Les Bateliers : Différence entre versions
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− | Depuis le XVI<sup>ème</sup> siècle, le terme de Roumélie désigne l’ensemble des territoires balkaniques de l’empire ottoman, en opposition à la partie asiatique appelée Anatolie. Administrativement, on parle du pachalik de Roumélie qui comprend une trentaine de subdivisions géographiques, les sandjaks. Une réorganisation fait passer le nombre de sandjaks à une vingtaine au début du XVIII<sup>ème</sup>. Un certain nombre d’entre eux accèdent à une autonomie au sein de l’empire. Les Balkans sont un point de rencontre de l’influence de plusieurs empires concurrents. En 1816, un des sandjaks obtient plus d’indépendance sous le nom de Principauté de Serbie. En 1836, le Roumélie est divisée en trois territoires administratifs centrés autour de Salonique, Edirne et Monastir, eux-mêmes subdivisés en plusieurs sandjaks. Ces subdivisions varient selon les réformes en cours<ref>J. Pargoire, "Géographie administrative", ''Échos d'Orient'', vol. 2, n° 3, 1898 [http://www.persee.fr/docAsPDF/rebyz_1146-9447_1898_num_2_3_3197.pdf En ligne]. Cem Behar, "Sources pour la démographie historique de l'empire ottoman : Les tahrirs (dénombrements) de 1885 et 1907", ''Population'', vol. 53 Population et histoire, n° 1, 1998 [http://www.persee.fr/docAsPDF/pop_0032-4663_1998_num_53_1_6850.pdf En ligne]. Cem Behar, "Recensements et statistiques démographiques dans l'Empire ottoman, du XVIe au XXe siècle", ''Histoire & Mesure'', vol. 13 Compter l'autre, n° 1, 1998 [http://www.persee.fr/docAsPDF/hism_0982-1783_1998_num_13_1_895.pdf En ligne]</ref>. Les Balkans ottomans sont secoués par de nombreuses manifestations et confrontations armées pour l’obtention de plus d’autonomie<ref>Yves Trernon, ''Empire ottoman. Le déclin, la chute, l’effacement'', Le Félin, 2002</ref>. Ces révoltes sont un mélange de revendications sociales populaires, de recherche de plus de pouvoir des bourgeoisies locales et de contestations nationalistes. La Principauté du Monténégro obtient vers 1850 son indépendance et celles de Roumanie en 1859. | + | Depuis le XVI<sup>ème</sup> siècle, le terme de Roumélie désigne l’ensemble des territoires balkaniques de l’empire ottoman, en opposition à la partie asiatique appelée Anatolie. Administrativement, on parle du pachalik de Roumélie qui comprend une trentaine de subdivisions géographiques, les sandjaks. Une réorganisation fait passer le nombre de sandjaks à une vingtaine au début du XVIII<sup>ème</sup>. Un certain nombre d’entre eux accèdent à une autonomie au sein de l’empire. Les Balkans sont un point de rencontre de l’influence de plusieurs empires concurrents. En 1816, un des sandjaks obtient plus d’indépendance sous le nom de Principauté de Serbie. En 1836, le Roumélie est divisée en trois territoires administratifs centrés autour de Salonique, Edirne et Monastir, eux-mêmes subdivisés en plusieurs sandjaks. Ces subdivisions varient selon les réformes en cours<ref>J. Pargoire, "Géographie administrative", ''Échos d'Orient'', vol. 2, n° 3, 1898 - [http://www.persee.fr/docAsPDF/rebyz_1146-9447_1898_num_2_3_3197.pdf En ligne]. Cem Behar, "Sources pour la démographie historique de l'empire ottoman : Les tahrirs (dénombrements) de 1885 et 1907", ''Population'', vol. 53 Population et histoire, n° 1, 1998 - [http://www.persee.fr/docAsPDF/pop_0032-4663_1998_num_53_1_6850.pdf En ligne]. Cem Behar, "Recensements et statistiques démographiques dans l'Empire ottoman, du XVIe au XXe siècle", ''Histoire & Mesure'', vol. 13 Compter l'autre, n° 1, 1998 - [http://www.persee.fr/docAsPDF/hism_0982-1783_1998_num_13_1_895.pdf En ligne]</ref>. Les Balkans ottomans sont secoués par de nombreuses manifestations et confrontations armées pour l’obtention de plus d’autonomie<ref>Yves Trernon, ''Empire ottoman. Le déclin, la chute, l’effacement'', Le Félin, 2002</ref>. Ces révoltes sont un mélange de revendications sociales populaires, de recherche de plus de pouvoir des bourgeoisies locales et de contestations nationalistes. La Principauté du Monténégro obtient vers 1850 son indépendance et celles de Roumanie en 1859. |
[[Fichier:Balkans1878_-1912.jpg|200px|thumb|right|La Roumélie après 1878]]Le Traité de San Stefano (actuel quartier Yeşilköy d’Istanbul), signé le 3 mars 1878, réorganise les provinces ottomanes à la suite des guerres russo-ottomanes dans les Balkans. Les principautés de Serbie, du Monténégro et de Roumanie accèdent à l’indépendance. Celle de Bulgarie s’étend de la mer Noire à la Macédoine, du Danube à la mer Égée. Elle comprend l’ensemble des bulgarophones. La Bosnie-Herzégovine reste province ottomane. Ce traité modifie aussi quelques frontières dans le Caucase. | [[Fichier:Balkans1878_-1912.jpg|200px|thumb|right|La Roumélie après 1878]]Le Traité de San Stefano (actuel quartier Yeşilköy d’Istanbul), signé le 3 mars 1878, réorganise les provinces ottomanes à la suite des guerres russo-ottomanes dans les Balkans. Les principautés de Serbie, du Monténégro et de Roumanie accèdent à l’indépendance. Celle de Bulgarie s’étend de la mer Noire à la Macédoine, du Danube à la mer Égée. Elle comprend l’ensemble des bulgarophones. La Bosnie-Herzégovine reste province ottomane. Ce traité modifie aussi quelques frontières dans le Caucase. | ||
− | Jugé trop favorable à la Russie, ce traité est contesté par le Royaume-Uni et l’Autriche-Hongrie lors du congrès de Berlin qui débouche sur un nouveau traité le 13 juillet 1878 entre le Royaume-Uni, l'Autriche-Hongrie, la France<ref>Pierre Voillery, "Un aspect de la rivalité franco-russe au XIXe siècle : les Bulgares", ''Cahiers du monde russe et soviétique'', vol. 21, n° 1, 1980 [http://www.persee.fr/docAsPDF/cmr_0008-0160_1980_num_21_1_1372.pdf En ligne]</ref>, l'Allemagne, l'Italie, l'empire russe et l'empire ottoman. Les principautés de Serbie et du Monténégro deviennent indépendantes mais perdent quelques territoires attribués par le traité de San Stefano. Celle de Roumanie s’agrandit au Sud vers le Danube. La Bosnie-Herzégovine est occupée par l’Autriche-Hongrie. La Bulgarie<ref>Kruno Meneghello-Dincic, "Les premiers fédéralistes bulgares", ''Revue d'histoire moderne et contemporaine'', vol. 5, n° 4, 1958 [http://www.persee.fr/docAsPDF/rhmc_0048-8003_1958_num_5_4_2671.pdf En ligne]. Éléna Ivanova-Foulliaron, "Les débuts du roman historique bulgare" [http://www.persee.fr/docAsPDF/slave_0080-2557_1988_num_60_2_5763.pdf En ligne]. Bernard Lory, "Quelques aspects du nationalisme en Bulgarie, 1878 – 1918". ''Revue des études slaves'', vol. 60, n° 2, 1988 [http://www.persee.fr/docAsPDF/slave_0080-2557_1988_num_60_2_5770.pdf En ligne]</ref> reconnue par ce traité s’étend du Danube aux contreforts des Balkans, elle est autonome mais reste vassale de l’empire ottoman. Elle ne comprend plus ni la partie sud qui devient la Roumélie orientale, ni la Roumélie qui regroupe la Macédoine, la Thrace et les régions albanophones<ref>Georges Castellan, ''Histoire des Balkans : XIV<sup>e</sup> – XX<sup>e</sup> siècle'', Fayard, 1999.</ref>. En 1885, la Roumélie orientale proclame son rattachement à la principauté de Bulgarie. La Roumélie ottomane regroupe alors les régions entre la mer Noire à l’est, la mer Égée au sud et l’Adriatique à l’ouest. Au nord de la Roumélie se trouvent le royaumes de Roumanie (1881 – 1947) et de Serbie (1882 – 1918) et les principautés de Bulgarie (1886 – 1908) et du Monténégro (1852 – 1910). L’autonomie de ces principautés et royaumes balkaniques est relative car l’empire ottoman a négocié divers arrangements militaires, économiques ou politiques. Au sud-est, un État grec indépendant a vu le jour en 1832 après une guerre de libération épaulée par la France. | + | Jugé trop favorable à la Russie, ce traité est contesté par le Royaume-Uni et l’Autriche-Hongrie lors du congrès de Berlin qui débouche sur un nouveau traité le 13 juillet 1878 entre le Royaume-Uni, l'Autriche-Hongrie, la France<ref>Pierre Voillery, "Un aspect de la rivalité franco-russe au XIXe siècle : les Bulgares", ''Cahiers du monde russe et soviétique'', vol. 21, n° 1, 1980 - [http://www.persee.fr/docAsPDF/cmr_0008-0160_1980_num_21_1_1372.pdf En ligne]</ref>, l'Allemagne, l'Italie, l'empire russe et l'empire ottoman. Les principautés de Serbie et du Monténégro deviennent indépendantes mais perdent quelques territoires attribués par le traité de San Stefano. Celle de Roumanie s’agrandit au Sud vers le Danube. La Bosnie-Herzégovine est occupée par l’Autriche-Hongrie. La Bulgarie<ref>Kruno Meneghello-Dincic, "Les premiers fédéralistes bulgares", ''Revue d'histoire moderne et contemporaine'', vol. 5, n° 4, 1958 - [http://www.persee.fr/docAsPDF/rhmc_0048-8003_1958_num_5_4_2671.pdf En ligne]. Éléna Ivanova-Foulliaron, "Les débuts du roman historique bulgare" - [http://www.persee.fr/docAsPDF/slave_0080-2557_1988_num_60_2_5763.pdf En ligne]. Bernard Lory, "Quelques aspects du nationalisme en Bulgarie, 1878 – 1918". ''Revue des études slaves'', vol. 60, n° 2, 1988 - [http://www.persee.fr/docAsPDF/slave_0080-2557_1988_num_60_2_5770.pdf En ligne]</ref> reconnue par ce traité s’étend du Danube aux contreforts des Balkans, elle est autonome mais reste vassale de l’empire ottoman. Elle ne comprend plus ni la partie sud qui devient la Roumélie orientale, ni la Roumélie qui regroupe la Macédoine, la Thrace et les régions albanophones<ref>Georges Castellan, ''Histoire des Balkans : XIV<sup>e</sup> – XX<sup>e</sup> siècle'', Fayard, 1999.</ref>. En 1885, la Roumélie orientale proclame son rattachement à la principauté de Bulgarie. La Roumélie ottomane regroupe alors les régions entre la mer Noire à l’est, la mer Égée au sud et l’Adriatique à l’ouest. Au nord de la Roumélie se trouvent le royaumes de Roumanie (1881 – 1947) et de Serbie (1882 – 1918) et les principautés de Bulgarie (1886 – 1908) et du Monténégro (1852 – 1910). L’autonomie de ces principautés et royaumes balkaniques est relative car l’empire ottoman a négocié divers arrangements militaires, économiques ou politiques. Au sud-est, un État grec indépendant a vu le jour en 1832 après une guerre de libération épaulée par la France. |
La "Question de Macédoine", autrement dit l'indépendance de la Roumélie, est au cœur du jeu politique balkanique. Pour les uns, elle est une méthode pour affaiblir encore plus l'empire ottoman, déjà chancelant, pour les autres elle est une lutte anti-impérialiste ou de libération nationale. La nuance entre les deux n'étant jamais bien claire. Avec l'accession à l'indépendance de la Bulgarie, pour beaucoup de bulgarophones, la [[Roumélie]] reste un territoire sous domination étrangère qui doit être "libéré". De nombreux jeunes bulgares s'investissent dans des projets de scolarisation ou d'amélioration de l'hygiène et des soins auprès des hominines bulgarophones de Roumélie ottomane. Des réseaux se tissent. Les lycées sont un vivier de révolutionnaires en herbe... | La "Question de Macédoine", autrement dit l'indépendance de la Roumélie, est au cœur du jeu politique balkanique. Pour les uns, elle est une méthode pour affaiblir encore plus l'empire ottoman, déjà chancelant, pour les autres elle est une lutte anti-impérialiste ou de libération nationale. La nuance entre les deux n'étant jamais bien claire. Avec l'accession à l'indépendance de la Bulgarie, pour beaucoup de bulgarophones, la [[Roumélie]] reste un territoire sous domination étrangère qui doit être "libéré". De nombreux jeunes bulgares s'investissent dans des projets de scolarisation ou d'amélioration de l'hygiène et des soins auprès des hominines bulgarophones de Roumélie ottomane. Des réseaux se tissent. Les lycées sont un vivier de révolutionnaires en herbe... |
Version du 14 octobre 2018 à 20:37
Les Bateliers (Гемиџии, transcrit Gemidžii, en macédonien) est un groupe anarchiste actif en Macédoine, alors Roumélie ottomane, entre la fin du XIXème et le début du XXème siècle après JC[1]. [En cours de rédaction]
SommaireContexteDepuis le XVIème siècle, le terme de Roumélie désigne l’ensemble des territoires balkaniques de l’empire ottoman, en opposition à la partie asiatique appelée Anatolie. Administrativement, on parle du pachalik de Roumélie qui comprend une trentaine de subdivisions géographiques, les sandjaks. Une réorganisation fait passer le nombre de sandjaks à une vingtaine au début du XVIIIème. Un certain nombre d’entre eux accèdent à une autonomie au sein de l’empire. Les Balkans sont un point de rencontre de l’influence de plusieurs empires concurrents. En 1816, un des sandjaks obtient plus d’indépendance sous le nom de Principauté de Serbie. En 1836, le Roumélie est divisée en trois territoires administratifs centrés autour de Salonique, Edirne et Monastir, eux-mêmes subdivisés en plusieurs sandjaks. Ces subdivisions varient selon les réformes en cours[2]. Les Balkans ottomans sont secoués par de nombreuses manifestations et confrontations armées pour l’obtention de plus d’autonomie[3]. Ces révoltes sont un mélange de revendications sociales populaires, de recherche de plus de pouvoir des bourgeoisies locales et de contestations nationalistes. La Principauté du Monténégro obtient vers 1850 son indépendance et celles de Roumanie en 1859. Le Traité de San Stefano (actuel quartier Yeşilköy d’Istanbul), signé le 3 mars 1878, réorganise les provinces ottomanes à la suite des guerres russo-ottomanes dans les Balkans. Les principautés de Serbie, du Monténégro et de Roumanie accèdent à l’indépendance. Celle de Bulgarie s’étend de la mer Noire à la Macédoine, du Danube à la mer Égée. Elle comprend l’ensemble des bulgarophones. La Bosnie-Herzégovine reste province ottomane. Ce traité modifie aussi quelques frontières dans le Caucase.Jugé trop favorable à la Russie, ce traité est contesté par le Royaume-Uni et l’Autriche-Hongrie lors du congrès de Berlin qui débouche sur un nouveau traité le 13 juillet 1878 entre le Royaume-Uni, l'Autriche-Hongrie, la France[4], l'Allemagne, l'Italie, l'empire russe et l'empire ottoman. Les principautés de Serbie et du Monténégro deviennent indépendantes mais perdent quelques territoires attribués par le traité de San Stefano. Celle de Roumanie s’agrandit au Sud vers le Danube. La Bosnie-Herzégovine est occupée par l’Autriche-Hongrie. La Bulgarie[5] reconnue par ce traité s’étend du Danube aux contreforts des Balkans, elle est autonome mais reste vassale de l’empire ottoman. Elle ne comprend plus ni la partie sud qui devient la Roumélie orientale, ni la Roumélie qui regroupe la Macédoine, la Thrace et les régions albanophones[6]. En 1885, la Roumélie orientale proclame son rattachement à la principauté de Bulgarie. La Roumélie ottomane regroupe alors les régions entre la mer Noire à l’est, la mer Égée au sud et l’Adriatique à l’ouest. Au nord de la Roumélie se trouvent le royaumes de Roumanie (1881 – 1947) et de Serbie (1882 – 1918) et les principautés de Bulgarie (1886 – 1908) et du Monténégro (1852 – 1910). L’autonomie de ces principautés et royaumes balkaniques est relative car l’empire ottoman a négocié divers arrangements militaires, économiques ou politiques. Au sud-est, un État grec indépendant a vu le jour en 1832 après une guerre de libération épaulée par la France. La "Question de Macédoine", autrement dit l'indépendance de la Roumélie, est au cœur du jeu politique balkanique. Pour les uns, elle est une méthode pour affaiblir encore plus l'empire ottoman, déjà chancelant, pour les autres elle est une lutte anti-impérialiste ou de libération nationale. La nuance entre les deux n'étant jamais bien claire. Avec l'accession à l'indépendance de la Bulgarie, pour beaucoup de bulgarophones, la Roumélie reste un territoire sous domination étrangère qui doit être "libéré". De nombreux jeunes bulgares s'investissent dans des projets de scolarisation ou d'amélioration de l'hygiène et des soins auprès des hominines bulgarophones de Roumélie ottomane. Des réseaux se tissent. Les lycées sont un vivier de révolutionnaires en herbe... Pour celleux qui le souhaitent, les instituteurs révolutionnaires deviennent ainsi des propagandistes. L'ouverture d'un lycée bulgare en Roumélie à Bitola et à Salonique est chose importante pour les bulgarophones, de Roumélie ou de Bulgarie, car ils offrent de nouvelles possibilités de rencontre et d'organisation collective. Les théories révolutionnaires arrivent en Roumélie grâce aux activistes bulgares qui les diffusent et créent - ou tente de le faire - de petits groupes là où ils passent. Traduits, les textes de Bakounine circulent beaucoup et sont appréciés par les positions qu'il développe sur le fédéralisme et le soutien nécessaire aux luttes dans les Balkans, ainsi son fédéralisme est une réponse pratique à la question naissante et pressante des nationalités et son analyse une forme de refus du jeu géopolitique qui voudrait sacrifier untel pour en sauver un autre. Dans ce contexte balkanique, les jeunes révolutionnaires bulgaro-macédoniens vont s'engager et mettre leur vie en jeu. Selon leurs sensibilités personnelles et leurs options politiques, illes vont tenter d'être acteur, à leur manière, dans une lutte composite dans laquelle se croisent des appels à une réforme agraire, des discours nationalistes, une dénonciation de la pauvreté et de l'occupation militaire, des rêves d'internationalisme et de révolution, etc. Les motivations sont multiples et parfois vraiment opposées politiquement, une vraie macédoine. Les plus révolutionnaires - bakouninistes et anarchistes-communistes - vont tenter d'y mettre leur grain de sel. Organisation révolutionnaire macédonienne (ORM)L’Organisation révolutionnaire macédonienne (ORM) est créée à Salonique en novembre 1893 par des partisans de l’indépendance de la Roumélie et un Comité Central fixe à l'été 1896 les buts de l'organisation. Ce comité s'inspire largement du programme du Comité Révolutionnaire Bulgare rédigé en 1869 à Genève par Bakounine et deux révolutionnaires bulgares. Soutenus par la Bulgarie, en quelques années ils installent une véritable guérilla dans des parties de la Roumélie et parviennent à administrer de petites zones "libérées" grâce aux tcheta, les milices armées, et rendent parfois la justice lors de différends locaux. Le journal Insurrection est lancé en 1894. Le premier atelier de bombes est installé en Bulgarie en 1896, suivi l'année d'après de deux nouveaux ateliers, qui parviennent à tous les trois à fabriquer plus de 1000 bombes. L'ORM se finance par le biais des cotisations de ses nombreux adhérents et sympathisants mais aussi - et surtout, car les populations sont pauvres - par des braquages ou des extorsions de fonds auprès de dignitaires ou de représentants ottomans, et plus rarement bulgares ou grecs. Les armes sont soit achetées en Grèce, soit volées lors d'attaques de casernes. Politiquement, l’ORM n’est pas un bloc homogène. En son sein cohabitent celleux qui veulent le rattachement à la Bulgarie, l’indépendance ou s’intégrer dans un projet de fédéralisme balkanique : nationalistes bulgares ou macédoniens, socialistes ou anarchistes. Même si des anarchistes, collectivement ou individuellement, participent aux activités politiques ou militaires dans des tcheta de l'ORM - parfois à des responsabilités importantes comme Gotze Deltchev ou Mihail Guerdjikov - les rapports ne sont pas toujours faciles. Parfois tendus. L'ORM mène une lutte de libération nationale et donc, en son sein, cohabitent des tendances contradictoires au nom de cette sacro-sainte libération. Tactiquement, l'ORM préconise une guerre de guérilla dans les territoires ottomans qu'elle espère conquérir progressivement et refuse les actions terroristes de petits groupes clandestins qu'elle juge inopportunes. En 1900, des comités révolutionnaires et des groupes de combattants sont présents dans de nombreux endroits de la Roumélie. L'ORM se fait connaître internationalement en septembre 1901 lors de l'enlèvement d'une missionnaire protestante américaine, Ellen Stone, et de son accompagnatrice Katerine Stefanova-Tsilka. Une rançon est demandée contre la libération des deux otages. Elles sont bien traitées et l'accompagnatrice accouche même de son enfant pendant les quelques mois de détention. Après le paiement de la rançon en janvier 1902, les deux kidnappées sont libérées. Miss Stone devient une fervente partisane de la cause macédonienne dont elle parle lors de différents meeting organisés aux États-Unis d'Amérique. En 1903, l'ORM devient l'Organisation Révolutionnaire Intérieure Macédo-Andrinopolitaine ou ORIMA[8]. Elle intègre maintenant différents autres mouvement jusqu'alors proches, comme en 1900 la Société de l’Assomption[9] dirigées par des femmes et dont le but est la scolarisation des plus pauvres et la mise en place de structures médicales pour soigner les combattants, ou concurrentes, comme en 1902 la Fraternité Secrète Révolutionnaire Bulgare qui sera par la suite l'aile droite de l'organisation. Même si l'ORIMA est la plus grosse des organisations luttant pour la libération de la Roumélie du joug ottoman, elle n'est pas la seule sur ce credo mais a une tendance à vouloir être hégémonique. Anarchistes bulgaro-macédoniensL'influence des révolutionnaires russes sur ceux de Bulgarie s'expliquent par les échanges entre les deux pays et par la présence de quelques révolutionnaires étrangers en Bulgarie et en Roumélie [10]. Le poète bulgare Hristo Botev[11] est un proche de Sergueï Netchaïev, l'amant russe d'Albertine Hottin, qu'il aide à obtenir des faux-papiers et, plus généralement, les allers-retours sont fréquents pour les étudiants et les activistes de tous poils. L'histoire et les méthodes des révolutionnaires russes est alors au centre des attentions. Imprégnés des écrits de Bakounine, plusieurs bulgares parcourent le territoire pour animer des discussions ou y créer des groupes locaux. Entre 1880 et 1890, plusieurs petits groupes anarchistes voient le jour, sans contact entre eux. Ils prônent l'auto-éducation par des lectures communes et des discussions, et quelques uns s'organisent dans des lycées en coopératives de consommation qu'ils nomment des "communes". La première imprimerie est montée en 1896 à Roussé. A l'automne 1895, Pitar Mandjoukov, Mihail Guerdjikov et Stefan Mikhov fondent avec une dizaine de personnes - trois sont macédoniens et le reste bulgares - le Comité Central Révolutionnaire Macédonien et sont expulsés de leur lycée de Plovdiv pour propagande anarchiste. Ils s'installent tout trois à Kazanlik pour continuer leurs études. De nouveau, un groupe anarchiste d'une vingtaine de membres voit le jour et, de nouveau, Mandjoukov, Guerdjikov et Mikhov sont virés du lycée en 1897. Finalement, Guerdjikov, puis Mandjoukov, partent pour Genève en Suisse. Ils y rencontrent un petit groupe d'anarchistes bulgaro-macédoniens composé de Svetoslav Merdjanov, Kina Guenova, Olga Balinova, Todora Zlateva et Jordan Kaltchev. Illes décident ensemble de lancer le "Groupe de Genève" qui bientôt se transforme en Comité Révolutionnaire Clandestin Macédonien (CRCM - Македонскиот таен револуционерен комитет - МТРК), présenté comme succursale de celui de Plovdiv. Dans son appel, rédigé en 1897 et largement diffusés en Bulgarie et en Roumélie, le Comité n’est pas favorable à une politique des nationalités et refuse de s’associer aux projets nationalistes. Il préconise une fédération entre la Macédoine et la Thrace (la Roumélie), embryon d’une plus large fédération balkanique dans laquelle toutes les populations pourraient vivre ensemble, sans distinction de nationalités. Il publie en 1898 les journaux отмъщение (Otmashtenie, "Vengeance" en français), sous la direction de Mandjoukov, et гласЪ (Glas, "Voix" en français). Nous ne savons ni le nombre d'exemplaires ni s'il y eut plusieurs numéros. Le nom des groupes genevois sont fluctuants et il est difficile d'en saisir la réalité, par exemple si le Comité des Révolutionnaires-Terroristes Macédoniens désigne, ou non, le Comité Révolutionnaire Clandestin Macédonien (CRCM). Le but affiché du groupe d'anarchistes de Genève est se battre en Roumélie pour qu'elle devienne Macédoine et Thrace libérées. Des tracts et des journaux sont envoyés à Plovdiv. Mandjoukov traduit en bulgare Les crimes de Dieu[12] de Sébastien Faure et la déclaration d'Émile Henry[13]Mandjoukov et Merdjanov passent les frontières et arrivent à Plovdiv en octobre 1898. Avec deux autres anarchistes - Kaltchev et Dimitar Kochtanov - ils y rencontrent Gotze Deltchev, anarchiste et membre de l'ORM. Ils se mettent d'accord pour des activités communes. Merdjanov et Kochtanov partent pour Salonique, Mandjoukov et Kaltchev pour Skopje, pour y former de nouveaux groupes. Mandjoukov fait paraître pour l'occasion L’ABC de la doctrine anarchiste et Merdjanov regroupe quelques anarchistes dont la plupart seront membres des Bateliers. Après quatre mois Merdjanov se fait expulsé hors de l'empire ottoman, quant à Mandjoukov, dénoncé, il est arrêté à la frontière bulgaro-ottomane, jugé puis condamné à la peine de perpétuité. Acquitté et libéré en appel, il quitte Skopje et rejoint Sofia par des chemins détournés. Il y retrouve Merdjano, Deltchev et Pitar Sokolov. Tous les quatre décident d'intégrer une petite unité de guérilla menée par Deltchev. Le groupe entre en Roumélie en juillet 1899 pour y mener des actions de guérilla contre les forces ottomanes. Au bout de quatre mois, Mandjoukov et Merdjanov retournent en Bulgarie, très critiques sur le choix tactique de la guérilla. Sokolov rentre en janvier 1900. Les BateliersSvetoslav Merdjanov et Pitar Mandjoukov veulent s'en tenir à ce que le Groupe de Genève préconise : faire des actions terroristes ciblées contre les représentants et les soutiens du pouvoir ottoman. Leur but est tout autant d'affaiblir les ottomans, par la terreur, la destruction et la pression des investisseurs étrangers, que d'alerter le monde sur la situation en Roumélie et la lutte pour l'indépendance.
Pour ce faire, ils ont pour compagnons ceux du petit groupe d'anarchistes monté par Merdjanov à Salonique. Généralement, ce groupe est désigné par le terme de Bateliers (Гемиџии, transcrit Gemidžii, en macédonien) sans que l'on en sache exactement la raison[15]. Le premier nom retenu, Gürültücü, était sans doute moins obscur. Pioché dans la langue turque osmanli[16], ce mot signifie "fauteur de trouble" ou "bruyant".
Banque ottomane d'IstanbulFin 1899, Merdjanov et Mandjoukov se rendent sous de fausses identités à Istanbul, chacun empruntant un itinéraire différent. Leur but est d'y mener une action violente, mais ils ne disposent que de peu de moyens. Les premiers fonds sont obtenus auprès de l'exarque Joseph I[18] à qui Merdjanov extorque un peu d'argent. En couverture, Merdjanov se prétend étudiant en droit, dont la santé fragile nécessite d'être à Istanbul, et Mandjoukov dit vouloir s'inscrire au lycée français de la ville. Ce dernier justifie de revenus en se faisant embaucher comme typographe dans l'unique imprimerie bulgare stanbouliote, tenue par Stoyanov Kaltchev et son fils Nantcho, tout deux sympathisants de la "cause macédonienne". Comme tous les ans, afin d'assister à une cérémonie devant le supposé manteau de Mahomet[19], le sultan ottoman se déplace dans Istanbul à bord d'une calèche entre son palais et le lieu de la cérémonie. C'est cette occasion, le 14 janvier 1900, que Merdjanov et Mandjoukov choisissent pour intenter à la vie du sultan. Mais la foule et la rapidité à laquelle passe le cortège sultanesque ne permettent pas aux deux anarchistes de lancer leur bombe ou d'ouvrir le feu sans prendre le risque de faire des blessés innocents. Finalement, ils renoncent à cette action. Ayant eu vent de la présence de ce groupe d'anarchiste, l'ORM, qui désavoue les attentats comme mode d'action, envoie à Istanbul un de ses membres pour exécuter Merdjanov et Mandjoukov. Parvenus à déjouer cette tentative, sans tuer leur exécuteur, les anarchistes chargent Jordan Popjordanov l'un des leurs à Salonique de faire savoir directement à la direction de l'ORM que : Sans connaître la nature exacte de leurs projets, ni leurs identités réelles, les autorités ottomanes lancent une récompense de 10 000 lires pour la capture de S. Merdjanov et P. Mandjoukov. Pitar Sokolov les rejoint à la fin du mois de janvier 1900. Il arrive sous sa vraie identité et fait valoir sa profession de peintre. Décidés à organiser un nouvel attentat, le trio anarchiste jette son dévolu sur la banque ottomane d'Istanbul[20] qu'ils veulent détruire à l'explosif, celle-là même que des arméniens avaient occupé en 1895[21]. Pour eux, la cible est doublement intéressante car, outre les bureaux de la banque, le bâtiment abrite la régie des tabacs dont les principaux capitaux sont français. Début mars 1900, une maison de trois étages est louée en face de la banque au nom de l'imprimeur, des stocks de papier et des caisses vides y sont entreposés. Dans cette maison, un puisard de 80 cm de large et 3,5 mètres de profondeur est la base de départ de leur projet de percement d'un tunnel de 14,5 mètres sous la rue pour rejoindre un coin du bâtiment bancaire et y déposer des charges explosives. Deux personnes - Zvetko Naoumov et Hadjiata - sont affectées à la surveillance de la maison pendant que deux équipes se relaient pour percer. Konstantin Kirkov et Mandjoukov forment une équipe, Sokolov et Merdjanov une autre. Le 10 mars Mandjoukov entame, seul, les trois premiers jours de travaux, armé d'un marteau, de burins, de bougies, d'allumettes et d'une boussole :
Pendant une semaine, 10 heures par jour, les deux membres d'une équipe se chargent alternativement, par tranche d'une heure, du creusement et de l'évacuation des gravats pour l'un et de l'activation manuelle d'un grand soufflet de forgeron servant d'aération pour l'autre - afin d'éviter l'asphyxie qu'a connu Mandjoukov. Ils restent, sans sortir, une semaine entière à travailler, puis ils sont relayés par l'autre équipe. Une fois par semaine, le mercredi, le responsable du détachement militaire protégeant la banque fait une tournée d'inspection des lieux et maisons à proximité du bâtiment. Il inspecte quelques caisses de la maison louée et n'y trouve à chaque fois que des livres de langue russe ou des manuels législatifs. La nouvelle équipe profite de la relève militaire et de l'inspection hebdomadaire pour venir remplacer leurs compagnons. Kirkov quitte Istanbul fin mai et Pavel Chatev le remplace début juin. Arrive aussi Popjordanov en ce début d'été 1900, venu aider mais aussi voir le procédé afin de peut-être faire la même chose à Salonique[23]. Épuisants, les travaux continuent, mais ne peuvent se faire qu'en journée car les coups de marteau risquent d'être entendus la nuit. Finalement, le percement est terminé le 7 août, presque 5 mois après le début des travaux. Les 100 kg d'explosif doivent arriver de Batum - dans l'actuelle Géorgie - par l'entremise d'un arménien, Kosakov, mais la marchandise se fait saisir par le hasard d'un contrôle douanier. Kosakov est arrêté mais ne livre aucune information. En tant qu'étranger à l'empire ottoman, il est finalement expulsé. Et plus d'explosifs. Dénoncés à la police ottomane par - selon Mandjoukov - l'exarque Joseph I qui n'a pas digéré d'avoir été extorqué, Merdjanov, Chatev, Sokolov et Mandjoukov sont arrêtés l'un après l'autre vers la mi-septembre 1900. Ils sont interrogés et emprisonnés pendant deux mois. La police n'identifie même pas Merdjanov et Mandjoukov pour qui elle a pourtant promis une récompense en cas de capture et les motifs de leurs arrestations n'ont pas de liens avec le percement du tunnel. L'ORM profite de cette arrestation pour envoyer à Istanbul l'un des siens afin de faire un rapport sur ce projet de tunnel. Finalement, devant l'absence de charge, le sultan ordonne l'expulsion de trois d'entre eux vers la Bulgarie, seul Chatev - originaire de Kratovo en Roumélie ottomane - est assigné à résidence dans sa ville natale. Dès leur retour en Bulgarie fin novembre 1900, Merdjanov, Sokolov et Mandjoukov tentent de se fournir en explosif pour terminer leur opération et participent à des activités plus classiquement militantes[24]. Alors que Mandjoukov se fait embaucher en tant qu'acteur dans un théâtre ambulant, les deux premiers se joignent en juillet 1901 à une attaque armée contre un train afin de le dévaliser dans la région d'Andrinople. Mais l'opération est un échec et la petite équipe doit se replier. Dans leur fuite, ils kidnappent le fils d'un dignitaire ottoman mais au moment de la remise de la rançon ils sont pris sous le feu des militaires de l'empire. Victime collatérale dans le langage polémologique, le "fils à papa" est tué lors des échanges de tirs. Sokolov est lui aussi tué[25]. Merdjanov[26], gravement blessé, Hristo Iliev et deux arméniens Onik Torocian et Simerdjian sont arrêtés. Mandjoukov et Popjordanov essayent d'organiser une attaque de la prison pour libérer leurs compagnons mais l'opération est abandonnée faute de moyens. Après quatre mois d'interrogatoires et de tortures, les quatre survivants sont condamnés à être pendu en place publique. La sentence est exécutée à Andrinople le 27 novembre 1901. Merdjanov tente une ultime déclaration mais, empêché, il place lui-même la corde autour de son cou et appelle une dernière fois à la révolution avant de mourir. Lors de perquisitions et d'arrestations à Salonique dans les rangs de l'ORM, la police ottomane tombe sur le rapport fait par l'envoyé de l'organisation sur le tunnel de la banque d'Istanbul. Stoyanov Kaltchev et son fils Nantcho sont arrêtés et condamnés à un siècle de prison. Le premier meurt rapidement et le second après sa libération en 1908. Attaques de SaloniquePour survivre, Jordan Popjordanov et Pitar Mandjoukov se font embaucher dans les mines de fer, proches de la ville bulgare de Bourgas sur la mer Noire, puis enchaînent les petits boulots. En février 1902[27], Popjordanov part pour Genève, en Suisse, où un membre de l'ORM lui remet une grosse somme d'argent. Comme cela fut tenté à Istanbul, une équipe se charge du percement d'un tunnel pour dynamiter la banque ottomane de Salonique. Un local est loué par Vladimir Pingov et Ilia Tratchkov dans la même rue que la banque et transformé en salon de coiffure. Pavel Chatev et Dimitar Kochtanov entament les travaux de percement et le reste de l'équipe se charge de l'évacuation, dans des caisses, de terre qui est jetée à la mer. Mais le manque de moyens financiers contraint à suspendre le projet. L'accès au tunnel est bouché. L'argent remis à Genève à Popjordanov relance les travaux en mai 1902. Un nouveau local est loué au nom de Marko Bochnakov, transformé cette fois-ci en épicerie. Ce tunnel doit rejoindre l'ancien creusé à 3,5 mètres de profondeur. Après divers problèmes, les travaux s'achèvent en février 1903 et les explosifs sont installés à la mi-mars sous la banque. Une tonne d'explosif est achetée, et, via le port de Marseille, arrive à Alexandroupoli - alors en Thrace ottomane - en novembre 1902. Mais la marchandise est finalement récupérée par l'ORM. Un second envoi de 120 kg d'explosif passe par l'Autriche et la Serbie pour parvenir à Plovdiv où Mandjoukov les stocke. Étiquetés "Batum 1889" qui indique sa provenance et son ancienneté, les 120 kg d'explosif doivent être manipulés avec précaution. Mandjoukov se charge de la logistique. Divisés en deux, les explosifs sont acheminés à Salonique, une partie l'est via Sofia, cachée dans des sacs de riz et des bidons d'huile, et l'autre transite par Istanbul avant d'arriver à Salonique. Au total, ce sont 300 kg d'explosif dont disposent le groupe d'anarchistes. Le 27 avril, tous les participants aux actions armées à venir se réunissent pour en fignoler l'organisation et se répartir les taches. La plupart font librement le choix de ne pas survivre aux actions, seuls Chatev, Bochnakov et Milan Arsov décident de tenter de s'échapper s'ils le peuvent. L'arrivée le 28 avril dans le port de Salonique du navire français Le Guadalquivir de la compagnie des Messagerie maritimes est le signal convenu pour le début des opérations. Sous un nom d'emprunt, Chatev se rend à bord du bateau et y dépose une dizaine de kg d'explosif dans la salle des machines. L'explosion - qui n'a fait aucun blessé - provoque un incendie qui contraint à l'évacuation de tous les passagers. Chatev profite de ce départ par chaloupe pour s'éclipser et prendre un train direction Skopje. L'incendie illumine la rade de Salonique pendant des heures. Dans la nuit, Dimitar Metchev, Ilia Tratchkov et Milan Arsov font exploser une bombe sur la voie de chemin de fer Salonique-Istanbul causant seulement quelques dégâts sur des wagons et la locomotive.Dans la soirée du 29, Konstantin Kirkov fait exploser les conduites du gaz d’éclairage, plongeant Salonique dans l'obscurité, et pose une bombe devant le Grand Hôtel de la ville. Popjordanov active le dispositif sous la banque et la fait exploser. Le bâtiment est détruit. Arsov jette une bombe dans le jardin du théâtre de verdure l'Alhambra, et Georgi Bogdanov dans un café. Après une tentative d’incendie échouée, Pingov[28] se fait tuer par un policier ottoman. Metchev[29] et Tratchkov[30] essayent sans succès de faire exploser le réservoir de gaz d’éclairage et l’usine attenante. S'engage alors une fusillade entre eux deux et une patrouille, lors de laquelle, à cours de munitions, ils trouvent la mort. Après avoir lancé quelques bombes devant l’hôtel d’Égypte et le théâtre Éden, Popjordanov et Kirkov s'éclipsent. Dans la matinée du 30, Kirkov[31] tente de s'introduire dans la poste centrale en se faisant passer pour un citoyen français ayant besoin d'envoyer un télégramme, mais il est intercepté devant et tué par le militaire en faction sans avoir pu activer sa bombe. Retranché chez lui, Popjordanov[32] affronte pendant plusieurs heures un groupe de militaires sur lesquels il tire et jette des bombes. A cours de munition, il est abattu. Tzvetko Naoumov[33] tente d'assassiner le préfet Hassan Fethi Pacha mais il en est empêché par des militaires. Il fait exploser sa bombe et meurt le 1er mai 1903. Exils et déportationsLa répression fait 35 morts selon les ottomans, entre 200 et 300 selon d’autres chiffres. Sur les environ 2000 personnes arrêtées, 353 sont jugées et 33 d’entre elles sont condamnées[17]. Pavel Chatev, Marko Bochnakov [34], Georgi Bogdanov et Milan Arsov [35] le sont à la peine capitale et les autres à des peines de 5 à 101 années de prison. Finalement, les peines de mort sont commuées en perpétuité. Après trois ans d’emprisonnement, les quatre perpet’ sont transférés à Mourzouk dans le désert du Fezzan libyen. En 1908, lors de l’amnistie des Jeunes-Turcs, seuls Chatev et Bogdanov sont encore vivants. ÉpilogueGotze Deltchev[36] est abattu le 4 mai 1903 lors d'un accrochage entre sa tcheta et une patrouille à sa poursuite dans la région de Salonique. En août 1903, dans le vilayet de Monastir (actuel Bitola), et en Thrace éclate une insurrection menée par l’ORIMA. Selon l’Organisation, plus de 25000 combattants affrontement les militaires ottomans dans des actions armées menées sur tout le territoire. Dans le vilayet de Monastir, là où les combats sont les plus féroces, la République de Krouchevo est proclamée le 3 août et, en Thrace, la Commune de Strandja l’est le 18. La première ne dure que dix jours et la seconde résiste jusqu’au 8 septembre. Le caractère anarchiste de la brève expérience de la Commune de Strandja tient à la présence d'anarchistes parmi les tcheta mais aussi à la volonté de Mihail Guerdjikov[37], coordinateur en chef des tcheta de Thrace. La réponse ottomane est sanglante : environ 12000 maisons détruites, 200 villages rasés, plusieurs dizaines de milliers de personnes sont à la rue et plus de 30 000 immigrent vers un autre pays. L’insurrection est écrasée en novembre 1903. L’aile gauche[38], qui n’était pas favorable au lancement de l’insurrection d’août 1903, jugée prématurée, est alors prédominante parmi les militants de l’ORIMA. Les divergences politiques et stratégiques sont de plus en plus importantes et, en 1907, la rupture est consommée après des assassinats internes. L’ORIMA cesse ses activités l’année suivante. Avec la montée des Jeunes-Turcs, certains se lancent dans l’activisme légal. Face à la tournure nationaliste turc prise par ce mouvement, l’ORIMA est reconstituée et reprend les armes en 1909. Un groupe d'anarchistes des Balkans dénommé Fraternité rouge mène encore des actions contre les militaires dans plusieurs régions sous domination ottomane entre 1910 et 1912 [10]. PostéritéGalerieNotes
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