Los Porfiados
Los Porfiados (Les Acharnés en français, жестоката en macédonien) est un film franco-argentin réalisé en 2002 par Mariano Torres Manzur, mentionné[1] par F. Merdjanov dans les Analectes de rien.
SommaireAcharnésLibrement inspiré de Los Siete Locos 2 (Les Sept Fous - 1929) de Roberto Arlt et de Guignol's Band 3 de Louis-Ferdinand Céline, Los Porfiados met en scène six révolutionnaires dans un huis-clos acide et désillusionné. Il s'ouvre sur cette devise : "Se faire des illusions est un problème dans la mesure où, justement, il est question d’une illusion". Selon la postface des Analectes de rien, il :
Dans les Analectes de rien un extrait du livre de Roberto Arlt est référencé à l'entrée thématique "spontex" 5 :
La devise d'ouverture du film est d'ailleurs considérée par la protivophilie – même si elle est contre – comme "la devise simplifiée de la protivophilie telle que nous l’envisageons"6.
Un peu de rienMême s'il peut être aussi une satyre politique, ce film burlesque s'inscrit dans le contexte politique de l'Argentine. Parmi les portraits présents dans les décors du film, hormis Karl Marx, que l'on ne présente plus, les deux autres personnages sont Severino Di Giovanni et Eva Peron. Le premier est un anarchiste illégaliste italo-argentin de années 1920-30 et la seconde est la femme du président argentin Juan Peron. Di Giovanni est connu pour avoir pratiqué la propagande par le fait par des braquages ou des attaques contre des institutions de l’État, œuvré pour libérer des compagnons emprisonnés, publier journaux et brochures avant d'être arrêté et exécuté avec quelques uns de ses compagnons anarchistes. Seule America Josefina Scarfo échappe au peloton d'exécution à cause de son jeune âge. Di Giovanni est l'un des personnages emblématiques de l'anarchisme illégaliste de l'Argentine de cette époque7. Eva Peron est issue des milieux populaires très pauvres et sa rencontre avec celui qui allait être le président argentin vont faire d'elle une sorte d'icône politique, la caution populaire d'un régime autoritaire. Dans le film, elle apparaît dans une séquence sous les traits de la jeune fille qui distribue de la nourriture à des enfants dans le parc, et devant laquelle le petit groupe révolutionnaire se questionne temporairement sur le bien-fondé de leur propre forme de lutte. Le lien ? Historiquement, une partie de l'extrême-gauche argentine a soutenu le régime de Juan Peron. Pas tout le temps, mais à des moments. Certains groupes politiques ou syndicalistes d’extrême-gauche ont été illusionné par le caractère "progressiste" du régime en place 8. Ce n'est pas une première. Dans le cas de l'Argentine, le régime de Peron flirta un temps avec un fascisme de style mussolinien très mal dissimulé, ou avec un style de fascisme mussolinien mal digéré ! La nuance est fragile et les spécialistes en discutent encore, même s'il n'y a rien à en tirer. À côté des formes de résistances populaires, ou du quotidien, quelques groupes se sont organisés pour s'attaquer les armes à la main au régime de Peron ou à ses successeurs national-catholiques. Il y a bien sûr la guérilla urbaine de péronistes de gauche mais aussi, plus petite, celle menée par Résistance Libertaire 9 dans les années 70. Malgré les apparences, précisons que le péronisme ne doit pas être confondu – quoique ! – avec le perronisme 10 qui n’est qu’une forme de lapsus mélangeant par erreur deux expressions pour en faire une seule qui ne veut plus dire grand-chose. Par exemple "Je n’ai fondé ma cause sur rien" 11 et "Rien n’est vrai, tout est permis" 12 se mixant dans un obscur "Rien n’est fondu, je cause de rien".Les différences avec Los Siete Locos vont bien au-delà du fait que les personnages du film soient au nombre de six. Dans le roman de Roberto Arlt, les conspirateurs révolutionnaires se financent grâce à la gestion d'une maison close. Pour construire son histoire, Arlt s'inspire d'un réseau de proxénètes très présent à son époque dans le quartier juif de Once à Buenos Aires. Communauté de parias le Zwi Migdal dispose de ses propres synagogues ou carrés de cimetière, et gère une "traite des blanches" et la prostitution de jeunes femmes venues d'Europe de l'Est. Cette prostitution est "bon marché" et donc plus "populaire" que celle des françaises ou des italiennes gérées par "leurs" maquereaux 13. Les conditions de vie sont beaucoup plus misérables pour les premières que pour les secondes. Noe Trauman, le chef de ce réseau, se déclarait anarchiste. Avait-il lu Le Banquier Anarchiste 14 de Fernando Pessoa sorti en 1922 ? Que ce soit de la part la Société Israélite de Protection de la Femme et des Jeunes Filles ou de la justice argentine, le Zwi Migdal subit nombre d’attaques. L’action judiciaire de Raquel Liberman, une ancienne prostituée, permet le procès en 1931 de 108 membres du réseau. Tous seront relaxés 15. Style merdjanovien ?Il serait sans doute absurde de définir un prétendu style merdjanovien sans verser dans la Nouvelle Blague. Il n'en est rien. Nada 16. Les réponses aux questionnements de Ferdinand et Marianne dans Pierrot le fou de Jean-Luc Godard 17 illustrent parfaitement notre propos. Marianne fait dans la révolution et le trafic d’armes, Ferdinand lit, écrit et rêve ; tous les deux s’ennuient et souhaitent fuir autant leur quotidien qu’une société rancie. Le couple informel part subitement en goguette dans un improbable voyage à travers la France... – Ferdinand : Alors tu viens ? – Marianne : Où on va ? – Ferdinand : Sur l’Île mystérieuse comme les enfants du Capitaine Grant. – Marianne : Et qu’est-ce-qu’on fera ? – Ferdinand : Rien. On existera. – Marianne : Holala, ça va pas être marrant ! – Ferdinand : C’est la vie.
Filmographie de F. MerdjanovLa protivophile ne prétend pas à une filmographie complète de F. Merdjanov. Le raisonnement élaboré lors de recherches intersectionnelles, autour des Analectes de rien concernant la musique écoutée par F. Merdjanov, s'applique très bien aux recherches cinématographiques sur le même sujet :
La liste ci-dessous est donc une simple recension de films mentionnés dans les Analectes de rien et non l'ensemble de ceux sans doute connus (et peut-être même appréciés ?) de F. Merdjanov :
La raison exacte de ces choix par F. Merdjanov reste une question sans réponse. Certains y verront une signification particulière, et d'autres un simple prétexte à une citation pour constituer les Analectes de rien. À l'entrée "Sacré Graal" des Analectes de rien, l'extrait du film de I. Bergman 19 illustre la thématique chère à F. Merdjanov, rien, et s'extrapole à une analyse critique cinématographique protivophile pour laquelle le sujet est ici le cinéma et non l'au-delà. Devant le spectacle d'une jeune fille accusée de sorcellerie et condamnée au bûcher, les deux personnages s'interrogent : – Écuyer : Que voit-elle ? Peux-tu me le dire ? – Chevalier : Elle n’a plus mal. – Écuyer : Tu ne me réponds pas ! Qui prendra soin d’elle ? Les anges, Dieu, Satan, le néant ? Il n’y a rien, messire ! – Chevalier : Il ne peut en être ainsi ! – Écuyer : Vois ses yeux. Sa pauvre conscience fait une découverte. Il n’y a rien ! Nous sommes impuissants. Nous voyons ce qu’elle voit et notre épouvante est la même.
Cités dans la postface des Analectes de rien
Synopsis officiel (non-protivophile)En Amérique du Sud, Artemio, un jeune aiguiseur de couteaux, intègre un mouvement révolutionnaire dont sont membres Bragueton, un militaire au chômage ; Domingo Acevedo, un joueur invétéré ; Don Bachetta, un retraité anarchiste ainsi qu'Eva, une jeune Française dont Artemio tombe fou amoureux. Ce groupuscule projette en secret de lancer une action terroriste. L'amour et l'amitié entretiendront l'illusion, mais rapidement les passions se déchaîneront dans le huis-clos de cette cohabitation, laissant place à la démonstration des pires bassesses humaines et prouvant l'inefficacité de l'action collective. 20 Meilleur film au Festival de cinéma indépendant de Barcelone en 2002.
Notes
1 2 Roberto Arlt, Les Sept Fous, 1929 3 Louis-Ferdinand Céline, Guignol's Band, 1944 4 F. Merdjanov, « Vie et œuvre de F. Merdjanov » (Postface), Analectes de rien, Gemidži Éditions, 2017 [en ligne] 5 Maoïstes spontanéistes, dits « maos spontex » d’après un jeu de mots sur une marque d’éponge. 6 F. Merdjanov, « Vie et œuvre de F. Merdjanov » (Postface), Analectes de rien, Gemidži Éditions, 2017 [en ligne] 7 Osvaldo Bayer, Les anarchistes expropriateurs, Atelier de Création Libertaire, 1995 [en ligne] 8 Jorge Niosi, « Le Péronisme comme alliance des classes », Sociologie et sociétés, n° 62, 1974 [en ligne]. Ania Tizziani, « Du péronisme au populisme : la conquête conceptuelle du « gros animal » populaire », Revue Tiers Monde, 2007/1 (n° 189) [en ligne]. 9 Interview avec un membre de Resistencia Libertaria [en ligne] 10 Nom inspiré par Jean Perron, un entraîneur et commentateur sportif québécois, habitué à ce genre de mélange langagier. 11 Max Stirner, L’Unique et sa propriété, 1884. Cité à l’entrée « solo » dans les Analectes de rien. 12 Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra. Cité à l’entrée « terrorisme » dans les Analectes de rien. 13 Dans Le chemin de Buenos Aires, publié en 1927, Albert Londres décrit les réseaux de prostitution de jeunes françaises. Le chapitre « Polaks » est consacré au Zwi Migdal. 14 Dans Le Banquier Anarchiste, Pessoa fait dialoguer deux vieux amis qui ne se sont pas vus depuis des années. L’un d’eux explique qu’il est toujours aussi anarchiste que dans sa jeunesse et que c’est pour cela qu’il est devenu banquier ! 15 Pour le commentaire d’un membre de l’institution judiciaire, voir Julio L. Alsogaray, La prostitution en Argentine, Denoël, 1935 16 Nada est un film de Claude Chabrol réalisé en 1974, adaptant ainsi le roman du même nom de Jean-Patrick Manchette publié en 1972. Il s’agit d’un groupe de jeunes anarchistes décidés à enlever l’ambassadeur des États-Unis. 17 Jean-Luc Godard, Pierrot le fou, 1965. Cité à l’entrée « road trip » dans les Analectes de rien. 18 F. Merdjanov, « Vie et œuvre de F. Merdjanov » (Postface), Analectes de rien, Gemidži Éditions, 2017 [en ligne] 19 Ingmar Bergman, Le Septième Sceau, 1957 20 Source Allociné |