Jargon

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Jargon (Жаргон en macédonien - Jargon en nissard) Langue internationale.


[En cours de rédaction]


Étymons

Travail d'archéologie linguistique, la recherche étymologique est une reconstruction a posteriori de l'évolution d'une racine ou d'un mot à travers le temps. Lorsqu'elle ne s'appuie pas sur des sources écrites, quels que soient leurs supports, elle reconstruit le cheminement et propose des hypothèses. Certaines font consensus, d'autres non. Une origine commune ne signifie pas des histoires similaires. Des variantes régionales peuvent apparaître ou, au contraire, disparaître. Des variations peuvent se multiplier au fil des siècles et se superposer. Des divergences orthographiques ou de sens s'entrecroisent parfois. La coexistence est un fait linguistique et la seule limite est l'incompréhension. Une étymologie fictive de communiquer [1] peut laisser croire qu'il se compose de commun et niquer, à l'image d'un coït de langues. Une simple dérive orthopornographique de cunnilingus [2] à cummilingus. Les frontières politiques ou les barrières géographiques ne sont pas suffisantes pour stopper les processus linguistiques et les interpénétrations langagières. Tout au plus peuvent-elles les orienter ou tenter de les contraindre. Des phénomènes de résilience qui ne sont pas propres aux hominines [3] et que l'on retrouve aussi chez d'autres espèces animales. Pour autant, la proximité ou l'éloignement géographiques de deux pratiques linguistiques ne suffisent pas à expliquer à elles seules leurs différences ou leurs ressemblances. La géographie n'est pas un critère totalement pertinent. Les "langues" ont une histoire, modelée par les sociétés d'hominines qui les utilisent. Il n'existe pas de processus linguistiques naturels ! Des choix politiques peuvent accentuer des différenciations entre deux pratiques linguistiques proches par leur origine et leur géographie, et des organisations spatiales distendues peuvent inciter à chercher plutôt du commun. Des enjeux présents, par exemple, dans la fragmentation de l'espace slavophone balkanique entre serbe, croate et bosnien, ou entre macédonien et bulgare. Les différenciations sont au cœur de rudes batailles politiques. Pour rien, faut-il écrire "ништа" ou "ništa" pour dire \niʃ.ta\ ? Faut-il mieux le bulgare "нищо" que le macédonien "ништо" pour \niʃ.to\ ? Au contraire, le vaste espace qu'est le désert du Sahara est linguistiquement moins fragmenté, malgré les grandes distances et les conditions climatiques difficiles, car les hominines qui y habitent s'interconnectent avec une nécessité plus grande et ne cultivent donc pas leurs différences avec exagération.

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Les plus anciennes occurrences connues de jargon datent du XIIème siècle après JC [4]. Alors que les pratiques linguistiques issues de la rencontre entre le latin et les parlers germaniques ou celtiques ne sont pas encore uniformisées, le mot actuel existe sous de multiples graphies. Avec des sens similaires, jargoun, jargun et jargon côtoient gargon, ghargun, gergon, gorgon ou encore gargun. [5] L'étymon de tous ces mots est garg. Il dérive du latine gurges qui a le sens de gouffre, "passage étroit entre deux montagnes". Par extension, il équivaut à gorge. Autant dans le sens anatomique que géographique. Une proximité que les Frères Jacquard illustrent à gorge déployée, ingurgitant l'air de Fonkytown et en régurgitant une ode aux Gorges du Tarn. [6] L'espace francophone moderne comporte de très nombreux mots basés sur cette racine latine. Inutile de les citer tous. Pour quelques exemples, en plus de la gorge anatomique ou géographique, il y a gorgée, gargouillis, gargarisme, se gargariser, engorger ou soutien-gorge. Et tous leurs dérivés. Servant essentiellement à faire s'écouler les gouttières des toits loin des murs, les gargouilles [7] sont des sculptures constituées d'un orifice long duquel s'écoulent les eaux par une extrémité en forme de bouche. De garg, "gorge", et de goule "gueule". Cet étymon a donné lieu aussi à deux noms propres internationalement connus : Gargantua et Gargamel. Le premier est un géant glouton du XVIème dont François Rabelais a fait la biographie [8]. Le Lexique de l'ancien français indique que garganton signifie "glouton". [9] Cette thématique de la nourriture se retrouve dans les mots gargote et gurgulio, l'un est un lieu où l'on mange et bois, où il est possible de s'emplir le gosier, et le second est le nom de l'espèce des charançons, un insecte considéré glouton. Plus contemporain, Gargamel, de la même taille que les hominines, est un sorcier en conflit avec de très petites créatures bleues qui vivent dans un village près de chez lui. Selon ses biographes. Cette starisation de Gargantua et Gargamel invisibilise leurs proches qui ont pourtant des liens évidents avec cet étymon. Gargantua est le fils de Grangousier et de Gargamelle, d'un père prénommé "grand gosier" et d'une mère dont le prénom signifie "gorge". [10] Bien que très peu mentionné, Gargamel a un frère jumeau nommé, selon les versions, Gourmelin ou Gargamelon. Et parmi ses rares amis figure le géant glouton Grossbouf qui, de fait, doit être une gorge profonde. [11] Chacune de ses visites fait la Une de la presse locale.

C'est une vraie schtroumpferie ! Sa schtroumpf est si schtroumpf que rien ne peut schtroumpfer son schtroumpf. Pas même des schtroumpfs. Rien ! [12]

Au cours de leur histoire, les pratiques linguistiques francophones se sont transformées et la phonologie a évolué. Il n'y a pas de règle générale. De fait, les prononciations ont changé les orthographes. Ainsi le son \g\ a parfois muté en \ʒ\, comme entre gargon et jargon. Cette mutation se retrouve par exemple entre gambette et jambe qui coexistent et ont le même sens, ou entre l'ancienne forme gardineus qui en français moderne s'orthographie jardin et se dit \ʒaʁ.dɛ̃\. Plusieurs raisons sont évoquées pour expliquer ces changements phonologiques que les linguistes nomment palatalisation. Exemples classiques de palatalisation dans la construction historique de la langue française moderne standardisée, le processus de passage de \g\ à \ʒ\ est semblable à celui entre \k\ et \ʃ\. Le glissement entre canin et chien, entre castelet et château, entre caprin et chèvre, etc. Les normes actuelles de la francophonie fixent que la lettre g peut avoir deux prononciations possibles. Soit \g\ devant les consonnes et les voyelles a, o et u, soit \ʒ\ avec e et i. Pour prononcer le son \g\ avec la lettre g et ces deux voyelles, il est nécessaire d'intercaler les voyelles u. [13] La lettre j se prononce toujours \ʒ\, quelle que soit la voyelle qui la suit.

Typologie

Le suffixe -on qui compose jargon implique trois sens possibles. Un diminutif, un augmentatif et un descriptif. Pour rester dans la thématique gargantuesque, les définitions des mots garganton, glouton ou gueuleton ont une dimension plus augmentative que diminutive. Il y a profusion et non l'inverse. Les formes diminutives en -on se retrouvent dans des mots tel que chaton ou oisillon. Parfois, le diminutif se fait dépréciatif. Le suffixe avec une aspect descriptif est présent dans des termes comme berrichon ou bourguignon dans les cas où la référence est géographique, linguistique ou culturelle, ou dans bûcheron ou vigneron lorsque le mot indique d'autres références. Dans le cas de jargon, toutes ces nuances de sens sont présentes. Ainsi, au plus proche de l'étymon et de son suffixe, le jargon est ce qui provient de la gorge avec profusion, soit, pour le diminutif, il est une version amoindrie de ce qui est attendu. Pour la tendance péjorative, ce qui sort d'une gorge n'est pas a considérer avec égalité avec ce qui sort d'une autre gorge. Soit, il précise simplement que cela est issu de la gorge.

Les plus anciennes définitions connues de jargon et des formes proches tournent autour du langage. Il est employé pour nommer les sons produits par les hominines et les oiseaux et qui sortent par la bouche. Bien plus que seule sonorité, le jargon est un langage. Un outil de communication inter-espèce. À son entrée "jargon", le Dictionnaire de l'ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle donne pour définition "babil, bavardage, gazouillement, langage en général". Les dimensions diminutive, augmentative, dépréciative et descriptive sont présentes. Selon lui, le verbe jargonner peut signifier "jaser, bavarder, gazouiller, murmurer, médire [ou] parler en général", pour les hominines, et jargonnement, jargonnerie ou jargonneis sont des gazouillements d'oiseaux. Avec le sens de murmurer, la poésie fait même jargoillier ou jargouiller un ruisseau ! Le proche gargouiller est probablement moins un mot du vocabulaire poétique que ne l'ont été gazouillements et autres gazouillis. Comme le remarque Charles Nodier au début du XIXème siècle dans son Dictionnaire raisonné des onomatopées françoises, "employés jusqu'à satiété par nos poètes pastoraux, et cousus depuis deux siècles aux plus misérables bouts-rimés de la langue, [gazouillement et gazouiller] ont perdu toute leur grâce et toute leur fraîcheur, et sont tombés dans la classe des lieux communs les plus fastidieux." [14] Une critique des lieux communs et du concept même d'œuvre que les rienistes russes du début du XXème siècle ont porté avec radicalité et étendu à l'ensemble du monde artistique.

Plus grande était la popularité dont jouissait telle ou telle personnalité artistique, plus grand était le désir des rienistes de la renverser de son piédestal. Il semblait aux rienistes qu'il suffisait d’une seule négation pour que tel ou tel artiste considérable, tel ou tel poète connu fût réduit en cendres. C’est pour cela que les rienistes se consacraient peu au travail créateur. Ils consacraient toute leur énergie à l’invention et la discussion de plans pour renverser les artistes les plus en vue.[15]

Les rienistes sont tellement à l'avant-garde que, plus de cent ans avant l'écriture de cet article, illes optent pour une maxime utilisant le suffixe augmentatif -on.

Ne rien écrire. Ne rien publier. Ne rien dessiner. Ne pas organiser de spectacles. Bref, ne pas faire le fanfaron.

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De manière générale, un jargon est un langage spécifique, non compréhensible pour l'ensemble des hominines, lié à une activité socio-professionnelle. Un vocabulaire spécifique différencie un jargon d'un autre, marque une limite entre un jargon et les pratiques linguistiques communes. Pour les personnes qui n'y sont pas initiées, il existe de fait un jargon juridique, philosophique, théologique, scientifique, etc. Le jargon est aussi le nom donné à partir du XIIIème siècle aux pratiques linguistiques des couches sociales défavorisées et/ou délinquantes qui cherchent volontairement à ne pas être comprises par le reste des hominines ou à celles de différents métiers. Le texte le plus ancien mentionnant ce jargon populaire est le dossier du procès en 1455 des membres de la bande de malfaiteurs de la Coquille [16] à Dijon. Le plus connu des jargonneurs est le poète délinquant François Villon [17] qui, dans la seconde moitié du XVème siècle, utilise lui-même le (terme de) jargon dans ses écrits. En 1489, paraît Le jargon et jobellin dudit Villon, un recueil de six ballades en jargon, sans qu'il soit possible d'affirmer que l'ensemble des textes soit de lui. [18] Suivant l'orthographe de l'époque, le titre exact est Le iargon et iobellin dudit uillon. Il n'existe pas un seul et unique jargon mais plutôt plusieurs langages selon l'activité des gueux. Par exemple, si le synonyme de jargon est alors baragouin [19], les termes jobellin et belistrien revêtent un sens plus précis. Le premier est généralement définit comme le "jargon de gueux trompeurs", celui qui est réservé à arnaquer les jobards — qui signifie "imbécile" [20] —, alors que le second se rapporte plutôt à la mendicité. Bélître [21] signifie alors "mendiant" et vient de la racine germanique bedeler qui a le sens de "gueux", d'hominine de rien. Les jargonnades et le mode de vie des bas-fonds fascinent les hominines du haut de la pyramide sociale. Signée du pseudonyme Pechon de Ruby et prétendument autobiographique, La Vie genereuse des Mercelots, Gueuz et Boesmiens, contenans leur façon de vivre, subtilitez & Gergon [22] est publiée à la fin du XVIème siècle et Le Jargon ou Langage de l’Argot reformé [23] d'Ollivier Cherreau l'est vers 1630. Il est sous-titré "comme il est à présent en usage parmi les bons pauvres." Long d'une cinquantaine de pages, il propose un lexique de 236 entrées du jargon parlé en Argot. Le terme argot désigne ici le "corps de métier", la "corporation", le groupe social des hominines qui pratiquent et vivent de la mendicité. Selon l'auteur, il dérive du verbe argoter qui a le sens de mendier et aussi de "tromper avec des mensonges". [24] Par la suite, le mot argot s'est substitué à jargon pour désigner les pratiques linguistiques des "classes dangereuses", des marginalités sociales. L'argot n'est pas simplement un jargon populaire, il est un ensemble de pratiques linguistiques qui visent à n'être comprises que par certaines parties de la population. Il existe plusieurs argots et différents jargons. Ils ne sont pas des espaces clos sur eux-mêmes mais constituent des sommes de vocabulaire spécifique qui s'entrecroisent partiellement. La prostitution n'a pas les mêmes besoins descriptifs que la mendicité, la boucherie n'est pas la même activité que le vol, l'artiste de théâtre n'a pas les mots de l'artisanat. Dans son article "Argot, jargon, jargot" dans le numéro de la revue Langue française consacré aux "Parlures argotiques", Marc Sourdot utilise "le terme de "jargot" pour signifier le glissement toujours possible de l'une à l'autre de ces activités" linguistiques [25]

Plusieurs procédés permettent de constituer le fond lexical de tel ou tel jargon argotique. La persistance de formes désuètes ou anciennes qui n'appartiennent plus au vocabulaire classique ou standard, l'emprunt direct à des "langues étrangères", la déformation phonologique, le néologisme ou la destructuration de l'existant. Mélanger des syllabes et/ou intercaler des lettres sont des méthodes courantes à la fin du XVIIIème et le début du XIXème siècles. La plus connue d'entre elles est appelée largonji. La première lettre est déplacée en dernière position et la lettre l est mise à la place en tête de mot. À la lettre de fin est parfois ajouté un suffixe de type -em, -ès, -i, -ic, -oc, -oche, -uche, etc. Si être jobard c'est être fou, en largonji c'est être louf ou loufoque. Ce mot est d'ailleurs sorti du seul cadre largonji pour être dorénavant dans le lexique commun francophone. Avec toujours autant de décalage avec la réalité linguistique, le Dictionnaire de l'Académie explique qu'il est une "transformation plaisante de fou". [26] Idem pour l'expression à loilpé ou à oilpé qui dans le langage moderne populaire est bien comprise comme "à poil", dans la plus totale nudité. L'expression en loucedé pour "en douce" est aussi issue du largonji. Basés sur l'inversion de pas, lape et lapuche qui signifient "rien" en largonji n'ont pas eu le même succès ! Suivant ce procédé de déformation, la protivophilie devient lotivophilipre ou lotivophilipruche. Biais parisianiste classique, les jargons argotiques les plus étudiés sont ceux de Paris et sa région. Le pathétique parcours de vie d'Eugène-François Vidocq, ancien bagnard devenu flicard, relaté dans les quatre tomes de ses Mémoires [27] ou les multiples rééditions de Les Excentricités du langage [28] dans la seconde moitié du XIXème siècle contribuent à faire connaître les jargons et autres argots des bas-fonds. Parmi les différents types de largonjis qui naissent dans le courant du XIXème siècle, le plus connu est l'argot des bouchers. Le largongi des louchébem, simplement appelé louchébem [29]. Les lexicographes du XIXème siècle se font les relais de ces argomuches [30] auprès des hominines qui ne les parlent pas. Jusqu'alors essentiellement oraux, les études et les romans tendent à fixer des orthographes aux jargons populaires et, comme cela ce fait avec le français classique, à les définir avec des règles de grammaire ou des processus linguistiques réglementés. [31] Le louchébem se caractérise-t-il par la systématisation du suffixe en -em ?

De fait, la mise par écrit accentue les phénomènes de normalisation orthographique. Comme dans toutes les tentatives lexicographiques, les mots et les expressions recensés ne sont que le reflet de la collecte auprès de quelques sources et non de la réalité des pratiques linguistiques entre les hominines. Limite indépassable d'une telle démarche. En 1876, sa condamnation à une amende, à la privation de ses droits civils et politiques et à un mois de prison pour son recueil de poèmes argotiques, jugé vulgaire et obscène, force Jean Richepin à remanier en 1881 son ouvrage La chanson des gueux et à s'autocensurer. Dans la partie "Gueux de Paris", il y regroupe 42 de ses poèmes dont 18 dans le chapitre "Au pays de Largonji". L'ensemble des textes est suivi d'un glossaire. [32] Pas un seul mot en louchébem, hormis largonji. Survivance d'un des sens de ce mot qui se base sur le latin rem, l'accusatif de res "chose", à l'entrée "Rien", il précise que sa signification est "beaucoup", "très". Mais pas seulement.

J'peux m'parler tout ba' à l'oreille
Sans qu'personne entend' rien du tout.
Quand j'rigol' ma gueule est pareille
A cell' d'un four ou d'un égout. [33]

À partir du siècle suivant, la pratique du louchébem a décliné au rythme de la baisse du nombre de boucheries artisanales, même si des travaux récents tendent à montrer qu'il est encore discrètement pratiqué dans la profession à Paris. [34] Au XXIème siècle, quelques très rares mentions existent dans le domaine artistique. Un des trois couplets de Sale argot [35] du groupe IAM est en louchébem, et la chanson éponyme Lansonchouille [36] de Philippe Marlu l'est entièrement. Le rétro-futurisme à vapeur de Lucie Pierrat-Pajot dans Les mystères de Larispem [37], publié en 2016, met en scène une ville de Paris devenue Cité-État indépendante des suites de la Commune de 1871 et très largement dirigée par la puissante confrérie des bouchers. Le louchébem est langue courante. Et l'héroïne est apprentie-bouchère.

Autre jargon de la seconde moitié du XIXème siècle, le javanais consiste à intercaler les syllabes "ja" ou "va" entre une consonne et une voyelle. Même procédé avec la "langue de feu" qui intercale la lettre f. La protivophilie javanaise se dit pravotavivavophavilavie. Le javanais se popularise [38] à tel point qu'un linguiste de cette époque note que "il y eut un moment une telle fureur de javanais qu'on vit apparaître un journal entièrement écrit dans ce langage stupide" [39]. La quasi disparition du louchébem et des largonjis a fait place à d'autres procédés de transformation linguistique. Le verlan, par exemple. Avec lui, il faut mélanger des syllabes, les inverser. Verlan est le verlan de l'envers. Il n'y a pas de règles mais des usages diversifiés. Faut-il mieux dire philivotipro ou votiprophilie ? La question divise. Doit-on traduire par "Monde de deurme" ou "Monde de demèr" le célèbre aphorisme du philosophe George Abitbol, "Monde de merde" ? [40] L'inversion de syllabes est un procédé de dissimulation attesté dans le courant du XIXème siècle mais ce qui différencie le verlan c'est que cette inversion est un systématisme et non une pratique occasionnelle. La pratique du verlan se répand à partir de la seconde moitié du XXème siècle dans la jeunesse populaire. Dans les années 1990, le rap est un vecteur important de diffusion du verlan auprès d'hominines qui le pratiquaient peu. Comme loufoque avant lui, le mot ouf, verlan de fou, est même devenu banal pour une grande partie des hominines francophones d'Europe. Surtout dans l'expression "Truc de ouf".

P'tit Pologie

Non référencé dans le dictionnaire Petit Robert, pourtant considéré comme ouvert, le néologisme post-moderne paludoludiverbisme a toute sa place dans le P'tit Pologie. Dictionnaire jargonneux, il précise qu'il est issu du latin paludis "marais, lieu vaseux", ludus "jeu" et verbum "mot", avec un suffixe en -isme, et désigne donc la "tendance à pratiquer le jeu de mots vaseux". [41] Le qualificatif de postmodernisme est controversé car il "recouvre une galaxie mal définie d’idées — allant de l’art et de l’architecture aux sciences humaines et la philosophie". [42] Le P'tit Pologie est un voyage à Jargonland, une boussole pour s'orienter dans les jargons des minorités. Il porte son attention sur les pratiques linguistiques des sommets de la pyramide sociale. Alors que le Petit Robert est conseillé pour se maintenir, le P'tit Pologie est un guide pour qui veut tenter de grimper de quelques marches. La précision est chose importante car le risque de contre-sens est grand. Ainsi, à l'entrée "Rien" la définition donnée est la suivante. Claire.

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Doit-on dire que la vice-diction va moins loin que la contradiction sous prétexte qu’elle ne concerne que les propriétés ? En réalité, l’expression "différence infiniment petite" indique bien que la différence s’évanouit par rapport à l’intuition ; mais elle trouve son concept, et c’est plutôt l’intuition qui s’évanouit elle-même au profit du rapport différentiel. Ce qu’on montre en disant que dx n’est rien par rapport à x, ni dy par rapport à y, mais que dy/dx est le rapport qualitatif interne, exprimant l’universel d’une fonction séparée de ses valeurs numériques particulières. Mais si le rapport n’a pas de déterminations numériques, il n’en a pas moins des degrés de variation correspondant à des formes et équations diverses. Ces degrés sont eux-mêmes comme les rapports de l’universel ; et les rapports différentiels, en ce sens, sont pris dans le processus d’une détermination réciproque qui traduit l’interdépendance des coefficients variables.

Pour "Tout", il suffit de dire l'inverse. Idem pour dire "Oui" ou "Non". Il faut remplacer dx par son contraire. Pour des raisons que même une autopsie des corps n'auraient pu fournir, l'excès d'intellectualisme ou de fainéantise des auteurs les persuadent que cela était mieux que "Rien. Schtroumpf. Rien". Avec sa forme de démonstration mathématique, ce jargon philosophique est assez proche de jargonnades techniques. Très conscient que "Rien ne peut servir à tout, mais tout peut très bien servir à rien" [43], selon ses propres mots, Pierre Dac [44] invente dans le début des années 1950 le schmilblick, qui ne sert absolument à rien et peut donc servir à tout. Ce qualifiant lui-même de loufoque, Pierre Dac, fils d'un boucher, propose dix ans plus tard le schmilblick à bidule. L'étymologie de ce terme est inconnue. Est-ce du louchébem ?

L'un des principaux éléments du schmilblick est la papsouille à turole d'admission qui laisse passer un certain volume de laplaxmol, lequel, comme chacun le sait, n'est autre qu'un combiné de smitmuphre à l'état pur et de roustimalabémol sulsiphoré. Le laplaxmol, après avoir été soumis à un courant polyfoisé de l'ordre de 2000 spickmocks exactement — moins, ce ne serait pas assez, plus ce serait trop —, se transforme alors en troufinium filtrant, non pas à l'état métalbornique, ce qui serait non seulement ridicule, mais encore totalement inopérant, mais bel et bien à l'état guilmanuré, d'où formation de gildoplate de raboninite, élément neuromoteur et fondamental du schmilblick.

Alors qu'il est utilement présent dans la tirade philosophique, l'absence du mot "Rien" dans ce texte technique n'enlève évidemment rien à sa technicité. Inutile pour autant de trop simplifier. Il est malgré tout nécessaire de changer quelques mots pour passer d'une définition philosophique pour rien à une démonstration technique de rien. Ou l'inverse. L'intérêt du schmilblick est qu'il peut être ce que chaque hominine veut y voir. En cas de doute, le P'tit Pologie préconise toujours de se rapporter à l'entrée "Synonyme".

Notes

  1. communiquer
  2. cunnilingus
  3. hominines
  4. JC
  5. "Jargon" dans le Dictionnaire de l'ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle, tome IV, 1885 - En ligne
  6. Les Frères Jacquard, Gorges du Tarn (cover "Funky town") - En ligne
  7. gargouilles
  8. François Rabelais, Pantagruel - [En ligne]. Gargantua - [En ligne]
  9. garganton
  10. Gargamelle
  11. gorge profonde
  12. Extrait d'un article publié dans la presse locale. Référence à vérifier.
  13. Mêmes différenciations pour la lettre c pour une prononciation en "k" ou en esse.
  14. "Gazouillement, gazouiller" dans Charles Nodier, Dictionnaire raisonné des onomatopées françoises; 1828 - En ligne
  15. Dans les mémoires d'Ivan Gruzinov. Cité dans La poésie d’avant-garde russe des années 1920 d'Alexandra Krasovec-Popova - En ligne
  16. Coquille
  17. François Villon
  18. Le jargon et jobellin dudit Villon
  19. baragouin
  20. jobards
  21. Bélître
  22. La Vie genereuse des Mercelots, Gueuz et Boesmiens, contenans leur façon de vivre, subtilitez & Gergon - En ligne
  23. Le Jargon ou Langage de l’Argot reformé d'Ollivier Chereau - En ligne
  24. "Argoter" - En ligne
  25. Marc Sourdot, "Argot, jargon, jargot", Langue française, n°90 "Parlures argotiques", 1991 - En ligne
  26. "Loufoque" sur le Dictionnaire de l'Académie - En ligne
  27. - En ligne
  28. Lorédan Larchey, Les Excentricités du langage, 1865 - En ligne
  29. Françoise Robert L'Argenton, "Larlépem largomuche du louchébem. Parler l'argot du boucher", Langue française, n°90 "Parlures argotiques", 1991 - En ligne
  30. argomuche
  31. Marcel Schwob, Georges Guieysse, Étude sur l’argot français, Imprimerie nationale, 1889 - En ligne
  32. Jean Richepin, "Au pays de Largonji" dans La chanson des gueux, 1881 - En ligne
  33. Extrait de "Voyou" dans le chapitre "Au pays de Largonji", "Gueux de Paris", 1881 - En ligne
  34. Valérie Saugera, "Louchébem : la pérennité d’un argot à clef", La linguistique, n°57(2), 2021 - En ligne
  35. IAM, "Sale argot" sur IAM Official Mixtape, 2007 - En ligne
  36. Philippe Marlu, "Lansonchouille" sur l'album Méfiez-vous des petites filles, 2011 - En ligne
  37. Lucie Pierrat-Pajot, Les mystères de Larispem, 2016. Il existe quatre tomes.
  38. "Un nouvel argot. Le javanais" dans Le Journal pour rire, 24 février 1855 - En ligne
  39. Lucien Rigaud, Dictionnaire d'argot moderne, 1888 - En ligne
  40. Michel Hazanavicius, Dominique Mézerette, La classe américaine. Le grand détournement, 1993 - En ligne
  41. paludoludiverbisme - En ligne
  42. Alan Sokal, Jean Bricmont, Impostures intellectuelles, Odile Jacob, 1977
  43. Cité à l'entrée "schmilblick" dans F. Merdjanov, Analectes de rien
  44. Pierre Dac