Sabbataïsme
Sabbataïsme. Mouvement moïsien [1] insufflé par Sabbatai Tsevi dans l'est de l'Europe au cours du 55ème siècle (XVIIème après JCⒸ [2])
SommaireMoïsien ?Au sens strict, moïsien se rapporte à celleux qui se réfère à Moïse dans l'élaboration de leurs mythologies et croyances. Celui-ci est un personnage mythique des écrits romanesques religieux, et selon ces derniers, Moïse, après une enfance difficile et une vie pleine de péripéties, parvint à discuter avec un dieu qui lui édicte la bonne conduite à suivre [3]. Sous peine de mort pour lui et les autres hominines qui l'entourent. Les légendes rapportent qu'il vécut 120 années et qu'il ne reçu l'illumination qu'à l'âge de 80. Aucune preuve archéologique ne vient étayer une quelconque réalité historique de cet hominine. Pas plus que pour le dieu de cette histoire, d'ailleurs. Qu'il fut un hominine réel, mythifié par la suite, ou un pur personnage de fiction, n'enlève rien à la complexité d'écrire l'histoire des différentes mythologies religieuses qui se construisent dans la partie orientale de la mer Méditerranée. Sur la route de l'Afrique pour qui veut en sortir, la région que les francophones nomment de nos jours Proche-Orient et les anglophones Moyen-Orient est un lieu très ancien d'implantation d'hominines. Passage incontournable, cet espace géographique a vu l'épanouissement de plusieurs "civilisations" d'hominines dont les historiens ont gardé trace : Phénicie, Akkad, Sumer, Babylone, Ougarit, l'Égypte pharaonique et quelques autres encore. Des villes furent fondées, des écritures inventées, des administrations installées, des armées instaurées et des routes commerciales établies. En parallèle des mythologies se structurent par l'intermédiaire de récits légendaires, d'épopées guerrières et de panthéons divins. Des temples sont érigés et des sortes d'autorités cléricales s'arrogent le monopole de l'invention religieuse. Même s'il garde la main-mise, le pouvoir politique se confond en grande partie avec le religieux. Par "civilisations", il faut comprendre plutôt un système de cités-États qui, par la guerre, la diplomatie, le commerce ou l'intrigue, parviennent à agglomérer à elles de petits royaumes alentours ou des zones quasi-inhabitées. Elles exercent leur autorité politique et militaire sur des territoires bien plus vastes qu'elles. Les heurts, les antagonismes et les convoitises entre elles font qu'elles se défont, se mélangent, se succèdent et, parfois, disparaissent. Abstraction faite des massacres de populations lors des guerres, ce ne sont pas les hominines qui disparaissent mais plutôt la structure administrative qui les contraignait. La cité-État s'effondre mais sa population d'hominines demeure. Enfin, elle fait ce qu'elle peut. Elle reste sur place et tombe sous la coupe d'un nouveau pouvoir politique (royaume ou cité-État), elle est parfois déportée vers d'autres régions ou choisit de migrer "volontairement" vers un ailleurs plus incertain.S'illes ne sont pas les inventeurs de la macédoine — beaucoup plus ancienne — les hominines de la vaste zone "proche-orientale" peuvent être considérés, à juste titre, comme des précurseurs dans le domaine du mille-feuille. Le brassage des hominines, de leurs coutumes et de leurs pratiques linguistiques, de leurs croyances et de leurs histoires sont la crème qui lie ensemble un enchevêtrement désordonné de couches que forment l'écriture de l'histoire par les pouvoirs politiques et religieux. Le baklava en est une parfaite image. Les recettes de ce mille-feuille sont multiples. Dans cette Asie méditerranéenne, les idées circulent et s’entremêlent. C'est dans ce contexte qu'il faut situer l'apparition des premiers hominines se réclamant de Moïse. Sa légende puise dans les mythologies [4] de ces cités-États et dans des versions remaniées de croyances populaires. Même si quelques cultes monothéistes se distinguent, le polythéisme est une approche religieuse alors très répandue dans la région. Les personnages et les scénarios de toutes ces divagations sont souvent tragiques et sanglants. L'imagination n'a pas de limite.
Vers le 29ème siècle (IX av. JCⒸ), deux petits royaumes se forment sur la côte méditerranéenne. Ils voisinent d'autres royaumes situés plus à l'est et dans les terres. Ces deux royaumes se structurent séparément, avec leurs propres dynasties et leurs hominines en armes. Les croyances qui s'y mettent en place se concentrent sur la figure du mythique Moïse et sur la présence d'un dieu unique. Dans un premier temps ce dernier a une homologue femelle, mais elle disparaît finalement du roman. Le monothéisme n'est pas encore total et il existe plusieurs façons de nommer cette divinité masculine. Le royaume de Samarie est intégré à l'empire assyrien dans le courant du 30ème siècle (VIIIème av. JCⒸ), une partie de sa population se réfugie en Judée et la plupart des dignitaires sont déportés dans des régions de l'empire. Par la suite, Babylone prend le contrôle de l'espace samarien. Le royaume de Judée, vassal des assyriens, est détruit par les babyloniens au 32ème siècle (VIème av. JCⒸ) lors de la guerre qu'ils mènent à l’Égypte. Là encore, les dignitaires religieux et politiques sont exilés avec une partie de la population. Lors de l'existence de ces deux royaumes moïsiens les conceptions religieuses et rituelles sont peaufinées, un nouvel alphabet dérivé du phénicien apparaît et un corpus théologique se dégage. Le monothéisme est devenu absolu. Les exils sont des lieux d'écriture. Le roman moïsien se rédige, les principaux mythes prennent forme et la saga du dieu unique s'étoffe dans ce nouveau scénario. Le renversement de Babylone et l'arrivée de l'empire perse est une nouvelle donne pour les moïsiens exilés et celleux restés sur place. Un district judéen est instauré sur les ruines de l'ancien royaume de Judée et les exilés autorisés à revenir. Il est périlleux de s'aventurer dans l'histoire des royaumes de Judée et de Samarie car les seules sources sont des écrits religieux. Que ce soit par l'étude des documents existants ou lors de travaux archéologiques, il n'a pas été possible de confirmer ce qui est raconté dans ces récits mythologiques [6]. Leur contenu est essentiellement construit autour de la justification divine à un pouvoir politique présent. Le récit de la Torah est censé être sa profondeur historique, un roman épique. Le but semble être de lui donner ainsi une légitimité auprès des hominines des deux royaumes. Le pouvoir se partage entre une dynastie régnante, des assemblées de spécialistes de la mythologie judéo-moïsienne et des prêtres chargés des rituels. Les sources croisées mettent en avant un surdimensionnement dans le récit. Par exemple l'importance donnée à Jérusalem [7] — située à environ 2780 kilomètres de Nice et 1600 de la Macédoine — qui n'est pas sur les routes de commerce et n'est pas un grand centre urbain, ou les affirmations sur la puissance régionale des deux royaumes qui sont à relativiser.
Lors de la période de ces deux royaumes, leurs croyances sont partagées même si elles diffèrent quelque peu. Les choses se compliquent après le retour d'exil. L'écriture du Tanakh ne fait pas l'unanimité parmi les adeptes des lois de Moïse. Ce recueil de textes comprend la Torah (Pentateuque) contenant cinq livres, les Nevi'im (Les prophètes) huit, et les Ketouvim (Écrits) onze. La Torah reprend le mythe de Moïse à partir duquel est ajouté une chronologie fictive entre la création du monde par la divinité solitaire quelques millénaires plus tôt et la "naissance" de son principal prophète. Les deux écrits suivants sont une justification de la légitimité des royaumes de Judée et de Samarie. Ils inscrivent les dynasties régnantes dans le prolongement de Moïse et créent ainsi une filiation mythique. Les moïsiens se divisent sur le sujet. D'une part les moïso-samariens, de l'autre les judéo-moïsiens. Les premiers rejettent la centralité de Jérusalem, capitale du royaume de Juda, et les écrits autres que ceux de la Torah, alors que les seconds les accusent d'être en fait des colons assyriens et de n'avoir aucune légitimité spirituelle ou politique. Les moïso-samariens et les judéo-moïsiens s'affrontent sur ces questions et cette lutte, parfois violente [9], se solde par l'émergence de deux courants religieux distincts. Les uns développent une mythologie spécifique et mettent en place le samaritanisme et les seconds le judaïsme. Le samaritanisme s'enracine parmi les hominines vivant sur le territoire de l'ex-royaume de Samarie et le judaïsme fait souche dans les communautés exilées réinstallées autour de Jérusalem. Le samaritanisme, en tant que religion, perdure encore à notre époque. Il a été progressivement dissout par l'histoire des hominines de la région aux cours des siècles et n'a pu résister aux conversions de ses adeptes vers de nouvelles religions, celles des christiens ou des mahométiens par exemple, ni n'est parvenu à obtenir une autonomie politique suffisante pour se faire entendre. En 5780 (2020 ap. JCⒸ) environ 800 personnes sont recensées en Israël où elles sont reconnues juives — c'est à dire adeptes du judaïsme alors qu'elles ne s'en réclament pas — tout en bénéficiant d'une reconnaissance spécifique en tant que samaritains. Judéo-moïsienLe clivage judéo-samarien est tranchant. Les théologies et les rituels se font de plus en plus éloignés. Pointilleux. Plutôt qu'à Jérusalem, les samaritains installent leur lieu saint sur le Mont Gerizim [11] dans le nord de la Samarie. Dans des processus d'écriture qui s'étalent sur des siècles, les judéo-moïsiens se dotent d'une large littérature qui reprend les traditions orales et fixe des prescriptions morales et rituelles. Le plus ancien texte retrouvé à ce jour et contenant de larges pans de la Torah date du 35ème siècle (IIIème av. JCⒸ). Les communautés hiérosolymitaines — de Jérusalem — et de plusieurs centres urbains de l'empire compilent et forgent progressivement un corpus théologique. Dans les siècles qui précèdent le venue de l'entendeur de voix Jésus, les judéo-moïsiens produisent une foisonnante et diversifiée littérature romanesque. Il existe un grand nombre de courants différents dont les constructions théologiques et les rituels sont des nuances les uns des autres. De la fin 32ème à la fin du 34ème siècle (VIème à la fin du IVème av. JCⒸ) une communauté de moïsiens se développe en Égypte sur l'île Éléphantine. Ils y fondent un temple dont ils font le centre de leurs rituels et proclament que leur dieu se nomme YHW et non YHWH comme le croient les judéo-moïsiens du temple de Jérusalem. Un texte parvenu jusqu'à nos jours, décrit des traditions et des interdits différents, notamment les mariages avec des non-moïsiens qui ne sont pas proscrits [12]. Les guerres entre l’Égypte et la Perse détruisent cette communauté de moïsiens égyptiens. L'empire d'Alexandre de Macédoine s'implante dans toute la région, balayant sur son passage l’Égypte et l'empire achéménide. À sa mort en 3437 (323 av. JCⒸ), ses successeurs se partagent son royaume en quatre. Le sud de la côte orientale de la Méditerranée est intégrée à l’Égypte de la dynastie des Ptolémée iskandériens — de Alexandre. Le nord est réservé au royaume iskandérien des Séleucides. Pendant environ trois siècles, la production littéraire, c'est à dire philosophique, politique et théologique, des empires iskandériens imprègnent la région. Les législations et les décrets exercent une pression sociale sur les moïsiens judéo-samariens. Pour autant, illes bénéficient d'une liberté de culte et de se prévaloir de leurs propres lois. L'influence de la "culture hellénistique" est prégnante. Mais les influences sont réciproques. Si les textes des judéo-moïsiens s'écrivent parfois en langue grecque, que les philosophes antiques alimentent leurs réflexions, l'idée d'un monothéisme strict interroge les mythologies grecques et les textes eux-mêmes sont traduits. Loin des côtes, dans le Proche-Orient intérieur, les seuls monothéistes sont les zoroastriens [13]. C'est dans ce contexte qu'apparaît le terme de judaïsme en opposition à celui d'hellénisme, l'un proclame l'importance de maintenir les traditions et la mythologie moïsiennes, et l'autre réclame son hellénisation. Dans les décennies qui précèdent l'inspiré Jésus, l'empire romain prend pied dans la région. Elle en devient une province. Le pouvoir iskandérien se romanise et les moïsiens judéo-samariens se confrontent à la nouvelle autorité romaine [14]. D'après un historien du 40ème siècle (II ap. JCⒸ), les judéo-moïsiens du 37ème siècle (Ier siècle av JCⒸ) sont alors une myriade de courants dont les plus importants sont les pharisiens, populaires et défenseurs d'une tradition orale, les sadducéens, des prêtre proches du pouvoir, partisans d'une hellénisation et d'une lecture "moderne", les esséniens, des mystiques isolationnistes, ainsi que toute une somme de groupes plus marginaux qui pour certains pratiquent le baptême ou ne respectent pas telles ou telles préconisations de la loi de Moïse. D'autres encore appellent à un soulèvement. La plupart sont dans l'attente d'un messie annoncé par les textes.
Si les moïso-samariens et le samaritanisme sont demeurés une communauté et une religion que peu connaissent, les judéo-moïsiens et le judaïsme ont connu un essor bien au-delà de la seule Méditerranée orientale. Par un glissement qui monopolise la figure de Moïse, le judaïsme est défini comme la loi mosaïque. Et, paradoxalement, ses adeptes sont dorénavant qualifiés de "juifs" et non plus de "moïsiens". Par esprit de contradiction, la protivophilie fait sien ce dernier par lequel elle nomme les adeptes du judaïsme. Christo-moïsienSelon les judéo-moïsiens, la Torah est un livre écrit par Moïse et qui retranscrit directement les échanges courtois qu'il a eu avec sa divinité. "Si vous n'obéissez pas, vous serez détruits" a dit en substance cette divine et sympathique création mentale, pour finir de persuader son interlocuteur. Il est fait mention de 613 prescriptions dans ce texte. La Torah s'étoffe aussi d'une tradition orale qui l'accompagne et se transmet dans les communautés des différentes ville de l'empire où elles sont installées. La Torah ne mentionne que très peu, juste des allusions, l'arrivée de celui que l'on dit être le "messie. Les Nevi'im (Les prophètes) sont plus prolixes sur le sujet. Selon le Livre d'Esaïe, un hominine mâle, descendant de la dynastie royale des anciens royaumes de Judée et de Samarie, et envoyé par la divinité, doit apparaître pour sauver l'ensemble des hominines. Évidemment, la date de son arrivée n'est pas précisée. Les avis divergent sur sa nature exacte et ses méthodes. La présence romaine en Méditerranée orientale attise les revendications sociales sur la baisse des impôts et les demandes de reconnaissance des cultes moïsiens. Elle agite aussi des communautés qui trépignent d'impatience de la venue messianique. De nouvelles interprétations des traditions religieuses voient même en Rome l'un des facteurs déclencheur de la fin du monde annoncée dans les textes, l'apocalypse. Les pharisiens s’accommodent du nouveau pouvoir en place et n'apprécient guère les remous engendrés par ces attentes fiévreuses et les contestations de l'ordre politique établi. Hors des centres de la pensée religieuse judéo-moïsienne que sont Jérusalem et les communautés éparses de l'empire, se développent de petites communautés. Certaines vivent recluses, en ascète, d'autres sont prosélytes. Leurs messages se répand via quelques hominines qui se déclarent et sont reconnus par leurs pairs comme ayant un lien singulier à la religion, à sa mystique, à sa pratique, à ses interprétations, voire directement avec la mégalomane divinité. Dans les années 3790 (30), au nord de la Samarie, en Galilée, un jeune charpentier trentenaire nommé Yeshu se rapproche d'une communauté de judéo-moïsiens pratiquant le baptême [16] près du lac de Tibériade. Ici déjà commence le mythe de celui que la postérité nommera Jésus. Les informations disponibles dans les sources les plus anciennes sur sa biographie sont contradictoires, décalées chronologiquement. Aucune n'est contemporaine des faits qu'elles narrent. Les plus anciennes datent des environs de 3810 (50). Du point de vue de la méthode, s'appuyer sur les sources religieuses revient à s'appuyer sur les nombreux livres écrits sur lui et la somme de commentaires que cela a suscité pour démontrer dans plusieurs siècles que Harry Potter était un jeune magicien célèbre. L'archéologie n'a aucune miette de parchemin, ni aucune poussière de ruines pour affirmer que ce Jésus a été réel. Il n'en reste pas moins que des textes rédigés entre environ 3810 et 3860 (50 et 100) parle d'un Jésus que de nombreux hominines reconnaissent comme le messie attendu. Dans un premier temps, les hominines qui s'agglomèrent autour de lui sont des judéo-moïsiens, sensibles aux discours messianiques ou faisant parmi des plus pauvres. D'autres prétendants messies sont exécutés par le pouvoir romain. Le message de Jésus est alors en conformité avec les lois mosaïques, puis il introduit des réformes et révoque même des obligations rituelles, telles la circoncision ou l'interdiction de consommer de la viande porc. Les adeptes se recrutent ainsi dorénavant plus facilement parmi des hominines non-moïsiens. Malgré sa mise à mort par les romains, trois années après le début de son inspiration, Jésus est considéré ressuscité par ses adeptes. Mais nous sommes toujours sans nouvelles de lui. La littérature qui lui est consacrée par la suite fabrique un personnage de mythologie [17]. Elle lui prête des dons "surnaturels". Il est surnommé Le ChristⒸ, suivant un terme grec qui signifie messie. Dans ces récits il soigne des malades, marche sur l'eau, multiplie le pain, etc. Il est présenté comme ayant osé défier les autorités religieuses judéo-moïsiennes. Les quatre biographies les plus anciennes ne concordent pas entre elles. Loin de la moralité de son propos, de son refus du libertinage et des plaisirs charnels, on prête à tort à Jésus cette formule malheureuse.
De cette histoire qui s'invente dans les siècles qui suivent la prédication de Yeshu naît ce qu'il est communément appelé christianisme. Il se construit et prend son autonomie doctrinale d'avec les croyances et pratiques des judéo-moïsiens. Les adeptes post-mortem de Jésus ChristⒸ s'affirment être une religion nouvelle et leurs innovations les fait considérer comme telle par les judéo-moïsiens. Les frontières sont poreuses dans les premières décennies après le feu messie, mais dans des processus de distanciation, les textes vont s'acharner à marquer les différences. Les christo-moïsiens compilent toute une somme de textes récents et les ajoutent à la Torah plus ancienne pour en faire leur livre saint, La Bible. Les premiers christo-moïsiens se recrutent dans toutes les villes où des judéo-moïsiens sont installés, les premières communautés apparaissent à travers l'empire. Ce "christianisme" naissant n'est encore qu'une somme de petites communautés éparses géographiquement et doctrinalement, sans unité réelle. La séparation est actée mais la filiation perdure. Au même titre que les moïso-samariens et les judéo-moïsiens, les christo-moïsiens font partie des moïsiens pour leurs nombreux mythes communs. La divinité est aussi cruelle, le sort réservé aux hominines est des plus sombres et la responsabilité de ce non-choix leur est imputée. Néanmoins, comme le samaritanisme avant lui, le christianisme s'autonomise. La Bible deviendra un best-seller mondial et le nombre d'hominines qui se convertissent explosera à travers la planète au fil des siècles. La Torah reste la référence pour les judéo-moïsiens. Pour des raisons historiques qui dépassent le cadre de cet article, les législations modernes n'ont pas encore tranché [19] le cas de la Torah et de ses ajouts christiens. Malgré les incitations incestueuses et les viols [20], les massacres et les destructions dans la Torah, les appels au meurtre des mauvais croyants et à l'anéantissement total des hominines [21] dans La Bible, ces deux ouvrages ne sont toujours pas interdits par une quelconque censure. Même pas déconseillés aux enfants. Ni aux personnes sensibles.
Moïso-diasporienDans les décennies qui entourent la vie de Jésus, l'agitation messianique secoue encore les moïsiens — moïso-samariens et judéo-moïsiens — qui voient en leur sein quelques hominines se proclamer être le nouveau messie attendu. Le vrai. Les plus connus sont le judéo-moïsien Juda le Galiléen [23] et le moïso-samarien Simon le Sage [24]. Certains parviennent à s'entourer de plusieurs centaine d'adeptes. Ils revendiquent leur légitimité au trône des anciens royaumes de Judée et de Samarie, ou se posent en restaurateur ou continuateur de la "vraie" loi de Moïse. Ces revendications s'expriment dans un contexte de tensions entre les autorités impériales romaines et les autorités religieuses moïsiennes. La politique de Rome envers elles est faîte de lourds impôts, de contraintes administratives et de restrictions au bon déroulement des cultes moïsiens. Le mécontentement touche aussi les plus pauvres qui sont les plus exposés aux politiques impériales et à leurs conséquences sociales. La répression contre tous les mouvements moïsiens, qu'ils soient adeptes de Jésus ou non, est sévère. Rome ne fait pas dans la nuance religieuse. Ni dans la dentelle. Les arrestations, les lapidations et les mise à mort se multiplient. L'empire voit d'un mauvais œil ce qu'il estime être des remises en cause de leur présence dans cette région de la Méditerranée orientale. Face aux pressions constantes de Rome, en 3826 (66) une révolte de judéo-moïsiens se déclenche. La principale source sur cette période est le texte de l'historien Flavius Joseph, lui même protagoniste de cette révolte, intitulé Guerre des Juifs[25]. Au prétexte qu'un polythéiste soit venu faire un sacrifice d'oiseau juste devant le temple de Jérusalem, des affrontements opposent des judéo-moïsiens à des polythéistes dans les rues de la ville. Les insurgés parviennent à prendre la ville et contraindre à la fuite les autorités romaines. Les militaires romains ne sont pas en mesure de juguler la révolte qui s'étend hors des murs hiérosolymitains et s'implante dans différentes partie du territoire. La contre-offensive romaine en 3827 (67) reprend la Galilée, la Samarie et le nord de la Judée. Les discordes se font grandissantes entre les judéo-moïsiens sur le comportement à suivre face à cette situation. Les pharisiens, défenseurs d'un Torah écrite et d'une tradition orale adjointe, et les sadducéens, adeptes de la seule Torah, tergiversent. Faut-il négocier une paix et maintenir ainsi leur pouvoir local ou faut-il mieux continuer à se battre pour obtenir l'indépendance des anciens royaumes de Judée et de Samarie ? Un autre courant judéo-moïsien, les zélotes [26], tranchent la question. En 3828 (68) ils prennent le contrôle de Jérusalem en renversant les autorités judéo-moïsiennes du Sanhédrin, le conseil des sages chargé de l'application des lois de Moïse. Des prêtres du temple et des notables sont tués. Malgré la résistance des judéo-moïsiens, les armées romaines avancent inéluctablement. Jérusalem et quelques forteresses de Judée parviennent à tenir à distance leurs assaillants. En 3830 (70), après un siège et de nombreux combats, Jérusalem est prise par les romains et le temple des judéo-moïsiens est rasé. Le seul vestige encore existant de nos jours est le "Mur des Lamentations" [28] au pied du mont qui abritait le temple. Les dernières forteresses résistantes sont finalement réduites en cendres. Hérodion en 3831 (71), Macheronte en 3832 (72) et Massada [29] l'année suivante. Des milliers de judéo-moïsiens perdent la vie lors de cette guerre. Tout autant sont déportés dans des villes de l'empire romain, parfois mis en esclavage. Les prêtes et les autres dignitaires judéo-moïsiens sont très largement décimés, lors des combats ou lors de leur renversement par les zélotes. La plupart des courants judéo-moïsiens disparaissent ou sont très largement affaiblis. Les dynasties royales de Samarie et de Judée, ainsi que les castes de religieux qui les légitiment, perdent totalement leur autorité sur ces territoires. Du fait des installations volontaires ou des déportations vers les villes des empires, le plus gros de la communauté des judéo-moïsiens se trouve à l'extérieur de Judée et de Samarie. Les plus importantes sont à Babylone et à Rome. La dispersion des judéo-moïsiens, aussi appelé diaspora, est plus un mythe qu'une réalité historique. Aucun texte ni aucune trace archéologique ne viennent la confirmer. La présence de nombreuses communautés sur le pourtour méditerranéen s'explique plus par les conversions de population locales d'hominines, par une dispersion des mythologies moïsiennes, que par l'implantation d'hominines en provenance des anciens royaumes de Samarie et de Judée[30]. Les romains ne savent pas encore discerner clairement qui est quoi dans la myriade des moïsiens. Parmi les christo-moïsiens la chose est complexe. Certains souhaitent conserver les rites liés aux judéo-moïsiens [31] tout en reconnaissant la messianité de Jésus alors que d'autres insistent sur les réformes afin d'intégrer et de convertir plus facilement les polythéistes et autres païens. Cette querelle n'est que le début d'une production littéraire gigantesque, sur des siècles, autour de la question de la nature exacte de ce Jésus. Simple hominine ou portion divine ? L'aspect ennuyeux de ces textes l'emporte sur le comique de la chose. Pour les judéo-moïsiens et les moïso-samariens la réponse est simple. Il n'est qu'un imposteur. Un de plus qui se prétend être le nouveau messie [32]. Rien de plus. C'est dans cette situation de diaspora que vont se structurer les judéo-moïsiens et les christo-moïsiens pour devenir deux religions distinctes : le judaïsme et le christianisme. L'un s'acharne à maintenir un lien mythique avec son héritage moïsien et le souvenir des anciennes dynasties de Samarie et de Judée alors que l'autre fait tout pour l'atténuer. L'un prône une spécificité moïsienne là ou l'autre appelle à convertir tous les hominines. Tout deux ne sont dorénavant plus des mythologies liées réellement à une communauté particulière d'hominines d'une région donnée mais des religions qui n'ont plus la nécessité d'avoir un territoire pour exister. Pour se justifier. Le roman national établi méticuleusement par les moïsiens est maintenant au rayon "Spiritualités & Bien-Être". Étrangement les christo-moïsiens, face à la répression qu'illes subissent dans leur évangélisation, optent pour ne pas prendre les armes et préfèrent une sorte de désobéissance civile pour faire reconnaître une liberté de culte à leur encontre. Parmi les judéo-moïsiens il n'en est pas de même. Plusieurs révoltes sont menées pas des groupes armés en Judée et dans d'autres régions de l'empire romain [33]. Ils réclament au minimum la liberté de culte et au maximum la restauration des anciens royaumes. La contestation sociale contre le poids des impôts se mêle à des revendications de restauration dynastique. En diaspora, la concurrence est sévère entre d'une part les judéo-moïsiens et de l'autre les christo-moïsiens qui cherchent toujours à les convertir. Entre le 40ème et le 42ème siècle (II et IV) la situation va considérablement évoluée au profit des adeptes de Jésus qui se voient reconnus religion d’État par l'empire romain. Ne représentant qu'une infime minorité des hominines de l'empire, illes vont parvenir à convertir progressivement nombre d'entre elleux. Dans cette période, le christianisme naissant structure ses nouveaux dogmes, donne forme au personnage Jésus et fixe les textes, quand au judaïsme il tente de reconstruire un ensemble cohérent de rituels et de mythologies, ainsi qu'une lecture des textes anciens. Les débats vont être longs.
Moïso-moïsienLorsque existaient encore les royaumes de Samarie et de Judée, différents processus d'intégration sont alors mis en place. Ils permettent de faire de païens et de polythéistes des résidant des royaumes judéo-moïsiens afin qu'illes puissent y travailler ou y résider, les gerim. Il n'est pas nécessaire d'opter pour les mythologies moïsiennes, ni de subir une mutilation génitale pour les hominines mâles désirant se joindre à ces communautés politico-religieuses. Dans le cadre des frontières judéo-samariennes, nous sommes dans des mécanismes de "naturalisations" partielles. Lors du premier exil babylonien, la problématique s'en trouve chamboulée face à la recrudescence de mariages mixtes avec des hominines locaux non-moïsiens. Le retour d'exil accentue la nécessité de mieux encadrer les possibilités de conversion aux mythologies judéo-moïsiennes, le giyyur. Les dispositions précises de la conversion ne sont pas fixées par les textes du Tanakh et les traditions, voire sont antagonistes. Elles répondent à des impératifs de contextes politiques plutôt qu'à des considérations religieuses [35]. Bien avant l'invention de Jésus et l'apparition des christo-moïsiens, le prosélytisme est une activité de propagande présente dans les communautés judéo-moïsiennes à travers tout l'empire romain. Celui-ci tolère la pratique de tous les cultes, monothéistes ou polythéistes, mais réagit parfois avec force contre les prosélytes. Des expulsions de judéo-moïsiens résidant dans des villes européennes de l'empire sont ordonnées pour cette raison à plusieurs reprises. Le même reproche sera fait plus tard aux christo-moïsiens. Dans le courant du 40ème siècle (II), les premières règles consacrées aux conversions sont mises par écrit et plus de trois siècles plus tard le traité Gerim finalise l'interdiction des mariages mixtes et encadre les conversions. Là encore, le processus d'écriture répond à deux impératifs. D'une part délimiter et désigner qui est adepte "réellement" des rites et croyances judéo-moïsiennes, et d'autre part se protéger de la pression des christo-moïsiens, de plus en plus nombreux, qui n'apprécient pas la concurrence. Depuis la destruction du temple de Jérusalem et la dispersion à travers l'empire de communautés judéo-moïsiennes, le monopole de l'interprétation des textes et de leur transmission échoit au rabbinat. Celui-ci se présente comme étant la continuité des pharisiens hiérosolymitains. Les rabbins ne sont pas des prêtres mais des spécialistes de la mythologie judéo-moïsienne dont les avis sont sollicités afin de régler les questions du quotidiens en conformité avec les dogmes. Les anciens prêtres du temple de Jérusalem, les cohen, qui se transmettaient leurs fonctions selon une ascendance familiale particulière, ne sont plus le centre de l'activité religieuse. Ils ne sont plus que des officiants. Les rabbins ne sont pas une dynastie mais une structure de transmission du "savoir religieux" entre hominines qui veulent consacrer du temps à l'étude et à l'interprétation. Ils se disent les garants de la loi de Moïse. Rabbin n'est pas un métier, et chacun se doit d'avoir ses propres moyens de subsistance, un métier. Se basant sur la contradiction entre l'existence d'une sentence de la Torah qui dit "Tu abattras les bêtes, selon les règles que Je t'ai prescrites" et l'absence de toute prescription dans les écrits du Tanakh, le rabbinat propose de compiler et de trier l'ensemble de la tradition orale — en grande partie écrite — afin qu'elle complète au mieux le Tanakh. Un gigantesque travail de compilation, de mise en ordre et de commentaires est réalisé entre le 40ème et le 44ème siècle (II et VI). De cela émerge le Talmud de Jérusalem dans le début du 43ème siècle (V) et le Talmud de Babylone presque deux siècles plus tard. L'un est forgé progressivement à partir du travail des communautés judéo-moïsiennes de Galilée et du reste de l'empire romain, l'autre par celles vivant au sein de l'empire babylonien. Tout deux sont écrits dans un mélange de langue araméenne et hébraïque. Le Talmud de Babylone s'impose comme le corpus normatif de ce qui dorénavant est appelé judaïsme rabbinique ou tout simplement judaïsme. Le glissement entre judéo-moïsiens et moïso-moïsiens. Période probable de l'invention du "peuple juif", au sens moderne[37]. Par effet miroir, les christo-moïsiens réalisent dans le même temps un vaste corpus normatif qui les fait passer de christo-moïsiens à christiens. Judaïsme et christianisme sont une coproduction livresque.
La mise en place du corpus moïso-moïsien permet tout autant de se démarquer définitivement des christiens que de décréter que celleux qui se considèrent toujours judéo-moïsiens alors qu'illes reconnaissent la messianité du petit Jésus — les judéo-christiens [39] — ne sont pas de véritables moïso-moïsiens et n'ont pas leur place au sein du nouveau judaïsme rabbinique. Cette monopolisation ne se fait pas sans contestations. Dès le 46ème siècle (VIII) des voix discordantes se font entendre. Elles critiquent les interprétations, élevées au rang de normes, qui s'éloignent trop d'une lecture plus littérale des textes de la Torah. Autour de plusieurs spécialistes des écrits et de la large littérature consacrée à l'analyse des textes, se structurent quelques courants judéo-moïsiens qui rejettent l'autorité exclusive et les interprétations du rabbinat et leur Talmud. Le karaïsme prend ainsi forme[40]. Au plus fort de son influence autour du 48ème siècle (X) , le karaïsme est pratiqué par environ 40% de la population totale des hominines se réclamant moïso-moïsiens. Alors qu'il rejette les innovations et demande un retour aux sources de la loi de Moïse, il est paradoxalement qualifié d'hérétique par le rabbinat. Ce dernier lui reproche d'être influencé par la nouvelle mythologie monothéiste à la mode dans l'ensemble du Proche-Orient, les mahométiens[41]. L'expansion incessante des christiens dans les zones du nord de la Méditerranée et des mahométiens dans ses parties sud et orientale submerge toutes la myriade moïsienne qui compte bien moins d'hominines. Qu'illes soient moïso-samariens, judéo-moïsiens et autres judéo-christiens, moïso-moïsiens ou adeptes du karaïsme, ces hominines sont contraints de vivre en situation de minorité, administrés par des pouvoirs politiques qui ne partagent par leurs mythologies. Et parfois veulent les réglementer. Pour des raisons protivophiles, dans la suite de cet article, le terme de moïso-moïsien est simplifié en moïsien. Il désigne dès lors le judaïsme rabbinique, sans nuances quand à ses multiples courants et dissidences. Moïsien !Que ce soit dans l'Europe des christiens ou dans le Proche-Orient des mahométiens, les situations des multiples communautés moïsiennes ne sont pas simples. Elles dépendent du statut qui leur est accordé par leurs autorités gouvernantes. Les mahométiens permettent une liberté de culte, au nom de la fraternité monothéiste, si cela ne heurte pas les hominines de la religion dominante dans leurs croyances et leurs rituels[42]. Il en est de même pour les christiens et les zoroastriens. Généralement, les autorités religieuses moïsiennes gardent leurs prérogatives rituelles et judiciaires. Dans la réalité des faits, cela donnera parfois lieu à des accrochages ou des restrictions. Le statut qui leur est octroyé fluctue au fil des situations politiques internes à l'empire mahométien. Sous domination des christiens, les moïsiens sont traités plus rudement. Arrivés les derniers, les mahométiens ont beau jeu d'être les plus tolérants, elleux pour qui l'existence des moïsiens et des christiens est une "preuve" de ce qu'illes disent. Pour les christiens, l'enjeu est de faire disparaître leurs origines moïsiennes en s'en démarquant à toutes les occasions, pour faire oublier leur ancien statut d'hérésie des moïsiens. Pour cela, une abondante littérature est produite afin de fournir des argumentaires anti-moïsiens. Illes sont accusés d'avoir fait tuer Jésus et, accessoirement, d'être à l'origine de grandes catastrophes, de bouleversements sociaux, d'épidémies, de s'adonner à des sacrifices rituels d'hominines, de chercher à détruire le monde des christiens et — si il leur reste du temps — de se livrer au trafic d'enfants. Voire d'en manger. Individuellement, illes sont décrits avec toutes les caractéristiques jugées négatives par les christiens : l'avarice, le mensonge, la ruse et quelques autres encore. Bien plus qu'une inoffensive caricature, la construction d'un tel imaginaire aura de très lourdes conséquences sur les rapports entre les communautés de moïsiens et les christiens. Dans cet univers potentiellement hostile, les multiples communautés vivent dans des quartiers qui leur sont réservés dans certaines villes, une somme de métiers leur sont interdits et des restrictions sur l'habillement ou le port des armes, par exemple, viennent parfois s'ajouter. Au cours du millénaire qui séparent le 43ème du 53ème siècle (V et XV) des moïsiens s'implantent durablement dans les principaux centres urbains européens. S'appuyant sur les écrits de la Torah qui incitent à faire des conversions, ou ceux les condamnant lorsque nécessaire, le nombre d'hominines suivant les rituels et la mythologie moïsienne est en constante augmentation. La courbe n'est pas linéaire et les circonstances historiques ont parfois perturbé ce schéma. Sporadiquement, les moïsiens sont brutalisés, voire tués, lors de soulèvements populaires où illes servent d'exutoire à un mécontentement social, parfois pourchassés parce qu'une rumeur circule à leur encontre ou accusés par les autorités christiennes de se livrer à des actes abominables. Hors de toute morale. Il n'en reste pas moins que, malgré ces violences et cette ghettoïsation[44], les communautés moïsiennes prospèrent dans une Europe où l'empire romain est éclaté et fait place à de nombreux royaumes. Par commodité pour la pratique de leurs rituels, les moïsiens se regroupent souvent dans des quartiers ou autour de quelques rues où une synagogue a été construite. Tout d'abord choix, ce fait social est devenu une obligation instaurée par des autorités christiennes. Des interdictions d'habiter avec des christiens sont promulguées. La plupart observent les préceptes édictés par le Talmud de Jérusalem, celui de Babylone est plutôt l'apanage des communautés sous domination mahométienne. Les sociétés moïsiennes sont à l'image de celles qui les entourent. Elles sont une forme d'organisation sociale coercitive, basée sur une mythologie et une morale, dont le fonctionnement est accaparé par une élite qui se prévaut d'un tel droit. Pour se maintenir, une hiérarchisation sociale instaure des castes spécialisées : la masse des hominines, le petit artisanat, les commerçants, les propriétaires, un système judiciaire et une élite intellectuelle. Des administrés et des administrateurs, des exploités et des exploitants. Selon les soubresauts interne à la mise en place d'une organisation centralisée et unique chez les christiens, et les rapports que chaque royaume entretient avec ce projet, le sort de chaque communauté moïsienne repose plus sur des considérations qui lui sont extérieures que sur des problématique internes. Une situation de fragilité permanente. Bien que leurs modes de vie, leurs langues usuelles, leurs histoires récentes ou leurs rites ne soient pas identiques, que les réalités de leurs quotidiens soient différentes, les spécialistes du Talmud et fins connaisseurs des textes de la littérature moïsienne échangent leurs commentaires et leurs avis, ils maintiennent des liens entre plusieurs centres urbains. Les régions germanophones et slavophones de l'est européen sont le lieu d'éclosion de larges communautés moïsiennes et d'une production littéraire religieuse sans cesse augmentée. Idem dans les régions méditerranéennes françaises et dans la péninsule ibérique. Dans cette dernière, les communautés moïsiennes sont sous domination mahométienne et une partie d'entre elles, dans le nord de la péninsule, sous domination christienne. L'autre grande zone d'implantation des moïsiens est la Méditerranée orientale, de l'Égypte actuelle jusqu'aux Balkans, en passant par l'Italie. De grandes communautés vivent aussi hors d'Europe, principalement dans des régions proche-orientales dominées par les mahométiens, le Maghreb, la péninsule arabique et la région des anciens royaumes de Samarie et de Judée. Quelques communautés sont aussi attestées en Chine et sur le sous-continent indien. De l'éparpillement et de la diversité de ces communautés moïsiennes naît une nouvelle géographie talmudique. Askhenaz qui désigne jusqu'alors l'Allemagne et sefarad la péninsule ibérique sont dorénavant employés pour nommer les moïsiens de ces régions et leurs rites spécifiques. En choisissant le terme askhenaz qui dans la Torah est le nom d'un des descendants de Noé[45], le but est de rattacher ces communautés à l'imaginaire moïsien, de maintenir un lien mythique entre elles et les anciens royaumes de Samarie et de Judée. Le choix de cette dénomination indique clairement une volonté d'adoption pleine et entière car Askhenaz n'est pas un descendant de Moïse mais un de ces lointains cousins. Donc sans lien direct avec les dynasties judéo-samariennes. Les controverses sur le sujet des origines des moïsiens de l'est européen font, encore de nos jours, toujours débat parmi les historiens. Pour certains, illes sont les descendants de l'empire khazar qui régna à partir du 45ème (VII) dans les régions séparant les mers Noire et Caspienne, puis s'étendant au nord, jusqu'à sa chute au 49ème siècle (XI). La conversion est contestée par des historiens. Concerne-t-elle seulement la dynastie régnante ou s'est-elle élargie à des hominines du royaumes ? A-t-elle réellement eu lieu ? Aux côtés de ces moïsiens ashkenazim et sefaradim, la géographie talmudique mentionne aussi les mizrahim, un terme générique signifiant "orientaux" qui englobe tous les moïsiens du Maghreb à la Chine, sans distinctions de langues, de rituels et de coutumes, pourtant fort éloignés. Basé sur Tsarfat qui désigne le royaume de France dans la géographie talmudique, tsarfatim[46] nomme les moïsiens de ce royaume. Celui de romaniotes est utilisé pour parlé des moïsiens de langue et de culture grecque, présents sur le pourtour méditerranéen et dans les Balkans. Yichouv désigne quand à lui la communauté moïsienne "historique" qui se maintient dans les régions des anciens royaumes et à Jérusalem. En déclin dans la partie orientale de la Méditerranée à partir du 48ème siècle (X), le karaïsme s'implante aux frontières de l'Europe et de l'Asie[47].
Après avoir été un roman national[49], puis une abstraction religieuse, la mythologie des moïsiens a fait corps dans une diversité de situation et de géographie. Jusqu'à en faire des spécificités culturelles. Les ashkenazim s'enracinent dans les cultures germaniques et slaves[50], par leurs langues et leurs mode de vie, alors que les mizrahim sont imprégnés de culture arabe, berbère, kurde ou iranienne. Les moïsiens du Caucase et du Kurdistan, par exemple, parlent chacun une langue iranienne différente alors que celleux du Yémen s'expriment dans une forme d'arabe local du sud de la péninsule arabique. Suivant où illes se trouvent, les sefaradim utilisent le judéo-espagnol (ladino), le judéo-catalan (qatalanit) ou encore le judéo-provençal (shuadit)[51]. Elles ne sont pas des langues de communication inter-communautés mais celles du quotidien. Le mode de vie des romaniotes, de langue grecque, est bien plus proche de celui des sefaradim que des us et coutumes de beaucoup de mizrahim. Les moïsiens mizrahim sont cernés de mahométiens, les sefaradim de christiens et les sefaradim expérimentent les deux. Les premiers s'appuient sur le Talmud de Babylone, alors que les autres lui préfèrent celui de Jérusalem. Le récit de voyage le plus ancien sur les communautés moïsiennes de cette époque — même s'il contient des inexactitudes et que pour certains son authenticité est douteuse — est celui de Benjamin de Tudèle, rédigé en hébreu en 1175. Moïsien du nord de la péninsule ibérique, alors sous domination christienne, il entame vers 1159 ou 1165 un périple qui le mène à suivre les côtes du nord et de l'est de la Méditerranée pour y rencontrer et y décrire la vie des communautés moïsiennes, mais pas seulement, dans Sefer massa'ot, le Livre de Voyages[52]. Mais peut-être ne s'agit-il que d'une œuvre livresque d'un géographe, réalisée par compilation et n'ayant pas nécessité que Benjamin lui-même fasse ce voyage ?[53] Sur les recommandations de certaines autorités christiennes, le royaume de Castille impose en 4991 (1231) aux moïsiens le port d'un signe distinctif sur leurs habits, la rouelle[54]. Celleux qui refusent se réfugient au Maghreb[55]. Idem dans le royaume de France en 5029 (1269). Les 52 et 53ème siècles (XIV et XV) marquent un tournant tragique pour les moïsiens d'Europe. Au cours des siècles, les textes christiens ont alimenté un discours et produit une littérature profondément anti-moïsiens. L'antagonisme religieux s'est mué en haine sociale. Elles fabriquent des imaginaires populaire et savant dont les conséquences seront l'apparition dans des époques plus contemporaines de la "haine des juifs", l'antisémitisme[56]. Habitués — malgré elleux — aux restrictions, aux interdictions et aux destructions de la Torah, aux violences physiques et verbales[57], les moïsiens d'Europe ne peuvent encore imaginer la tragédie qui se trame. Par vagues successives[58], le royaume de France — approximativement le centre-nord du territoire de la France actuelle — expulse au long du 52ème siècle (XIV) la quasi-totalité de ses habitants moïsiens[59], estimés entre 50000 à 100000 hominines. Les tsarfatim refusent de se convertir et sont privés de leurs biens qui sont revendus. Illes se réfugient dans les royaumes et régions alentours, la Provence, la Savoie, l'Alsace, la Lorraine, le Dauphiné, Orange et les États christiens d'Avignon et du Venaissin qui ne dépendent pas encore du royaume de France. Malgré quelques appels à revenir, très peu prennent ce risque. L'incorporation progressive de certains de ces territoires au royaume du nord se conclue par l'expulsion des moïsiens locaux ou réfugiés. Une vraie traque. Les synagogues, les bains rituels, les cimetières et les livres de mythologie moïsienne sont détruits. À tel point qu'il ne reste aucun vestige archéologique de ces communautés, si ce n'est les témoignages écrits de l'époque et les très nombreuses rues et quartiers dont les noms rappellent une présence moïsienne disparue[60]. Des décrets d'expulsion sont réaffirmés jusqu'au début du 54ème siècle (XVI). L'éviction des mahométiens de la péninsule ibérique, entamée quelques siècles auparavant, par des royaumes christiens ne sonne pas comme une libération. Les moïsiens sont contraints de choisir entre la conversion ou l'expulsion. En 5252 (1492) pour l'Espagne et 5256 (1496) pour le Portugal[61]. Celleux qui acceptent de changer de religion prennent le nom de marranes[62], les autres partent trouver refuge ailleurs. Illes s'installent au Maghreb, dans les Balkans, dans la péninsule italique et aussi dans l'empire ottoman. Quelques rares communautés optent plutôt pour le royaume de France. Entre 40000 à 70000 personnes sont expulsées. L’afflux de réfugiés vers des communautés déjà existantes modifie leurs équilibres démographiques. Les rites élaborés par les sefaradim vont petit à petit s'implanter dans les communautés romaniotes et les remplacer parfois, et plus largement devenir la norme pour de nombreux moïsiens du nord et de l'ouest du pourtour méditerranéen. Au Maghreb, les moïsiens tochavim (résidents), souvent de rite romaniote, ont depuis le 46ème siècle (VIII) accueilli des réfugiés fuyant la péninsule ibérique ou les royaumes d'Europe méditerranéenne et qu'illes nomment megorachim, "renvoyés". Les histoires proches et les proximités entre les rites des résidents et des réfugiés les rendent poreux. Par ces interpénétrations, il est considéré qu'il existe des moïsiens maghrebim même s'illes sont généralement englobés avec les sefaradim. Ces catégories ne sont pas des critères "ethniques" ou "culturels" mais le reflet d'une géographie moïsienne qui voile la grande diversité des situations et des histoires. Dans un rythme chaotique de moments de repli ou de conversion, dictés souvent par l'hostilité extérieure et ses aléas, les communautés moïsiennes d'Europe méditerranéenne ou orientale se fondent non plus sur des origines, même mythiques, mais par l'adhésion à la mythologie moïsienne. Elle réinvente, en quelque sorte, le terme de moïsien et lui donne un nouveau sens. Mais les mythes entretiennent l'ambivalence. Tout comme le fait l'hostilité ambiante à leur encontre. Quelle est la nature exacte des liens qui unissent les moïsiens d'un présent donné aux moïsiens des antiques royaumes de Samarie et Judée ? L'histoire a-religieuse des moïsiens tend à montrer qu'ils sont mythiques bien plus que dynastiques, familiaux et culturels. La diversité en est la démonstration, et les mythologies et les rituels moïsiens en sont le coagulant. Le "peuple juif" décrit dans les anciens textes n'existe plus depuis maintenant longtemps, il en reste juste un récit. Ce qui existe dans le réel, c'est un vaste ensemble d'hominines, mâles et femelles, vivant dans des communautés éparpillées et d'inégales dimensions, de langues, de spécificités culturelles et d'histoires différentes, dans des espaces géographiques parfois très éloignés les uns des autres. Les exils forcés contribuent très largement au brassage des hominines entre elleux. Illes ont en commun d'affirmer qu'illes suivent les lois de Moïse et perpétuent le souvenir de leurs prédécesseurs. Et c'est comme cela qu'illes transcendent cette diversité et s'affirment moïsiens[63].ZoharienConfrontés à la montée en puissance des christiens, puis des mahométiens à partir du 45ème siècle (VII), les moïsiens sont soumis à des autorités politiques qui les traitent avec méfiance, voire avec hostilité. Le premier millénaire qui suit la destruction du temple de Jérusalem en 3830 (70) est propice à une agitation messianique populaire. La promesse, faite dans les écrits mythologiques, de la venue prochaine d'un libérateur offre une réponse aux situations économiques difficiles de la majorité des communautés moïsiennes et fait office d'explication aux nombreuses violences collectives et aux destructions d'objets et bâtiments rituels. Les quelques prétendants à la messianité reçoivent un accueil populaire favorable mais sont systématiquement rejetés par les autorités religieuses moïsiennes qui ne les reconnaissent pas. De Moïse de Crète au 43ème siècle (V) qui prétend ouvrir une brèche sèche dans la mer afin de ramener les moïsiens à Jérusalem et qui se noie avec une partie d'entre elleux, à David Alroy[64] au 50ème siècle (XII) au Kurdistan qui appelle au soulèvement pour se libérer des mahométiens, ou encore le moïsien du Yémén qui persuade ses détracteurs de lui couper la tête pour prouver qu'il est bien le messie attendu, le messianisme agite les communautés moïsiennes de par le monde[65]. Les "Croisades" lancées par les autorités christiennes de Rome et les royaumes européens qui les soutiennent ou les croisades populaires[66] sont un amplificateur de la haine qui se développe contre les moïsiens et des violences qu'elle engendre. Ces équipées guerrières visent à prendre le contrôle de Jérusalem et de la "Terre Sainte" — terminologie christienne pour la région des anciens royaumes de Samarie et de Judée — alors sous domination mahométienne pour "rétablir" les pèlerinages à Jérusalem. Les moïsiens sont accusés d'intriguer avec les mahométiens pour déjouer ces projets de conquête. Comme avec les accusations de propager la peste ou de sacrifier rituellement des enfants christiens pour en faire du pain azyme[67], ces rumeurs fantasques se concrétisent par des tueries collectives, des pillages ou des expulsions contre des moïsiens à travers l'Europe. Après deux siècles de tentatives et de mise en place de petits royaumes locaux, les derniers croisés sont chassés de Terre Sainte en 5050 (1290). Cette situation globalement périlleuse, voire mortelle, contribue à l'attente messianique et au pendant mystique de la mythologie moïsienne. Depuis les premiers écrits, il est de coutume de les suivre à la lettre ou de les interpréter pour mieux les appliquer. Une troisième méthode consiste à y chercher un sens caché. Des nombreux érudits et rabbins ont élaboré des traités qui examinent les principaux textes de référence des moïsiens avec ce regard de mystique. Ces tendances sont dites "kabbalistiques", de קבלה (kabala), "réception". Elles scrutent les mots, les formules et les récits pour y déceler un part du message divin qui aurait échappé jusqu'alors aux hominines. Plusieurs textes circulent parmi les communautés d'Europe et du pourtour méditerranéen. Un travail de compilation et de commentaires est réalisé par Moïse de Léon et ses proches au début du 51ème siècle (vers 1270). Ils diffusent un recueil de textes, le Livre de la Splendeur ou simplement Zohar ("splendeur"), qui synthétise les réflexions de kabbalistes. Pour plus de crédit, le livre est présenté comme un ancien manuscrit du 39ème siècle (II), retrouvé par hasard sur un marché après des siècles d'errance entre la Galilée et la péninsule ibérique et ses rédacteurs utilisent l'antique langue araméenne. L'expulsion des moïsiens ibériques dans le courant du 53ème siècle (fin XV) et leur éparpillement autour de la Méditerranée vont faire circuler ce livre un peu partout en Europe et dans les communautés nord-africaines et orientales. Tout en plaidant un aspect traditionaliste, les zohariens ouvrent des portes pour une contestation de l'ordre existant, celui des christiens ou des mahométiens mais aussi du rabbinat "orthodoxe". Ils offrent une possibilité d'entrevoir une explication au présent et de rêver à un avenir meilleur.
Pour pouvoir continuer à exister, de manière pragmatique, toutes les mythologies religieuses ont la nécessité de relire leurs textes fondamentaux pour les faire correspondre au présent. Se baser sur des textes qui datent de plus d'un millénaire n'est pas chose aisée à faire admettre lorsqu'ils ne sont plus en adéquation avec la réalité vécue. Que ce soit les mahométiens, les christiens ou les moïsiens, tous ont dû s'adapter. Non pas changer les textes mais leur offrir une nouvelle jeunesse. De nos jours les religions appliquent encore cette méthode, leurs textes principaux sont sans cesse scruter pour faire perdurer les dogmes principaux. Comment faire correspondre les questionnements du moment à des écrits qui parle d'une divinité cruelle et revancharde, où l'esclavage est très présent, où les hominines femelles sont minorisées et où la destruction et la mort sont omniprésentes ? Comment expliquer les promesses de bonheur contenues dans les textes et la triste réalité quotidienne par la plupart des hominines ? L'attente messianique est une forme de réponse à ces interrogations. La venue du messie, sauveur des hominines et annonciateur de la fin de la souffrance, est une espérance réconfortante. Pour les plus pauvres, c'est la fin de la misère et de l'exploitation. Si cela est vrai pour les mahométiens et les christiens, cela se double pour les moïsiens d'une situation de ségrégation et de situation minoritaire. L'hostilité envers les moïsiens et leur impossibilité d'y résister durablement, sans armée, sans royaume et sans alliés, entretient cette attente. Que le messie arrive, il y a urgence. Vite ![69] SabbataïsmeSabbataï Tsevi naît en 5386 (1626) à Smyrne (actuelle Izmir en Turquie) dans le nord-ouest de l'Anatolie ottomane. Issu d'une riche famille du Péloponnèse (sud de la Grèce actuelle), son père est un moïsien romaniote et sa mère sefaradi, il fait ses études auprès du grand rabbin de Smyrne auprès de qui il fait l'apprentissage des textes christiens et moïsiens, incluant tout aussi bien la Torah que les textes kabbalistiques. Fort de ses connaissances, il se proclame messie en 5408 (1648). D'abord marginal dans ses prétentions, il construit progressivement une petite communauté de fidèles moïsiens autour de lui. L'arrivée tant attendue du sauveur permet selon les textes d'abolir certaines pratiques rituelles, ce qui n'est pas du goût des rabbins qui excommunient Sabbataï Tsevi et ses adeptes. L'errance les porte auprès des communautés moïsiennes de Constantinople (actuelle Istanbul) à Salonique, du Caire à Jérusalem. Partout, ses prétentions messianiques font planer sur lui le herem rabbinique[70]. Le ralliement de quelques rabbins et kabbalistes, tel Nathan de Gaza [71], qui le reconnaissent en tant que messie est un tournant pour Sabbataï. L'année 5426 (1666) est annoncée être celle de la nouvelle ère messianique qui va rétablir les antiques royaumes de Samarie et de Judée et assurer la félicité aux moïsiens du monde entier. Grand précurseurs du sudoku, adeptes Des chiffres et des lettres, ces kabbalistes voient dans ce 666 un lien avec le "chiffre de la bête" décrit dans la Bible des christiens et qui annonce le début de l'Apocalypse ! La frénésie est à son comble parmi les communautés moïsiennes dont nombre d'hominines les plus pauvres rejoignent cet annonciateur de temps nouveaux. Des rabbins acceptent ce messie et le rabbinat de Smyrne est même démis de ses fonctions et remplacé par les proches du messie. Dénoncé en 5426 (1666) aux autorités ottomane de Constantinople par le rabbinat local, Sabbataï Tsevi est arrêté, entravé et torturé. Il lui est proposé de "prouver ses pouvoirs surnaturels en survivant aux flèches dont il sera la cible". Subitement sauvé par un commandement de sa divinité qui lui conseille de se convertir plutôt aux mythologies des mahométiens que d'attendre une quelconque aide de sa part, il annonce officiellement sa conversion sous le nom de Aziz Mehmed Efendi. Si une partie de ses adeptes acceptent ce nouveau commandement divin, la grande masse s'éloigne du messie. Elle retourne vers une vision plus rabbinique. La déception est à la hauteur des attentes que Sabbataï Tsevi a suscité. Suspecté de ne pas s'être réellement converti, Sabbataï Tsevi est exilé à Ulcinj sur la côte adriatique des Balkans avec un groupe de ses adeptes. Il leur est donné le nom de dönme qui signifie "retournés", "convertis" et entretient une certaine ambiguïté, mais illes utilisent maaminim "croyants" pour s'auto-désigner. Généralement, illes sont connus sous le terme de sabbatéens. Il ne s'agit pas ici de convertis de force[72] mais bien de moïsiens qui assument cette conversion aux mythologies mahométiennes et qui en font une étape vers l'ère messianique annoncée. Illes suivent certains rituels mahométiens tels la prière et le jeun annuel tout en conservant des pratiques (circoncision, hébreu et ladino) et des attentes moïsiennes. Pour conserver le particularisme de cette petite communauté, il est prescrit de ne pas se marier avec des mahométiens ou des moïsiens. À la mort de Sabbataï Tsevi en 5436 (1676) la communauté sabbatéenne est orpheline[73]. Et toujours pas de retour en vue dans les anciens royaumes de Samarie et de Judée. Il existe alors environ deux cent familles de sabbatéens répartis dans plusieurs villes ottomanes anatoliennes, Smyrne et Istanbul, et balkaniques, Andrinople et Salonique en Roumélie. Une dernière grande vague de conversion de moïsiens au sabbataïsme en 5443 (1683) à Salonique fait que cette ville abrite la plus grande communauté sabbatéenne. Aucun signe extérieur ne différencie des mahométiens des sabbatéens, tout ce passe dans l'intime, et illes ne réclament aucune reconnaissance d'une quelconque particularité. Hérétiques pour les moïsiens, illes ne sont plus des moïsiens sabbatéens mais des mahométiens dönmes. Considérés mahométiens, illes vivent discrètement dans des quartiers où illes se regroupent. Tout en maintenant l'usage de prénom moïsiens entre elleux, ils se nomment avec des prénoms mahométiens et adoptent la langue turque osmanli[74] et la culture ottomane. Sabbataï Tsevi développe une nouvelle approche des mythologies moïsiennes. Il remet en cause les trente six interdictions dont la violation implique une "impureté des âmes" et une disparition divine et définitive des contrevenants. Parmi elles figurent l'inceste, la non-circoncision, le non-respect des trente neuf prescriptions du jour chômé, l'abattage rituel des animaux, l'adoration d'une autre divinité, etc. Du point de vue des mœurs, les textes sabbatéens indiquent clairement que le libertinage est autorisé entre sabbatéens mâles et femelles, et qu'illes pratiquent une forme de mélangisme sexuel qui fait horreur au rabbinat[69].
La succession de Sabbataï Tsevi ne se fait pas sans heurts. Parmi la communauté de Smyrne, Yocheved, la dernière épouse de Sabbataï Tsevi proclame que son propre frère, Jacob Queridon, est la réincarnation du messie, qu'il est le réceptacle de l'âme du défunt messie. Le concerné accepte sa mission et rejoint les sabbatéens en se convertissant à la mythologie mahométienne. Deux cent familles de moïsiens le suivent. Il n'est pas reconnu par toute la communauté et forme dès lors la branche des yacoubi. Mais le nouveau messie meurt lors de son pèlerinage dans la ville sainte des mahométiens, La Mecque. En 5438 (1678), un second prétendant à la succession de Sabbataï Tsevi apparaît en Europe centrale. Mordekhaï Mokiah se donne pour mission d'accélérer la venue de la fin des temps. L'attente n'a que trop duré. Rencontrant un certain succès parmi les moïsiens du sud de l'Italie, il se décide à se convertir aux mythologies christiennes comme Sabbataï Tsevi l'avait fait avec les mahométiennes. Mais il n'est pas suivi. Sa fin reste mystérieuse. À Salonique, les tensions internes à la communauté sabbatéenne sont prégnantes. S'inspirant d'une des versions de la Torah des kabbalistes et se disant continuateur de Sabbataï Tsevi, Baruchya Rosso fonde les karakash en 5476 (1716). Il est aussi connu sous son nom mahométien, Osman Baba[76], en référence à un mystique mahométien du 53ème siècle (XV) actif dans les Balkans et se disant être un avec la divinité. Comme Baruchya Rosso. "Sois loué Éternel, qui permet ce qui est interdit". Par cette sentence de Sabbataï Tsevi, il préconise de rompre tous les interdits et incite à les pratiquer. Il rejette complètement la morale. Activer la fin des temps est sa seule motivation. Après sa mort en 5480 (1720), ses adeptes répandent ses préceptes dans l'est de l'Europe[77]. La communauté sabbatéenne se divise alors entre les kapandshi qui se réclament exclusivement de Sabbataï Tsevi, les yacoubi qui suivent Jacob Queridon un prétendant à sa succession, et les karakash qui reconnaissent en Baruchya Rosso un miroir de la divinité. Les divisions sont profondes même si chaque branche tente de recruter parmi les autres. Leur propagande est secrète afin d'éviter l'hostilité du rabbinat et des moïsiens qui voient en elleux de simples hérétiques. Pire, des apostats[78]. Illes se protègent aussi des mahométiens auprès de qui illes ne veulent pas être considérés comme des crypto-moïsiens. Partout où elles se trouvent, les deux branches divergentes du sabbataïsme et leurs propagandistes se confrontent au rejet de la majorité des sabbatéens. FrankismeJacob Lejbowicz est né en 5486 (1726), cent ans après Sabbataï Tsevi, dans la région de Podolie — le sud de l'actuelle Ukraine et le nord de la Pridniestrie — au sein d'une famille sabbatéenne. Il suit son père commerçant qui s'installe à Cernauți (actuelle Tchernivtsi) dans le royaume de Moldavie alors sous domination ottomane. Il est surnommé frank[79] pour marquer ses origines non-ottomanes. Le jeune Jacob découvre le sabbataïsme et voyage pour rencontrer les groupes sabbatéens de Izmir et de Salonique. Il s'instruit ainsi à la mythologie de ces moïsiens hétérodoxes et en devient un fervent partisan dans le début du 56ème siècle (vers 1750). Il défend les thèses des continuateurs de Baruchya Rosso, les karakash. De retour en Podolie à partir de 5515 (1755), Jacob "Frank" Lejbowicz se fait propagandiste. Les premiers groupes d'adeptes se forment en Europe orientale et créent le scandale. Leurs mœurs sexuelles libérées, débridées, leur attirent les foudres du rabbinat. Sous la pression des moïsiens, Jacob Frank est contraint de fuir et ses adeptes sommés de s'expliquer sur leurs pratiques. Un herem[70] est proclamé contre ces karakash. Se présentant aux autorités christiennes comme "théologiquement proche" et opposés au Talmud, illes réclament leur arbitrage. Des rencontres sont organisées en 5517 (1757) et 5519 (1759) par des christiens complaisants entre des défenseurs de Jacob Frank et des spécialistes représentant les autorités rabbiniques, chacun d'eux confrontant publiquement leurs arguments. Elles se soldent par le désaveu du rabbinat qui se voit contraint de brûler des exemplaires du Talmud. L'opposition entre les moïsiens et les sabbatéens est vive.
Après une discussion en privé — orgiaque ? — avec la divinité, Jacob Frank annonce en 5519 (1759) qu'il est le successeur légitime de Sabbataï Tsevi et de Baruchya Rosso. Et que, comme eux auparavant, le temps est venu de passer à une nouvelle étape de l'ère messianique. Il appelle ses adeptes à se convertir aux mythologies christiennes. La même année plus de cinq cent d'entre elleux, dont Jacob Frank, sont officiellement proclamés christiens de rite catholique à Lviv — alors polonaise, aujourd'hui ukrainienne — et adoptent des prénoms christiens. Malgré cette conversion, illes demandent à conserver aussi leurs noms moïsiens, leurs costumes et leurs coupes de cheveu traditionnelles, de ne pas être obliger de manger du porc, de ne se marier qu'entre elleux et de vivre séparément, d'avoir le samedi et le dimanche comme jours chômés et de continuer à étudier le Zohar. Illes sont soutenues par l'aristocratie christienne locale qui apprécie de voir ces moïsiens œuvrer à l'apostat. Certaines familles sont même anoblies. Arrêté au prétexte qu'il se dit mahométien lorsqu'il voyage dans l'empire ottoman, Jacob Frank est arrêté en 5520 (1760) et emprisonné pour fausse conversion. Il est incarcéré dans une forteresse du sud de royaume polonais. Pendant ses douze années d'enfermement il peaufine ses réflexions et écrit de nombreux textes diffusés auprès de ses adeptes. Beaucoup d'entre elleux se sont installés dans les environs de la forteresse et forment une sorte de cour autour du "Saint Maître" et de son épouse Hannah promue au rang de "Dame". À la mort de celle-ci, cette distinction échoie à leur fille, Ewa, en 5530 (1770). Jacob Frank établie un corpus dans lequel il justifie la conversion qu'il réinscrit dans les textes sabbatéens et christiens qu'il tente de concilier, explique la nécessité d'abolir les anciennes prescriptions et interdictions, d'expérimenter la vie sans contrainte et attendre ainsi la fin du monde. À sa libération en 5532 (1772), il s'installe à Brno — dans l'actuelle Tchéquie — avec plusieurs centaines de ses adeptes. Il se dote d'une garde rapprochée de six cent hominines mâles, essentiellement issus des "cosaques juifs"[83], chargée de le protéger lors de ses déplacements et de veiller sur le lieu de pèlerinage qu'est sa demeure. Il nomme ministres et ambassadeurs, et entretient de bonnes relations avec les autorités christiennes qui apprécient son zèle. Le train de vie de la communauté de Brno est financé par de riches adeptes et les dons des pèlerins. En 5540 (1780), la ville polonaise de Varsovie compte environ 6000 hominines se revendiquant du frankisme. Mais les ambiguïtés qui laissent à penser qu'illes ne sont finalement que des crypto-moïsiens et les dénonciations récurrentes de leurs mœurs sexuelles rendent Jacob Frank et son entourage indésirables pour le pouvoir politique. Illes déménagent, direction la ville allemande d'Offenbach-sur-le-Main. L'hominine fait divinité meurt néanmoins. En 5551 (1791). À cette date, environ 24000 hominines se réclament de lui dans toute la Pologne. Sa succession est assurée par sa fille Ewa Frank qui est alors désignée "Sainte Maîtresse"[84]. Avec des dons et des pèlerinages de plus en plus réduits, elle ne parvient pas à maintenir le faste de la cour paternelle. Elle meurt dans la misère en 5576 (1816) et ce qu'il reste du frankisme se dissout au début du 57ème siècle (vers 1850). ...Le frankisme ne semble pas faire partie de la mémoire entretenue par les adeptes de Moïse de la fin du 58ème siècle actuel (2020). Son souvenir est difficilement intégrable dans l'historiographie des autorités rabbiniques qui se sont sont toujours opposées à ce qu'elles qualifient d'hérésie. Il est impossible d'affirmer qu'il reste encore de nos jours des adeptes du frankisme. La proximité sonore entre Brüno, le titre du documentaire de Sacha Baron Cohen, et le nom slave Brno et le germanique Brünn qui désignent la même ville de Brin, en Tchéquie actuelle[85], n'est pas un signe d'une quelconque persistance du frankisme. Tout au plus ce terme peut être utilisé pour nommer les quelques fans de la fiction Daas[86] (Complot) consacrée à Jacob Frank et deux de ses adeptes. Des études ont permis de documenter la vie de quelques frankistes dont des traces historiques ont perduré. Les révolutionnaires français Emmanuel et Junius Frey (ou Frais) sont guillotinés en 5554 (1794). Les deux frères sont naturalisés français par le décret du 26 août 5552 (1792)[87]. Junius Frey est né en 5513 (1753) sous le nom de Moses Dobruška, à Brno — Brünn en allemand. Adepte du frankisme, il se convertit aux mythologies christiennes en 5535 (1775) et est anobli sous le nom de Franz Thomas von Schönfeld. Il arrive avec son frère en France en 5552 (1792), alors en pleine effervescence révolutionnaire post-5549 (1789). Inspiré par ce bouillonnement, le citoyen Junius Frey — de Freï, "libre" en allemand — publie l'année suivante Philosophie sociale dédiée au peuple français[88]. Il s'y livre à une critique du pouvoir politique et s'attaque à Moïse, l'accusant d'être un infâme royaliste.
Après la liquidation des hébertistes[89] et une remontée de bretelles pour les sans-culottes début 5554 (1794), Robespierre veut reprendre la main et s'acharne à en finir avec ses derniers opposants, les hominines favorables à Georges Danton, les dantonistes[90]. Quinze d'entre eux, dont Emmanuel et Junius Frey, sont condamnés à mort et raccourcis par la guillotine à l'issu d'un procès en avril 5554 (1794)[91]. AntimoïsismeApathéismeVoir aussi
Notes
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