Pataouète

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Pataouète. (Патаует en macédonien - Pataoèta en nissard) Macédoine linguistique du Maghreb, aujourd'hui disparue.


[En cours de rédaction]


D'où ?

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Née du rapprochement progressif des plaques tectoniques africaine et eurasiatique au cours des millénaires, la mer Méditerranée est dorénavant le lien maritime entre les rives nord-africaine et ouest-européenne. Elle communique avec l'océan Atlantique par le détroit de Gibraltar, large d'un peu plus de 14 kilomètres, qui sépare les actuels Maroc et Espagne. Constitué il y a un peu plus de 5 millions d'années par le déversement massif des eaux atlantiques dans la cuvette méditerranéenne, ce détroit est le point le plus resserré entre les deux continents. Dans la partie la plus orientale de la Méditerranée, le détroit du Bosphore fait le lien entre elle et la mer Noire et sépare la plaque tectonique anatolienne de l'européenne d'un peu moins d'un kilomètre dans sa partie la plus étroite. Ces deux détroits sont les passages les plus simples entre les continents du sud et du nord. L'autre côté est visible à l'œil nu. Et même si l'époque où le passage était au sec est trop ancienne, les hominines [1] le savent depuis des millions d'années. Apparue dans la partie sud du continent africain, l'espèce hominine se répand progressivement à travers la planète entière durant plusieurs millions d'années. Les plus anciennes traces connues de la présence d'hominines sur la rive nord de la Méditerranée sont datées d'environ 1,4 millions d'années. Des ossements et des pierres taillées sont retrouvés dans les Balkans au nord-ouest de la Bulgarie, dans la région des Pouilles à l'extrême sud-est de l'Italie, et en Andalousie dans le sud-est de la péninsule ibérique [2].

Au fil des millénaires, des sociétés d'hominines se structurent sur ce pourtour méditerranéen. Ici et ailleurs, des langages articulés voient le jour. Certains s'écrivent, d'autres non. Les processus linguistiques sont diversifiés. Ils ne résultent pas de schémas identiques et dépendent de situations singulières. La géographie, les structures sociales, les évolutions et les relations entre les sociétés d'hominines sont autant de facteurs qui mènent à l'apparition, à la disparition ou à la mutation de pratiques linguistiques. Le langage des hominines n'est pas quelque chose de figé. Aucune "langue" n'est fondée sur une source unique. Les emprunts, les mutations, les abandons, les métissages et les variations sont le lot commun à toutes les langues des hominines. Il n'y a aucune exception en la matière. Il n'y a pas de frontières nettes entre les pratiques linguistiques. L'intercompréhension est le seul discriminant. Au sein même d'un continuum d'intercompréhension il y a des nuances. Selon le statut social dans une société donnée, l'âge, la fonction sociale ou même selon le genre assigné [3], les pratiques ne sont pas similaires. Le vocabulaire ou la grammaire peuvent différer sensiblement. La géographie n'est pas non plus un critère de séparation entre plusieurs pratiques linguistiques. Une chaîne montagneuse peut être un lien plutôt qu'une séparation entre les hominines qui vivent de part et d'autre. Les grands espaces ne sont pas nécessairement synonymes d'émiettement ou d'incompréhension, qu'ils soient désertiques ou maritimes [4]. Et la proximité géographique n'induit pas systématiquement des processus de rapprochement ou d'intercompréhension [5] dans la mesure où les mécanismes linguistiques sont aussi soumis à des dimensions politiques ou sociales.

Quoi ?

Historiquement, deux grandes familles de langues sont présentes autour de la Méditerranée. Celle des langues sémitiques au sud, et les latines au nord. Depuis maintenant des millénaires, elles se rencontrent, se heurtent, se croisent, se chevauchent et s'influencent mutuellement. Dans la partie occidentale du bassin méditerranéen, les premières sont de nos jours représentées par l'arabe, littéraire ou ses formes dialectales, et par les langues berbères, et les secondes par le castillan, le catalan, l'occitan, le français et l'italien. À ces listes s'ajoutent quelques langues moins répandues, tel que le maltais, le sarde ou le nissard par exemple. Et toute une somme de langues aujourd'hui disparues.

Fort de sa puissance économique et politique, l'empire romain s'étend sur le pourtour méditerranéen dans les derniers siècles avant JC [6] et, de fait, exporte sa langue, le latin. En Afrique du nord, le latin populaire qui prend forme dans les villes et les espaces dominés par Rome se nourrit aussi de la langue punique [7], parlée à Carthage, ou du grec antique déjà présent en divers endroits du pourtour. Mégalomane comme tous les empires, Rome désigne la Méditerranée comme Mare Nostrum, "notre mer" [8]. Hormis dans les quelques comptoirs grecs ou carthaginois, et dans les zones de colonisation romaine, les hominines du Maghreb antique parlent alors des langues apparentées aux langues berbères actuelles. Comme cela se passe sur la rive nord de la Méditerranée avec l'apparition de pratiques linguistiques qui se différencient de plus en plus du latin romain pour constituer les langues romanes — les futurs français et autres castillan ou catalan qui se nourrissent de langues germaniques ou celtiques — le Maghreb voit l'émergence d'un roman africain. Il se caractérise par des substrats spécifiques et par les langues de contact maghrébines qui l'influencent. La pratique de ce latino-africain est une réalité urbaine et alentours alors que le reste du territoire nord-africain est berbérophone. L'arrivée de la langue arabe dans le courant des VIIème et VIIIème siècles après JC, concomitante de l'expansion des mythologies mahométiennes [9] venant de la péninsule arabique, perturbe la situation linguistique. Alors que la berbérophonie se maintient dans la majeure partie du territoire nord-africain, le latino-africain est progressivement submergé. Il ne persiste que dans quelques isolats. Alors que la plus ancienne trace écrite connue date du XIIIème siècle, du côté des sources locales directes, l'érudit Ibn Khaldoun [10] témoigne au XIVème siècle qu'il existe encore des hominines parlant un roman africain dans les monts Aurès — à l'est de l'actuelle Algérie — et autour de la ville de Gafsa — au centre de l'actuelle Tunisie. Selon une autre source, Paolo Pompilio, un érudit romain, rapporte à la fin du XVème siècle que des populations d'hominines parlent toujours un roman d'Afrique dans la même région [11]. L'essor de ce roman africain, sa répartition géographique et le nombre d'hominines le parlant, sont des questions restées encore sans réponse pour les spécialistes. La fragmentation du roman sud-européen qui laisse ensuite place à des langues distinctes peut laisser supposer qu'il en est de même en Afrique du nord. Faut-il employer le pluriel pour désigner les romans africains ? Des traces de latinismes sont encore présentes dans quelques langues berbères. L'arabe qui s'implante au Maghreb s'enrichit de ces substrats berbères et latins. Quelques mots de vocabulaire témoignent de ces racines latines dans les pratiques linguistiques maghrébines arabes actuelles. Par exemple صبيطار prononcé [sbitar] du latin hospitalis "hôpital" ou ڢلوس prononcé [fellous] du latin pullus "poussin". Le latin aussi a des substrats et des influences diverses. Cela se retrouve dans فقمة prononcé [fokima], d'après le latin phoca "phoque", lui-même issu du grec φώκη, prononcé foki. Très présente sur les côtes à l'époque de la Grèce antique, le phoque est une espèce marine de mammifères aujourd'hui quasiment disparue en Méditerranée. Une interview — très rare — de l'un d'eux est sans équivoque :

Méditerranéen ?
Méditer à rien !

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Adossée au pouvoirs politiques en place au Maghreb, la langue arabe suit le mouvement. La conquête progressive de la péninsule ibérique par les armées mahométiennes au cours du VIIIème siècle impose un nouveau pouvoir aux populations. Changement de maître. Al-Andalus mahométien remplace le Hispania christien. Les hominines qui y vivent ont des pratiques linguistiques issues de la dislocation de l'espace roman. Ces différents parlers sont regroupés sous le terme générique de mozarabe. Il désigne les populations de mythologie christienne qui parlent des formes dérivées du latin. Les mozarabes utilisent l'alphabet arabe pour noter leur langue. Les populations moïsiennes de la péninsule sont elles-aussi influencées par la présence de la langue arabe. Leur langue romane, souvent appelée judéo-espagnol ou djudyo [12], s'adapte au nouveau contexte. En quelques siècles, l'arabe devient la langue du pouvoir et du quotidien, indifféremment de la religion. Mais celui-ci se différencie des pratiques linguistiques du Maghreb au contact de la romanité pour former un "arabe andalou". Sous gouvernance mahométienne, les communautés christiennes et moïsiennes sont régies par un statut de minorisées [13] : Elles conservent le droit de pratiquer et de croire en leurs mythologies tout en payant un impôt particulier. Les divisions et les querelles internes aux autorités politiques andalouses fractionnent le territoire en plusieurs entités, et l'avancée des armées christiennes au nord repousse petit à petit les armées mahométiennes toujours plus au sud. À partir du XIème siècle, dans les territoires devenus christiens, les populations arabophones adoptent les langues romanes du nouveau pouvoir, qu'elles écrivent avec l'alphabet arabe, tout en conservant leurs croyances religieuses [14]. Pendant plusieurs siècles, les langues romanes ibériques naissantes, issues de la fragmentation du latin, se singularisent les unes des autres, et s'alimentent aussi d'un substrat arabe. Elles deviendront ce que l'on appelle de nos jours le castillan, l'aragonais, le catalan, le portugais, etc. Dans les zones de contact, l'empreinte d'un héritage arabo-andalou est plus marquée. Les variétés régionales du sud de ces langues romanes en sont les héritières les plus visibles[15]. Il est difficile de savoir quelle était la réalité linguistique à cette époque pour la majorité de la population et les débats actuels sur la construction de ses langues romanes sont imprégnés de considération politiques présentes. Là où des linguistes minimisent l'influence de l'arabe andalou et insistent sur une persistance mozarabe, d'autres font valoir des formes de bilinguisme possibles ou postulent que le mozarabe disparaît dans Al-Andalous au profit de l'arabe andalou. Bien moins tolérantes que les précédentes, les nouvelles autorités christiennes contraignent progressivement les populations à se convertir ou à quitter la péninsule ibérique [16]. À la fin du XVème siècle, l'ensemble d'Al-Andalous est aux mains des armées christiennes. Les populations anciennement mahométiennes ou moïsiennes, converties sous la contrainte, sont appelées respectivement morisques [17] et marranes [18]. Elles utilisent l'alphabet arabe pour noter leurs langues respectives mais les nouvelles autorités les contraignent à adopter l'alphabet latin. Finalement, qu'elles soient converties ou non, les populations non-christiennes ou suspectées de ne pas l'être réellement sont expulsées de la péninsule ibérique au cours du siècle suivant. L'arabe andalou disparaît d'Europe, supplanté par différentes langues romanes. Les communautés moïsiennes chassées rejoignent leurs homologues au Maghreb ou partent vers les régions de la Méditerranée orientale, sous domination ottomane. Les mahométiennes s'installent au Maghreb, de l'actuelle Tunisie jusqu'au Maroc.

L'arabe andalou impacte l'arabe maghrébin parlé dans les centres urbains nord-africains. Il introduit quelques romanismes. L'expansion de l'empire ottoman vers le nord de l'Afrique apporte elle-aussi son lot de mots de vocabulaire qui viennent alimenter les pratiques linguistiques arabes maghrébines [19]. Plus on se dirige vers l'ouest, vers la côte atlantique, et plus l'impact de la langue turque est relatif. Plus de 2000 mots en Égypte pour quelques 850 en Libye, de quelques 500 mots dans les confins tuniso-algériens à un peu moins de 200 dans les régions algéro-marocaines. Désireux de mieux contrôler le commerce maritime en Méditerranée, les royaumes christiens ibériques installent quelques forts militaires sur la côte maghrébine. Dans les marges de l'empire ottoman, le Maghreb est une zone de friction entre cet empire et, d'une part, les pouvoirs politiques locaux, et d'autre part, les royaumes ibériques. Le commerce légal ou illégal, étatique ou de pirates, de denrées, de produits et d'esclaves est florissant et suscite de nombreuses convoitises. Puissance régionale maritime grandissante, le royaume d'Espagne parvient à s'installer dans plusieurs ports et fortifications tout au long du XVIème siècle. En plus des garnisons militaires, les villes de Oran, Bougie, les rochers d'Alger et Tunis passent sous contrôle espagnol. Le royaume ibérique sécurise ainsi ses portes d'accès à l'économie africaine et ottomane, et neutralise partiellement la concurrence qu'est la piraterie. Le but n'est pas une colonisation, seules des garnisons militaires sont maintenues sur place dans des casernes et des places fortes alors que l'arrière-pays n'est pas du tout investi par les armées ibériques. Le castillan (ou espagnol) est la langue de cette implantation militaire et économique, et celle des hominines originaires d'Al Andalous. Sa pratique s'étend de l'Atlantique nord-africaine à l'actuelle Tunisie. Lors d'un voyage dans la Régence de Tunis [20] en 1724, le médecin français Jean-André Peyssonnel témoigne de la présence d'hominines dont les ancêtres venaient d'Al Andalous et s'exprimant encore en castillan, en aragonais ou en valencien : "À peine étais-je assis sur le sopha sur lequel j’avais mis mon petit matelas et mon tapis que je vis entrer un maure qui me complimenta en bon espagnol, me dit qu’il était le chirurgien de la ville et me pria d’aller chez lui lorsque j’aurais reposé, en allant chez lui sous prétexte d’y voir des malades, nous entrâmes dans plusieurs maisons. J’y trouvai des femmes et des filles affables me parlant toutes bon espagnol..." [21] Mais la pratique de ces langues romanes recule car "parmi ces maures andalous [...] tagarins [22] et aragonais [...] de nombreux arabes sont venus par la suite vivre avec eux et déjà, dans l’état actuel des choses, les familles espagnoles et arabes se sont mélangées entre elles par l’intermédiaire des mariages. C’est pour cela que leurs fils perdent progressivement la langue espagnole. Il n’y a que les maures vieux qui la parlent bien et couramment." [23] Les hominines de tradition moïsienne ayant fuit la péninsule ibérique à la fin du XVème siècle parlent toujours un djudyo qui, depuis, s'est enrichi de l'influence de l'arabe maghrébin et se nomme la haketia [24]. Elle ne doit pas être confondue avec le judéo-arabe [25] ou le judéo-berbère [26] parlés par les communautés moïsiennes déjà présentes au Maghreb. L'intercompréhension entre castillan et haketia s'est creusée depuis le XVIIème siècle mais l'arrivée du castillan au Maghreb l'influence et les linguistes mentionnent un phénomène d'hispanisation (ou recastillanisation) à partir du XIXème siècle. Pays méditerranéen à l'appétit impérial, la France prend pied au Maghreb dans la première moitié du XIXème siècle avec des projets de colonisation.

Quand ?

Qui ?

Et ?

Notes

  1. hominines
  2. Orce
  3. En français par exemple.
  4. "Pour une linguistique des quasi-déserts" - [En ligne]
  5. Exemple côte dalmate
  6. JC
  7. punique
  8. Mare Nostrum
  9. mahométiennes
  10. Ibn Khaldoun
  11. Jean-Louis Charlet, "Un témoignage humaniste sur la latinité africaine et le grec parlé par les «Choriates» : Paolo Pompilio", Antiquités africaines, n°29, 1993 - En ligne
  12. djudyo, judéo-espagnol ou ladino
  13. dhimmi
  14. Mudéjar
  15. castillan/andalou-murcien, catalan/valencien, galicien/portugais
  16. mudéjar
  17. morisques
  18. marranes
  19. Abderrahmane El. Moudden, "Le turc au-delà des Turcs", Trames de langues, 2004 - En ligne
  20. Régence de Tunis
  21. Jean-André Peyssonnel
  22. Nom donné aux émigrants musulmans de la région de Valence, d’Aragon et de Catalogne dans les villes du Maghreb
  23. Cité dans Bernard Vincent, "La langue espagnole en Afrique du Nord xvie-xviiie siècles", Trames de langues, 2004 - En ligne
  24. haketia
  25. judéo-arabe
  26. judéo-berbère