Fanny Kaplan
Fanny Kaplan (Фани Каплан en macédonien - Fanì Kaplan en nissard) Hominine de la lignée des protivotsariens.
SommaireConfins lodomériensLorsque la République des Deux Nations — la Pologne et le duché de Lituanie[1] — se disloque sous les coups de boutoir de la Russie, de l'Autriche et de la Prusse à la fin du XVIIIème siècle après JCⒸ[2], ses fragments sont intégrés dans ces empires régionaux. La Russie étend son territoire vers l'ouest et incorpore de fait les différentes populations qui s'y trouvent. Celles-ci sont essentiellement des slavophones — polonais et petit-russes (ukrainiens) — et des germanophones — allemands et yiddish[3] — généralement adeptes des religions christiennes[4], à l'exception des yiddishophones moïsiens[4]. Alors que jusqu'ici les hominines moïsiens étaient peu nombreux dans l'empire russe, cantonnés dans quelques villes, illes deviennent de fait une part importante de la population de ce nouveau "far west" grand-russe et représentent environ 5 millions de personnes, soit la plus grande concentration de moïsiens en Europe. S'y ajoutent aussi les populations yiddish de Galicie et de Moldavie, dont les parties orientales sont intégrées à la Russie. Afin de limiter l'implantation de moïsiens sur tout le territoire russe, les autorités tsaristes créent en 1791 la "Zone de résidence"[5] dans laquelle illes sont contraints de vivre. Interdiction est faite pour elleux de s'installer dans les grands centres urbains de la zone de résidence, tel Kiev, Yalta ou Sebastopol, et seules Odessa et Chisinau (Kichinev) leur sont permises. Seules de rares exceptions sont autorisées. Dans l'ensemble de la zone, les violences sporadiques à l'encontre des moïsiens se soldent par la destruction de villages, l'expulsion d'hominines ou leur mise à mort lors de lynchages collectifs. Le niveau de violence physique et les dégâts matériels sont tels que le terme russe pogrom[6] "piller" devient le synonyme internationalement utilisé pour nommer les violences à l'encontre des moïsiens, mâles ou femelles. Quelques décennies avant goulag[7], de multiples langues empruntent à la langue russe son imaginaire répressif. Les raisons exactes de ces déchaînements violents sont floues, elles puisent dans l'imaginaire christien qui reproche aux moïsiens de ne pas être christiens et leur attribue tous les malheurs du monde. Pour autant, cette haine contre les moïsiens n'est pas l'apanage de la Russie, car l’antisémitisme[8] est un fumier prospère dans l'ensemble des mondes christiens et mahométiens[4]. Les lois de mai 1882 stipulent que les moïsiens doivent quitter les zones rurales et les villes de moins de 10000 habitants. Des quotas restrictifs sont mis en place pour l'accès aux études secondaires et universitaires, et à certaines professions. Il leur est interdit de voter ou de se présenter à des élections communales. Dans ce contexte, les pogroms anti-moïsiens s'intensifient entre 1881 et 1884 au sud de la Zone lors desquels des villages sont détruits et des milliers de personnes assassinées. La ségrégation, les violences et la misère pousseront plus d'un million et demi de moïsiens de la Zone à chercher refuge aux États-Unis d'Amérique et, dans une moindre mesure, en Argentine pendant les décennies suivantes. Après avoir été intégrée au royaume de Pologne, puis disputée entre celui-ci et le royaume de Lituanie, la principauté de Lodomérie[9] est finalement absorbée lors de l'union des deux royaumes à la fin du XVIème siècle. Jusqu'en 1797 le territoire de l'ancienne principauté est une province de cette République des Deux Nations, avant de passer sous domination russe. Située dans le nord-ouest de l'actuelle Ukraine[10], la région est une vaste zone plate et boisée, parsemées de marécages. Elle est alors peuplée d'un peu plus de 2 millions d'hominines dont environ 70% sont des slavophones petit-russes et christiens, 15% de yiddishophones moïsiens, 6% de slavophones polonais et 5% de germanophones, christiens elleux-aussi. Les centres urbains les plus importants sont Kovel, Loutsk, Rivne ou encore Volodymyr — dont la province tire son nom — pour n'en citer que quelques-uns. Avec plus de 40000 hominines mâles et femelles, Kovel est la plus grande d'entre elles. Dès son intégration dans la Russie, la ville est raccordée à l'immense réseau ferré qui se monte progressivement entre les régions de l'empire. Elle devient le nœud ferroviaire du nord-ouest ukrainien d'où partent six lignes, la connectant ainsi directement à Lublin et Varsovie en Pologne, vers le nord, et au réseau ferré vers le sud jusqu'à la mer Noire. Feïga Haïmovna Roïtblat naît dans un village de la région de Kovel dans une famille de moïsiens pratiquants composée de son père Haïm Roïtblat, professeur dans une école, de sa mère dont on ne connaît pas le nom, de quatre frères et trois sœurs. Sa date de naissance n'est pas certaine. La plupart de sources mentionnent 1890, mais selon le journal anarchiste Burevestnik[11] elle est née en 1887. Ce que confirment deux autres sources[12]. À part ces quelques détails biographiques, rien n'est connu de sa jeunesse. Conglomérat antitsarienL'empire tsariste doit faire face à de très fortes contestations sociales et politiques. L'absolutisme du tsar, le servage et la misère paysanne ou les conditions de travail dans le monde ouvrier urbain sont autant de point d'accroche pour, au minimum, revendiquer plus de droits ou pour réclamer un changement de régime politique. La seconde moitié du XIXème siècle est une période d'effervescence révolutionnaire[13] qui culmine le 13 mars 1881 avec l'assassinat du tsar Alexandre II par le groupe Народная воля (Volonté du Peuple)[14]. Malgré la féroce répression et de timides tentatives de réformes, les oppositions au pouvoir tsariste se structurent autour de différents choix tactiques et approches théoriques qui se diffusent plus largement parmi la population. D'un côté les marxistes[15], de l'autre les socialistes révolutionnaires et les anarchistes. Si les premiers ne suscitent aucun intérêt protivophile, les deux autres tendances du mouvement révolutionnaire en Russie offrent des réflexions plus complexes sur les critiques et les méthodes de lutte contre le pouvoir en place ainsi que sur leurs visions même du pouvoir. Pour autant, les esseristes — adeptes du socialisme révolutionnaire — et les anarchistes divergent sur de nombreux points. Héritiers de la Volonté du Peuple et du mouvement narodniki[16], les socialistes révolutionnaires s'organisent à partir de 1901 en parti politique structuré — le Parti socialiste révolutionnaire (SR) — afin, selon elleux, de contribuer au soulèvement du plus grand nombre — les paysans —, et se dotent d'une cellule clandestine chargée de commettre des attentats contre des figures du régime tsariste[17]. Conformément à leur refus de centralisation, les anarchistes créent plutôt de nombreux groupes autonomes les uns des autres qui agissent indépendamment sur le territoire de l'empire russe, non pas pour prendre le pouvoir mais pour le renverser. Comme les esseristes, les anarchistes sont très présents dans les villes et les usines de l'ouest de la Russie, et participent à l'agitation sociale grandissante. Les réformes proposées par les autorités tsaristes ne répondent pas aux revendications sociales et les manifestations ouvrières et les grèves sont bien souvent réprimées par l'armée. Même s'illes divergent sur leurs théories politiques, esseristes et anarchistes se retrouvent sur leur volonté de voir aboutir au plus vite le renversement du régime tsariste et l'instauration immédiate d'un pouvoir révolutionnaire — contrairement aux autres tendances révolutionnaires qui veulent tempérer ces aspirations — mais aussi dans leurs pratiques. Pour faire face à la répression il est nécessaire de s'organiser dans la clandestinité pour imprimer journaux et tracts, et les actions armées contre les représentants du pouvoir central ou du patronat, qu'il faut financer par l'argent de braquages. Rapidement, de par ses choix tactiques, le Parti socialiste révolutionnaire est confronté à des dissensions internes qui poussent une partie de ses militants, mâles et femelles, à se rapprocher des anarchistes. Sporadiquement des groupes anarchistes et esseristes organisent ensemble des braquages, des tentatives de libération de prisonniers, des assassinats politiques ou des actions armées. Entre 1900 et 1905, les grèves et les contestations sociales ne cessent de prendre de l'ampleur dans les régions de l'empire. Les revendications portent sur l'amélioration des conditions de travail, l'augmentation des salaires et la libre-organisation en "syndicats". Que ce soit lors des révoltes ouvrières dans les centres urbains ou des soulèvements paysans dans les campagnes russes, la réponse violente des autorités cause des milliers de morts et blessés. La répression contre ces hominines en colère est le fait de l'armée régulière, de détachements cosaques ou de milices nationalistes. Entre 1903 et 1906 les pogroms reprennent de plus belle dans la Zone de résidence, faisant des milliers de morts et forçant des moïsiens à fuir à l'étranger pour échapper à la mort. L'année 1905 marque un tournant dans les luttes sociales et les contestations politiques vis-à-vis du pouvoir central. La répression sanglante d'une manifestation ouvrière à Saint-Pétersbourg le 22 janvier est le facteur déclenchant de multiples grèves, révoltes et manifestations à travers l'empire jusqu'en octobre, évènement généralement appelé "Révolution de 1905". Les groupes esseristes et anarchistes redoublent d'activité en cette année de révolte généralisée[18]. La lutte contre le tsarisme s'intensifie. Au cours de cette année, Feïga Roïtblat se rapproche des anarchistes de Kiev et d'Odessa. Elle rencontre[19] Viktor Garski[20] et rejoint le Groupe des anarchistes-communistes du Sud dans lequel il est déjà actif. Elle opte alors pour le surnom de Dora. Comme le font le Groupe des Ouvriers Anarchistes-Communistes d'Ekaterinoslav[21] et les anarchistes bestmotivni[22] du nord-ouest de la Russie, les anarchistes-communistes du sud s'organisent clandestinement pour trouver de l'argent nécessaire au financement de leurs activités de propagande et de leurs actions armées. En parallèle de la publication de journaux, ces différents groupes sont favorables au "terrorisme économique" et prônent l'assassinat d'industriels, de contre-maîtres, de politiciens, de délateurs ou d'espions infiltrés dans leurs rangs. Esseristes et anarchistes ne se contentent pas de lancer leurs offensives par les mots et les armes, illes tentent aussi de répondre à la répression qui envoient leurs proches en prison ou les tuent lors de tentatives d'arrestations. La lutte est acharnée et sanglante. L'apparition du premier conseil local — soviet en russe — lors des révoltes de 1905 fait tâche d'huile à travers l'empire. Des soviets s'organisent dans des usines et des quartiers, mais aussi dans des villages paysans ou parmi les hominines servant dans l'armée, afin de mener les luttes de manière autonome. Tout en soutenant les soviets, les différents groupes anarchistes clandestins prônent la continuation des actions armées pour intensifier la fragilisation de l’État, alors que les esseristes préfèrent plutôt miser sur les soviets qu'illes imaginent être l'embryon d'un futur État révolutionnaire. Les dissensions internes au Parti socialiste révolutionnaire sur ces questions tactiques aboutissent à la naissance de l’Union des socialistes révolutionnaires maximalistes. Proches des anarchistes sur leur volonté de continuer à attaquer les structures et les personnalités liées à l'empire, ces maximalistes n'en restent pas moins des socialistes révolutionnaires pour qui l’État ne doit pas être détruit mais utilisé à des fins révolutionnaires. Moins narodniki — populistes — que le Parti socialiste révolutionnaire, les maximalistes se voient en petit groupe clandestin agissant. Quelques braquages, quelques tentatives de libération et plusieurs attentats contre des bâtiments ou des hominines sont menés par des groupes mixtes d'anarchistes, parfois ex-esseristes, et de maximalistes[23]. En réponse aux pogroms, quelques pogromistes et responsables militaires sont assassinés[24]. Impossible de savoir quelles sont les activités de Feïga Roïtblat en cette année 1905. Il est parfois fait mention d'une hypothétique participation au braquage d'un magasin d'habillement à Kichinev (Chisinau - Moldavie) le 7 décembre 1905 avec un groupe d'anarchistes, dont Viktor Garski. Horizons sibériensAvec des passeports au nom de Feïga Kaplan, née à Kiev, et de Tom Zelman, de nationalité roumaine, Feïga Roïtblat et Viktor Garski louent le 18 décembre 1906 une chambre au troisième étage d'un hôtel de Kiev dans la rue Volintskaïa dans le quartier moïsien de Podol. Certaines sources précisent que le passeport de Feïga Roïtblat est celui d'une amie de Kiev, d'autres[12] disent qu'il est possible qu'elle est changée de nom à la suite de son mariage avec Max Kaplan[25]. Il y a effectivement une "tradition" révolutionnaire d'utiliser parfois le mariage pour fuir l'environnement familial ou déjouer un temps la surveillance policière. Avec Samuel Beylin[26] et quelques autres anarchistes, le petit groupe se prépare à tuer Vladimir Soukhomlinov le gouverneur général de Kiev, de Podolie et de Lodomérie, pour se venger d'arrestations récentes contre des anarchistes de Kiev. Malheureusement, le 22 décembre, alors qu'illes sont en train de réaliser l'engin explosif, celui-ci explose dans la chambre. À l'exception de Feïga Roïtblat, incapable de fuir à cause de ses blessures, les autres parviennent à s'enfuir avec des blessures plus légères. Un pistolet lui est laissé, peut-être pour lui donner la possibilité de se tuer plutôt que d'être arrêtée. Incapable de bouger et gravement touchée aux yeux, elle est finalement arrêtée. Laissée pour morte par ses complices en fuite, celle qui est dorénavant connue sous le nom de Fania Kaplan[27] – avec l'équivalence du prénom christien[28] — est jugée et condamnée à la prison à mort pour la mort d'une femme de ménage de l'hôtel. Elle refuse évidemment de dénoncer ses compagnons. En raison de sa minorité, sa sentence est commuée en prison à vie dans un camp d'internement sibérien. Presque aveugle et encore sous le coup de ses blessures aux jambes, elle est envoyée dans un premier temps à la prison d'Odessa, en attendant avec d'autres anarchistes son transfert vers des horizons sibériens. En décembre 1907, elle est au camp d'internement de Nerchinsk[29] en Sibérie dans la prison de Maltsev réservée aux hominines femelles. Elle y reste quatre années et y côtoie d'autres anarchistes, des démocrates et des socialistes révolutionnaires qui représentent près de la moitié des 60 prisonnières. Les premières années d'enfermement sont difficiles car elle souffre encore de ses blessures, de graves maux de tête et sa vue ne revient pas. Elle tente même de mettre fin à ses jours mais est prise en charge par les autres prisonnières. Les prisonnières s'organisent collectivement pour la nourriture, pour échanger des livres ou faire des discussions. Alors qu'il vient de se faire arrêter lors d'un braquage, et condamné à 12 années de prison, Viktor Garski apprend en mai 1908 que Feïga Roïtblat a survécu. Il envoie une lettre au ministère de la justice à Moscou dans laquelle il tente de la disculper en s'attribuant la responsabilité de l'explosion de décembre 1906. Elle reste sans suite[18]. En 1909, Feïga Roïtblat / Fania Kaplan semble aller mieux mais reste quasi aveugle. Elle apprend le braille et regagne petit à petit de l'autonomie selon son amie Tarasova[30]. Elle est transférée en 1912 à Akatui, une autre prison de Nerchinsk où elle rencontre la socialiste révolutionnaire Maria Spiridonovna. Selon ce que rapporte l'historien Semion Lyandres, Fania Kaplan se considère alors, selon ses propres mots, "socialiste sans affiliation particulière à un parti"[12]. Est-ce à dire anarchiste ? La confusion est possible car dans le mouvement révolutionnaire, socialiste et anarchiste sont parfois utilisés comme des synonymes. L’ambiguïté demeure. Ses pupilles réagissant de nouveau à la lumière, en août 1912, un docteur de la prison obtient du gouverneur militaire de la région l'autorisation de transférer Fania Kaplan vers l'hôpital de Tchita, dans le sud-est de la Sibérie, près du lac Baïkal, pour qu'elle soit opérée. En 1913, elle est envoyée à l'hôpital d'Irkoustk pour recevoir un traitement complémentaire post-opératoire. Celui-ci terminé, elle retourne à la prison d'Akatui. Sa peine est commuée en 20 ans de prison à l'occasion d'une amnistie générale décrétée par le tsar[18]. Après le renversement du tsar par un conglomérat antitsarien de marxistes, de socialistes révolutionnaires et d'anarchistes en février 1917, toutes les prisonniers, mâles et femelles, sont libérés. Avec les autres prisonnières, elle est envoyé à Tchita dans l'attente d'un retour organisé vers la Russie occidentale. Feïga Roïtblat / Fania Kaplan arrive à Moscou en avril 1917. Elle s'installe dans un appartement avec Anna Pigit[31] et y vit environ un mois avant de partir en Crimée suivre un traitement pour sa vue dans un hôpital dédié aux anciens "prisonniers politiques". Lors de son séjour criméen, elle participe à des cours pour ouvriers. Après deux mois tchernomoriens, elle part pour Kharkov afin d'être à nouveau opérée. C'est à cette occasion qu'elle revoie Viktor Garski mais les retrouvailles ne sont pas heureuses car depuis leur dernière rencontre en 1906, l'anarchiste est devenu bolcheviste, la pire espèce des marxistes. Celleux-là même qui font un coup d'Etat en octobre 1917 pour être les uniques meneurs de la révolution de février. Les soviets sont vidés de leur substance et accaparés par les nouveaux maîtres, place au soviétisme. Les bolchevistes sont soutenus par le Parti socialiste révolutionnaire qui explose entre, pour reprendre leur terminologie, les esseristes de gauche et de droite, les premiers, majoritaires, soutenant les bolchevistes dans le coup de force d'octobre, les autres le refusant. Les anarchistes sont aussi divisés sur ce qu'il faut penser et attendre de cette reprise en main des soviets. Des choix douloureux se font parmi les anarchistes. Geste protivotsarienNotes
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