Rienistes
Rienistes (renista en nissard - ништоички en macédonien). Poètes russes exprimant rien dans les années 1920 après JC[1] .
ÉtymologieRieniste est la traduction du terme russe Ничегоки, translittéré en alphabet latin par "nichevoki" ou "nitchevoki". Composé comme nihiliste - du latin nihil "rien" et -iste "être pour" - le terme de rieniste ne doit pour autant pas être confondu malgré une proximité évidente basée sur rien avec un suffixe -iste. Ничегоки est aussi parfois traduit par "tenants-du-rien" ou "négativistes". RienieEn références au rienistes d'une nouvelle de l'écrivaine Nadejda Lokhvitskaïa, dite "Teffi"[2], qui prônent la destruction totale de l'art, dans la ville de Rostov-sur-le-Don, au sud de la Russie, des artistes s'agglomèrent au début de 1920 et prennent le nom de Rienistes.
Pour compléter cette déclaration d'intention des fictifs rienistes de Taffi, les rienistes rostoviens diffusent en août 1920, quelques mois après la prise de la région par les bolchevistes, un texte sur la poésie qui se conclut par une formule semblable. S'inspirant de rien, leur approche artistique est "touche-à-tout", une forme de négation totale. Les signataires de ce "manifeste" sont au nombre de six : Oleg Erberg[3], Susanna Mar[4], Elena Nikolaeva et son compagnon Alexandr Ranov[5], Rjurik Rok[6] et Sergueï Sadikov.
La Rienie n'a ni frontières ni racines, elle est un territoire qui englobe tout les domaines de l'art. Les rienistes rejettent toutes les influences et nient avoir des inspirateurs : "illes abolissent les lois poétiques mais aspirent néanmoins à un grand Rien poétique qui mènerait à une Rienie infinie car non définie"[8]
RienistesLes rienistes s'accaparent la mise au pas de l'art par les bolchevistes pour la détourner. Aux tentatives d'inclure les formes artistiques dans son projet totalitaire en créant des structures étatiques destinées aux artistes, les rienistes décrètent la dictature du rienisme. Ils parodient le nouveau pouvoir et ses affiliés par la mise en place de multiples pseudo-structures : le Bureau des Rienistes (TBN) est chargé de la diffusion de rien auprès des masses prolétaires, le Tribunal Révolutionnaire[9] doit punir l'utilisation de formes poétiques déclarées annulées par les décrets rienistes, le Front de Combat Artistique International et les Cellules Créatrices doivent répandre les thématiques rienistes... Pour se faire illes prônent l'impôt littéraire et la terreur verbale, à l'image de l'impôt révolutionnaire et de la terreur politique des bolchevistes. Au six signataires du Bureau Créateur des Riénistes, quelques poètes se joignent à la contestation poétique : l'expressionniste Boris Zemenkov signe le Décret sur la poésie le 17 avril 1921, Lazar Soukharebski[10], Movses Agabadov des éditions Hobo, Devis Oumanski et quelques autres.
Adeptes de la provocation en tant que forme d'expression, les rienistes décernent des certificats de non-valeur pour des œuvres d'art et investissent des journaux officiels dans lesquels illes rédigent des articles sur l'art qui ne veulent rien dire. Dans une logorrhée singeant la dialectique marxiste, les rienistes se répandent dans des textes sans sens où les mots "rien", "rienistes" et "rienisme" sont omniprésents et signés par un mystérieux K. Ovetchin, qui cache à peine le palindrome de nichtevoki. Illes s'emparent temporairement de la maison d'édition moscovite Hobo et des locaux rostoviens de la très officielle Union des Poètes qu'illes transforment en café dans lequel la Rienie explore son infinité. Dans ce "sous-sol des poètes" initié par Devis Oumanski, les rienistes déclament leurs non-poésies et leurs non-théâtres, et exposent leurs non-œuvres. Le poète futurien Velimir Khlebnikov[12], de passage en août et septembre 1920, profite de cette place-forte rieniste pour y psalmodier quelques-unes de ses créations[13] et l'une de ses pièces, L'erreur de la mort, est montée dans le cadre de l'atelier théâtral des rienistes[8]. Hormis La boîte à chiens dans lequel les rienistes s'acharnent à démonter la poésie à la fin de 1920, illes ne produisent aucun écrit poétique en tant que tel. Les quelques recueils néanmoins publiés[14] sont suivis de communiqués et de décrets des pseudo-structures rienistes où il est expliqué que "leur poésie est de la merde et le parfait exemple de ce qu'illes condamnent"[8]. La boîte à chiens, sous-titrée "Les Travaux du Bureau Créateur des Rienistes pendant les années 1920-1921", est publiée en 1922 à 500 exemplaires[15]. En 1923, La boîte à chiens est réditée avec trois nouveaux textes : "Profanation des reliques de l’art", "S.V.O.L.O.Č. ou la Résolution du Tribunal révolutionnaire des rienistes dans l’affaire du nettoyage des bottes de la poésie par Majakovskij" et "Lettre ouverte à Majakovskij".
Les modes d'actions des rienistes attirent sur elleux les foudres des artistes patentés par le pouvoir bolcheviste et la répression de celui-ci se fait de plus en plus prégnante depuis l'histoire des tampons officiels de l'Union Panrusse des Poètes. Rjurik Rok, bien que membre officiel de l'Union, est accusé de les avoir imité et arrêté en 1921. Les attaques contre les artistes futuriens ralliés aux bolchevistes, dont Vladimir Maïakovski[18], font de la Rienie un continent isolé cerné par des eaux hostiles.
Les rienistes apprennent l'existence du mouvement artistique dada[20] grâce à la publication en 1921 de Lettre d'Occident. Dada par Roman Jakobson[21]. De Moscou, où illes se sont repliés, les rienistes publient en avril 1921 un Appel aux dadaïstes[19] en qui illes voient une espèce "d'homologues occidentaux". Cet appel se veut une prolongation du Manifeste dada publié en 1918 par Tristan Tzara et qui s'ouvre par "Dada ne signifie rien". Comme le rieniste Appel aux dadaïstes. La rencontre n'eut jamais lieu[22].
L'arrestation de Rjurik Rok[6] en 1921 et le suicide de Sergueï Sadikov l'année suivante porte un coup fatal aux rienistes. Le groupe explose et disparaît en 1923. De la Rienie il ne reste rien[23].
Outre-Rienie
Micro-continent perdu, la Rienie n'a pas essaimé. Pour autant, dans d'autres villes et régions de l'empire, nouvellement soviétique, des artistes s'emparent de rien. Avant et après les rienistes. Sans lien avec eux. Dans le recueil titré Mort à l'art publié en 1913 par le poète Vassilisk Gnedov, un des quinze poèmes, intitulé Poème de la fin, se compose d'une feuille blanche. Entièrement vide. Un long poème sans mot[25]. Les autres sont constitués d'une ligne, d'un ou plusieurs mots, ou d'une lettre. Gnedov se définit comme égo-poète dans la lignée de Ivan Ignatev et son Ego-futurisme. An I publié en 1912. Il déclame en silence la page blanche du Poème de la fin avec les bras, il gesticule. Pendant un certain moment[26]. Avant de se suicider en 1914 en se tranchant la gorge, Ignatev publie le recueil Échafaud-Egofuturs dont l'un des poèmes intitulé Opus 45 est une forme calligraphique qui ne peut, selon la note qui l'accompagne, être que regardé. Ni lu, ni écouté. L'imaginisme naît dans l'ego-futurisme vers 1918. Une vision poétique plus orgiaque et décadente. L'imaginiste Sergueï Essenine est retrouvé mystérieusement pendu en décembre 1925 et les écrits de deux autres imaginistes Anatoli Marienhof et Vadim Cherchenevitch sont interdits en 1929.[8] Gnedov[27] est arrêté dans les années 1930 et déporté dans un bagne sibérien pendant deux décennies.
Les domaines des rienistes sont la poésie et le théâtre, mais le rien est bien plus vaste. Dans cette Russie en ébullition, dans le tourbillon révolutionnaire qui précède la chute de l'empire tsariste, puis sous ce pouvoir bolcheviste qui arase de près, des artistes s'emparent de rien, dans la peinture et le dessin, dans différents styles littératures avec des réflexions sur le langage, l'astronomie, les mathématiques, la linguistique, l'histoire, etc. Si, contrairement aux rienistes, le rien n'est pas central il garde une place importante dans leurs approches artistiques respectives. Une myriade de groupes voit le jour dans le premier quart du XXème siècle. Illes ont pour nom futuriens, deveniriens, toutistes, rayonnistes, tchinariens et quelques autres encore[8]. Éphémères et mouvantes, ces agglomérations artistiques expérimentent. Dans l'anonymat ou au grand jour, pour soi ou pour le faire savoir, elles contestent l'existant. A leur manière. Elles restent en marge de l'art officiel et refusent de participer aux institutions artistiques. Une sorte d'underground politico-artistique, avec toutes ses ambiguïtés. Pour le pouvoir bolcheviste certains de ces "courants" vont être, un temps, une carte artistico-politique et il en fera la promotion. Bien que critiquées par les autres, des individualités issues de cette multitude vont officiellement participer à des institutions artistique soviétiques. Les années 1930 sonnent le glas de cet underground. L'officialisation et l'étatisation de l'ensemble du domaine artistique est en passe de s'achever. Beaucoup voient leurs écrits interdits et nombre finissent au bagne. Parfois directement exécutés ou retrouvés morts dans des conditions suspectes. D'autres décident de fuir à l'étranger. En partie en France. Ou aux États-Unis d'Amérique. Pour celleux qui font le choix de rester, toute publication leur est interdite. La mise au pas bolcheviste les contraint à l'anonymat, à se tourner vers d'autres activités : la traduction de poésie en russe, les comtes pour enfants ou la science-fiction, pour d'autres la linguistique, l'histoire, l'usine, etc. Aucune réédition n'est autorisée. Hormis celles étiquetées "Trop incompréhensibles pour être dangereuses", le pouvoir soviétique prend très au sérieux ces formes de contestation. Pour lui il s'agit d'expressions artistiques "petite-bourgeoises" ou "contre-révolutionnaires", même celles qu'il a pu soutenir quelques années auparavant !
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