdjanov est tout autant son propre "chaînon manquant", entre hier et demain, qu'une survivance préhistorique entre maintenant et après. Idem pour la problématique des "enfants sauvages" qui est inversée : Ses aspirations se caractérisent par un rejet catégorique des attributs du désensauvagement des hominines et fantasment plutôt sur une maturité ensauvagée, envisagée, des hominines sans chaîne, ni chaînon. Où rien ne manque.
DéchetterieL'hïstérostorien Michel Gardère, grand spécialiste de la récupération d'hominines historiques femelles et auteur de plusieurs romans, publie La femme sauvage en 2011 où il nous livre une fois de plus[68] une facette de son érotisme de la "femme fatale" et de son sexisme ordinaire. Quelques lignes sont consacrées à Zana :
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