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Germaine Berton
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'''Berton, Germaine''' (1902 - 1942) Anarchiste, par choix, née en France, par hasard.
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== Biographie ==
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[[Fichier:fauxbras.jpg|200px|thumb|right|Mer Noire de César Fauxbras (1935)]]Née en 1902 après JC<ref>De par le dégoût qu'ils suscitent au sein de la [[protivophilie]], il n'a pas été possible de choisir le plus approprié des JC parmi ceux qui s'offraient pour cet article : Jacques Chirac ou Juan Carlos. Tous potentielles cibles de Germaine Berton qui ne supporte ni les relents chauvins, ni les prétentions royales. Le premier est en passe de mourir - juste une question de jours - et le second assiste à son suicide royal et familial. Ils représentent la fin symbolique mais illusoire de choses détestables. "''Se faire des illusions est un problème dans la mesure où, justement, il est question d’une illusion''" (Introduction du film ''[[Los Porfiados]]''). Mais pourquoi ne pas s'en réjouir malgré tout ? </ref>d'un père ouvrier socialiste et franc-maçon et d'une mère institutrice et catholique, Germaine Berton commence à travailler dès l'adolescence<ref>Pierre Bourson, ''Le Grand secret de Germaine Berton : la Charlotte Corday des anarchistes'', 2008. Marie-Anne-Charlotte de Corday d’Armont (1768 – 1793) est condamnée à mort et exécutée par guillotine le 17 juillet 1793 pour l’assassinat de Jean-Paul Marat quelques jours plus tôt. Elle lui reproche les dérives violentes de la Révolution française.</ref>. Employée comme ouvrière elle découvre le syndicalisme au lendemain de la Première guerre mondiale. En 1919, elle prend part au Comité syndicaliste révolutionnaire de la ville de Tours. Ces comités regroupent les minoritaires de la CGT qui critiquent le choix de "l'union sacrée" pendant la Première guerre mondiale, l'influence grandissante des communistes et la politisation du syndicalisme. Cela aboutit à plusieurs scissions au sein de la CGT entre les courants syndicalistes révolutionnaires, anarchistes et communistes. D'abord fervente socialiste, Germaine Berton se rapproche petit à petit des anarchistes individualistes. Elle est aussi active dans un comité de Défense des marins de la Mer Noire qui se mutinent le 16 avril 1919 sur plusieurs bateaux français venus en renfort pour une intervention anti-bolcheviste. Déjà usés par la Première guerre mondiale, les marins critiquent leurs conditions de vie et les choix politiques, certains demandent le ralliement aux bolchevistes, d'autres ne veulent que rentrer en France, certains se mutinent d'autres non, certains élisent des soviets alors que d'autres n'ont aucune sympathie révolutionnaire. La majorité des bateaux de la flotte française de la mer Noire sont touchés par ces mouvements de contestations<ref>Philippe Masson, ''La Marine française et la Mer noire 1918-1919'', Éditions de la Sorbonne, 1982. Pour une approche "libertaire", voir César Fauxbras, ''Mer Noire. Les Mutineries racontées par un mutin'', Flammarion, 1935. Fauxbras (1899 – 1968) publie plusieurs romans et récits basés sur sa propre vie de marin. En 1935, son ''Viande à brûler. Journal d'un chômeur'' est une description de la crise économique des années 30 en France. Pour une approche "communiste", voir André Marty, ''La Révolte de la mer Noire'', 1929. Réédité chez Maspero en 1970. Marty se fait connaître pour son stalinisme débridé et pendant la guerre d’Espagne pour son rôle contre les anarchistes et les trotskystes.</ref>. Finalement, tous repartent fin avril vers des ports français. De l'été à l'automne 1919 des mouvements de contestations éclatent dans la plupart des ports où sont stationnés les marins de la flotte, pour demander une amélioration de leur quotidien et la suspension des sanctions contre les mutins d'avril. Malgré une participation bien plus grande de marins à ces différentes mutineries, lors des procès, "seule" une centaine de marins sont condamnés en juillet 1919 à des peines allant de 1 à 5 ans jusqu'à 20 ans de prison. Une vingtaine d'entre eux sont encore incarcérés à la fin de 1920. Une amnistie générale est décrétée en juillet 1922.
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Le 23 janvier 1923 à Paris, elle tue d'un coup de revolver le secrétaire de la Ligue d'Action Française, Marius Plateau. Cette ligue est l'organe de propagande et de recrutement du mouvement nationaliste-monarchiste Action Française. Marius Plateau est aussi le responsable des Camelots du Roi, les gros bras de ce mouvement. D'après ses propres déclarations, Germaine Berton visait plutôt Charles Maurras ou Léon Daudet<ref>Léon Daudet est le fils de l’écrivain Alphonse Daudet, auteur en 1872 des ''Aventures prodigieuses de Tartarin de Tarascon''. Il publie la suite en 1885, sous le titre ''Tartarin sur les Alpes'', nouveaux exploits du héros tarasconnais, dans lequel Tartarin s’amourache d’une jeune nihiliste [https://fr.wikisource.org/wiki/Tartarin_sur_les_Alpes En ligne]</ref> mais, faute de mieux, elle fit à Marius Plateau la démonstration par le fait que le sang royaliste n'est pas plus bleu que celui des aristocrates qu'ils défendent. Démonstration qui le laissa sans voix. Et sans vie<ref>Fanny Bugnon, "Germaine Berton : une criminelle politique éclipsée", ''Nouvelles Questions Féministes'', 2005 [https://www.cairn.info/load_pdf.php?ID_ARTICLE=NQF_243_0068 En ligne]</ref>. Elle tente de se suicider pour échapper à l'arrestation, mais est capturée vivante et emmenée au commissariat où elle déclare avoir voulu venger la mort de Jean Jaurès<ref>Raoul Vilain assassine le socialiste Jean Jaurès le 31 juillet 1914 à Paris car il lui reproche son attitude pacifiste jugée "pro-allemande". Arrêté puis mis en détention préventive jusqu’à son procès en mars 1919, il est acquitté. Il s’installe en 1932 à Santa Eulària des Riu, sur l’île d’Ibiza dans les Baléares, jusqu’au débarquement en septembre 1936 d’une colonne anarchiste venue reprendre le contrôle de l’île qui a fait le choix du franquisme. Raoul Vilain est fusillé le 14 septembre 1936.</ref> et de Miguel Almereyda<ref>Eugène Bonaventure Jean-Baptiste Vigo dit Miguel Almereyda (anagramme de Y’a la merde?) est un anarcho-syndicaliste et pacifiste né en 1883. Après une peine de prison à Clairvaux pour propagande anti-militariste il participe à La guerre sociale qu’il quitte en 1913 pour fonder Le bonnet rouge. Il se rapproche alors des socialistes. Les positions pacifistes du journal en font la cible préférée des partisans d’un conflit avec l’Allemagne puis, pendant la guerre, Miguel Almereyda est accusé de "défaitisme". Après une arrestation pour une obscure histoire de financement présumé par l’Allemagne, il est retrouvé mort le 14 août à la prison de Fresnes, étranglé avec ses lacets. Le rapport médical conclut à un suicide, mais cela est largement contesté. Cette Affaire du Bonnet rouge mène à la chute du gouvernement. Miguel Almereyda est le père du cinéaste Jean Vigo, réalisateur en 1930 de ''À propos de Nice'', un documentaire sur les réaménagement de la ville.</ref>, et protester contre l'occupation de la Ruhr<ref>À la suite de la Première guerre mondiale, la Belgique, la France et le royaume-Uni occupe la région allemande de Rhénanie. La France déploie des militaires dans la zone industrielle de la Ruhr de janvier 1923 à août 1925.</ref>. Après un procès très médiatisé, elle est acquittée le 24 décembre 1923<ref>Collectif, ''Germaine Berton, anarchiste et meurtrière – Son procès en cours d’assises du 18 au 24 décembre 1923'', 2014</ref>. Au cours du procès, elle reçoit le soutien de nombreux compagnons anarchistes qui font campagne pour elle, mais aussi celui moins réjouissant d'un Louis Aragon<ref>Dans ''Littérature'', février-mars 1923, Louis Aragon apporte son soutien à Germaine Berton et affirme qu’un individu peut "''recourir aux moyens terroristes, en particulier au meurtre, pour sauvegarder, au risque de tout perdre, ce qui lui paraît – à tort ou à raison – précieux au-delà de tout au monde''", sa liberté. Le premier numéro de ''La Révolution surréaliste'', le 1<sup>er</sup> décembre 1924, publie un photomontage avec une photo de Germaine Berton entourée de celle de 28 surréalistes sous-titrée "''La femme est l'être qui projette la plus grande ombre ou la plus grande lumière dans nos rêves''" par un Baudelaire qui, malgré ses faux-airs, fait rimer misogynie et poésie.</ref>, habituellement moins anarcophile, et ses amis surréalistes.
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[[Fichier:detective.jpg|200px|thumb|right|Détective du 4 juin 1931]]Le 24 novembre 1923, meurt mystérieusement Philippe Daudet, 14 ans, le fils de Léon Daudet<ref>Georges Vidal, ''Comment mourut Philippe Daudet'', 1924</ref>. Il est retrouvé avec une balle dans la tête à l'arrière du taxi qui le transportait. Le 20 il fugue de chez ses parents après une lettre à sa mère dans laquelle il dit être "''depuis longtemps [...] anarchiste, sans oser le dire''" et deux lettres de suicide – non envoyées. Deux jours plus tard il prend contact avec quelques anarchistes, dont le libraire Le Flaouter, ancien amant de Germaine Breton. La librairie est alors sous surveillance policière. Philippe Daudet se procure un revolver et fait part de ses envies d'une action politique d'éclat mais il en est dissuadé. Les constatations du légiste sont formelles : il s'agit d'un suicide, même si les circonstances semblent obscures<ref>Stefan Zweig, ''L'odyssée et la fin de Pierre Bonchamps, la tragédie de Philippe Daudet'', 1926</ref>. Pour qu'il puisse être enterré selon les rites catholiques, un médecin proche de la famille Daudet déclare qu'il s'est suicidé lors d'une crise de démence. Le 2 décembre, le journal anarchiste ''Le libertaire'' fait sa une sur "''La mort tragique de Philippe Daudet, anarchiste ! Léon Daudet étouffe la vérité''" et publie un poème de Philippe Daudet<ref>''Le libertaire'' du dimanche 2 décembre 1923, n° 253 bis.</ref>. Le 4, le même journal explique qu'il était amoureux de Germaine Breton et qu'il s'est suicidé en passant devant la prison dans laquelle elle est enfermée. Une des lettres de suicide non envoyée est publiée par ''Le libertaire''. Léon Daudet contre-attaque en rejetant la thèse du suicide pour celle de l'assassinat car pour lui il est "''odieux et imbécile''" de qualifier son fils d'anarchiste. Face au flou, certains anarchistes soutiennent aussi cette thèse. Deux ans plus tard, Le Flaouter sera accusé par certains compagnons anarchistes d'être un indicateur de police et un agent provocateur.
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Après sa sortie de prison, elle se pose un peu dans la communauté libertaire de Aimargues<ref>Dans la petite commune d’Aimargues, l’anarchiste Jean Joujou (1879 – 1961) est élu maire en mai 1908 face aux royalistes. Il est démis en octobre 1910 pour sa participation aux grèves des travailleurs agricoles. Puis il est élu adjoint aux élections de 1911. Dans ce fief royaliste, les anarchistes sont très présents. Les frères Jourdan, Paul (1901 – 1979) et Jean dit "Chocho" (1908 - 1986), sont actifs au sein du Groupe d'études sociales d'Aimargues qui multiplie les manifestations anti-cléricales ou anti-militaristes et les esclandres contre les royalistes. Composé principalement d’ouvriers agricoles, il devient le Groupe anarchiste d’Aimargues en 1924, rejoint par Jean Joujou et son frère Louis. Une coopérative de consommation est mise en place et les membres du groupe organisent souvent des conférences et accueillent parfois des anarchistes. Nestor Makhno y fait un court passage en 1929. Sa femme et sa fille y vivront une année. Chargé de fournir des volontaires et des armes pendant la Guerre d’Espagne, Jean Jourdan participe au braquage d’une armurerie. Insoumis à l’appel de 1939 il est interné au camp de Saint-Sulpice-la-Pointe en 1940 puis, à la fin de la guerre, est nommé à la tête du Conseil de libération d’Aimargues. Il s’oppose à la tonte des femmes suspectées de collaboration avec l’ennemi et fait réquisitionner de la nourriture pour les habitants. Néanmoins il refuse d’être adoubé président de ce conseil et maire, et accepte de partager temporairement la fonction de secrétaire de la mairie avec son frère. Bien que le Groupe anarchiste d’Aimargues compte une cinquantaine de membre en 1939, il ne survit pas à l’après-guerre. Jean Jourdan cesse toute activité politique en 1945. À noter la présence à partir de 1934 de Paul Roussenq parmi le groupe. Parti à 16 ans de chez lui, Paul Roussenq est condamné à différentes peines pour vagabondage, vol et insoumission au service militaire. Cumulant 32 années de prison, dont 24 au bagne de Guyane, Paul Roussenq est gracié en 1929 après une campagne de soutien. Il ne peut revenir près d’Aimargues qu’en 1933. Après un voyage en URSS financé par le Secours Rouge International – l’un de ses soutiens – il publie un article sur son voyage "La Russie est une grande caserne" qui le brouille définitivement avec cet ancien soutien et ses filiales communistes. Il publie en 1934 ses souvenirs sous le titre de V''ingt-cinq ans de bagne'' et en 1936, ''Au pays des soviets''. Considéré comme un anarchiste dangereux, il est incarcéré en 1939 pendant toute la période de la guerre. Période pendant laquelle il écrit ses mémoires ''L'enfer du bagne'', publié en 1957 (Réédité en 2009 chez Libertalia). Il se suicide en 1949.</ref> dans le Gard, lors d'une tournée de conférences. Une condamnation en mai 1924 pour une bagarre la renvoie pour 4 mois derrière les barreaux durant lesquels elle fait une grève de la faim et des tentatives de suicide pour manifester son refus de l'emprisonnement. Libérée, Germaine Berton s'éloigne des activités militantes. En 1942, deux mariages plus tard, elle met fin à ses jours en avalant une forte dose de barbituriques.
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Cela serait d'un anachronisme évident que de postuler un lien direct entre Germaine Berton et [[F. Merdjanov]]. Néanmoins, il est possible d'affirmer qu'ils ont en commun un intérêt pour la mer Noire. Si nous en savons les circonstances pour Germaine Berton, pour F. Merdjanov nous ne sommes sûr que du fait que son dernier lieu de résidence soit situé autour de la mer Noire, comme le précise la courte biographie, notre unique source<ref>"Peu de choses sont connues sur F. Merdjanov. Naissance en 1970 à Nice. Famille d’origine macédonienne dont l’histoire croise celle du nihilisme politique des années 1900. Études de philosophie et de littérature. Travaux portant sur L’égosolisme klimaïen et le matérialisme du rien. Actuellement en apiculture sur les rives de la mer Noire. Cette anthologie est son premier écrit. Ses autres textes – dont des exégèses poétiques – restent inédits à ce jour" F. Merdjanov, ''Analectes de rien'', Gemidzii Éditions, 2017</ref>. En proportion du peu de ce que nous connaissons de l'une et de l'autre, le sujet "mer Noire" est donc un liant important. Il se peut que F. Merdjanov ait eu vent de l'existence de Germaine Berton par cet intérêt commun ou inversement que sa connaissance de la mer Noire tient à sa découverte de Germaine Berton. Son installation sur les rives de la mer Noire est-elle une dédicace décalée ?
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== Notes ==
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<references />

Version actuelle datée du 29 mai 2021 à 12:34

Berton, Germaine (1902 - 1942) Anarchiste, par choix, née en France, par hasard.


Biographie

Mer Noire de César Fauxbras (1935)
Née en 1902 après JC[1]d'un père ouvrier socialiste et franc-maçon et d'une mère institutrice et catholique, Germaine Berton commence à travailler dès l'adolescence[2]. Employée comme ouvrière elle découvre le syndicalisme au lendemain de la Première guerre mondiale. En 1919, elle prend part au Comité syndicaliste révolutionnaire de la ville de Tours. Ces comités regroupent les minoritaires de la CGT qui critiquent le choix de "l'union sacrée" pendant la Première guerre mondiale, l'influence grandissante des communistes et la politisation du syndicalisme. Cela aboutit à plusieurs scissions au sein de la CGT entre les courants syndicalistes révolutionnaires, anarchistes et communistes. D'abord fervente socialiste, Germaine Berton se rapproche petit à petit des anarchistes individualistes. Elle est aussi active dans un comité de Défense des marins de la Mer Noire qui se mutinent le 16 avril 1919 sur plusieurs bateaux français venus en renfort pour une intervention anti-bolcheviste. Déjà usés par la Première guerre mondiale, les marins critiquent leurs conditions de vie et les choix politiques, certains demandent le ralliement aux bolchevistes, d'autres ne veulent que rentrer en France, certains se mutinent d'autres non, certains élisent des soviets alors que d'autres n'ont aucune sympathie révolutionnaire. La majorité des bateaux de la flotte française de la mer Noire sont touchés par ces mouvements de contestations[3]. Finalement, tous repartent fin avril vers des ports français. De l'été à l'automne 1919 des mouvements de contestations éclatent dans la plupart des ports où sont stationnés les marins de la flotte, pour demander une amélioration de leur quotidien et la suspension des sanctions contre les mutins d'avril. Malgré une participation bien plus grande de marins à ces différentes mutineries, lors des procès, "seule" une centaine de marins sont condamnés en juillet 1919 à des peines allant de 1 à 5 ans jusqu'à 20 ans de prison. Une vingtaine d'entre eux sont encore incarcérés à la fin de 1920. Une amnistie générale est décrétée en juillet 1922.

Le 23 janvier 1923 à Paris, elle tue d'un coup de revolver le secrétaire de la Ligue d'Action Française, Marius Plateau. Cette ligue est l'organe de propagande et de recrutement du mouvement nationaliste-monarchiste Action Française. Marius Plateau est aussi le responsable des Camelots du Roi, les gros bras de ce mouvement. D'après ses propres déclarations, Germaine Berton visait plutôt Charles Maurras ou Léon Daudet[4] mais, faute de mieux, elle fit à Marius Plateau la démonstration par le fait que le sang royaliste n'est pas plus bleu que celui des aristocrates qu'ils défendent. Démonstration qui le laissa sans voix. Et sans vie[5]. Elle tente de se suicider pour échapper à l'arrestation, mais est capturée vivante et emmenée au commissariat où elle déclare avoir voulu venger la mort de Jean Jaurès[6] et de Miguel Almereyda[7], et protester contre l'occupation de la Ruhr[8]. Après un procès très médiatisé, elle est acquittée le 24 décembre 1923[9]. Au cours du procès, elle reçoit le soutien de nombreux compagnons anarchistes qui font campagne pour elle, mais aussi celui moins réjouissant d'un Louis Aragon[10], habituellement moins anarcophile, et ses amis surréalistes.


Détective du 4 juin 1931
Le 24 novembre 1923, meurt mystérieusement Philippe Daudet, 14 ans, le fils de Léon Daudet[11]. Il est retrouvé avec une balle dans la tête à l'arrière du taxi qui le transportait. Le 20 il fugue de chez ses parents après une lettre à sa mère dans laquelle il dit être "depuis longtemps [...] anarchiste, sans oser le dire" et deux lettres de suicide – non envoyées. Deux jours plus tard il prend contact avec quelques anarchistes, dont le libraire Le Flaouter, ancien amant de Germaine Breton. La librairie est alors sous surveillance policière. Philippe Daudet se procure un revolver et fait part de ses envies d'une action politique d'éclat mais il en est dissuadé. Les constatations du légiste sont formelles : il s'agit d'un suicide, même si les circonstances semblent obscures[12]. Pour qu'il puisse être enterré selon les rites catholiques, un médecin proche de la famille Daudet déclare qu'il s'est suicidé lors d'une crise de démence. Le 2 décembre, le journal anarchiste Le libertaire fait sa une sur "La mort tragique de Philippe Daudet, anarchiste ! Léon Daudet étouffe la vérité" et publie un poème de Philippe Daudet[13]. Le 4, le même journal explique qu'il était amoureux de Germaine Breton et qu'il s'est suicidé en passant devant la prison dans laquelle elle est enfermée. Une des lettres de suicide non envoyée est publiée par Le libertaire. Léon Daudet contre-attaque en rejetant la thèse du suicide pour celle de l'assassinat car pour lui il est "odieux et imbécile" de qualifier son fils d'anarchiste. Face au flou, certains anarchistes soutiennent aussi cette thèse. Deux ans plus tard, Le Flaouter sera accusé par certains compagnons anarchistes d'être un indicateur de police et un agent provocateur.

Après sa sortie de prison, elle se pose un peu dans la communauté libertaire de Aimargues[14] dans le Gard, lors d'une tournée de conférences. Une condamnation en mai 1924 pour une bagarre la renvoie pour 4 mois derrière les barreaux durant lesquels elle fait une grève de la faim et des tentatives de suicide pour manifester son refus de l'emprisonnement. Libérée, Germaine Berton s'éloigne des activités militantes. En 1942, deux mariages plus tard, elle met fin à ses jours en avalant une forte dose de barbituriques.

Rives de la mer Noire

Cela serait d'un anachronisme évident que de postuler un lien direct entre Germaine Berton et F. Merdjanov. Néanmoins, il est possible d'affirmer qu'ils ont en commun un intérêt pour la mer Noire. Si nous en savons les circonstances pour Germaine Berton, pour F. Merdjanov nous ne sommes sûr que du fait que son dernier lieu de résidence soit situé autour de la mer Noire, comme le précise la courte biographie, notre unique source[15]. En proportion du peu de ce que nous connaissons de l'une et de l'autre, le sujet "mer Noire" est donc un liant important. Il se peut que F. Merdjanov ait eu vent de l'existence de Germaine Berton par cet intérêt commun ou inversement que sa connaissance de la mer Noire tient à sa découverte de Germaine Berton. Son installation sur les rives de la mer Noire est-elle une dédicace décalée ?


Notes

  1. De par le dégoût qu'ils suscitent au sein de la protivophilie, il n'a pas été possible de choisir le plus approprié des JC parmi ceux qui s'offraient pour cet article : Jacques Chirac ou Juan Carlos. Tous potentielles cibles de Germaine Berton qui ne supporte ni les relents chauvins, ni les prétentions royales. Le premier est en passe de mourir - juste une question de jours - et le second assiste à son suicide royal et familial. Ils représentent la fin symbolique mais illusoire de choses détestables. "Se faire des illusions est un problème dans la mesure où, justement, il est question d’une illusion" (Introduction du film Los Porfiados). Mais pourquoi ne pas s'en réjouir malgré tout ?
  2. Pierre Bourson, Le Grand secret de Germaine Berton : la Charlotte Corday des anarchistes, 2008. Marie-Anne-Charlotte de Corday d’Armont (1768 – 1793) est condamnée à mort et exécutée par guillotine le 17 juillet 1793 pour l’assassinat de Jean-Paul Marat quelques jours plus tôt. Elle lui reproche les dérives violentes de la Révolution française.
  3. Philippe Masson, La Marine française et la Mer noire 1918-1919, Éditions de la Sorbonne, 1982. Pour une approche "libertaire", voir César Fauxbras, Mer Noire. Les Mutineries racontées par un mutin, Flammarion, 1935. Fauxbras (1899 – 1968) publie plusieurs romans et récits basés sur sa propre vie de marin. En 1935, son Viande à brûler. Journal d'un chômeur est une description de la crise économique des années 30 en France. Pour une approche "communiste", voir André Marty, La Révolte de la mer Noire, 1929. Réédité chez Maspero en 1970. Marty se fait connaître pour son stalinisme débridé et pendant la guerre d’Espagne pour son rôle contre les anarchistes et les trotskystes.
  4. Léon Daudet est le fils de l’écrivain Alphonse Daudet, auteur en 1872 des Aventures prodigieuses de Tartarin de Tarascon. Il publie la suite en 1885, sous le titre Tartarin sur les Alpes, nouveaux exploits du héros tarasconnais, dans lequel Tartarin s’amourache d’une jeune nihiliste En ligne
  5. Fanny Bugnon, "Germaine Berton : une criminelle politique éclipsée", Nouvelles Questions Féministes, 2005 En ligne
  6. Raoul Vilain assassine le socialiste Jean Jaurès le 31 juillet 1914 à Paris car il lui reproche son attitude pacifiste jugée "pro-allemande". Arrêté puis mis en détention préventive jusqu’à son procès en mars 1919, il est acquitté. Il s’installe en 1932 à Santa Eulària des Riu, sur l’île d’Ibiza dans les Baléares, jusqu’au débarquement en septembre 1936 d’une colonne anarchiste venue reprendre le contrôle de l’île qui a fait le choix du franquisme. Raoul Vilain est fusillé le 14 septembre 1936.
  7. Eugène Bonaventure Jean-Baptiste Vigo dit Miguel Almereyda (anagramme de Y’a la merde?) est un anarcho-syndicaliste et pacifiste né en 1883. Après une peine de prison à Clairvaux pour propagande anti-militariste il participe à La guerre sociale qu’il quitte en 1913 pour fonder Le bonnet rouge. Il se rapproche alors des socialistes. Les positions pacifistes du journal en font la cible préférée des partisans d’un conflit avec l’Allemagne puis, pendant la guerre, Miguel Almereyda est accusé de "défaitisme". Après une arrestation pour une obscure histoire de financement présumé par l’Allemagne, il est retrouvé mort le 14 août à la prison de Fresnes, étranglé avec ses lacets. Le rapport médical conclut à un suicide, mais cela est largement contesté. Cette Affaire du Bonnet rouge mène à la chute du gouvernement. Miguel Almereyda est le père du cinéaste Jean Vigo, réalisateur en 1930 de À propos de Nice, un documentaire sur les réaménagement de la ville.
  8. À la suite de la Première guerre mondiale, la Belgique, la France et le royaume-Uni occupe la région allemande de Rhénanie. La France déploie des militaires dans la zone industrielle de la Ruhr de janvier 1923 à août 1925.
  9. Collectif, Germaine Berton, anarchiste et meurtrière – Son procès en cours d’assises du 18 au 24 décembre 1923, 2014
  10. Dans Littérature, février-mars 1923, Louis Aragon apporte son soutien à Germaine Berton et affirme qu’un individu peut "recourir aux moyens terroristes, en particulier au meurtre, pour sauvegarder, au risque de tout perdre, ce qui lui paraît – à tort ou à raison – précieux au-delà de tout au monde", sa liberté. Le premier numéro de La Révolution surréaliste, le 1er décembre 1924, publie un photomontage avec une photo de Germaine Berton entourée de celle de 28 surréalistes sous-titrée "La femme est l'être qui projette la plus grande ombre ou la plus grande lumière dans nos rêves" par un Baudelaire qui, malgré ses faux-airs, fait rimer misogynie et poésie.
  11. Georges Vidal, Comment mourut Philippe Daudet, 1924
  12. Stefan Zweig, L'odyssée et la fin de Pierre Bonchamps, la tragédie de Philippe Daudet, 1926
  13. Le libertaire du dimanche 2 décembre 1923, n° 253 bis.
  14. Dans la petite commune d’Aimargues, l’anarchiste Jean Joujou (1879 – 1961) est élu maire en mai 1908 face aux royalistes. Il est démis en octobre 1910 pour sa participation aux grèves des travailleurs agricoles. Puis il est élu adjoint aux élections de 1911. Dans ce fief royaliste, les anarchistes sont très présents. Les frères Jourdan, Paul (1901 – 1979) et Jean dit "Chocho" (1908 - 1986), sont actifs au sein du Groupe d'études sociales d'Aimargues qui multiplie les manifestations anti-cléricales ou anti-militaristes et les esclandres contre les royalistes. Composé principalement d’ouvriers agricoles, il devient le Groupe anarchiste d’Aimargues en 1924, rejoint par Jean Joujou et son frère Louis. Une coopérative de consommation est mise en place et les membres du groupe organisent souvent des conférences et accueillent parfois des anarchistes. Nestor Makhno y fait un court passage en 1929. Sa femme et sa fille y vivront une année. Chargé de fournir des volontaires et des armes pendant la Guerre d’Espagne, Jean Jourdan participe au braquage d’une armurerie. Insoumis à l’appel de 1939 il est interné au camp de Saint-Sulpice-la-Pointe en 1940 puis, à la fin de la guerre, est nommé à la tête du Conseil de libération d’Aimargues. Il s’oppose à la tonte des femmes suspectées de collaboration avec l’ennemi et fait réquisitionner de la nourriture pour les habitants. Néanmoins il refuse d’être adoubé président de ce conseil et maire, et accepte de partager temporairement la fonction de secrétaire de la mairie avec son frère. Bien que le Groupe anarchiste d’Aimargues compte une cinquantaine de membre en 1939, il ne survit pas à l’après-guerre. Jean Jourdan cesse toute activité politique en 1945. À noter la présence à partir de 1934 de Paul Roussenq parmi le groupe. Parti à 16 ans de chez lui, Paul Roussenq est condamné à différentes peines pour vagabondage, vol et insoumission au service militaire. Cumulant 32 années de prison, dont 24 au bagne de Guyane, Paul Roussenq est gracié en 1929 après une campagne de soutien. Il ne peut revenir près d’Aimargues qu’en 1933. Après un voyage en URSS financé par le Secours Rouge International – l’un de ses soutiens – il publie un article sur son voyage "La Russie est une grande caserne" qui le brouille définitivement avec cet ancien soutien et ses filiales communistes. Il publie en 1934 ses souvenirs sous le titre de Vingt-cinq ans de bagne et en 1936, Au pays des soviets. Considéré comme un anarchiste dangereux, il est incarcéré en 1939 pendant toute la période de la guerre. Période pendant laquelle il écrit ses mémoires L'enfer du bagne, publié en 1957 (Réédité en 2009 chez Libertalia). Il se suicide en 1949.
  15. "Peu de choses sont connues sur F. Merdjanov. Naissance en 1970 à Nice. Famille d’origine macédonienne dont l’histoire croise celle du nihilisme politique des années 1900. Études de philosophie et de littérature. Travaux portant sur L’égosolisme klimaïen et le matérialisme du rien. Actuellement en apiculture sur les rives de la mer Noire. Cette anthologie est son premier écrit. Ses autres textes – dont des exégèses poétiques – restent inédits à ce jour" F. Merdjanov, Analectes de rien, Gemidzii Éditions, 2017