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− | Lors de son cours passage au centre d'orientation de Toulouse il fait connaissance de militants "maos" <ref>Au sens strict, les maoïstes, appelés aussi "maos", sont un courant révolutionnaire marxiste s'inspirant de la "Pensée Mao Zedong", le grand timonier de la révolution en Chine. La lecture qui est faite de Mao en Europe et aux États-Unis d'Amérique est diverse. Des révolutionnaires y puisent ses aspects marxistes autoritaires alors que d'autres ne retiennent que sa célèbre maxime "On a toujours raison de se révolter" et font de la Révolution culturelle chinoise une révolte spontanée de la jeunesse face à l'immobilisme et les conservatismes. En France, dans les années 1970, les nombreux groupes maoïstes s'associent aux luttes des travailleurs immigrés, des femmes, des homosexuels, des prisonniers, des révolutionnaires du monde entier dans une pratique politique qualifiée de nos jours de "mouvementiste". Ils s'enthousiasment pour le monde ouvrier et la jeunesse délinquante. Cette myriade maoïste s'active dans tous les sens pour susciter une grande révolte populaire sans hiérarchie ni parti politique, spontanée. Le terme de "mao-spontex", ou simplement "spontex", désigne les maoïstes spontanéistes qui dans l'anonymat s'acharnent à souffler sur les braises du grand incendie à venir. </ref>, dont certains sont éducateurs, et participe à quelques tractages du Secours Rouge <ref>Sur le modèle de la Croix Noire Anarchiste, crée au début du XX<sup>ème</sup> siècle pour venir en aide aux prisonniers anarchistes, le Secours Rouge International est lancée en 1922 afin d'aider les prisonniers communistes et plus généralement les victimes de la lutte des classes. Cette organisation disparaît dans le début des années 1940. Depuis de nombreuses organisations communistes et collectifs de solidarité avec des prisonniers aiment à se prétendre en être une sorte de continuité et opte pour en reprendre le nom.</ref>. | + | Lors de son cours passage au centre d'orientation de Toulouse il fait connaissance de militants "maos" <ref>Au sens strict, les maoïstes, appelés aussi "maos", sont un courant révolutionnaire marxiste s'inspirant de la "Pensée Mao Zedong", le grand timonier de la révolution en Chine. La lecture qui est faite de Mao en Europe et aux États-Unis d'Amérique est diverse. Mise au travail, répression policière et culte de la personnalité sont les ingrédients du maoïsme vue par celles et ceux qui ne le vivent pas et veulent faire croire à son aspect libertaire. Des révolutionnaires y puisent ses aspects marxistes autoritaires alors que d'autres ne retiennent que sa célèbre maxime "On a toujours raison de se révolter" et font de la Révolution culturelle chinoise une révolte spontanée de la jeunesse face à l'immobilisme et les conservatismes. Voir une critique de cet engouement par N'Gô Van, "Le Maoïsme à travers le petit livre rouge", paru dans le journal ''Informations Correspondance Ouvrières'', n° 112-113, 1971 - [https://analectes2rien.legtux.org/images/PDF/maoico.pdf En ligne]. En France, dans les années 1970, les nombreux groupes maoïstes s'associent aux luttes des travailleurs immigrés, des femmes, des homosexuels, des prisonniers, des révolutionnaires du monde entier dans une pratique politique qualifiée de nos jours de "mouvementiste". Ils s'enthousiasment pour le monde ouvrier et la jeunesse délinquante. Cette myriade maoïste s'active dans tous les sens pour susciter une grande révolte populaire sans hiérarchie ni parti politique, spontanée. Le terme de "mao-spontex", ou simplement "spontex", désigne les maoïstes spontanéistes qui dans l'anonymat s'acharnent à souffler sur les braises du grand incendie à venir. </ref>, dont certains sont éducateurs, et participe à quelques tractages du Secours Rouge <ref>Sur le modèle de la Croix Noire Anarchiste, crée au début du XX<sup>ème</sup> siècle pour venir en aide aux prisonniers anarchistes, le Secours Rouge International est lancée en 1922 afin d'aider les prisonniers communistes et plus généralement les victimes de la lutte des classes. Cette organisation disparaît dans le début des années 1940. Depuis de nombreuses organisations communistes et collectifs de solidarité avec des prisonniers aiment à se prétendre en être une sorte de continuité et opte pour en reprendre le nom.</ref>. |
<blockquote>''Après, j'ai revu les anars, des mecs bonards. Là, on faisait déjà des casses, avec les anars. On habitait dans une piaule pourrie, quartier réservé. On faisait des petits casses comme ça.'' <ref name="#bils" /></blockquote> | <blockquote>''Après, j'ai revu les anars, des mecs bonards. Là, on faisait déjà des casses, avec les anars. On habitait dans une piaule pourrie, quartier réservé. On faisait des petits casses comme ça.'' <ref name="#bils" /></blockquote> |
Version du 12 novembre 2018 à 23:16
Jean Bilski. Mort anonyme de la guerre sociale.
SommaireFaimLa mère de Jean Bilski quitte son village pour Paris car ce fils est né hors-mariage vers 1954 après Jésus aka Christ©[1] et la "société villageoise" conservatrice voit cela d'un très mauvais œil. L'enfant est jugé honteux et le père reste inconnu. Jean Bilski est élevé à la campagne par ses grands-parents - des ouvriers agricoles - jusqu'à l'âge de onze ans où sa mère décide de le reprendre à sa charge. Il s'installe avec elle et son nouveau parâtre dans le Var. Alors qu'il est au collège, avec deux ou trois de ses amis, il fait de petits vols dans des maisons inhabitées de Saint-Aygulf, entre Saint-Raphaël et Sainte-Maxime, lors desquels ils détroussent de l'alcool et des livres. Bilski entre au lycée technique de Draguignan à l'âge de seize ans. La famille habite dans la caravane beau-paternelle. Au bout de deux mois, il fugue avec quelques comparses mais sont repris peu de temps après.
Selon ses dires, il découvre l'anarchisme lors d'un petit boulot où il est chargé de vider les poubelles et de ramasser les journaux dans un centre de vacances. Dans ce contexte qui mêle journalisme et détritus, il trouve "logiquement" un numéro du Nouvel Observateur qui relate de menus infos sur les anarchistes. Jean Bilski lit des livres sur l'anarchisme et organise même des petites expositions sur le sujet dans son lycée. Une nouvelle fugue et ses parents décident de l'envoyer à Toulon où il passe devant le juge pour enfant, puis est envoyé dans un centre d'orientation en mai 1970. Il y reste un mois et fugue de nouveau. MilieuLors de son cours passage au centre d'orientation de Toulouse il fait connaissance de militants "maos" [3], dont certains sont éducateurs, et participe à quelques tractages du Secours Rouge [4].
Il survit ainsi en multipliant les petits casses dans des maisons dont le butin est ensuite revendu au marché aux puces de la ville. La nourriture est volée, mais le petit groupe vit "comme des malheureux" [2]. Jean Bilski est arrêté en possession de mèches à explosif - dit cordon Bickford - et prend un mois et demi de prison à Draguignan. À sa sortie il réintègre le centre d'orientation mais n'y reste que huit mois. En novembre 1971, il fugue et tente de survivre, mais le manque d'argent est problématique. En février 1972, armé d'une mitraillette Sten il fait son premier braquage.
"Mort aux vaches" et les trois point tatoués en triangle sont alors l'équivalent de l'actuel "All Cops Are Bastard". Pendant un an, il grenouille "vaguement quoi" avec les maos de La Cause du Peuple[5] en qui il voit des espèces d'anarchistes. Parmi le groupe de militants qu'il fréquente il est le seul ouvrier. Et traité comme tel, avec toute la déférence que les "maos" affectionnent vis-à-vis de ce qu'ils appellent la classe ouvrière[6]. Il trouve un travail de manœuvre sur les chantiers navals de la Seyne-sur-mer, près de Toulon, et y reste presque une année entière avant de se faire licencier pour sa participation à des grèves. Tout en côtoyant ces militants politiques qui ne cautionnent pas son acte, il effectue seul le braquage d'une petite banque dans laquelle il rafle vingt mille francs, "deux briques", soit deux millions d'anciens francs[7]. Pour ce faire, il s'arme d'une imitation de M16 qu'il modifie et, sans le savoir, le rend inutilisable ! Il fuit l'agence qu'il vient de braquer avec sa propre mobylette. En couverture, il se fait embauché à la Ciotat et fait une formation de soudeur pendant six mois, puis travaille seulement deux mois avant de quitter cet emploi. Il tombe malade et part six mois dans un sanatorium. En plein chagrin après une séparation amoureuse, avec un comparse, il participe à un braquage dans le Gard, à Uzès. Ils n'ont pas le temps de se faire ouvrir le coffre et doivent se contenter de la caisse qui contient 50000 francs. Ils s'enfuient en voiture - une Citroën DS - et prennent en otage un des deux motards de la police alors à leur poursuite. Ils volent une voiture.
Après avoir abandonné leur otage, ils rejoignent Avignon, puis se séparent. Jean Bilski se change, coupe ses cheveux et passe par Orange pour retourner jusqu'à Toulon. Son comparse disparaît avec l'argent. Pour vivre, il enchaîne quelques braquages mais la plupart des coups qu'il tente de mettre en place restent sans lendemain. Son idée est de dévaliser un fourgon ou un casino. Il imagine même enlever un banquier ou l'écrivain Jean-Edern Hallier [9], qu'il n'a pas l'air d'apprécier[10]. Les braquages de banque ne rapportent pas assez, une fois le butin réparti entre les braqueurs. Il espère réaliser un gros coup afin de ne plus avoir à prendre des risques toutes les deux semaines pour de petites sommes. A Narbonne, il braque une agence bancaire mais le caissier résiste un peu et l'équipe perd du temps. Il échappe de peu à la capture. Dans sa fuite, il braque encore une épicerie et parvient à se changer. Il fuit à pied par les petites rues narbonnaises, puis se posent dans un bar. Le coup est réussi. Lors de ses braquages, il a souvent une fausse grenade avec lui. Pour impressionner. Et il se targue de n'avoir pris que des flics en otage. Il se dit suicidaire depuis des années sans n'être jamais passé à l'acte. Les raisons sont multiples et l'argent n'est pas le seul problème. Celui pour qui "c'est plus difficile de draguer une nénette que d'attaquer une banque" [2] se dit plein d'envies qu'il sait irréalisables.
Concrètement, à Nice, un ami de Jean Bilski se fait frapper par deux néo-fascistes. D'après lui, les plus énervés des militants d'extrême-droite aiment à se livrer à du tabassage de gauchiste ou autres clampins sans que cela n'entraîne de représailles. Il le déplore et est bien décidé à venger son ami. Ses propos sous-entendent que vengeance il y eut mais sans donner plus de précisions. Jean Bilski rêve encore mais il lui manque "500 briques" [2] pour mener à bien le projet qui lui tiendrait le plus profondément à cœur.
L'argent lui manque pour ce projet, mais aussi la vingtaine de complices pour mener à bien son utopie. Pour autant, il se dit lui-même incapable de vivre en communauté sans chercher à exercer du pouvoir, à vouloir tout contrôler. Par peur bien plus que par avidité. Il est bien conscient aussi que l'argent fausse les rapports entre les hominines, entre celleux qui en ont et les autres. Alors il prend la décision de se suicider. Mais il ne compte pas partir tout seul. Pour lui, il doit tout faire pour protéger ses proches de ses actes futurs, pour ne pas les impliquer malgré elleux, et mettre fin à ses jours avec panache.
Dans son plan, il a prévu de parvenir à s'échapper mais espère vraiment que la police sera suffisamment efficace pour l'abattre lors de sa fuite. Ses chances de survie sont quasi-nulles.
Dans le courant de l'année 1975, il rencontre un journaliste de Libération qui fait des enquêtes sur les "jeunes braqueurs fous". Celui-ci enregistre Jean Bilski pendant un heure et demie où il se raconte à travers une interview. Il parle de son parcours, de ses espoirs et dépressions, de sa vie et de ses projets suicidaires. Il se livre honnêtement sur ses propres limites, analyse sa situation de prolétaire et interroge sur l'utilité de l'action politique pour répondre à l'immédiateté de quelqu'un qui veut vivre ou trouver une raison de vivre. D'après le journaliste, Bilski revient le voir trois jours plus tard pour lui annoncer un changement de programme.
La cassette audio de l'entretien est mise dans un tiroir. Sans suite. Plus de nouvelles de Jean Bilski. Des buts ?Le matin du 14 mai 1976, Boulevard des Italiens à Paris, Jean Bilski s'approche, une arme à la main, près d'une voiture. Il vise l'un des deux occupants, tire et le tue. La passagère est blessée. Bilski contourne la voiture et se tire deux balles dans le corps. Une dans le ventre, une dans la tête. Il meurt de ses blessures. Sa cible est le président du Crédit Lyonnais Jacques Chaine depuis 1970, puis PDG depuis 1974, très impliqué dans un récent conflit social et encore en froid avec les syndicats. Hormis son P38 et une fausse grenade, la police trouve sur Bilski ses papiers d'identité. Aucune revendication [12]. L'enquête incrimine les "anarchistes", la presse y va de son couplet sur la dangerosité et la délinquance de la jeunesse ou reprend les divagations policières qui parlent du milieu anarcho-gauchiste toulousain[13]. La Fédération Anarchiste fait savoir qu'elle n'a strictement rien à voir avec cette histoire. Pour rompre, selon ses dires, avec le discours que l'affaire Bilski déclenche, le journal Libération fait paraître dans ses éditions du 19 et du 20 mai 1976 la retranscription de l'entretien donné par Bilski l'année précédente. L'enquête policière conclura à l'acte individuel d'un jeune anarchiste de 22 ans. L'éditorial de Libération sur "L'affaire du Boulevard des Italiens" se sent obligé de rappeler que :
Ce que n'aurait pas démenti Jean Bilski. Épiphénomène
Cet extrait du roman Les sept fous de Roberto Arlt résume à lui seul de nombreuses vies, celles d'hominines désespérés d'attendre quelque chose qui ne vient pas. La reconnaissance sociale, les amours heureuses, les envies inassouvies et les instants de tranquillité. L'insurrection ? La guerre sociale - c'est-à-dire les mécanismes collectifs et/ou individuels pour survivre à des conditions sociales, sur lesquelles il n'y a aucune prise directe, et aux dispositifs de coercition mis en place pour les faire accepter - engendre son lot de morts. Paradoxalement, le suicide transforme le nihilisme en une croyance, celle en la mort et ses illusions libératrices. Si Jean Bilski n'est pas le premier à ne pas vouloir partir seul, Richard Durn[17] ne sera sans doute pas le dernier à pratiquer cette forme particulière de suicide assisté. Ainsi va aussi la guerre sociale[18]. Ladislav Klíma, un suicidaire inachevé mort de la tuberculose, rend hommage à ces anonymes qui crurent voir dans leurs gestes une illusoire libération :
Notes
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