Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

 

 

salles obscures

 

Je suis allé à Hollywood, le lieu infernal, celui où l’enfer se déchaîne, c’est-à-dire celui où les êtres humains sont les doubles de leurs propres ombres. C’est l’origine de toutes les ombres du monde, l’Hadès qui vend ses ombres pour de l’argent à tous les écrans du monde, les ombres des vivants et les ombres des morts. Les porteurs d’ombres utilisables s’y réunissent et vendent leurs ombres pour de l’argent et ils sont déclarés saints et bienheureux selon l’importance de leurs ombres.
[...]
Je vis aussi là-bas, dans ces usines qui font le commerce des ombres, une vingtaine de personnes assises dans de grandes pièces, chacune devant un appareil de téléphone. Et, toutes les deux ou trois minutes, certains appareils se mettent à bourdonner et ces gens prennent le récepteur à la main et disent : «Nothing». Et cela veut dire rien à faire. Toute la journée, des gens qui voudraient vendre leurs ombres se présentent à l’usine des ombres. Et, comme ceux qui veulent offrir leurs ombres sont très nombreux, l’usine a engagé vingt personnes pour répondre «non». Et elles disent : «Nothing» toutes les trois minutes. Par ailleurs, elles ne disent rien. Si nombreux sont ceux dans ce pays qui ont soif de vendre leurs ombres.

Joseph Roth, L’Antéchrist