Simon Radowitzky : Différence entre versions

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L'alliance lituano-polonaise est mise à mal vers la fin du XVIII<sup>ème</sup> siècle et son territoire est divisé entre la Prusse, l'Autriche-Hongrie et la Russie. Les populations d'hominines qui vivent dans ces régions sont très diverses par leurs pratiques linguistiques, leurs croyances religieuses ou leurs conditions de vie. Les territoires récupérés par la Russie tsariste abritent plusieurs millions d'hominines moïsiens qui bénéficiaient d'une relative autonomie depuis des siècles dans la République des Deux Nations, constituant ce que l'on appelle de nos jours le Yiddishland. Ce terme désigne généralement un vaste ensemble territorial - non continu - de la mer Noire à la Baltique sur lequel s'est développé des formes sécularisées des croyances et pratiques religieuses traditionnelles des moïsiens dont la langue partagée, le yiddish<ref>Le yiddish n'est pas vraiment une langue unifiée mais un ensemble de pratiques linguistiques très proches des moïsiens des zones germanophones. Les influences slaves sont plus prégnantes à l'Est de cette zone linguistique. Dans d'autres régions d'Europe, les moïsiens ont développé le judéo-provençal (shuadit) ou le judéo-espagnol (ladino) par exemple.</ref>, est à base germanophone avec de nombreux emprunts et un alphabet hébraïque. Ainsi dans ce contexte ''moïsien'' ne définit plus celleux qui se réclament du mythique Moïse, mais celleux qui naissent dans ce contexte culturel et social spécifique. De très nombreux écrits littéraires, du théâtre ou de la poésie, des textes politiques et des essais sont publiés en yiddish. La plupart n'ont pas de caractère religieux et touchent à tous les domaines et questionnements de cette époque. Certains prônent même l'athéisme. L'hébreu est une langue essentiellement liturgique.  
 
L'alliance lituano-polonaise est mise à mal vers la fin du XVIII<sup>ème</sup> siècle et son territoire est divisé entre la Prusse, l'Autriche-Hongrie et la Russie. Les populations d'hominines qui vivent dans ces régions sont très diverses par leurs pratiques linguistiques, leurs croyances religieuses ou leurs conditions de vie. Les territoires récupérés par la Russie tsariste abritent plusieurs millions d'hominines moïsiens qui bénéficiaient d'une relative autonomie depuis des siècles dans la République des Deux Nations, constituant ce que l'on appelle de nos jours le Yiddishland. Ce terme désigne généralement un vaste ensemble territorial - non continu - de la mer Noire à la Baltique sur lequel s'est développé des formes sécularisées des croyances et pratiques religieuses traditionnelles des moïsiens dont la langue partagée, le yiddish<ref>Le yiddish n'est pas vraiment une langue unifiée mais un ensemble de pratiques linguistiques très proches des moïsiens des zones germanophones. Les influences slaves sont plus prégnantes à l'Est de cette zone linguistique. Dans d'autres régions d'Europe, les moïsiens ont développé le judéo-provençal (shuadit) ou le judéo-espagnol (ladino) par exemple.</ref>, est à base germanophone avec de nombreux emprunts et un alphabet hébraïque. Ainsi dans ce contexte ''moïsien'' ne définit plus celleux qui se réclament du mythique Moïse, mais celleux qui naissent dans ce contexte culturel et social spécifique. De très nombreux écrits littéraires, du théâtre ou de la poésie, des textes politiques et des essais sont publiés en yiddish. La plupart n'ont pas de caractère religieux et touchent à tous les domaines et questionnements de cette époque. Certains prônent même l'athéisme. L'hébreu est une langue essentiellement liturgique.  
  
La tsarine instaure une "Zone de résidence" dans ses nouveaux territoires où les moïsiens sont contraints de vivre, sans droit d'en sortir<ref>Nathan Weinstock, ''Le Pain de la misère. Histoire du mouvement ouvrier juif en Europe'', Tome I : L’empire russe jusqu’en 1914, 1984. La "Zone de résidence" n'est supprimée qu'en 1917 après la prise de pouvoir par les bolcheviques.</ref>. Après avoir tenté de convertir "ses" propres moïsiens, elle décide de déplacer dans cette zone ceux qui vivent à travers l'empire. Certaines villes comme Kiev, Sebastopol ou Yalta sont interdites à l'installation de moïsiens, sauf autorisations spéciales, alors que d'autres (Odessa, Chisinau) leur sont permises. Ce statut spécial oblige aussi les moïsiens à ne pas s'installer dans des zones rurales ou à les quitter. Avec des frontières fluctuantes au fil des décisions des autorités russes, cette zone inclue les actuelles Lituanie méridionale, Biélorussie, Pologne, Moldavie, Ukraine et l'ouest de la Russie. Les restrictions d'installation poussent de nombreuses familles de moïsiens vers les villes et renforcent les ''shtetl''<ref>''shtetl'' signifie "petite ville" en yiddish. D'après ''שטאָט'' (shtot) "ville"</ref> existants, ces villages, petites villes ou quartiers exclusivement peuplés de moïsiens. La coexistence n'est pas toujours simple et, imprégnés d'un anti-judaïsme christien<ref>L'anti-judaïsme christien est un conglomérat d'arguments théologico-politiques qui justifient les mauvais traitements, la ségrégation ou les meurtres de moïsiens au prétexte qu'ils auraient tué une personne qui n'a sans doute jamais existé, Jésus aka Christ<sup>&#9400;</sup>. L'antisémitisme est la version moderne de cet anti-judaïsme, débarrassé de références religieuses.</ref>, des groupes d'hominines attaquent des ''shtetl'' et se livrent à des massacres sur les moïsiens à qui il est reproché de tuer rituellement des enfants, de fomenter des assassinats, d'apporter la misère et de répandre la maladie, bref d'être responsables de tous les malheurs du monde. Même si ce phénomène de pillages et de tueries contre des communautés de moïsiens n'est pas le propre de l'Europe orientale, le terme ''погром'' (pogrom) qui signifie "massacre, pillage" en russe est entré dans la langue courante pour nommer ces attaques sanglantes. Les pogroms ne sont pas exclusivement tournés contre les moïsiens mais il n'en reste pas moins qu'ils furent les cibles favorites de ces révoltes populaires.  
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La tsarine instaure une "Zone de résidence" dans ses nouveaux territoires où les moïsiens sont contraints de vivre, sans droit d'en sortir<ref>Nathan Weinstock, ''Le Pain de la misère. Histoire du mouvement ouvrier juif en Europe'', Tome I : L’empire russe jusqu’en 1914, 1984. La "Zone de résidence" n'est supprimée qu'en 1917 après la prise de pouvoir par les bolcheviques.</ref>. Après avoir tenté de convertir "ses" propres moïsiens, elle décide de déplacer dans cette zone ceux qui vivent à travers l'empire. Certaines villes comme Kiev, Sebastopol ou Yalta sont interdites à l'installation de moïsiens, sauf autorisations spéciales, alors que d'autres (Odessa, Chisinau) leur sont permises. Ce statut spécial oblige aussi les moïsiens à ne pas s'installer dans des zones rurales ou à les quitter. Avec des frontières fluctuantes au fil des décisions des autorités russes, cette zone inclue les actuelles Lituanie méridionale, Biélorussie, Pologne, Moldavie, Ukraine et l'ouest de la Russie. Les restrictions d'installation poussent de nombreuses familles de moïsiens vers les villes et renforcent les ''shtetl''<ref>''shtetl'' signifie "petite ville" en yiddish. D'après ''שטאָט'' (shtot) "ville"</ref> existants, ces villages, petites villes ou quartiers exclusivement peuplés de moïsiens. La coexistence n'est pas toujours simple et, imprégnés d'un anti-judaïsme christien<ref>L'anti-judaïsme christien est un conglomérat d'arguments théologico-politiques qui justifient les mauvais traitements, la ségrégation ou les meurtres de moïsiens au prétexte qu'ils auraient tué une personne qui n'a sans doute jamais existé, Jésus aka Christ<sup>&#9400;</sup>. L'antisémitisme est la version moderne de cet anti-judaïsme, débarrassé de références religieuses.</ref>, des groupes d'hominines attaquent des ''shtetl'' et se livrent à des massacres sur les moïsiens à qui il est reproché de tuer rituellement des enfants, de fomenter des assassinats, d'apporter la misère et de répandre la maladie, bref d'être responsables de tous les malheurs du monde. Même si ce phénomène de pillages et de tueries contre des communautés de moïsiens n'est pas le propre de l'Europe orientale, le terme ''погром'' (pogrom) qui signifie "massacre, pillage" en russe est entré dans la langue courante pour nommer ces attaques sanglantes. Les pogroms ne sont pas exclusivement tournés contre les moïsiens mais il n'en reste pas moins qu'ils furent les cibles favorites de ces révoltes populaires. La ségrégation, les violences et la misère pousseront plus d'un million et demi de moïsiens de la Zone à chercher refuge aux États-Unis d'Amérique et, dans une moindre mesure, en Argentine.
  
 
<blockquote>''Quelles que soient les mauvaises nouvelles, vous devez continuer de vivre, même si cela vous tue''<ref>Cholem Aleikhem (1859 - 1916) est un auteur de contes, romans et pièces de théâtre écrits en yiddish. Fuyant les pogroms, il se réfugie aux États-Unis d'Amérique comme beaucoup d'autres moïsiens de l'empire russe. Il est l'un des fondateurs du mouvement ''Amants de Sion'' qui prônait l'installation de communautés de moïsiens en Palestine pour, d'une part, fuir les pogroms, et d'autre part, refuser la politique dite "assimilationniste" défendue par d'autres.</ref></blockquote>
 
<blockquote>''Quelles que soient les mauvaises nouvelles, vous devez continuer de vivre, même si cela vous tue''<ref>Cholem Aleikhem (1859 - 1916) est un auteur de contes, romans et pièces de théâtre écrits en yiddish. Fuyant les pogroms, il se réfugie aux États-Unis d'Amérique comme beaucoup d'autres moïsiens de l'empire russe. Il est l'un des fondateurs du mouvement ''Amants de Sion'' qui prônait l'installation de communautés de moïsiens en Palestine pour, d'une part, fuir les pogroms, et d'autre part, refuser la politique dite "assimilationniste" défendue par d'autres.</ref></blockquote>

Version du 9 janvier 2019 à 15:26

Simon Radowitzky. Anarchiste par choix, moïsien[1] par héritage, russe de nationalité et argentin d'exil.


[en cours de rédaction]


Confins rus'

La région d'Europe orientale, comprise entre la mer Noire et la Baltique, est de part sa géographie un lieu de passage depuis des siècles pour les hordes d'hominines venues de l'Est, du Sud ou du Nord. Des mongols, des tatars, des scandinaves, des caucasiens ou des slaves y sont passés pour répandre le sang ou s'installer durablement. De cette macédoine génétique émergent progressivement à partir du VIIème siècle après JC[2] des États féodaux. Que ce soit le royaume des tribus scandinaves, qui adoptent les croyances des christiens, ou l'empire des semi-nomades kazhars[3], qui eux préfèrent celles des moïsiens, ces entités étatiques se structurent pour former de vastes empires régionaux. Ils s'étendent par la guerre ou en faisant des alliances avec les tribus d'hominines qui peuplent la région. Si les kazhars ont laissé peu de traces, des États rus' voient le jour à partir du IXème siècle. La principauté de Kiev éclate au XIVème siècle lors des invasions mongoles. La principauté de Moscou est la grande bénéficiaire de cet éclatement car elle restructure autour d'elle les quelques royaumes rus' qu'elle incorpore petit à petit en son sein. A sa frontière orientale les khanats mongols et à l'ouest les royaumes de Lituanie et de Pologne. La principauté est soumise à l'autorité des mongols desquels elle s'affranchit progressivement tout au long du XVème siècle et grignote des territoires à l'alliance lituano-polonaise. Son pouvoir grandissant, la principauté devient un vaste empire et son dirigeant se proclame "Grand-Prince de toutes les Russies" et son successeur "Tsar de toutes les Russies" en 1547. Monarchie absolue, le tsarat agglomère une multitude d'anciennes principautés dans un empire de plus en plus centralisé.

Expansion de la Moscovie
Dans la partie la plus occidentale de l'ancienne principauté de Kiev, demeurée sous autorité polonaise, des paysans russophones parviennent à négocier un statut de libre-organisation contre l'obligation de défendre les armes à la main les frontières. Ils repoussent les avancées des tatars puis des ottomans. Tout au long des XVIème et XVIIème siècles, ces cosaques zaporogues[4] se soulèvent contre les polonais et résistent à leur annexion par l'empire tsariste. Installés jusqu'au Dniestr, ils sont de fait dans les marges de l'empire et constituent une sorte d'entité para-étatique servant de garde-frontières qui perdurera jusqu'au XVIIIème siècle. Elle est alors intégrée au tsarat de Moscou. D'origine slave, le terme yкраїна[5] (prononcer oukraïna) signifiant "à la marche" est utilisé pour désigner ces régions qui séparent la Russie de ses ennemis occidentaux, le royaume de Pologne et le grand-duché de Lituanie réunis au sein de la République des Deux Nations.

L'alliance lituano-polonaise est mise à mal vers la fin du XVIIIème siècle et son territoire est divisé entre la Prusse, l'Autriche-Hongrie et la Russie. Les populations d'hominines qui vivent dans ces régions sont très diverses par leurs pratiques linguistiques, leurs croyances religieuses ou leurs conditions de vie. Les territoires récupérés par la Russie tsariste abritent plusieurs millions d'hominines moïsiens qui bénéficiaient d'une relative autonomie depuis des siècles dans la République des Deux Nations, constituant ce que l'on appelle de nos jours le Yiddishland. Ce terme désigne généralement un vaste ensemble territorial - non continu - de la mer Noire à la Baltique sur lequel s'est développé des formes sécularisées des croyances et pratiques religieuses traditionnelles des moïsiens dont la langue partagée, le yiddish[6], est à base germanophone avec de nombreux emprunts et un alphabet hébraïque. Ainsi dans ce contexte moïsien ne définit plus celleux qui se réclament du mythique Moïse, mais celleux qui naissent dans ce contexte culturel et social spécifique. De très nombreux écrits littéraires, du théâtre ou de la poésie, des textes politiques et des essais sont publiés en yiddish. La plupart n'ont pas de caractère religieux et touchent à tous les domaines et questionnements de cette époque. Certains prônent même l'athéisme. L'hébreu est une langue essentiellement liturgique.

La tsarine instaure une "Zone de résidence" dans ses nouveaux territoires où les moïsiens sont contraints de vivre, sans droit d'en sortir[7]. Après avoir tenté de convertir "ses" propres moïsiens, elle décide de déplacer dans cette zone ceux qui vivent à travers l'empire. Certaines villes comme Kiev, Sebastopol ou Yalta sont interdites à l'installation de moïsiens, sauf autorisations spéciales, alors que d'autres (Odessa, Chisinau) leur sont permises. Ce statut spécial oblige aussi les moïsiens à ne pas s'installer dans des zones rurales ou à les quitter. Avec des frontières fluctuantes au fil des décisions des autorités russes, cette zone inclue les actuelles Lituanie méridionale, Biélorussie, Pologne, Moldavie, Ukraine et l'ouest de la Russie. Les restrictions d'installation poussent de nombreuses familles de moïsiens vers les villes et renforcent les shtetl[8] existants, ces villages, petites villes ou quartiers exclusivement peuplés de moïsiens. La coexistence n'est pas toujours simple et, imprégnés d'un anti-judaïsme christien[9], des groupes d'hominines attaquent des shtetl et se livrent à des massacres sur les moïsiens à qui il est reproché de tuer rituellement des enfants, de fomenter des assassinats, d'apporter la misère et de répandre la maladie, bref d'être responsables de tous les malheurs du monde. Même si ce phénomène de pillages et de tueries contre des communautés de moïsiens n'est pas le propre de l'Europe orientale, le terme погром (pogrom) qui signifie "massacre, pillage" en russe est entré dans la langue courante pour nommer ces attaques sanglantes. Les pogroms ne sont pas exclusivement tournés contre les moïsiens mais il n'en reste pas moins qu'ils furent les cibles favorites de ces révoltes populaires. La ségrégation, les violences et la misère pousseront plus d'un million et demi de moïsiens de la Zone à chercher refuge aux États-Unis d'Amérique et, dans une moindre mesure, en Argentine.

Quelles que soient les mauvaises nouvelles, vous devez continuer de vivre, même si cela vous tue[10]

Au cours du XIXème siècle, la plupart des empires ou nations d'Europe sont secouées par l'émergence des nationalismes. A travers tout le continent, des élites intellectuelles, économiques et politiques s'emparent de thèmes tels que la langue, les frontières, la nation, l'ethnie ou la race, l'histoire, le folklore pour construire un argumentaire justifiant des redécoupages de frontières et la création de nouveaux États-nations. Ces nationalismes inventent des identités collectives qui, même si elles sont des illusions, mobilisent des groupes d'hominines prêts à en découdre pour cette nouvelle cause. Chaque nouveau projet d’État-nation puise dans le passé pour se créer une légitimité et une profondeur historique, une artificielle langue nationale est décrétée langue commune, une fallacieuse "communauté de destin" est prétendue et une origine commune est imaginée... Les marches de l'empire russe n'échappent pas à ce phénomène. Une partie de l'intelligentsia citadine se passionne pour le monde paysan[11] dont elle fait un modèle pour la construction d'un nationalisme ukrainien. Les pratiques linguistiques sont répertoriées puis uniformisées dans une langue ukrainienne commune[12] présentée comme différente du russe, le monde paysan est fait archétype pour être l'essence de la future nation, les cosaques sont fantasmés et la principauté de Kiev devient l'argument d'une légitimité historique pour les prétendants à l'indépendance. Un important travail littéraire, poétique ou ethnographique a largement contribué à l'écriture de cette mythologie nationale. Un processus similaire se passe plus au nord pour constituer le nationalisme biélorusse. Les autorités tsaristes répriment durement toutes velléités nationalistes et interdisent les mouvements et les écrits exaltant les aspirations à un État-nation ukrainien indépendant[13]. Dans ce contexte, les pogroms anti-moïsiens s'intensifient entre 1881 et 1884 au sud de la Zone - dans l'actuelle Ukraine - lors desquels des villages sont détruits et des milliers de personnes assassinées .

En parallèle de ces revendications nationalistes, l'empire tsariste doit faire face à de très fortes contestations sociales et politiques. L'absolutisme du tsar, le servage et la misère paysanne ou les conditions de travail dans le monde ouvrier urbain sont autant de point d'accroche pour, au minimum, revendiquer plus de droits ou pour réclamer un changement de régime politique. La seconde moitié du XIXème siècle est une période d'effervescence révolutionnaire. Les choix tactiques et les approches théoriques sont multiples. Le tsar Alexandre II est tué le 13 mars 1881 par le groupe Народная воля (Narodnaïa Volia, Volonté du Peuple)[14].

Stepnitz

Stepnitz (סטעפניטץ)[15] est situé au sud-est de Kiev. Au milieu du XIXème siècle sa population d'hominines est d'environ 5400 dont plus de 60% sont moïsiens. Simon Radowitzky naît le 10 septembre ou novembre 1889 dans une famille pauvres du shtetl. Son père est Nahman Radowitzky. Entre 1882[16] et 1903 le décret d'expulsion des moïsiens force nombre de familles de Stepnitz à en partir.[17], à partir en direction des villes qui leur sont autorisées. La famille Radowitzky s'installe au début XXème siècle dans la ville industrielle d'Ekaterinoslav.

Ekaterinoslav

Ne pouvant terminer sa scolarité, le jeune Simon Radowitzky se fait embaucher en tant qu'apprenti par un serrurier. Il loge chez lui et assiste à ses premières discussions politiques entre la fille de son patron et des jeunes de son âge.

Ekaterinoslav est longtemps restée une petite ville de quelques milliers d'habitants servant de chef-lieu administratif des provinces du sud conquises par l'empire russe à la fin du XVIIIème siècle. Un siècle plus tard, sa physionomie changea pourtant du tout au tout : l'exploitation massive du fer et du charbon dans les bassins du Dombass et du Dniepr à partir des années 1890, sous l'impulsion de capitaux français, belges et allemands, provoqua un développement rapide de l'industrie lourde dans la région (métallurgie, aciéries, construction de machines) [...] Comptant 8300 habitants en 1844, sa population en constante augmentation tripla encore entre 1887 et 1904, passant de 47000 à 156000 habitants, dont 30000 travailleurs exploités dans l'industrie ou dans les ateliers de chemin de fer, et 10000 autres dans l'artisanat, les petits ateliers ou les bureaux.[18]

Quatrième ville du sud de la Russie, Ekaterinoslav - aujourd'hui Dnipro - est une ville industrielle où la métallurgie est une grosse pourvoyeuse d'emplois. Les journées de travail sont de 14 à 15 heures et les conditions sont déplorables, causant de nombreux accidents, pour des salaires de misère. Les manifestations pour l'amélioration des conditions de travail et l'augmentation des salaires sont nombreuses, déplaçant des milliers d'ouvriers. La répression est toujours sévère. Lors de grèves en juin 1904, Simon Radowitzky est blessé au torse par le sabre d'un cosaque et met plusieurs mois à se remettre de ses blessures. Embauché dans les usines Bransk, il est élu secrétaire du conseil de ouvriers (soviet) mais renonce rapidement à cette charge[19]. Après une rixe avec un soldat ivre, qu'il désarme, Simon Radowitzky est condamné à de la prison où il passe 6 mois et fait connaissance de l'anarchisme.

Nagan, un jeu éducatif russe de la fin du XIXème siècle. De 7 à 62 ans ?

Dans cette prison, j’ai connu Fedosey Zubariev, un anarchiste très populaire qui jouissait d’une reconnaissance croissante auprès des ouvriers. Après notre libération, nous nous sommes rencontrés un jour dans la rue par hasard. Zubariev m’a exhorté à collaborer avec lui. [...] Moi, pourtant, j’étais encore un enfant ; la confiance qu’un combattant expérimenté m’offrait, me remplissait d’orgueil et j’acceptais la main que l’on me tendait.[20]

La répression sanglante d'une manifestation ouvrière le 22 janvier 1905 à Saint-Pétersbourg est le déclencheur d'un vaste mouvement de révoltes et de grèves dans les villes de l'empire jusqu'en octobre, évènement généralement appelé "Révolution de 1905". A Ekaterinoslav, les militaires et les grévistes s'affrontent. Une centaine de mort de part et d'autre après une semaines de combats et de barricades. Les théories anarchistes circulent parmi les ouvriers des usines d'Ekaterinoslav et certains n'hésitent pas à s'organiser clandestinement[21] pour tuer des industriels, des contre-maîtres ou des politiciens[22]. Ils financent leurs activités par des braquages. Les plus vindicatifs sont actifs au sein du Groupe des Ouvriers Anarchistes-Communistes d'Ekaterinoslav[23], auquel participe Fedosey Zubariev. Dénoncé d'avoir menacé d'une arme à feu un ouvrier qualifié de son usine pour qu'il déclenche le signal de la grève en octobre 1905, Simon Radowitzky est recherché par la police tsariste. Pour échapper à la condamnation et au bagne, il fuit pour s'installer à Limberg (Liev) en Autriche-Hongrie. Tout au long de 1906, le Groupe des Travailleurs Anarchistes-Communistes d'Ekaterinoslav continue ses attaques et ses assassinats ciblés : deux haut-gradés de l'armée et de la police, trois contre-maîtres et une dizaine de gardes sont tués. Le groupe est démantelé à la fin de l'année et beaucoup de ses activistes[24] mis en prison puis exécutés. De Limberg où il réside toujours, Simon Radowitzky se rend en 1907 en Prusse pour soutenir un mouvement de grève de mineurs dans la région de Haute-Silésie mais il est arrêté par la police locale, puis finalement expulsé vers Varsovie, en territoire russe[19]. Craignant de tomber entre les mains de la police tsariste qui le recherche toujours, Simon Radowitzky se procure de faux-papiers d'identité et prend un bateau à Riga, dans l'actuelle Lettonie, direction l'Amérique du Sud.

Au fond, j’en savais très peu sur les différentes théories révolutionnaires dans le mouvement ouvrier. Par intuition plus que pour toute autre raison, je pris pour compagnons de lutte les plus radicaux des gauchistes. Parmi eux, je trouvais la réponse que j’attendais à mes angoisses quant à la lutte et à mes désirs sociaux. Les anarchistes se dirigeaient vers chacun de nous, nous demandant avant tout de nous délivrer des préjugés contractés, effectuant ainsi la libération propre, cela allait bientôt contribuer grâce à l’action sociale, à l’œuvre d’émancipation générale. Une doctrine telle, avec mon propre tempérament recouvre entièrement l’activité sociale, sans que la politique du parti n’intervienne tant elle a porté préjudice à la libération de la classe ouvrière. Par sentiment et conviction, il y eut un enthousiasme de la libération et en fait, il appartenait instinctivement au mouvement libertaire avant de surmonter (?) son existence. Ma participation dans les luttes sociales était complètement spontanée, c’était quelque chose que je portais dans le sang ; il surgit par ma propre initiative et j’étais seul inspiré par mon amour de la liberté et ma pulsion vers une activité révolutionnaire.[20]

Argentine

Dans un processus de fragmentation des possessions coloniales de l'Espagne en Amérique du sud, plusieurs provinces obtiennent leur indépendance à la suite de guerres et proclament la création de nouveaux États. L'Argentine voit officiellement le jour en 1816. Les élites politiques et militaires de ce nouvel État se disputent quant à la constitution qu'ils veulent lui donner, opposant "fédéralistes" et "centralisateurs". Après des conquêtes sanglantes, l'Argentine s'agrandit vers le sud en prenant possession de la vaste Patagonie et du Chaco vers le nord. Politiquement, le pays se stabilise et une nouvelle constitution en fait une république parlementaire, légèrement décentralisée. Par l'intermédiaire de capitaux britanniques, une modernisation des réseaux ferrés et des installations portuaires est entreprise afin de développer l'agriculture et l'élevage à grande échelle. Les produits sont essentiellement à destination du marché européen. Pour mener à bien ces projets, l'Argentine fait appel à une main-d'œuvre en lançant une politique migratoire qui, entre 1870 et 1930, attire environ trois millions d'hominines de tous genres, venus principalement d'Europe. Fuyant les pogroms et la misère économique, environ 141000 moïsiens quittent la Zone de résidence entre 1900 et 1914 pour se réfugier en Argentine.

Buenos Aires

Ushuaïa

Notes

  1. Moïsien désigne les adeptes de Moïse, les juifs, comme mahométien celleux qui croient que Mahomet est un prophète - les musulmans - ou christien pour les chrétiens adeptes de Jésus aka Christ.
  2. JC désigne Jésus aka Christ jusqu'en 1960 après lui-même, date à laquelle son continuateur JCVD - le poète mystique Jean-Claude Van Damme - promulgue une grande réforme théologique : "Moi, Adam et Eve, j'y crois plus tu vois, parce que je suis pas un idiot : la pomme ça peut pas être mauvais, c'est plein de pectine...". Extrait de Dominique Duforest, Parlez-vous le Jean-Claude ?, 2003
  3. Entre le VI ème et le Xème siècle, l'empire khazar s'étend entre la mer Caspienne et la mer Noire et les territoires au nord de cette région. Des sources anciennes mentionnent une conversion aux croyances moïsiennes sans qu'il soit possible de savoir s'il s'agit seulement des dirigeants et de leur cour ou si cela concernait l'ensemble des hominines. Les fouilles archéologiques n'ont pas apporté d'éléments supplémentaires. Dans son ouvrage de 1976, La treizième tribu, Arthur Koestler reprend le schéma biblique et prétend que les khazars sont l'un des tribus "perdues" d'Israël et que leurs descendants seraient les moïsiens ashkénazes d'Europe orientale. Rien n'est jamais venu confirmer cette thèse.
  4. Historiquement, les cosaques sont des communautés socio-militaires d'hominines qui négocient leur "liberté collective" en contrepartie d'une protection des frontières de l'empire tsariste. Ils servent aussi de force d'appui à l'armée. Leurs chefs sont élus. Les cosaques zaporogues - de l'ukrainien Запорожжя "au-delà des rapides" - perdent leur autonomie en 1775.
  5. Dans l'ensemble des pays "slaves" le terme de krajina est utilisé pour nommer les régions ou les ex-régions frontalières. Dans les années 1990, il apparaît dans l'actualité internationale dans le contexte de la guerre en Yougoslavie. Une partie des serbes de Croatie, inquiets du nationalisme croate, proclament une République serbe de Krajina puis demandent leur rattachement à la Serbie.
  6. Le yiddish n'est pas vraiment une langue unifiée mais un ensemble de pratiques linguistiques très proches des moïsiens des zones germanophones. Les influences slaves sont plus prégnantes à l'Est de cette zone linguistique. Dans d'autres régions d'Europe, les moïsiens ont développé le judéo-provençal (shuadit) ou le judéo-espagnol (ladino) par exemple.
  7. Nathan Weinstock, Le Pain de la misère. Histoire du mouvement ouvrier juif en Europe, Tome I : L’empire russe jusqu’en 1914, 1984. La "Zone de résidence" n'est supprimée qu'en 1917 après la prise de pouvoir par les bolcheviques.
  8. shtetl signifie "petite ville" en yiddish. D'après שטאָט (shtot) "ville"
  9. L'anti-judaïsme christien est un conglomérat d'arguments théologico-politiques qui justifient les mauvais traitements, la ségrégation ou les meurtres de moïsiens au prétexte qu'ils auraient tué une personne qui n'a sans doute jamais existé, Jésus aka Christ. L'antisémitisme est la version moderne de cet anti-judaïsme, débarrassé de références religieuses.
  10. Cholem Aleikhem (1859 - 1916) est un auteur de contes, romans et pièces de théâtre écrits en yiddish. Fuyant les pogroms, il se réfugie aux États-Unis d'Amérique comme beaucoup d'autres moïsiens de l'empire russe. Il est l'un des fondateurs du mouvement Amants de Sion qui prônait l'installation de communautés de moïsiens en Palestine pour, d'une part, fuir les pogroms, et d'autre part, refuser la politique dite "assimilationniste" défendue par d'autres.
  11. Phénomène appelé chlopomania, composé d'une racine slave xлопо (chlopo) signifiant "paysan" et du grec mania qui indique un engouement
  12. Cette intelligentsia n'est généralement pas russophone mais polonisée ou lituanisée
  13. Un État indépendant ukrainien est proclamé en 1917 mais doit reculer face aux bolcheviques. La région est le lieu de bataille entre les bolcheviques, les nationalistes ukrainiens, les anarchistes de Nestor Makhno et les armées tsaristes jusqu'en 1923. L'Ukraine devient alors une république soviétique et le reste jusqu'en 1991, date de l'indépendance de République ukrainienne actuelle.
  14. Народная воля (Narodnaïa Volia, Volonté du Peuple)
  15. Stepańce en polonais, Stepnitz (סטעפניטץ) en yiddish, Степанцы en russe et Степанці en ukrainien. Actuel Stepantsi en Ukraine.
  16. Les lois de mai 1882 stipulent que les moïsiens doivent quitter les zones rurales et les villes de moins de 10000 habitants. Des quotas restrictifs sont mis en place pour l'accès aux études secondaires et universitaires, et à certaines professions. Il leur est interdit de voter ou de se présenter à des élections communales.
  17. Après l'autorisation de retour des moïsiens à Stepnitz en 1903, on en décompte plus que 3000 pour une population totale de plus de 7000 hominines. Plusieurs centaines sont tués lors de pogroms entre 1919 et 1920, année où environ 2500 d'entre eux sont forcés de quitter la ville. Un certain nombre reviennent par la suite. En juillet 1941, les armées hitléristes occupent Stepnitz et tuent tous les moïsiens présents. D'après European Jewish Cemeteries Intiative - En ligne
  18. Vive la révolution, à bas la démocratie ! Anarchistes de Russie dans l'insurrection de 1905, Mutines Séditions, 2016
  19. 19,0 et 19,1 De la Russie à l'Argentine. Parcours d'un anarchiste au début du XXème siècle, 2017 - En ligne
  20. 20,0 et 20,1 Augustin Souchy, Una vida po un ideal, 1956 (En castillan) - En ligne
  21. Paul Avrich, "Les terroristes", Les anarchistes russes, 1979 - En ligne. Anarquistas de Bialystok. 1903 - 1908, 2009 (En castillan) - En ligne.
  22. Le 5 octobre 1905, le Groupe des ouvriers anarchistes-communistes d’Ekaterinoslav tue à Amur, dans la banlieue d'Ekaterinoslav, le directeur de l'usine Ezau - Texte de revendication en ligne. Un contre-maître de Briansk est tué par l’anarchiste Mezhenniy le 26 mars 1907.
  23. Y horrible sera su rabia - el anarquismo en Yekaterinoslav 1904-1908, 2007 (En castillan) - En ligne
  24. Sur quatre vingt quinze, onze sont des femmes, tous sauf deux sont d’origine ouvrière ou paysanne, de nationalités diverses, ouvriers ou petits artisans. Un seul a plus de vingt-cinq ans.