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Les scénarios scientifiques actuels sur le peuplement de la planète par les hominines sont encore incertains. Les vagues successives et désordonnées d'hominines quittant le continent africain s'échelonnent sur plusieurs dizaines de millénaires. Les recherches en génétique ne permettent pas encore d'établir de schémas et de parcours précis pour expliquer la présence hors d'Afrique de populations d'hominines qualifiées de "''noires''" dans le sud du globe, des populations de Tasmanie - aujourd'hui disparues<ref>''Les Passagers anglais''</ref> - à celles de l'archipel d'[[Andaman et Nicobar (Îles)|Andaman et Nicobar]], de Papouasie, d'Australie, des Philippines, de Malaisie, de Thaïlande ou d'Inde.
 
Les scénarios scientifiques actuels sur le peuplement de la planète par les hominines sont encore incertains. Les vagues successives et désordonnées d'hominines quittant le continent africain s'échelonnent sur plusieurs dizaines de millénaires. Les recherches en génétique ne permettent pas encore d'établir de schémas et de parcours précis pour expliquer la présence hors d'Afrique de populations d'hominines qualifiées de "''noires''" dans le sud du globe, des populations de Tasmanie - aujourd'hui disparues<ref>''Les Passagers anglais''</ref> - à celles de l'archipel d'[[Andaman et Nicobar (Îles)|Andaman et Nicobar]], de Papouasie, d'Australie, des Philippines, de Malaisie, de Thaïlande ou d'Inde.
  
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[[Fichier:Afrocaucaz.jpg|200px|vignette|droite|Afro-caucasien en 1870<ref>Cette photo est réalisée en 1870 par l'étasunien George Kennan dans la région du Karabagh, à l'est de la chaîne caucasienne.</ref>]]
 
Il en est de même avec les populations d'hominines à la peau "noire" peuplant les rivages des mers Caspienne et Noire. La plus ancienne mention de telles populations dans la région est celle de l'historien grec Hérodote dans ses ''Histoires''<ref>Hérodote, ''Histoires'', Livre II, chapitre CIV - [https://fr.wikisource.org/wiki/Histoire_(H%C3%A9rodote)/Trad._Larcher,_1850/Livre_II En ligne]</ref>, écrites vers le V<sup>ème</sup> siècle avant JC<sup>&#9400;</sup>. Selon lui, les hominines de l'antique royaume de Colchide<ref>Colchide</ref> sont "''descendants d’une partie des troupes [du pharaon] Sésostris. [...] Deux indices : le premier, c’est qu’ils sont noirs, et qu’ils ont les cheveux crépus, preuve assez équivoque, puisqu’ils ont cela de commun avec d’autres peuples ; le second, et le principal, c’est que les Colchidiens, les Égyptiens et les Éthiopiens sont les seuls hommes qui se fassent circoncire de temps immémorial''". Cette hypothèse fait donc remonter leur installation aux environs de 2000 avant JC<sup>&#9400;</sup>. Pour cet historien ces populations d'hominines arrivent dans la région avec les tentatives de conquête égyptienne et en sont les descendantes. Peuplée alors de différentes tribus, la Colchide correspond approximativement aux régions actuelles de Mingrélie et de Svanetie en Géorgie et aux rivages tchernomoriens<ref>Relatif à la mer Noire, de Tcherno Mori</ref> d'Abkhazie. Au fil des siècles, l'avancée des empires grec, perse, romain puis byzantin intègre de fait la Colchide à leurs territoires, tout en accordant une certaine autonomie à des dynasties et royaumes locaux.  
 
Il en est de même avec les populations d'hominines à la peau "noire" peuplant les rivages des mers Caspienne et Noire. La plus ancienne mention de telles populations dans la région est celle de l'historien grec Hérodote dans ses ''Histoires''<ref>Hérodote, ''Histoires'', Livre II, chapitre CIV - [https://fr.wikisource.org/wiki/Histoire_(H%C3%A9rodote)/Trad._Larcher,_1850/Livre_II En ligne]</ref>, écrites vers le V<sup>ème</sup> siècle avant JC<sup>&#9400;</sup>. Selon lui, les hominines de l'antique royaume de Colchide<ref>Colchide</ref> sont "''descendants d’une partie des troupes [du pharaon] Sésostris. [...] Deux indices : le premier, c’est qu’ils sont noirs, et qu’ils ont les cheveux crépus, preuve assez équivoque, puisqu’ils ont cela de commun avec d’autres peuples ; le second, et le principal, c’est que les Colchidiens, les Égyptiens et les Éthiopiens sont les seuls hommes qui se fassent circoncire de temps immémorial''". Cette hypothèse fait donc remonter leur installation aux environs de 2000 avant JC<sup>&#9400;</sup>. Pour cet historien ces populations d'hominines arrivent dans la région avec les tentatives de conquête égyptienne et en sont les descendantes. Peuplée alors de différentes tribus, la Colchide correspond approximativement aux régions actuelles de Mingrélie et de Svanetie en Géorgie et aux rivages tchernomoriens<ref>Relatif à la mer Noire, de Tcherno Mori</ref> d'Abkhazie. Au fil des siècles, l'avancée des empires grec, perse, romain puis byzantin intègre de fait la Colchide à leurs territoires, tout en accordant une certaine autonomie à des dynasties et royaumes locaux.  
  

Version du 20 juillet 2020 à 15:57

Zana. Femelle fantasmée dans la chaîne montagneuse du Caucase.


[En cours de rédaction]


Imaginaires

Au cours des millénaires qui précèdent la parution du Seigneur des Anneaux ou la sortie de Warcraft en 2016 après JC[1], les hominines se sont progressivement forgés des imaginaires pour décrire les régions qui leur restent inaccessibles. Les océans, les fleuves, les forêts, les montagnes et les déserts sont des lieux de vie pour d'innombrables être vivants homininoïdes et organisés en sociétés distinctes, ou parfois solitaires. L'expansion des hominines à travers le globe terrestre a mis à mal ces univers parallèles. Le développement de la navigation a fait chavirer les mythes des sirènes et des monstres marins, la déforestation est venue à bout des lutins, des fées et des magiciens, l'urbanisation galopante a expulsé et rasé des villages entiers de gnomes, l'électrification a emprisonné les trolls[2], les animaux fantastiques se sont éteints. L'exemple le plus connu est celui des tanuki dans le documentaire Pompoko[3] en 1994 qui relate la tentative de les exproprier en 1960 et la résistance menée grâce à la peau de leurs testicules, multi-fonction, extensible et indestructible. Afin de minimiser un propos qui pourrait être interprété comme cryptozoophobe[4], la protivophilie réaffirme ici qu'il n'est pas plus risible de croire en ces mythes qu'en une quelconque divinité, à des prophètes ou à des miracles. Mais pas moins non plus. L'humour est toujours relatif mais il n'en reste pas moins qu'il n'y a toujours pas plus de preuves sur l'existence de dieu que sur Gollum et son précieux ou les pères Noël et Fouettard.

Un village tanuki au XIXème siècle

Les hominines sont de très petits animaux en comparaison des dimensions du globe terrestre. Malgré leurs artifices techniques, l'immensité des océans reste encore inexplorée et les zones difficilement habitables, tel les déserts et les montagnes gigantesques, sont toujours les lieux d'histoires fantastiques. La diversité des mythes des hominines désignent par une multitude de noms des êtres vivant dans les hauteurs enneigées ou les vastes forêts d'altitude[5]. Plus d'une trentaine à travers le monde dont les plus connus sont le yéti himalayen et le bigfoot nord-américain. Les récits et témoignages qui mentionnent depuis des siècles ces êtres mystérieux parlent de formes homininoïdes, de grandes tailles et partiellement recouverts de pelage. La couleur de celui-ci est différent selon les régions du monde, plutôt blanche dans les zones enneigées, plutôt brune dans les zones forestières. Les descriptions sont très floues et les rencontres éphémères. Il n'existe aucune photo et les quelques représentations sont des dessins réalisés d'après les témoignages ou les divagations de l'artiste. Aucune objet, aucun cadavre. Rien ne vient étayer leur existence réelle. Il en est ainsi pour toutes les créatures des mythologies des hominines. Pas plus de nouvelles de Bouraq[6], l'âne ailé de Mahomet le prophète des mahométiens[7], que du Pégase de l'antiquité grecque ou des licornes de Mon Petit Poney. Idem des géants bibliques, des "hommes sans tête" de Marco Polo ou de la bête du Gévaudan.

A partir du XVIIème siècle après le prophète des christiens, les démarches scientifiques s'emparent de ces récits. Au cours des siècles, des expéditions se montent, à la recherche des êtres mythologiques. Conformément aux sciences de leur époque, encore balbutiantes dans le domaine du vivant, des hominines voient dans ces homininoïdes le "chaînon manquant" entre les grands singes et les hominines "homo sapiens". Ce modèle explicatif - dit transformiste - est par la suite invalidé par l'approche évolutionniste. Il persiste encore de nos jours dans une représentation populaire du "progrès" qui montre une suite de personnages allant du petit singe se transformant progressivement en un hominine "homo sapiens" ou dans l'affirmation erronée que "l'Homme descend du singe". Aussi saugrenue puisse-t-elle paraître, cette hypothèse du chaînon manquant tente de répondre à des problématiques avec les outils disponibles, la biologie est naissante et la religion omniprésente. De la même façon que les théories sur des continents engloutis s'expliquent par la volonté de comprendre les similarités de faune et de flore dans des régions très éloignées à une époque où la dérive des continents est encore loin d'être une théorie. Les représentations du chaînon manquant se conforment à l'image que se font les préhistoriens du XIXème siècle des "hommes préhistoriques"[8].

Les nouvelles découvertes d'ossements et les progrès technologiques au cours des XXème et XXIème siècles ont permis d'étoffer les scénarios sur l'évolution des hominines, malgré l'obstruction des religions qui persistent avec leurs théories créationnistes[9]. Les premiers schémas simplistes et linéaires, de type arbre de l'évolution et sortie d'Afrique, ont laissé place à des visions plus buissonnantes et des hypothèses multiples quand aux modalités de sortie. La diversité de squelettes disponibles permet aujourd'hui d'identifier plusieurs types d'hominines[10] et de supposer que les croisements génétiques se font tout autant en Afrique que dans le reste du monde, à différentes époques et sans suivre de schémas systématiques. Telle "une belle bande de bâtards !", l'être humain (homo sapiens) actuel est l'unique espèce survivante et génétiquement héritière de tous ces hominines. Les nouvelles théories sur l'évolution des hominines ont réactivé, bien malgré elles, les croyances sur le "chaînon manquant" qui y voient dorénavant une survivance d'une espèce d'hominine, injustement décrétée disparue ou non encore identifiée. Avec quelques rares témoignages récents, la traque planétaire continue. Malgré un nombre de followers bien moins élevé que Hulk, le chaînon manquant 2.0 s'intègre à la culture populaire moderne, sortant parfois du simple registre de la "bête humaine", faisant des apparitions au cinéma, dans la littérature et la musique aux côtés de stars du moment. Loin de la représentation classique du bigfoot, le numéro 179 de la revue publiée par la société d'histoire étasunienne Marvel, est entièrement consacré au Chaînon Manquant[11]. De manière récurrente, les sociétaires de Marvel organisent des rencontres avec Hulk qu'il est le seul à pouvoir véritablement affronter. Et peut-être vaincre ? Tout deux ont un vocabulaire très limité et leurs rencontres ne sont que bagarres brutales et destructrices : il est par conséquent toujours impossible d'en apprendre plus sur les mœurs du Chaînon Manquant, sa vie sociale, sa sexualité ou ses croyances. Que pense-t-il de Michel Onfray ou du dernier Booba ? Le mystère demeure. Star discrète, fuyant les endroits people, nous ne disposons toujours que de photographies floues et ses seules apparitions se font sous le masque de la fiction et des effets spéciaux. Des analyses récentes sur des échantillons récoltés dans le Caucase et prétendument d'origine "inconnue" n'ont pas permis de mettre en évidence une quelconque preuve de l'existence d'un chaînon manquant ou d'un ancien hominine[12]. Tout au plus ont-elles relancé l'hypothèse sur des espèces de grand ours, non répertoriées, apparentées aux ours polaires et sylvestres... Toutes les expéditions parties à la recherche de ce "chaînon" ces deux dernières siècles se sont soldées par des échecs. Rien de plus. Aucune trace du chuchuna sibérien ou du kaptar caucasien.

Caucase ?

Carte linguistique simplifiée du Caucase[13]

Conséquence de la rencontre des plaques tectoniques arabique et eurasiatique, la chaîne montagneuse du Caucase s'étend sur plus de 1200 kilomètres entre les mers Caspienne et Noire, et une vingtaine de ses sommets culminent entre 4000 et 5600 mètres d'altitude. La partie orientale, la plus basse, est plutôt sèche, la centrale est faîte de hautes montagnes et de sommets enneigés et la partie occidentale est une zone de forêts. La géopolitique moderne divise le Caucase entre, au sud, l'Azerbaïdjan, l'Arménie, la Géorgie et les auto-proclamées Ossétie du Sud et Abkhazie, et au nord la Russie et ses nombreux découpages administratifs, tel le Daghestan, l'Ossétie du Nord ou la Tchétchénie par exemple[14].

Depuis des millénaires les hominines s'installent dans les innombrables vallées et les plaines des versants nord et sud de la chaîne montagneuse. Des royaumes s'y sont constitués, des empires s'y sont échoués et des populations s'y sont réfugiées. Selon des mythes de l'antiquité grecque, le Caucase est une escale pour Jason et ses argonautes dans leur périlleuse quête de la Toison d'Or et le lieu du supplice de Prométhée[15], condamné à être dévoré éternellement pour avoir offert la connaissance (du feu) aux hominines. Dans les recoins et les étendues caucasiennes des sociétés d'hominines se constituent. En parallèle des centres urbains qui s'érigent, la géographie du Caucase favorise l'éclosion d'une multitude de communautés éparses. Certaines sont très isolées et participent peu aux échanges commerciaux ou culturels avec les villages et villes de la région. La chaîne montagneuse du Caucase et ses deux versants abritent plus d'une centaine de pratiques linguistiques différentes, certaines parlées par une centaine d'hominines seulement. Une copieuse macédoine. Leurs origines et leurs influences sont multiples. Des cultures singulières se sont forgées le long des méandres et des vallées profondes[16]. Cette chaîne montagneuse est une vraie cour de récréation pour les linguistes et les anthropologues, voulant étudier, par exemple, les mœurs des "juifs des montagnes"[17], interroger le dernier locuteur de l'oubykh[18], identifier une nouvelle "langue" ou en exhumer une antique, ou bien encore converser avec des mystiques de tout poil. Les mythologies des moïsiens, des christiens, des mahométiens et des bouddhiens[7] imprègnent la vie sociale des hominines du Caucase. Parfois de façons peu orthodoxes. A la charnière du XIXème et du XXème siècle, des voyageurs européens documentent leurs passages dans le Caucase en publiant leurs récits et leurs observations ethnologiques, botaniques ou animalières[19].

Capture

À environ 2700 kilomètres de Nice et 1600 de la Macédoine, dans les alentours d'Ochamchiré[20], près des côtes au climat tropical de la mer Noire à l'ouest de la chaîne montagneuse du Caucase, des marchands capturent vers 1850 une créature "mi humaine, mi singe". Cette femelle est décrite comme mesurant environ deux mètres et dotée d'une force physique hors-norme. Selon les témoignages de cette époque, "très résistante au froid, son corps est entièrement couvert d'un duvet roux, à l'exception de son visage, de ses mains et de ses pieds". Sa peau est foncée et son visage se caractérise par une large dentition, des pommettes proéminentes, un nez aplati et des sourcils épais. Il est dit qu'elle peut concurrencer un cheval à la course, remonter le vif courant d'une rivière et être en capacité de porter de très lourdes charges. Son langage est incompréhensible pour ses ravisseurs qui ne mentionnent que des cris et des grognements pour seule expression orale. Elle correspond aux croyances locales sur le kaptar (ou almasty), le "chaînon manquant" ou "yéti caucasien". Jugée peu coopérative et agressive, elle est mise en cage pendant plus de trois années. "Adoucie" par sa captivité, elle est rachetée par un notable du village de Tkhina, à une vingtaine de kilomètres au nord d'Ochamchiré, où il l'emploie pour les travaux aux champs, la collecte de bois et, de manière générale, pour tous les travaux pénibles. Surnommée Zana, elle décède vers 1890 après plusieurs décennies de captivité.

Imaginez

Les scénarios scientifiques actuels sur le peuplement de la planète par les hominines sont encore incertains. Les vagues successives et désordonnées d'hominines quittant le continent africain s'échelonnent sur plusieurs dizaines de millénaires. Les recherches en génétique ne permettent pas encore d'établir de schémas et de parcours précis pour expliquer la présence hors d'Afrique de populations d'hominines qualifiées de "noires" dans le sud du globe, des populations de Tasmanie - aujourd'hui disparues[21] - à celles de l'archipel d'Andaman et Nicobar, de Papouasie, d'Australie, des Philippines, de Malaisie, de Thaïlande ou d'Inde.

Afro-caucasien en 1870[22]

Il en est de même avec les populations d'hominines à la peau "noire" peuplant les rivages des mers Caspienne et Noire. La plus ancienne mention de telles populations dans la région est celle de l'historien grec Hérodote dans ses Histoires[23], écrites vers le Vème siècle avant JC. Selon lui, les hominines de l'antique royaume de Colchide[24] sont "descendants d’une partie des troupes [du pharaon] Sésostris. [...] Deux indices : le premier, c’est qu’ils sont noirs, et qu’ils ont les cheveux crépus, preuve assez équivoque, puisqu’ils ont cela de commun avec d’autres peuples ; le second, et le principal, c’est que les Colchidiens, les Égyptiens et les Éthiopiens sont les seuls hommes qui se fassent circoncire de temps immémorial". Cette hypothèse fait donc remonter leur installation aux environs de 2000 avant JC. Pour cet historien ces populations d'hominines arrivent dans la région avec les tentatives de conquête égyptienne et en sont les descendantes. Peuplée alors de différentes tribus, la Colchide correspond approximativement aux régions actuelles de Mingrélie et de Svanetie en Géorgie et aux rivages tchernomoriens[25] d'Abkhazie. Au fil des siècles, l'avancée des empires grec, perse, romain puis byzantin intègre de fait la Colchide à leurs territoires, tout en accordant une certaine autonomie à des dynasties et royaumes locaux.

À partir du XVème siècle, la région du Caucase est disputée par les empires russe, perse et ottoman, puis devient dans les siècles suivants le point de rencontre de ces trois empires. Progressivement, une grande partie du Caucase passe sous la domination de l'empire ottoman. D'après certaines sources, au XVIIème siècle, quelques dizaines d'esclaves africains sont offerts par le tsar russe à une prince abkhaze afin de les faire travailler dans des plantations d'agrumes, alors que d'autres sources mentionnent le naufrage d'un bateau d'esclaves dont les quelques survivants s'établissent près de Adzyubzha, sur les côtes de la mer Noire, à l'embouchure de la rivière Kodori. D'après des historiens[26], ces esclaves venaient d’Éthiopie, conquise partiellement par l’Égypte mamelouk au cours du XVIème siècle, du Soudan et de la Corne de l'Afrique. Le bateau est envoyé en direction de la Crimée pour être offert en cadeau au pouvoir local mais il s'échoue sur les côtes orientale de la mer Noire. D'autres encore citent l'achat par un prince abkhaze d'esclaves noirs et leur installation le long de la rivière Kodori pour protéger la frontière entre l'Abkhazie et la Mingrélie dans la seconde moitié du XVIIème siècle.

L'empire russe, après des guerres contre les perses et les ottomans, parvient à conquérir progressivement le Caucase dans la première moitié du XIXème siècle. Le retrait des ottomans n'entame pas la détermination de quelques "peuples montagnards" qui résistent à l'avancée russe avant d'être définitivement défaits en 1859[27]. L'administration locale mise en place par le nouveau gouverneur se dote d'une garde rapprochée composée de quelques afro-caucasiens[28]. Les statistiques russes du XIXème siècle les classent parfois dans la catégorie "Arabe" ou "Juif" — comprenez moïsien[7]. Des photographies sont même réalisées par l'explorateur étasunien George Kennan vers 1870. En effet, tout au long du XIXème siècle, des aventuriers, des explorateurs, des écrivains et des savants européens découvrent les cultures et les légendes caucasiennes, et de nombreux ouvrages sont publiés sur ces sujets. Parmi ceux-ci, les récits mythiques de l'épopée narte[29] sont étudiés. Ils mentionnent l'existence de plusieurs centaines d'hominines à la peau noire ramenés dans le Caucase après un voyage africain des héros légendaires de cette épopée commune à plusieurs populations caucasiennes.

Quelles que soient les origines exactes de ces hominines à la peau noire, au XIXème siècle leur nombre est estimé à quelques familles vivant dans des villages sur le cours des rivières Moski et Kodori dans la région d'Ochamchiré. Les pratiques linguistiques, culturelles et religieuses de ces afro-abkhazes sont alors largement similaires à celles des populations abkhazes alentour. La plupart sont employées dans l'agriculture (maïs, vigne et agrumes), l'extraction de charbon dans les mines de Tkvarchreli ou dans l'industrie textile. La prise de pouvoir des bolchevistes[30] en Russie en 1917, la mise en place de l'Union Soviétique et l'industrialisation poussent les afro-abkhazes - et d'autres populations locales - à migrer vers d'autres régions caucasiennes pour y travailler. Leurs villages se vident petit à petit des jeunes hominines. Lors de leur visite en 1927 dans le village d'Adzyubzha, les écrivains russe Maxime Gorki et abkhaze Samson Chanba relatent leurs rencontres avec quelques personnes âgées encore présentes. De ces discussions, ils en concluent à l'origine éthiopienne des afro-abkhazes étant donné les similitudes entre les noms de certains de leurs villages avec d'autres situés en Éthiopie[31]. La politique des nationalités[32] du pouvoir soviétique reconnaît environ 200 communautés "ethno-linguistiques" minoritaires à qui sont attribués des statuts de "république" ou "territoire" autonomes, voire de reconnaissance non-territoriale, une normalisation de pratiques linguistiques pour consolider les différentes langues et programmes de scolarisation dans ces dites langues minoritaires. Il n'en est rien pour les afro-abkhazes. Au nom de l'anti-racisme officiel de l’État, il n'est pas envisagé une reconnaissance basée sur la "race". Paradoxalement, c'est pour avoir la peau noire et des origines africaines que les afro-abkhazes n'obtiennent pas de statut particulier et que la politique à leur encontre est de faire comme si ce n'était pas le cas[33]. D'après les critères de la politique des nationalités, les afro-abkhazes ne sont pas une "nation historique" et leur situation ne permet pas d'imaginer qu'elle puisse se développer économiquement et culturellement. Selon Joseph "Staline" Djougachvili, autoproclamé — sans ironie[34] — "Petit Père des Peuples", "une nation est une communauté stable, historiquement constituée, de langue, de territoire, de vie économique et de formation psychique, qui se traduit dans la communauté de culture. Et il va de soi que la nation, comme tout phénomène historique, est soumise aux lois de l’évolution, a son histoire, un commencement et une fin."[35]. Sa disparition est l'avenir de la minuscule communauté afro-abkhaze. Les individus sont appelés à dissoudre leur "particularité" dans un projet d'homo sovieticus. Une continuation ethno-symbolique du Pacte germano-soviétique[36] qui unit le racisme de l'Allemagne hitlériste à l'eugénisme social de l'Union soviétique staliniste ! En 1942, le journal pro-soviétique de langue anglaise Soviet Russia Today publie un article dans lequel il met en scène un afro-abkhaze et justifie de fait cette absence. Le titre est un bon résumé : "A Negro Citizen of Soviet Georgia: The Story of Bashir Shambe, Brought from Persia into Tsarist Russia as a Slave, Now one of Soviet Georgia's Distinguished Citizen" ![37] Le pouvoir préfère valoriser les quelques africains, afro-étasuniens et caribéens qui s'installent en Union soviétique pour fuir les situations de racisme dans leurs pays respectifs ou pour soutenir l'expérience soviétique et vivre le communisme[38], ou bien encore publiciser les voyages de quelques-uns des intellectuels et activistes des luttes anti-racistes des années 1960-1970. Les étudiants africains inscrits dans les universités sont aussi une bonne vitrine. Pouchkine[39] reste un auteur russe[40]. Faute d'effort des autorités soviétiques, les quelques demandes de prise de contact avec des afro-abkhazes ne purent jamais aboutir. Après avoir fuit en 1967 aux États-Unis où elle demande l'asile, la fille de Staline et de sa seconde épouse Nadejda Sergueïevna Allilouïeva, Svetlana Allilouïeva, fait paraître en 1969 le livre Only One Year[41] dans lequel elle confirme la présence des populations d'hominines à la "peau noire" vivant dans les régions montagneuses reculées d'Abkhazie. Selon elle, les afro-abkhazes vivent pauvrement, sont peu alphabétisés et les mélanges avec les autres populations locales sont très rares. Comme pour les autres abkhazes, le russe est devenu la langue de communication et quelques jeunes font leurs études dans cette langue. Elle précise que les populations d'hominines afro-abkhazes ont quasiment disparues au cours de la première moitié du XXème siècle. Quelques années plus tard, l'écrivain abkhaze Fazil Iskander publie le roman Sandro de Tchéguem, écrit entre 1973 et 1988, qui retrace la vie de l'imaginaire village abkhaze de Tchéguem entre 1890 et 1980. Il reçoit en 1989 le Prix d'État de l'URSS, l'ex-Prix Staline.

- Et comment vivent les noirs en Union soviétique ?
- Quels noirs ? demande l'hôte.
- Comment ça quels noirs ? — s'étonne le prince en regardant les autres noirs assis à la même table — Vous !
- Nous ne sommes pas noirs, — répond l'hôte avec son sourire caractéristique et en hochant la tête vers les autres noirs — nous sommes abkhazes.[42]

Cocasse ?

Rapture

Notes

  1. JC
  2. The Troll Hunter, réalisé en 2010 par le norvégien André Øvredal
  3. Réalisé en 1994 par le japonais Isao Takahata, le documentaire Pompoko retrace l'histoire de la ZAD tanuki à l'ouest de Tokyo
  4. La cryptozoologie recherche les formes de vie, animales ou végétales, dont nous ne disposons que de témoignages et dont aucune preuve tangible de l'existence n'a été clairement établie : de l'agneau-végétal de Tartarie au bonnacon, le taureau péteur, en passant par le monstre du Loch Ness ou le Poisson Évêque, mi-hominine mi-poisson habillé en évêque.
  5. Les déserts semblent abriter des êtres plutôt évanescents, génies et autres esprits. La chaleur est rude à supporter.
  6. Dans l'univers mahométien, Bouraq permet au prétendant prophète de se déplacer par les airs entre La Mecque et Jérusalem, et d'aller jusqu'au "Ciel", le quartier-général céleste de la divinité.
  7. 7,0 7,1 et 7,2 Mahométien désigne celles et ceux qui croient que Mahomet est un prophète - les musulmans - comme le terme de christien désigne les chrétiens adeptes de Jésus aka Christ, celui de moïsien les adeptes de Moïse, les juifs, et de bouddhien pour les adeptes de Bouddha.
  8. Jean-Paul Demoule, "Sciences de l'Homme : le retour de l'irrationnel ?", La Recherche, vol. 23, n° 246,‎ 1992.
  9. Pascal Picq, Lucy et l'obscurantisme, Odile Jacob, 2007
  10. types d'hominines
  11. Dans l'univers de Marvel, Chaînon Manquant est découvert en 1968. Emprisonné sous terre depuis des millénaires, Chaînon Manquant est un "néandertaloïde" de plus de deux mètres pesant plus de 500 kg, doté d'une très grande force. Son corps émet des radiations mortelles - En ligne
  12. Dernière expédition années 2000
  13. Sur cette carte ne figure que les pratiques linguistiques érigées en langues littéraires ou nationales. Par exemple, l'appellation "abkhaze" regroupe en fait trois pratiques régionales distinctes dont une seul sert de base à la langue littéraire abkhaze. L'appellation "géorgien" regroupe quant à elle plusieurs dizaines de pratiques régionales, linguistiquement proches mais différenciées, parmi lesquelles on retrouve entre autres le mingrélien, le svane, l'adjar ou le gourien, généralement appelées langues kartvéliennes. Les pratiques linguistiques de Karthlie, en Géorgie centrale, constituent la base de la langue nationale sous le nom de géorgien.
  14. Ordres et désordres au Caucase, Éditions de l’Université libre de Bruxelles, 2010 - En ligne. Religion et politique dans le Caucase post-soviétique, Institut français d’études anatoliennes, 2007 - En ligne.
  15. Prométhée
  16. Alexandre Grigoriantz, La montagne du sang. Histoire, rites et coutumes des peuples montagnards du Caucase, Georg Éditeur, 1998.
  17. "Juifs des montagnes" est l'autre nom des judéo-tats, une communauté aux croyances moïsiennes parlant le juhuri — une variante de la langue tat parlée par des mahométiens et des christiens — et vivant à l'est du Caucase (Daghestan russe et Azerbaïdjan). V.A. Dmitriev, "Les Juifs des montagnes : un groupe ethnique et confessionnel stable", Religion et politique dans le Caucase post-soviétique, 2007 - En ligne. Joseph de Baye, Les juifs des montagnes et les Juifs géorgiens : souvenirs d'une mission, Nilsson, Paris, 1902, 36 p.
  18. Tevfik Esenç meurt en 1992 en Turquie à l'âge de 88 ans. Il était le dernier locuteur de l'oubykh, une langue apparentée à l'abkhaze. Il fut l'un des hominines auprès de qui le linguiste français Georges Dumezil a recueilli la matière pour son dictionnaire et sa grammaire oubykh, ainsi que des légendes et des mythologies. Georges Dumezil, Contes et légendes des Oubykhs, Institut d'ethnologie, 1957 - En ligne
  19. En français voir par exemple : Jean-François Gamba, Voyage dans la Russie méridionale, et particulièrement dans les provinces situées au delà du Caucase, 1826 - En ligne. Alexandre Dumas, Le Caucase, 1859 - En ligne. Carla Serena, "Excursion au Samourzakan et en Abkasie", Le Tour du Monde, n° 43, 1882 - En ligne. Joseph de Baye, En Abkhasie: Souvenirs d'une mission, 1904 - En ligne. Ella Maillart, Parmi la jeunesse russe - De Moscou au Caucase, Paris, Fasquelle, 1932
  20. Dans l'actuelle république auto-proclamée d'Abkhazie, à l'ouest de la Géorgie. Ochamchiré est jumelée avec Bender en république auto-proclamée de Pridniestrie
  21. Les Passagers anglais
  22. Cette photo est réalisée en 1870 par l'étasunien George Kennan dans la région du Karabagh, à l'est de la chaîne caucasienne.
  23. Hérodote, Histoires, Livre II, chapitre CIV - En ligne
  24. Colchide
  25. Relatif à la mer Noire, de Tcherno Mori
  26. Manuscrit anonyme rédigé au XVIème siècle et conservé à Paris
  27. Chamil
  28. Ivan Isakov
  29. épopée narte
  30. bolchevistes
  31. Voir aussi Patrick T. English, "Cuschites, Colchians and Khazars", Journal of Near Eastern Studies, 18, n° 1, janvier 1959 - En ligne
  32. politique des nationalités
  33. Kesha Fikes, Alaina Lemon, "African Presence in Former Soviet Spaces", Annual Review of Anthropology, Vol. 31, 2002 - En ligne
  34. Collectif, Les déportations en héritage. Les peuples réprimés du Caucase et de Crimée hier et aujourd'hui, Presses Universitaires de Rennes, 2009
  35. Joseph Staline, Le Marxisme et la Question nationale, 1913 - En ligne
  36. En 1939 Adolf Hitler et Joseph Staline pactisent un traité de non-agression. L'invasion allemande en 1941 met fin à cette entente.
  37. Isidor Schneider, "A Negro Citizen of Soviet Georgia: The Story of Bashir Shambe, Brought from Persia into Tsarist Russia as a Slave, Now one of Soviet Georgia's Distinguished Citizen", Soviet Russia Today, 1942
  38. H. Haywood, Black Bolshevik : Autobiography of an Afro-American Communist, Chicago, 1978
  39. D'ascendance africaine par son arrière-grand-père maternel, proche du tsar et anobli, l'écrivain russe Alexandre Pouchkine publie en 1837 Le Nègre de Pierre le Grand.
  40. Allison Blackely, Russia and the Negro. Blacks in Russian History and Thought, Howard University Press, 1986 - En ligne
  41. Svetlana Allilouïeva, En une année, Robert Laffont, 1970. La famille de Staline est originaire de Géorgie.
  42. Fazil Iskander, Sandro de Tchéguem