Macédoine de légumes
Macédoine. (cалатата mакедонија en macédonien) Mélange d’ingrédients (légumes ou fruits) constituant un principe de recettes culinaires répandues sur tout le pourtour méditerranéen. Sans doute consommée par F. Merdjanov. Sa naissance à Nice indique que la macédoine de type salade niçoise est assurément une recette qui lui est connue. Il est toujours possible lorsque l'on habite à Nice – ou dans toutes les villes et régions possédant un "patrimoine gastronomique" – d'échapper volontairement à l'obligation sociale d'aimer les plats locaux, et donc de ne pas en manger. Hormis si l'on fréquente une cantine scolaire ou universitaire. Mais de la scolarité de F. Merdjanov nous ne savons rien. SommaireAppellation d'Origine ControverséeSi dans certaines régions européennes (Espagne, Italie, Serbie et Bulgarie) elle se nomme salade russe, et dans d'autres (Balkans) elle prend le nom de salade française, la macédoine reste un mélange de divers ingrédients (légumes ou fruits). Apparue dans le courant du XIXème siècle, cette appellation tient à la complexité des cartes ethnographiques de la Macédoine[1] dans lesquelles la multiplicité culturelle a inspiré l'expression "macédoine" pour désigner un mélange disparate et coloré dans le domaine culinaire. Chacune des régions du pourtour méditerranéen possède une recette qui lui est propre même si elle ressemble largement à celle de régions voisines ou non. Des travaux (déjà anciens) grastro-archéologiques ont permit de mettre en évidence l'existence de recettes antérieures de plusieurs siècles au XIXème qui peuvent être néanmoins qualifiées de "macédoine" au sens culinaire du terme. Face à cette impasse épistémo-historiographique rencontrée par l'ensemble des sciences sociales, la protivophilie tend à introduire de nouveaux raisonnements pour en sortir. NihilisteLes anarchistes-communistes bulgaro-macédoniens[2], de la fin du XIXème et le début du XXème, dans leur lutte contre l'empire ottoman, le morcellement "ethnique" de la région et les inégalités sociales influent sur l'ensemble du mouvement révolutionnaire en Europe[3]. Leurs techniques de fabrication de bombes se diffusent parmi les anarchistes-communistes en lutte contre l'empire russe car les "bombes macédoniennes" sont redoutables. Leur influence politique les place au cœur des groupes clandestins qui s'agitent contre les oppresseurs de tous poils – policiers et militaires, patrons et politiciens, État et Église, etc. Même Serge Netchaïev[4] se rend en Macédoine pour y rencontrer des anarchistes-communistes et bénéficier de leur aide pour obtenir de faux papiers. "Un centenaire bulgare[5] [...] désigne sous le pseudonyme de Floresco[6] l’un[7] des auteurs du Catéchisme du Révolutionnaire[8] lors de son passage en Macédoine, ce Serge Netchaiev dont ses détracteurs littéraires[9] ou politiques ont fait une pauvre caricature, mélange de père-fouettard et de froideur militante"[10]. La "notoriété" des anarchistes-communistes de Macédoine et le fait que tout soit politique incite à penser, pour la protivophilie, que les constructions culinaires ont pu être aussi alimenté par une réflexion sur le rejet des frontières et des identités collectives. La macédoine est-elle l’empreinte des anarchistes macédoniens dans une vision de la Macédoine et de la macédoine basée sur la multiplicité et le libre-choix ? Une influence dans la réciprocité, basée sur l’entraide, une sorte d’anarchisme-communisme gastronomique à la mode Kropotkine[11]. Un rejet des nationalismes et leur dérivés linguistiques et gastronomiques, politiques et géographiques[12]. Ainsi que le mentionne les Analectes de rien :
La raison de l'appellation de "salade française" pour la macédoine dans les Balkans est sans doute à chercher dans ce lien entre les luttes des anarchistes-communistes contre l'empire ottoman, la diffusion des idées durant le XIXème siècle et l'immigration de révolutionnaires de Macédoine vers la ville de Nice. "À l’instar de la Genève de la fin du XIXème siècle où les plus radicaux de toutes les tendances révolutionnaires de Russie[13] s’installent pour ourdir faits et gestes, Nice devient le centre politico-illusionniste des exilés macédoniens"[10]. Le territoire du comté de Nice est annexé par la France depuis 1860 malgré de nombreuses oppositions depuis la fin du siècle précédent[14]. "Des travaux, non encore publiés, formulent l’hypothèse de l’influence de cette communauté – et donc de son existence – par l’empreinte laissée dans l’émergence d’une gastronomie locale et plus précisément sur la salade niçoise qui est une sorte de macédoine de légumes"[10]. Devant l’absence de toute trace d’une quelconque présence macédonienne à Nice, de nouvelles approches – dites intersectionnelles – mêlant protivophilie et gastronomie insistent sur le lien existant entre la salade niçoise et la salade chopska, toute deux étant des macédoines de légumes, mais seule la seconde est qualifiée de macédonienne. Si les liens sont évidents, il reste compliqué de dater cette influence. Mais, comme le précise ironiquement Nietzsche :
Selon cette approche des origines nihilistes de la macédoine il faut y voir un abus de langage car aucune de ces tendances n’est connue pour s’être auto-définie, paradoxalement, en affirmant radicalement une négation radicale en se disant nihiliste[16]. Selon G. Balkanski "il y a aussi une erreur, largement répandue et obstinément maintenue qui concerne l'appartenance idéologiques des Bateliers : ils sont qualifiés d' "individualistes". Cette erreur est du probablement au fait qu'ils n'adhéraient pas à l'Organisation révolutionnaire intérieure, qu'ils considéraient autoritaire et centraliste[17] ; peut-être aussi au fait que le groupe avait un caractère fermé, strictement conspiratif". Ils pratiquent la propagande par le fait et s'inspirent des écrits de Kropotkine. Balkanski ajoute "d'ailleurs leurs maîtres directs - Svetoslav Merdjanov, Petar Mandjoukov, Mihaïl Guerdjikov - furent anarchistes-communistes nettement déterminés, et nullement individualistes."[18] Pour la protivophilie, il semble difficile d'être aussi affirmatif tant l'individualisme et l'anarchisme-communisme peuvent être proches dans leurs pratiques et leurs discours. Ainsi, une macédoine, dans une perspective anarchiste-communiste, est un composé culinaire où chaque individu apporte son ingrédient pour établir le plat partagé. Dans une perspective individualiste, elle est une recette singulière que chacun compose selon son libre-choix. Dans les deux cas, elles nient les particularismes identitaires et les identitarismes régionaux. L'idée même de macédoine est un acte révolutionnaire en soi, sa libre composition une révolte quotidienne contre l'existant, et la réaliser est une auto-réduction populaire et vengeresse.
Si cette hypothèse s'avère fausse, il n'en reste pas moins que F. Merdjanov a sans doute consommé une forme de macédoine de légumes. Sur cette vaste question de l'alimentation de F. Merdjanov il est pour l'instant impossible de déterminer avec précision ses allergies alimentaires et, par conséquent, de savoir quels étaient les ingrédients non-employés lors de la composition de macédoines merdjanoviennes. Ce qualificatif indique le libre-arbitre pour chacun et chacune de mettre les ingrédients de son choix lorsque une macédoine est composée. Il est aussi un lien évident avec la revendication anarchistes-communiste d'une Macédoine libre où se perd la prétentieuse majuscule que les règles grammaticales imposent au nom de pays. La protivophilie n'a pu encore mettre en avant – malgré un important travail de recherche en archives – des actions à l'explosif contre des diffuseurs de livres de gastronomie à Salonique ou d'attaques contre leurs auteurs. Même s'il est vrai que, entre la fin du XIX et le début du XXème siècle, des groupes d'anarchistes-communistes ou des individualistes ont attaqué de nombreux restaurants, il semble que leurs motivations soient la fréquentation bourgeoise ou militaire du lieu visé, et non une attaque asymétrique contre la tendance culinaire des nationalismes naissants[20]. Ni assassinat d'un folkloriste bulgare[21], ni tentative d'enlèvement de Frédéric Mistral ou d'un membre du Félibrige[22] – association littéraire et culturelle provençale – pour des accointances avec les nationalistes-monarchistes et catholiques de l’Action Française[23]. Alors que l'un recense, standardise et analyse les pratiques culinaires de certaines régions puis impose les nouvelles normes culinaires qui nourriront le pendant gastronomique de la construction des imaginaires nationalistes[24], les autres fixent artificiellement des pratiques linguistiques proches dans des normes graphiques et grammaticales pour s'inventer une langue commune hégémonique. Le folkloriste aurait pu être une cible pour celles et ceux qui vomissent les recettes toutes faîtes, détestent les odeurs de musée ou les formes d'enfermement. Que le folkloriste et ses agresseurs soient bulgares ou autres ne change d'ailleurs rien au raisonnement. Aucune trace d'un folkloriste abattu, ni de revendication d'une attaque anti-Félibrige par des nihilistes niço-macédoniens pour dénoncer de pair l'uniformisation linguistique provençale et la standardisation concomitante du nissard[25]. Des documents, encore à dénicher, viendront peut-être valider ces hypothétiques attaques. Pour les pointilleux de la majuscule que la protivophilie ne voudrait pas induire en erreur, les initiales communes de Frédéric Mistral et de F. Merdjanov ne font pas qu'ils aient un lien de parenté, même lointain. OttomaneSi nous abandonnons l'approche géo-centrée, il est possible de postuler de l'influence ottomane dans la constitution de ces recettes. Grand empire euro-méditerrano-oriental qui domine de vastes régions, des Balkans au Caucase, des steppes d'Arabie à l'Iran, l'empire ottoman fut entre le XVème et le début du XXème siècle, synonyme de tyrannie, de violences et de guerres pour les populations administrées. En cela il n'est pas différent des autres empires et États qui règnent dans la partie nord du pourtour méditerranéen. L'empire ottoman est le maître de la partie orientale de la Méditerranée pendant plusieurs siècles[26]. Ses opposants sont nombreux et divers. Les Balkans sont pour lui un point de jonction avec les autres empires et États concurrents[27] dans la gestion et l'exploitation des populations. Il s'y confronte régulièrement militairement, diplomatiquement ou politiquement. Cette unité politique contribue à la diffusion de produits alimentaires similaires et des idées. Comme la tomate dans les macédoines, les tentatives de résistances à ces situations sont présentes dans toutes les régions de l'empire. Difficile néanmoins de dater la première macédoine. La protivophilie permet des liens que les autres, celles et ceux qui sont pour, ne peuvent explorer. Ainsi, rappelons l'histoire de Catherine Ségurane[28], l'héroïne emblématique de l'histoire de Nice. En 1543, une coalition franco-ottomane envoie ses navires de guerre pour prendre la ville. Après un siège de 20 jours les troupes occupent Nice, mais en sont chassés par l'arrivée des forces du duc de Savoie. Fille du peuple et des faubourgs, Catherine Ségurane est connue pour avoir attaqué et tué des soldats ottomans avec son battoir à linge, brisé le drapeau des occupants et montré son cul aux assaillants. Elle galvanise la foule qui attaque alors les soldats. Elle est le symbole d'une résistance populaire qui se passe des autorités militaires pour se défendre. Personnage inventé ou réel, Catherine Ségurane reste celle qui a ridiculisé les forces coalisées de la France et de l'Empire ottoman. Il est vraisemblable que son image ait pu servir de déclencheur pour les macédoniens de Prilep lors de leur première révolte contre l'Empire ottoman en 1564. Elle fait désormais partie de l'imaginaire politique de celles et ceux qui s'y opposent. Elle explique possiblement la raison pour laquelle on nomme "salade française" une macédoine de légumes dans les Balkans et la diffusion du terme de macédoine pour désigner un mélange de légumes divers, comme une dédicace réciproque. Dans cette hypothèse le concept culinaire de macédoine ne peut être antérieur à cette fin de XVIème siècle. Impossible de ne pas voir ici que cela rapproche la proto-salade niçoise d'une influence macédonienne[29]. Ou inversement ? Problématique compliquée lorsque l'on sait que les tomates et les poivrons - originaires des Amériques - sont présents en Europe depuis seulement le XVIIème siècle et diffusés en France au siècle suivant. Peut-être eut-il fallu faire appel au matérialisme marxiste pour résoudre cette énigme et ainsi lui donner – au marxisme – une énième chance de ne pas disparaître :
Une analyse structuraliste du mythe de Catherine Ségurane aurait pu expliquer la raison du choix de "salade française" ou de macédoine, plutôt que la familiarisation du patronyme de la rebelle des faubourgs pour en faire le nom commun d'un plat emblématique : une ségurane. Avec perte de majuscule, pour désigner un mélange de légumes. Tous les ingrédients d'une telle analyse sont disponibles : un personnage hypothétiquement fictif – ou composé de plusieurs –, un objet symbole (batoir), un symbole objet (un drapeau), d'un geste (montrer son cul) et d'une geste (chasser les attaquants), probable mais pas historiquement avéré, qui symbolise une histoire pour justifier le présent. La protivophilie ne dispose pas des outils intellectuels nécessaires pour répondre à cette interrogation de l'absence de ce terme de ségurane qui, finalement et logiquement, désignerait une macédoine, et préfère laisser ce travail délicat à celles et ceux qui écrivent rien sur rien[31]. Pour celles et ceux friands de symbolisme il n'est pas incongru d'imaginer F. Merdjanov avoir un animal de compagnie, une plante d'intérieur, un animal fétiche, son plat favori ou une connaissance surnommée Ségurane. Et pourquoi pas un chat du nom de Netchaiev ou une vache prénommée Babeuf ?[32] Islamo-byzantineL'empire ottoman succède à de vastes ensembles géographiques et politiques qui vont de la Méditerranée méridionale et orientale à l'entrée du désert arabique, des ports de l'océan Indien à ceux de la mer Noire, dans lesquels coexistent une myriade de groupes humains héritiers des empires chrétiens d'Orient, des sultanats musulmans et des sociétés nomades. Il est un concentré des cultures imprégnées des monothéismes livresques que sont la Torah, la Bible et le Coran[33]. Par ce qu'ils contiennent et par les interprétations qui en ont été faîtes, ces trois livres proposent – outre une version de l’histoire basée sur l’imaginaire et les mythes[34] – des restrictions sur les possibilités de macédoine. Que le livre soit juif, chrétien, musulman ou même zoroastrien. Il n'est jamais question d'aller vers une alimentation mono-ingrédient mais certains sont interdits en tant que tel ou d'autres sont décrétés incompatibles. Après avoir mis plus d'un siècle à se fixer en tant que livre religieux reconnus par les musulmans[35], le Coran est le dernier venu de cette trilogie culinaire tragi-romanesque[36]. Un peu plus de 600 ans après celui que préfèrent les chrétiens parmi les trois. Les sectaires de ces religions monothéistes vivent dans des régions nodales pour le commerce. Ils bénéficient d'un panel de produits divers pouvant servir à la constitution de mélanges culinaires de type macédoine. Ou du moins pour celles et ceux qui ont les moyens financiers, comme dans toutes les sociétés humaines basées sur des stratifications sociales, et donc intrinsèquement inégalitaires. La question de la faim rejoint ici celle des moyens. La liste des ingrédients possibles est une fracture profonde entre les monothéismes. Depuis ils sont irréconciliables. L'essor[37] géographique de l'islam hors des déserts arabiques, son implantation politique en remplacement des précédentes autorités dirigeantes, et son rayonnement technique et culturel font de cette religion la composante majoritaire du paysage religieux dans ces régions. Elle est source d'innovation tout autant qu'elle créée de la norme. Hormis les contestations lors de l'écriture d'un coran finalement normalisé plus d'un siècle après la mort du prophète de l'islam[38], les quelques autres prophètes non suivis ou massacrés, les dissensions politiques quant à la succession du prophète[39], l'histoire politique et sociale des régions sous gouvernance d'un pouvoir se légitimant dans l'islam est riche de contestations. Sur des modes similaires aux mouvements hérétiques au sein du judaïsme[40] et du christianisme[41], l'islam est contesté de l'intérieur sur ses dogmes, ses pratiques et ses interprétations. Il serait trop long lister et d'expliciter toutes les dissidences hétérodoxes nées au sein de l'islam. Dans le cadre de cet article, il n'est retenu que le cas des ismaéliens de Perse et de Syrie – les nizariens – et ceux du Bahreïn – les qarmates – car seuls ces deux là permettent à la protivophilie d'émettre des hypothèses sérieuses sur la macédoine. Les ismaéliens sont l'un des courants de l'islam né de la contestation dans la succession du prophète[42] et ayant des approches philosophiques qui s’éloignent d’une certaine orthodoxie[43]. Il est souvent désigné sous l'expression de chiisme septimain pour préciser qu'il conteste le choix du septième imam devant prendre la direction de la communauté des croyants en 765. Hamdan Qarmat Ibn al-Ach'ath et ses fidèles ismaéliens refusent de reconnaître le pouvoir politico-religieux fatimide qui s'installe au Maghreb vers la fin du IXème siècle puis conquiert les régions du Nil, fonde le Caire au milieu du Xème et agrandit son empire, au détriment du pouvoir abbasside, jusqu'à sa chute à la fin du XIIème. Pendant cette période différentes communautés qarmates s'établissent sur le territoire fatimide ou sur ses marges. L'une d'elles s'installe le long de la côte occidentale du golfe arabo-persique et fonde un État dissident qui perdure entre le début des années 900 et les premières décennies du siècle suivant[44]. Cet État qarmate est décrié par ses contempteurs pour sa mise en place d'une égalité sociale, d'un partage des ressources, de nombreuses innovations[45] ou de l'abandon de rites et pratiques habituellement considérés essentiels par un islam plus orthodoxe (mosquée, prières et interdits). Mais il est dénigré aussi car responsable de l'attaque de plusieurs caravanes de marchandises, de convois de pèlerins à destination de La Mecque[46] ou de saccage du lieu saint de l'islam puis du vol de la pierre sacrée (930) autour de laquelle tournent les croyants – si elle est présente ! – et vers laquelle ils s'orientent pour prier. Il n'est pas question pour la protivophilie de prétendre que les qarmates sont les inventeurs de la macédoine mais leur pratique de partage des ressources et du pillage des routes commerciales permet un plus grand nombre de possibilités de mélange d'ingrédients. Si pour les plus matérialistes la période qarmate est une sorte de communisme étatique et égalitariste, issu de l'islam, elle peut être aussi un âge d'or de la pratique de la macédoine pour des millénaristes musulmans dans l'attente frénétique d'une fin qui ne vient pas. Les qarmates sont militairement défaits et les adeptes survivants retournent à une conception plus traditionnelle de l'ismaélisme. Abû Tâhir[47], l'un des chefs qarmates, est prétendument l'inspirateur[48] du thème des trois imposteurs qui accuse Moïse, Jésus et Mohamad d'être des menteurs, et qui circule en Europe dès le XIIIème siècle. Entre le début du XVIIème siècle et courant du XVIIIème, ce thème circule clandestinement sous forme de textes dont la version la plus connue[49] est nommée Traité des trois imposteurs[50] :
Si cette mise en garde ne concerne pas directement les interdits alimentaires décrétés par les prophètes successifs, il faut attendre l'installation d'un nouveau groupe d'ismaéliens dans la forteresse d'Alamut[51], aux marges de la Perse, pour voir une contestation radicale des prescriptions coraniques et du Coran lui-même. Accompagnée de Nizar, leur prétendant successeur à la direction de l'empire fatimide, une communauté se fixe en 1090 dans la forteresse sous la direction d'Hassan al-Sabbah [52]. De cette place forte, les nizariens s'étendent jusqu'en Syrie où ils tiennent aussi d'autres forteresses. Ils sont les principaux opposants au pouvoir fatimide contre lequel ils n'hésitent pas à utiliser l'assassinat de ses fonctionnaires ou représentants politiques. Le 8 août 1164, Hasan ‘Alâ Dhikrihi al-Salâm, le successeur de Nazir, proclame la Grande Résurrection[53]. Il explique que dorénavant toutes les prescriptions coraniques ne sont pas abolies mais en phase de dépassement. Nuance ! Le premier jour de cette nouvelle ère est célébré par un banquet où chacun et chacune laisse libre cours à son imagination débordante en matière de mélange. Hassan ‘Alâ Dhikrihi al-Salâm meurt en 1166. Jusqu'en 1210, les nizariens vivent selon l'absence des normes coraniques, et notamment les interdits alimentaires, en attendant la révélation du sens caché des écritures. Pendant 44 années, il n'y a aucune contrainte normative sur les choix individuels lors de la composition d'une macédoine. Le Coran, dernier tome de la trilogie monothéiste, n'est plus un livre de cuisine sacrée et les obligations divines en matière culinaire sont enfin levées. Les nizariens sont en grande partie décimés en 1255/1256 par les hordes mongoles[54] du petit-fils de Gengis Khan en route pour attaquer et prendre Bagdad deux ans plus tard. Athée comme l'est F. Merdjanov il est peut probable que cette dimension anti-religieuse de la pratique quotidienne de la macédoine soit une évidence. Les athées ont souvent une méconnaissance de la chose religieuse car cela ne leur semble pas chose nécessaire, vu que dieu n'existe pas[55]. Pourquoi alors s’intéresser au racisme et dénoncer les nationalismes étant donné que les races et les nations ça n'existent pas non plus ? Parce qu'une hallucination collective est parfois lourde de conséquences, même pour celles et ceux qui n'y souscrivent pas. La liste serait très longue... Gréco-macédonienneL'idée même de macédoine est-elle une héritière lointaine de l’influence gastronomique des colons gréco-macédoniens qui théorisent – enfin ! – le principe ingénieux du mélange de différents ingrédients ensemble ? Plusieurs siècles avant le messie des chrétiens, l'empire d'Alexandre de Macédoine s'étend de la Méditerranée orientale aux contreforts de l'Himalaya, de l'Océan Indien à la mer Rouge. Héritier de l’expansionnisme militaire et politique des cités gréco-macédoniennes durant les siècles précédents, et alors à son apogée, l'empire d'Alexandre est très présent – encore aujourd'hui – dans les traces laissées dans l'architecture ou les cultures locales, par exemple. Traces qui ont ensuite fusionnées avec les strates des autorités politico-économiques qui lui succédèrent. Le concombre, l'oignon, l'olive, la fève et l'artichaut sont des plantes cultivées[56] parfois depuis plusieurs millénaires par les populations du pourtour méditerranéen et de l'Asie proche. Il est par conséquent logique pour la protivophilie que les populations locales pratiquaient déjà le mélange d'ingrédients pour en faire un mets culinaire, bien avant l'arrivée d'Alexandre, de ses armées d'occupation et de sa théorie sur la grandeur de la Macédoine. Même la vigne dans certaines régions comme le Nouristan / Kafiristan[57], dans le nord-est de l’Afghanistan actuelle, s’explique par la présence d’une espèce endémique et non par une exportation gréco-macédonienne.La lecture des écrits de l'époque n'apporte rien. Une approche protivophile prudente permet néanmoins d'insinuer que si Socrate s'est interrogé sur ces problématiques de macédoine, il a pu y répondre par la fameuse citation qu'en fait Platon dans son Apologie de Socrate[58] :
Diogène Laerce indique que les Sceptiques ont pu répondre à la même question par une réponse similaire :
Les fouilles archéologiques confirment que le régime alimentaire des populations du pourtour méditerranéen est composé d'un mélange de différents ingrédients crus ou cuits. La pratique de la macédoine est alors une évidence culinaire partagée. Ce phénomène est identique à ce qu'il se passe dans d'autres régions habitées par des société humaines, des illyriens aux tokhariens, des sibériens aux nigériens, et tant d'autres[60]. Il n'est pas nécessaire d'utiliser de sulfureuses théories diffusionnistes[61] pour expliquer la multitude d'une pratique humaine, basée sur une évidence et dont la seule contrainte est l'environnement direct ou les routes de commerce qui déterminent les produits ingrédients, et donc le mélange. Bien loin d'une volonté ou d'une possibilité de figer des recettes. Il n'est pas encore possible de dénigrer son voisin qui ne met pas tels ou tels ingrédients et donc de considérer que cela créé une frontière. Il semble périlleux de reprocher à ceux qui ne connaissent pas les olives de ne pas en avoir. Ou de ne pas en vouloir malgré une possibilité de les intégrer aux ingrédients. Des études protivophiles ont permis de mettre en évidence que le terme macédoine – au sens de mélange – est un synonyme possible d'analecte, dans le sens premier de cueillette ou de recueil que lui donne le grec ancien. Seul un travail de linguistique historique peut permettre de savoir si l'expression analecte de légumes était alors employée. Est-ce que pour F. Merdjanov le choix de titrer son ouvrage Analectes de rien[10] est une manière de ridiculiser encore un peu plus les sous-entendus qui mènent à rien ? Avant l'HistoireL’utilisation du feu que les paléo-spécialistes datent actuellement de -1,7 millions d’années, puis la maîtrise du feu – que le consensus scientifique actuel situe vers - 400 000 ans – sont des évènements qui introduisent la possibilité de cuire certains des ingrédients ou même d'en inclure de nouveaux[62]. Il est, de fait, un moment clivant dans les pratiques culinaires. Tout comme les points de naissance du feu sont multiples, son usage n'est sans doute pas uniformisé. Un groupe d'hominines peut très bien avoir la maîtrise du feu et ne pas en avoir une application identique à celle d'un autre groupe d'hominines. Sans parler de celles et ceux qui ont pu perdre cette maîtrise. Ou l'abandonner ? Il n'en reste pas moins qu'avant ou après la maîtrise du feu les sociétés d'hominines pratiquent le mélange d'ingrédients. L'agriculture n'est pas un critère pertinent pour une évaluation protivophile d'une hypothèse de macédoine. La domestication agricole permet tout au plus d'inclure de nouveaux ingrédients[63], mais elle n'est pas une rupture caractérisée de l'idée de macédoine, au sens de mélange d'ingrédients choisis. Qu'elles soient agricoles, nomades ou non, de chasseurs-cueilleurs ou l'inverse, les sociétés hominines étudiées pratiquent toutes les mélanges culinaires. Même si cela peut sembler loufoque il faut évoquer la possibilité qu'un groupe d'hominines ait choisi de s'alimenter avec un seul ingrédient ou qu'il est contraint par un environnement vraiment peu diversifié, même si ses chances de survie sont moindres. Face à la découverte de la nécessité biologique de se nourrir, des hominines ont pu se poser la question et expérimenter une volonté d'autonomie en se nourrissant de ce qu'ils trouvaient (ou même parfois de leurs propres excréments.) Nous ne disposons pas de témoignages fiables mais seulement d'extrait des expérimentations de Ladislav Klíma qui laissent imaginer la dureté de la vie de ces hominines :
Il expérimente cette alimentation crudivore :
La pratique de la macédoine est ancienne et peut probablement être datée des premiers hominines. Mais rien ne permet d'infirmer que cette pratique ait pu être partagé par d'autres êtres vivants. Elle semble répondre à une nécessité biologique d'une diversité minima dans l'alimentation : suffisante pour s’en contenter et n’impliquant pas une somme de travail énorme.[69] Cette dernière hypothèse de l'origine anté-historique de la macédoine nous indique quelques informations quant au régime alimentaire de F. Merdjanov qui, de fait, se rapproche de celui des premiers hominines. Elle confirme une consommation d'un mélange d'ingrédients par F. Merdjanov, crus ou cuits pour certains, bruts ou transformés, trouvés ou cherchés pour l'occasion. Le plus acharné des protivophiles insiste sur la limite ténue entre pâtée et macédoine, et d'affirmer qu'il est moins faux de considérer F. Merdjanov polyvorien plutôt qu'omnivore ou même végétarien. Les théories récentes sur la co-évolution des canidés et des hominines[70], la datation plus ancienne de la domestication[71] et les nouvelles classifications du règne animal[72] amènent à penser que l'idée même de macédoine est commune aux pratiques alimentaires canines – laquelle inspire l'autre ? –, que les canidés obtiennent une amélioration de leur régime alimentaire en bénéficiant des découvertes techniques des hominines qui ne leur tiennent pas rigueur de ne pas maîtriser le feu, et qui en retour profitent des capacités canines que les hominines n'ont pas. Sans verser dans le primitivisme – édénique par essence – il ne faut pas nier le rapport de domination qui, au cours des millénaires, est établi progressivement contre les canidés par des hominines qui ne respectent plus le contrat et se laissent à penser que leurs fins justifie les moyens. Que l'on a rien sans rien. La domestication animale ancienne par des hominines est sans doute concomitante de la création de la pâtée destinée à l'animal domestiqué. S'inspirant en partie de leurs propres pratiques culinaires, ces hominines inventèrent une macédoine particulière à destination d'une autre espèce du vivant. Est-ce une considération spéciste que de penser qu'ainsi hominines se différencient alors volontairement du reste du vivant ? Ce qu'Albert Camus résumera par cette phrase :
Cette dichotomie pâtée / macédoine est un tournant pour les deux espèces. L'une se sépare de l'autre : l'hominine refuse dès lors que la macédoine soit une pâtée, dégoûté, alors que l'inverse se prétend valorisant pour les canidés domestiqués. Ce fait anté-historique est la première trace d'une illusion collective, d'une identité inventée, ici pour ce démarquer du reste du règne animal. S'attribuer ainsi la découverte de la macédoine ouvre une brèche que la progéniture de ces hominines ne cessera de perpétuer. Jusqu'à nos jours la pertinence de la question de savoir qui nous sommes n'est pas remise en cause. Un nous fictif qui s'acharne à rejeter la singularité de tous les hominines et autres vivants. Une première frontière prend corps et délimite le nous des autres. Ce n'est pas l'erreur qui est hominine, c'est l'hominine qui est l'erreur. Le vivant est une macédoine biologique. L'humanité n'est rien.
La protivophilie introduit des possibilités nouvelles de classement du règne animal et d'imaginaires sur les périodes anté-historiques, s'inscrivant – bien malgré elle – dans les nouvelles approches des domaines scientifiques liés à la paléoanthropologie. L'étude particulière des animaux dits sociaux (hominines inclus) a mise en lumière la présence de nombreux individus ne participant pas à l'activité commune, à la macédoine sociale, tentant de s'en extraire, de se faufiler ou d'en profiter. Le feignant feint de faire quelque chose et le fainéant ne fait rien. La protivophilie est une dédicace à ces acharnés de rien. Ces données entomologiques incitent à reconsidérer les classifications pour y inclure celle des espèces – sociales ou non – dans lesquelles il est possible de s'occuper de rien. Extrait – fictif – d'un dialogue cinématographique entre deux fourmis qui se prennent pour des hominines, ou inversement :
Produits dérivésLa consommation de tel ou tel ingrédient peut parfois avoir des conséquences inattendues. Ainsi, Terence McKenna[76] postule en 1992 que des hominines ont consommé des champignons contenant de la psilocybine, en suivant les troupeaux pour les chasser, et en remarquant ces petits champignons qui poussent dans les excréments des membres du troupeau. Cette consommation, de par les effets psychoactifs, aurait induit la création du langage articulé et changé le mode d'alimentation par les effets sur l’acuité visuelle que procure ce champignon, et donc sur la chasse et la cueillette. C'est l’hypothèse dite du Singe défoncé. Après le choc social engendré par le psylo, les hominines en furent privés – pour des raisons de changements climatiques – et durent apprendre à vivre avec les enseignements tirés de cette expérience et l'absence de nouvelle expérience de ce type. Ce fut ce second choc social qui engendra la branche d'hominines à laquelle l'hominine actuel est rattachée.L’hypothèse dite du Singe ivre[77] avance en 2004 que le glanage et la consommation de fruits en partie pourris, donc fortement imprégnés d'éthanol, dans des sortes de macédoine détermine les premiers hominines. Cette concentration en éthanol favorise leur découverte grâce à l'odorat de ces hominines et entraîne la découverte des premières ivresses – et du processus biologique de l'addiction. Les changements dans l'alimentation ont parfois été fatals pour certaines espèces qui n'ont pu résister aux modifications brutales qui leur étaient imposées. Ainsi des dinosaures qui, selon certaines théories, face à un changement climatique et aux modifications de la flore, nombres de ces grands herbivores furent contraints de se nourrir avec des formes de feuillus. Ce nouvel ingrédient à leur régime alimentaire et la raréfaction de certains autres provoquèrent un problème intestinal tel qu'ils se vidèrent par l'anus, malades et affaiblis, avant de disparaître complètement[78]. Cette hypothèse rejoint partiellement celles sur la chute d’une météorite, l’entrée en activité d’un volcan, ou la dérive des continents pour expliquer cette extinction. Seuls restèrent les plus petits d'entre eux. Il n'est pas exclu que des groupes entiers d'hominines aient pu aussi connaître de telles situations climato-alimentaires[79] qui les menèrent à la mort, et dont nous ne connaîtrons jamais l'existence. Appellation d'Origine ContrôléeIl est courant de croiser des volontés de glorifier telles ou telles recettes dans ce qui est souvent une version figée sur une époque d'un mélange culinaire que rien ne destinait à se fixer ainsi. La diversité culinaire est devenue un prétexte au nationalisme gastronomique, à la diversité des pratiques répondent des folklorisations illusoires. Il y a sans doute de quoi être fier intellectuellement de naître dans une région à basilic, de l'incorporer à ses pratiques culinaires et de reprocher à ceux qui vivent dans des régions dépourvues de basilic de ne pas en mettre ! Les habitants de Madagascar peuvent ainsi consommer des Lémuriens, un espèce présente uniquement sur cette île, et dénigrer les pratiques culinaires de ceux qui n'en consomment pas. Critiquer l'absence de pousse de soja dans les salades composées, en Bulgarie, dans la seconde moitié du XVIIIème siècle. Ou tout simplement déplorer la présence de fromage dans la cuisine macédonienne et la salade chopska particulièrement. Les identités gastronomiques, véritables illusions, ont nommé les macédoines par différents noms sur tout le pourtour méditerranéen ; salade niçoise pour les uns, chopska pour les autres, salade grecque pour les unes, levantine pour les autres. Rien ne les différencie, si ce n'est leurs particularités. Elles sont finalement toutes des macédoines des unes et des autres[80], sans qu'il soit possible de tracer des frontières entre chaque. Le concept culinaire de macédoine est une pratique universellement répandue et ne doit être revendiqué par personne. Toutes visées dans ce sens ne serait que retour à un discours identitaire afin de justifier des frontières illusoires et des identités fictives. Pas la peine d'en faire tout un plat ! Pour détourner le célèbre acronyme ACAB qui ramène les forces de l’ordre à ce qu’elles sont et rappelle le mépris qui leur est dû (même si leur alimentation est de type macédoine) l’historiographie de la macédoine protivophile, contre la gastronomie, propose Appellation Contrôlée, Appellation d’Bâtards[81].Notes
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