Salope
Salope (курва en macédonien — salopa en nissard) Mot de la langue française victime de préjugés sexistes.
Obscures étymologiesLa plupart des dictionnaires sont d'accord pour dire que le terme salope a des origines incertaines. Généralement, l'étymologie proposée est celle qui met en lien ce mot avec l'expression "sale huppe" en référence à l'oiseau du même nom. Ce dernier est réputé pour les mauvaises odeurs qu'il sécrète via une glande anale dédiée et qui s'échappent de son nid afin de faire fuir ses prédateurs. Cette hypothèse étymologique affirme ainsi que salope est une déformation de "sale hoppe", selon une variante régionale pour désigner cet oiseau, et dérive de l'expression "sale comme une huppe". La plus ancienne utilisation référencée date du tout début du XVIIème siècle après JCⒸ[1] sous la forme salouppe. De manière générale, le mot salope et ses dérivés se rapportent à une notion d'opposition entre saleté et propreté. Que ce soit pour une personne, une chose, un moment, un geste ou une pensée, "faire la salope" est toujours marqué du sceau de l'infamie. Se saloper et saloper sont de l'ordre de la souillure. En fonction du sens qu'il prend, le mot salope renvoie aussi à une autre étymologie possible. Puisant dans le continuum linguistique germanique, le terme slop[2] est présent dans la langue anglaise depuis le XIVème siècle et désigne un vêtement ample avec lequel on se couvre. Telle une cape ou un poncho. Il n'y a aucune notion de saleté. Au cours des siècles qui suivent, le mot slop prend le sens de vêtement dit de "prêt-à-porter". Dans la France du XVIIIème siècle, un ou une salope est un long manteau que l'on porte sur ses habits pour se protéger du froid, et une salopette[3] est un linge protégeant les hominines[4] enfants des éclaboussures lors de leur apprentissage dans l'art de se nourrir, ou tout simplement un vêtement de travail. Le glissement phonétique entre slop et salope est sans doute similaire à celui opéré entre sloop, qui désigne une petite embarcation à voile en anglais et en français[5], et salope[6] l'autre nom de la limande cardine qui se déplace avec la queue hors de l'eau, telle une petite voile. Les fortes interconnections historiques entre les langues anglaise et française ne permettent pas de définir avec précision le sens de cet emprunt. Il est à noter aussi que le terme anglais shallop désigne en français une chaloupe[7], c'est-à-dire un petit bateau, et que les deux mots ont probablement une origine commune. Cette proximité phonétique ajoute encore à la confusion dans la recherche des étymologies possibles de la salope des fonds marins. L'ambiguïté demeure aussi quant à l'étymologie du bateau appelé Marie-salope, ou tout simplement salope, et utilisé dans les ports pour enlever la vase grâce à un système de roue et de godets. Le long des côtes françaises de la Manche, la limande salope est parfois consommée dans des soupes de poisson. Les recettes sont multiples. Grand nom de la Boulangerie Française et spécialiste reconnu de la salope, Atef "Alkapote" Kahlaoui est un fervent adepte de cette gastronomie maritime dont il défend une recette bien à lui.
Dans tous les sensTous les mots dérivés de salope tendent à en amoindrir son aspect dépréciatif. Ainsi, il est préférable d'être un "gros salopard" plutôt qu'une "petite salope", mieux vaut être un "petit salopiaud" qu'une "grosse salope". Un salopin[9] n'est rien d'autre qu'un gentil galopin et une saloperie[10] rien de plus qu'une chose faite salopement. Une saloperie renvoie aussi à une malveillance, à une maladie, à un défaut, à une méchanceté ou à une chose insignifiante. La forme verbale saloper exprime une dégradation ou une salissure. "Saloper la Joconde" est clairement un acte de vandalisme volontaire et se saloper une conséquence involontaire d'une proximité avec de la saleté. Ce verbe est à prendre au sens propre comme au figuré, saloper c'est couvrir d'immondices un musée et salir une personne en la dénigrant, se saloper se salir avec des détritus et se dénigrer soi-même par ses attitudes. Largement utilisés et compris par le plus grand nombre, ces mots appartiennent au français populaire et ne revêtent pas d'un caractère strictement injurieux. Il en est autrement pour salope qui conserve ses aspects sulfureux et entre dans le registre de l'insulte. Alors qu'il est utilisé indistinctement au féminin et au masculin pendant plusieurs siècles, salope devient progressivement exclusivement féminin. Depuis le XIXème siècle, l'hominine mâle est une salope comme les autres. Et salaud[11] n'est pas sa forme masculinisée. La langue française moderne utilise le mot salope en nom et en adjectif. "Être une salope" n'est pas "Être salope".
Que le mot salope soit dans le registre de l'insulte rend son utilisation complexe. Dans son principe même, l'insulte consiste à employer des mots blessants pour la personne qui les reçoit. Lorsque fuse "T'es qu'une salope !", l'intention est clairement de montrer que cela est une chose méprisable. Deux cas se présentent alors. Soit les deux personnes sont d'accord sur ce qu'elles entendent par cette insulte, soit l'une l'utilise pragmatiquement pour heurter l'autre, sans pour autant en partager le contenu. Pour qu'une insulte soit efficace, il convient qu'elle soit blessante et donc qu'elle touche à ce qui est sensible. Peu importe qu'elle soit fondée, l'insulte n'est pas un argument dans une démonstration mais un coup porté avec des mots. L'utilisation d'un vocabulaire commun est nécessaire. Insulter avec un mot incompréhensible, un néologisme personnel ou un terme inconnu ne parvient souvent pas à atteindre le but recherché. La frappe est émoussée. Pour la protivophilie, l'insulte idéalisée est de traiter, par exemple, de fascistes des libéraux, de révolutionnaires des conservateurs, de "Sale pédé" des homophobes ou de "Sale juif"[13] des néo-nazis, pour être au cœur de la blessure. Sans considération pour la véracité des faits.
À Nice, et plus généralement en France, la réalité de la pratique de l'insulte par le mot salope fait partie du quotidien de beaucoup d'hominines femelles qui en sont gratifiées. L'insulte est courante. Pour un "Oui". Pour un "Non". Il est facile de se faire traiter ainsi[15]. "Est une salope" celle qui n'accepte pas des avances, celle qui refuse de se plier aux règles réservées aux hominines femelles, celle qui ne veut pas répondre à des inconnus insistants, celle qui choisi sa sexualité et fait ses propres choix de vie, etc. La famille et la rue sont deux des endroits propices à se faire insulter de salope. Mais pas les seuls. Même si cela est la pratique majoritaire, l'insulte de salope n'est pas seulement celle d'hominines mâles à l'encontre de femelles car certaines l'utilisent dans le même but et avec les mêmes préjugés. La disparition de l'usage de un salope a privé les hominines mâles de cette réalité langagière quotidienne. Seules les hominines femelles y sont exposées. Bien qu'étymologiquement le sens du mot salope soit lié à des notions de saleté, de mauvaises odeurs et de caca d'animaux non-hominines, il s'en éloigne pour ne se rapporter qu'à la seule sexualité. Non pas à une sexualité consensuelle mais plutôt à une exacerbation fantasmée de celle-ci, à une vision outrancière. Inutile d'y chercher une quelconque allusion à une sexualité débridée chez les huppes ou les limandes salope. Dans les sociétés des hominines, la sexualité n'est pas uniquement une activité ludique mais un outil de contrôle social exercé à travers la morale, la religion ou la culture. Là où les hominines mâles dominent, la sexualité des femelles doit rester sous contrôle. Y échapper revient à être une salope. Une hominine femelle qui se fait insulter de salope ne l'ai pas en raison d'une supposée ou réelle sexualité dévergondée mais parce qu'elle déroge à ce qui est attendu d'elle. "Salope !" est une insulte misogyne. Rien à voir avec la sexualité mais avec une vision de la sexualité comme une chose dégradante. Bien au-delà du seul exemple de salope, le domaine de l'insulte raffole généralement des références à la sexualité, aux parties génitales et au caca. Le registre de l'insulte inverse le paradigme, on ne se fait pas traiter de salope parce qu'on l'est. N'est pas salope qui veut !
Depuis son apparition, le mot salope a subi des glissements de sens liés aux différents contextes historiques dans lesquels il est utilisé. Dans un nuancier subtil, il inclut selon les époques, les "mères célibataires", les "femmes divorcées", les relations sexuelles hors-mariage, les prostituées, les "femmes indépendantes", les "jeunes filles" révoltées, etc. La liste n'est pas exhaustive. Ce qui se résume par l'adage populaire : "Toutes des salopes, sauf maman !" Les synonymes sont innombrables. De l'ancienne gourgandine[17] à l'actuelle chaudasse, en passant pas la biatch[18] ou la morue[19]. L'importance prise par l'aspect misogyne de l'insulte salope a masqué tous les autres sens de ce mot. Dans l'usage, la Marie-salope n'est désormais plus seulement un bateau mais une expression signifiant "fille facile" construite sur le "Marie-couche-toi-là" et la traduction officielle de l'anglais du cocktail "Bloody Mary", basé sur le jus de tomate et la vodka. Jean-Marie Bigard se croit drôle avec son Lâcher de salopes[20] et les antispécistes réclament le droit à la dignité pour les limandes salope. Outre ces dimensions misogynes et spécistes, l'insulte "Salope !" est aussi utilisée dans un registre qui ne concerne pas la sexualité, ni n'y fait allusion. Elle vise alors aussi bien les hominines mâles que femelles. Ce sens met en avant l'aspect saleté du mot, non pas au sens propre mais au figuré. Celleux qui sont des salopes sont jugées de mauvaises compagnies. Des trahisons, des déceptions, des comportements, des propos ou des emballements sont des histoires de salopes. "Fais pas ta salope !" est une invitation à "Ne pas faire de la merde" alors que "T'es vraiment une salope !" indique clairement que cela a été fait. Dans ce sens dépréciatif, salope n'est plus une insulte mais un constat. Sans appel. Selon le contexte dans lequel il est employé, ce label signifie qu'il y a accusation de trahison, de lâcheté, de mensonge, de peur, d'avarice ou de petitesse. Les synonymes sont traîtres, balances, lâches, radins ou mesquins. Une salope est une personne à mépriser.
Parmi les hominines méprisables, il y a celleux qui le sont pour leur fonction. Sans considération pour la singularité de chaque hominine. Sans considération de genre, de couleur de peau, d'origine géographique ou de tout autre discriminant. Pour qui aime le monde comme la protivophilie le fait, la salope est omniprésente et "Les plus grosses salopes, c'est eux" selon Atef "Alkapote" Kahlaoui, spécialiste du sujet[22]. La salope est policière, judiciaire, morale, religieuse, étatique, militaire, administrative, bancaire, politique, économique, philosophique, etc. Etc. La matonnerie est une salope évidente. La nation. La famille. L'armée aussi. Tant de salopes. Et tant d'hominines, mâles et femelles, enrôlés, broyés, usés, utilisés ou subjugués par les rouages de sociétés inégalitaires pendant que les salopes s'occupent de tout. Malgré cela, la littérature contestataire ne s'est emparée du mot salope que de manière très marginale. Entre le "Crève salope"[23] du Comité de Salut Public des Vandalistes de la fin des années 1960, la chansonnette du même nom du saltimbanque francilien Renaud Sechan[24] et la salope policière des années 1990, rien. Pour les vandalistes, il ne faut pas dire "M. le professeur" mais "Crève salope !", ni "Bonsoir, papa" mais "Crève salope !". Idem pour "Pardon m'sieur l'agent". Pour "Merci, docteur". Le ton de la chansonnette est identique. Le père, la professeur, le proviseur, le flic et le curé y sont toutes des salopes. Dans ces années-là, la salope que l'on appelle à crever n'est autre que la Société. Dans un style spectaculaire, un groupe post-situationniste des années 1990 s'enflamme contre la salope policière dans une affiche qui trône encore de nos jours dans des lieux militants.
Même si elles se font discrètes sous ce nom, toutes ces salopes sont une réalité quotidienne pour la plus grande partie des hominines. Mâles et femelles. Elles sont les maillons des chaînes qui entravent les hominines dans les mécanismes sociaux. Pour la protivophilie, salope est un mot qu'il est possible d'accoler à une infinité. Rien de ce qui fait l'existant ne peut réellement échapper à ce qualificatif. Les institutions politiques et économiques. Les instances religieuses et les autorités morales. Les idéologies et la philosophie. Garante de l'ordre des choses, l'institution policière remporte la palme de la "Plus grosse salope" dans les milieux contestataires et inspire des punchlines qui font vibrer le rap.
En ce qui concerne la réappropriation de l'insulte salope dans le début des années 1970, il y a méprise. Dans le cadre de la lutte pour la légalisation de l'avortement en France, sous l'impulsion de Simone de Beauvoir, 343 hominines femelles signent une pétition dans laquelle elles affirment en avril 1971 avoir elles-même déjà avorté. Le journal satyrique Charlie Hebdo fait alors sa Une sur cette question qu'il juge fondamentale : "Qui a engrossé les 343 salopes du manifeste sur l'avortement ?" Il revisite à sa manière l'affirmation de Simone de Beauvoir en en faisant : "On ne naît pas salope, on le devient". Bien malgré les signataires, leur pétition est, depuis, souvent surnommée "Manifeste des 343 salopes". Par contre, la réappropriation de l'insulte salope est prégnante dans l'intimité érotique entre les hominines et son usage est ancien comme le confirme la littérature érotique. Ou plus récemment la prose de la poétesse Roll-K, la "Superlopsa"[27]. Dans les jeux de langue(s) que les hominines mettent en œuvre dans leurs ébats sexuels, le détournement des mots est chose classique. L'érotisation de l'insulte consiste, entre partenaires d'un jeu consenti, à s'exciter en traitant l'autre de tous les noms et adjectifs dégradants. "Tu es ma petite salope" sont cinq mots qui appellent à l'abandon. Que ce soit entre hominines mâles et femelles, entre mâles ou entre femelles. Ou toute autre combinaison. "Soyons salopes !" est un appel à la réciprocité dans le plaisir. Pas besoin de lire les insanités marquisardes de Sade ou Les Onze Mille Verges de Guillaume Apollinaire[28] pour le comprendre, l'insulte dans la sexualité est une version soft et verbale d'un rapport BDSM basé sur le jeu de la domination et de la soumission consenties.
Notes
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