Apatridie
Apatridie (бездржавјанство en macédonien - apatridia en nissard) Syndrome social intergénérationnel.
SommaireÉtymologieApatridie fait partie des plusieurs centaines de mots de la langue française qui se composent avec le préfixe privatif a-. Par exemple agélaste, apathée ou annihiler. Ou encore anarchie. L'apatridie est ainsi l'état de privation de patridie, de son absence. Comme l'anarchie est l'absence de pouvoir. L'étymon se rattache au grec antique πατρίς (patris) qui signifie patrie et est issu de πατήρ (pater) dans le sens de père. Ce dernier est à comprendre dans le sens de géniteur biologique et induit une idée de lignée entre pères et futurs pères. La patrie désigne les liens qui unissent les géniteurs à leur descendance. Les hominines sont κακόπατρις ou εὔπατρις, d'une kakopatrie ou d'une eupatrie. D'un mauvais ou d'un bon père. De la merde ou de la noblesse. La société grecque est profondément misogyne et n'accorde pas d'importance sociale au rôle incontournable de la génitrice dans le processus reproductif chez les hominines [1], une espèce pourtant bisexuée. La matrie n'a pas de sens lorsque les hominines femelles ne sont pas reconnues comme les égales des mâles. Ce qui relie au père est public et politique alors que ce qui renvoie à la mère est du domaine privé et domestique. Cette filiation patrilinéaire minimise le fait que les hominines mâles sont le maillon faible des généalogies : Il n'y a que l'identité de la génitrice qui est une donnée absolument irréfutable. Sous l'empire romain, le patriciat est l'opposé de la plèbe. Les patriciens et les patriciennes sont, selon le dictionnaire de l'Académie française, membres par leur naissance de "la classe sociale la plus élevée, à laquelle étaient réservées toutes les magistratures." [2] D'après l'historien Fustel de Coulanges, dans son ouvrage La cité antique de 1864, "le mot patrie chez les anciens signifiait la terre des pères, terra patria, gé patris. La patrie de chaque homme était la part de sol que sa religion domestique ou nationale avait sanctifiée, la terre où étaient déposés les ossements de ses ancêtres et que leurs âmes occupaient. La petite patrie était l'enclos de la famille, avec son tombeau et son foyer. La grande patrie était la cité, avec son prytanée [3] et ses héros, avec son enceinte sacrée et son territoire marqué par la religion." [4] La langue française utilise la racine pater pour constituer plusieurs mots. Par exemple, patrial ou patriel [5] est un adjectif pour qualifier ce qui est paternel, un patrocine [6] est celui qui "prend sous son aile", "qui aide", tout comme un patron est celui qui protège. Ce dernier sens se retrouve dans l'expression "Saint Patron" qui désigne un protecteur local. Étrangement, le féminin patronne émerge progressivement et n'est pas le pendant masculin de matrone [7]. L'adjectif patriot signifie "du pays des pères" et le nom patriote désigne l'hominine qui partage un même pays, l'équivalent du moderne compatriote. Les déformations de la racine pater donnent lieu à de nouveaux mots. Le patrin [8], celui qui fait office de père de substitution, devient parrain. Le lien entre les deux formes se retrouve dans le sens commun de patronage et parrainage, et il n'est pas d'usage de dire patricide mais plutôt parricide. Le patrois [9] qui nomme le village ou une petite localité mute en patois [10] et désigne les pratiques langagières locales. La racine a donné de très nombreux termes encore en usage dans la langue française du XXIème siècle, dont patrimoine, patronyme, paternaliste, paternité, patriarcat, patronat et aussi parricide. Pour n'en citer que quelques uns. À noter que patronicide, avec le sens de "tuer un patron", n'a pas émergé dans les pratiques linguistiques alors même que c'est un acte récurrent au cours de l'histoire des hominines. Jusqu'au XVIème siècle après JCⒸ [11], une patrie est simplement le lieu de naissance de ses ancêtres et le pays dérive simplement du latin pagus qui désigne la plus petite unité de vie d'un groupe d'hominines. Une racine que l'on retrouve dans paganisme et peut-être aussi dans compagne [12]. Idem dans pégouse [13] qui signifie "paysan" et "paysanne". Dans un univers linguistique parallèle, le patois aurait pu être le paysois ou le pagois. Selon l'article "Patrie" dans l’Encyclopédie anarchiste de Sébastien Faure, "le mot ne dépassait pas un cercle restreint de lettrés. Il ne fit son chemin que peu à peu et, dans la seconde moitié du XVIème siècle seulement, il devint d’un usage courant, concurremment à pays. Il ne représentait cependant rien de précis. On n’entendait par là ni la France "unifiée" — ce qui est un vain mot — ni l’acceptation tacite par tous les Français de vivre sous le même prince — ce qui n’a jamais été." [14] Pour appuyer sa démonstration, il cite le poète Charles Fontaine qui rejette ce néologisme et affirme : "Qui a païs, n’a que faire de patrie". Entre le courant du XVIème et la fin du XVIIIème siècles, le terme patrie se charge d'une dimension symbolique forte et devient "la communauté politique à laquelle on appartient (par la naissance ou par un attachement particulier) et dont l'histoire, la langue, la culture, les traditions, les habitudes de vie nous sont chères." Les exemples choisies pour la première édition du dictionnaire de l'Académie française, en 1694, sont éloquents : "La France eʃt noʃtre Patrie. l’amour de la patrie. pour le bien de la patrie. pour le ʃervice de ʃa patrie. ʃervir ʃa patrie. deffendre ʃa patrie. mourir pour ʃa patrie. le devoir envers la patrie, eʃt un des premiers devoirs." [15] L'emploi de la majuscule et le sacrifice de soi sont préconisés dans certains cas. Tous les ingrédients nauséabonds d'une histoire d'Amour sont réunis. Construction linguistique originale et ironique, le concept de Mère Patrie émerge et la Révolution française de 1789 exalte cette Patrie dont elle fait le ciment de la République, en remplacement de la personne du Roi qui incarne jusqu'alors la nation et l’État. L'émergence des nationalismes dans l'Europe du XIXème et la création d'identités nationales vont définitivement transformer le sens de patrie et se l'accaparer. Au début du siècle suivant, Victor du Bled peut affirmer que "il existe une différence entre patrie et nation, mais l’une semble bien la substance de l’autre, elles s’enveloppent réciproquement. Au fond, il est peut-être un peu vain d’établir des distinctions subtiles entre ces maîtres mots qui, dans l’esprit de la grande majorité, représentent la même idée." [16] Dans une formule qui déclenche l'hilarité chez les personnes les plus sensibles, il ajoute "l’État, c’est la prose ; la patrie, c’est la poésie de la nation" ! Quoiqu'en pense ce blédard de Victor, l'ensemble des hominines de son époque ne partagent pas son enthousiasme. En parallèle de la montée en puissance de l'idée de patrie, avec une majuscule, les critiques se font de plus en plus mordantes. En 1898, sous le pseudonyme d'Alexandra Myrial, Alexandra David-Néel publie Pour la vie, un recueil de textes anarchistes individualistes :
Au sens premier de patrie, il ne peut exister d'hominines apatrides car il faut bien naître quelque part. D'un père. Et d'une mère. Ou tout du moins de la rencontre entre spermatozoïde et ovule. Avec le glissement qui en fait, selon Victorio Del Pegouzo, un équivalent de "nation, État, peuple", l'apatridie s'applique dorénavant "à toute personne qu’aucun État ne considère comme sa ressortissante par application de sa législation". Pour celleux qui savent néanmoins que l'Apatridie est un pays lointain et veulent que les apatrides y retournent, le Guide du Rien écrit en 1922 leur offre un petit tour d'horizon, sans avoir à se déplacer aussi loin :
Diagnostics apatriensLa lettre a en début de mot n'est pas systématiquement un préfixe privatif. Les gentilés et les noms des pays n'échappent pas à cette règle. En effet, l'Arménie, l'Afghanistan et l'Albanie ne sont, par exemple, pas les contrées des hominines en privation de Rménie, de Fghanistan et de Lbanie. Ce diagnostic peut s'étendre à la plupart des pays, régions et autres subdivisions du monde par les hominines. Les Amériques, l'Asie, l'Argentine, l'Azerbaïdjan ou encore l'Arabie saoudite ont des étymologies qui n'ont rien à voir avec le a- privatif de apatride. Idem pour les départements français d'Ariège ou des Alpes-Maritimes : Les hominines de ses régions ne sont pas plus en manque de Riège et de Lpes-maritimes que d'autres. Dans la langue française "normalisée", ce préfixe n'est pas le seul à être utilisé avec patrie. Il existe aussi des verbes composés avec ex-, ra- et de- pour former expatrier, rapatrier et dépatrier, et leurs dérivés. Les trois induisent un déplacement. Le premier exprime le mouvement d'un endroit vers un autre, le deuxième un mouvement de retour et le troisième décrit le mouvement qu'est une déchirure entre deux choses. Ils s'emploient aux formes actives et passives. Il est possible de s'expatrier soi-même ou d'expatrier une personne, de se rapatrier ou de se faire rapatrier, tout comme sont possibles le fait de dépatrier ou de se faire dépatrier. Selon qui les utilise, ces termes peuvent avoir des synonymes dépréciateurs. Un État parle d'expatriation pour désigner l'installation de "ses" hominines dans un autre État, mais qualifie un mouvement de population vers lui de migration. Lorsque des hominines fuient une situation et retournent d'où illes viennent, ce mouvement de rapatriement est classiquement désigné par expulsion ou exfiltration, selon qui parle. Pour dépatrier, il est synonyme de négation profonde ou de libération totale. Dans le doute, l'apatriste Bérurier Noir inclut les deux dans sa longue liste de salutations : "Salut à tous les Hommes libres. Salut à tous les apatrides" [19] Bref, celleux qui réclament de se faire dépatrier et celleux qui subissent un dépatriement, une dépatriation, une dépatrissade, une dépatrissure, etc. Plusieurs néologismes peuvent être utilisés. En ce premier quart de XXIème siècle, les estimations du nombre d'apatrides varient de quelques millions à environ 10 millions d'hominines à travers le monde. Cette situation d'apatridie est la conséquence de guerres directes entre pays, d'occupation coloniale de régions ou de situations post-coloniales, de changements de frontières ou d'échanges de territoires, de politiques discriminatoires ou de dysfonctionnements administratifs, ou de cas particuliers. L'apatridie est collective ou individuelle. Dans l'impossibilité de lister l'ensemble des cas et situations tant ils sont nombreux, cet article se contente de quelques exemples significatifs. Apatri-UnLa dislocation progressive de plusieurs empires et la multiplication des États-nations au début du XXème siècle entraînent des vagues d'apatridie. Des dizaines de milliers d'hominines se retrouvent sans aucune reconnaissance légale de la part des États existants. La Russie tsariste et l'empire ottoman implosent. Depuis le prise de pouvoir des bolchevistes et le renversement de la dynastie russe en 1917, la Russie est en guerre civile [20]. Jusqu'en 1921, l'armée rouge des bolchevistes s'affronte aux armées pro-tsaristes, à l'insurrection paysanne anarchiste dans le sud (en Ukraine) [21] et à de multiples armées nationalistes de régions qui aspirent à l'indépendance. Après leur victoire, les bolchevistes transforment en 1922 la Russie impériale en une Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), abrégé par Union soviétique. Par décret de décembre 1921, des milliers d'hominines faisant partie de ces oppositions politiques et militaires ne reçoivent pas automatiquement cette nouvelle nationalité. Illes sont ce que les nouveaux maîtres appellent des "éléments contre-révolutionnaires". Illes doivent quitter le pays sans se faire tuer, ni finir dans un camp d'internement sibérien — ce qui n'est pas une évidence — et les autres, déjà en exil à l'étranger, ne peuvent plus retourner dans cette ex-Russie impériale. L'apatridie est leur nouvelle situation. La Société des Nations (SDN) est créé au lendemain de la première guerre dite mondiale. En 1919, elle regroupe 45 pays, dont 26 non-européens, qui prétendent ainsi éviter de futurs conflits et guerres. Une commission de la SDN instaure en 1922 un passeport pour ces apatrides. Il est nommé Passeport Nansen, du nom du diplomate norvégien qui en est à l'origine. Il peut être obtenu après une demande étudiée par des fonctionnaires de la SDN. En cas d'accord, le passeport Nansen est délivré pour une première période de deux ans, puis, renouvelable à vie. Pour celleux qui en ont les moyens, il permet de voyager. Selon l'écrivain russe apatride Vladimir Nabokov, "son titulaire valait à peine mieux qu'un criminel libéré sur parole et devait passer par d'odieuses épreuves chaque fois qu'il voulait voyager d'un pays dans l'autre, et plus les pays étaient petits, plus ils étaient tatillons. Quelque part dans le fin fond de leurs glandes, les autorités sécrétaient cette notion que peu importait à quel point un État – disons la Russie soviétique – pouvait être mauvais, toute personne ayant fui cet État était intrinsèquement méprisable du fait qu'elle s'était soustraite à toute administration nationale : et par conséquent, on marquait à son endroit la désapprobation absurde avec laquelle certains milieux religieux regardent un enfant né hors mariage." [22] Ce sont ces circonstances d'apatrides soviétiques qui mènent Nestor Makhno [23], Alexander Shapiro [24] et Hanka Grothendieck [25] en France. Les deux premiers sont anarchistes et russes et elle socialiste-révolutionnaire et allemande. Grace à Makhno, l'entreprise de construction automobile Renault de Boulogne-Billancourt, en région parisienne, augmente son taux d'embauche de tuberculeux. Il en profite pour co-écrire la Plate-forme organisationnelle de l’union générale des anarchistes (projet) [26] et mourir en 1934 dans un hôpital parisien. Et les deux autres enfantent d'Alexandre Grothendieck [27], le plus célèbre des mathématiciens du département français d'Ariège. Héritier de l'apatridie parentale, Alexandre Grothendieck publie dans la décennie 1970 Esquisse d'un Programme, qui n'en est pas un, puis dans le début de la décennie suivante Récoltes et Semailles, sa non-autobiographie. Dans le documentaire La plateforme II, sorti en 2024, Zamiatin laisse penser qu'il est enfant naturel de Nestor Makhno et Alexandre Grothendieck :
Affaibli par la première guerre dite mondiale et les guerres balkaniques [29], l'empire ottoman continue de se fissurer. Que ce soit dans ses provinces d'Europe, d'Afrique ou d'Asie, la contestation gronde, bien souvent soutenue par les autres États européens. Le nationalisme ottoman ne parvient pas à s'imposer face aux nationalismes "ethniques" qui fragmentent l'empire. Il est progressivement remplacé par un nationalisme turco-mahométien. Dans ces circonstances, toutes autres revendications culturelles, linguistiques et religieuses sont considérées ennemies. Les populations christiennes arménophones et assyriennes [30] payent le prix fort de ces antagonismes politiques. Expulsées, massacrées, humiliées, elles sont contraintes de fuir pour ne pas mourir. Pour les survivantes les décennies suivantes sont faîtes d'errance et d'exil dans les pays limitrophes. D'autres partent en Europe ou dans les Amériques. Plus d'un million de personnes des communautés arméniennes, soit environ 70% de la population arménienne anatolienne, meurent d'assassinats et de massacres, de misère et de faim sur les routes. Entre 50% et 75% du million d'hominines des communautés assyriennes subissent le même sort. Mâles, femelles et rejetons. Ces deux massacres et déportations de masse de populations christiennes d'Anatolie sont considérés comme le second génocide du XXème siècle, qui ne fait que commencer. En 1922, sur les cendres de l'empire ottoman, la Turquie moderne est proclamée. Au total, 26 pays émergent avec l'effondrement ottoman. Le Traité de Lausanne de 1923, signé entre les puissances européennes et l'empire ottoman, abandonne l'idée d'une Arménie et d'un Kurdistan indépendants. Les promesses faîtes aux populations assyriennes ne tiennent plus. Afin de normaliser leurs relations et d'homogénéiser leurs territoires, des échanges de populations sont organisés entre la Turquie, la Bulgarie, la Grèce, la Roumanie et la Yougoslavie. Selon que leurs croyances sont christiennes ou mahométiennes. Presque un million et demi de grécophones micrasiates [31] doivent quitter l'Anatolie pour la Grèce et plus de 500000 hominines de croyances mahométiennes d'Europe doivent rejoindre la Turquie. Les critères ethnolinguistiques sont appliqués sans aucune finesse. Plusieurs populations minoritaires se retrouvent déportées dans des pays dont elles ne parlent pas la langue, ou dont les seuls liens sont linguistiques mais pas culturels. Sont cataloguées grecques toutes les populations christiennes quelle que soit leurs langues et turques toutes les mahométiennes, de langue turque ou non. Les populations arméniennes et assyriennes ne peuvent "bénéficier" de ses déportations car aucun pays ne les réclament. L'Arménie soviétique n'existe pas encore et l'Assyrie autonome n'est même plus un projet [32]. Des passeports Nansen sont attribués à partir de 1924 à des hominines de ces deux communautés pourchassées et orphelines d’État. Beaucoup arrivent en France. Ainsi, le jeune Charles Aznavourian, né en France de parents apatrides, apprend à jouer aux échecs avec Missak Manouchian [33], lui-même apatride. "Le football c'est comme les échecs mais sans les dés" est abusivement prêté à Charles Aznavour par une petite encyclopédie de rien mais des recherches rapides sur le réseau internet permettent de montrer que ce n'est pas le cas. Il semble que les échecs se jouent sans dé. [34] Missak Manouchian est fusillé fin 1943 pour sa participation active à la résistance communiste contre les hitléristes et le petit Charles deviendra un chanteur populaire français qui déclare en 2013 qu'il faut, en matière d'immigration, faire le tri entre les gens utiles et les autres [35]. "Non, je n'ai rien oublié" n'est pas sa devise politique mais le titre d'une de ses célèbres chansons d'amour. Entre sa création en 1922 et sa disparition en 1945, le passeport spécial apatride est attribué à 450000 hominines. Ce ne sont évidemment pas les premiers cas d'apatridie, mais ce passeport est la première reconnaissance internationale et tentative commune de gérer le sort des populations victimes de la géopolitique. Le terme même d'apatride fait son apparition dans la langue française dans le premier quart du XXème siècle. Le Larousse du XXe siècle en six volumes de 1928 ne le recense pas encore et le dictionnaire de l'Académie française ne le mentionne pas dans sa huitième édition de 1935. Il faut attendre la neuvième (non encore publiée) pour qu'il apparaisse et le Larousse du XXe siècle le liste dans son supplément, le volume 7 de 1953. Le volume trois de ce Larousse, daté de 1930, liste heimatlos un terme germanique composé de heimat signifiant "patrie" ou "pays natal" et du suffixe privatif los [36]. Il mentionne aussi heimatlosat, le synonyme d'apatridie. Au siècle précédent, les hominines sans attache nationale, régionale ou communale sont des heimatlos. Le terme est utilisé en France et en Suisse. Il a le sens d'apatride et aussi celui de "sans domicile fixe", de "sans abri". Selon le contexte, il qualifie autant les apatrides que les mendiants, les populations non sédentaires et différentes communautés marginales. D'après le Dictionnaire historique de la Suisse, "à l'origine du statut de heimatlos, il y avait les lois et les pratiques juridiques, mais aussi diverses normes pénales. La réglementation confessionnelle, notamment, priva les convertis de leurs droits d'origine jusqu'au début du XIXe s. De plus, de nombreuses communes refusaient de reconnaître leurs ressortissants pauvres si, errants ou travailleurs itinérants, ils avaient été longtemps absents." [37] Cousine proche de la France, en Suisse "l'attitude des autorités et des sédentaires envers les heimatlos et les errants alterna entre oppression et assistance, exclusion et intégration forcée ou assimilation." Pour les allergiques à la patrie, heimatlos n'est pas péjoratif. Selon l'écrivain et futur académicien Jean Guéhenno, "un intellectuel est une sorte d'heimatlos, et c'est n'avoir plus de patrie que d'avoir sa patrie au ciel des idées." [38] Profondément marqué par la première guerre dite mondiale où le patriotisme exacerbé des pays européens a mis le continent à feu et à sang, il professe dès lors une approche pacifiste et livre son bilan au bord de l'amer :
Apatri-DeuxHeimatlos et autres apatrides ont mauvaise réputation. Au mieux. Au pire, illes sont responsables de tous les maux de la planète. Dans une bouche prudente, l'apatride est toujours à regarder avec méfiance. "Et s'ille était juif ?" se demandent les adeptes des jeux de maux. Alors que les plus réactionnaires savent très bien que "ille doit être manouche !" Le vendeur de sac à vomi le dit. Celleux qui ne se prononcent pas pensent que ce sont un peu les mêmes. Difficile de les différencier. Utiliser apatride en insulte c'est faire la démonstration savante que, pour des racistes ordinaires, finalement les "juifs sont des manouches qui ont réussi" ou que "les manouches sont des juifs à caravane". Bref, qu'il y a toutes les raisons de leur faire porter la responsabilité de tous les malheurs du monde. Passés, présents et futurs. L'insulte apatride a son heure de gloire lors de la dernière en date des grandes vagues de persécutions à l'encontre des populations moïsiennes. Les hitléristes et leurs homologues en raffolaient. Le procédé est simple. Il suffit de priver, administrativement, historiquement et politiquement, une personne ou un groupe d'hominines d'affiliation à une quelconque patrie afin de pouvoir leur reprocher d'être apatrides. L'idée que l'apatridie soit une condition peu enviable, une malédiction, se retrouve dans l'imaginaire moïsien. L'errance et l'exil sont des symboles très présents dans la mythologie moïsienne. Les plus philosophes y voient une preuve — de quoi ? — et les plus extrémistes s'inventent des raisons de les détester et détournent à leur profit le célèbre slogan végétarien : "Myth is murder" [40]. Pour les "gens du voyages", les nomades, les tziganes et autres gitaneries, le refus de la sédentarisation n'est pas une affirmation apatride mais un mode de vie à défendre. Que ce soit pour les populations moïsiennes ou les pseudo-apatrides de tous poils, l'accusation d'apatridie est simplement une stigmatisation. Personne ne cherche à s'affirmer fièrement apatride, mais dans une bouche accusatrice, ceci n'est que du simple déni. Apa-TriApatristeNotes
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