Simon Radowitzky
Simon Radowitzky. Anarchiste par choix, moïsien[1] par héritage, russe de nationalité et argentin d'exil.
Confins rus'La région d'Europe orientale, comprise entre la mer Noire et la Baltique, est de part sa géographie un lieu de passage depuis des siècles pour les hordes d'hominines venues de l'Est, du Sud ou du Nord. Des mongols, des tatars, des scandinaves, des caucasiens ou des slaves y sont passés pour répandre le sang ou s'installer durablement. De cette macédoine génétique émergent progressivement à partir du VIIème siècle après JC[2] des États féodaux. Que ce soit le royaume des tribus scandinaves varègues[3], qui adoptent les croyances des christiens, ou l'empire des semi-nomades kazhars[4], qui eux préfèrent celles des moïsiens, ces entités étatiques se structurent pour former de vastes empires régionaux. Ils s'étendent par la guerre ou en faisant des alliances avec les tribus d'hominines qui peuplent la région. Si les kazhars ont laissé peu de traces, des États rus'[5] voient le jour à partir du IXème siècle. La principauté de Kiev éclate au XIVème siècle lors des invasions mongoles. La principauté de Moscou est la grande bénéficiaire de cet éclatement car elle restructure autour d'elle les quelques royaumes rus' qu'elle incorpore petit à petit en son sein. A sa frontière orientale les khanats mongols et à l'ouest les royaumes de Lituanie et de Pologne. La principauté est soumise à l'autorité des mongols desquels elle s'affranchit progressivement tout au long du XVème siècle et grignote des territoires à l'alliance lituano-polonaise. Son pouvoir grandissant, la principauté devient un vaste empire et son dirigeant se proclame "Grand-Prince de toutes les Russies" et son successeur "Tsar de toutes les Russies" en 1547. Monarchie absolue, le tsarat agglomère une multitude d'anciennes principautés dans un empire de plus en plus centralisé. Dans la partie la plus occidentale de l'ancienne principauté de Kiev, demeurée sous autorité polonaise, des paysans russophones parviennent à négocier un statut de libre-organisation contre l'obligation de défendre les armes à la main les frontières. Ils repoussent les avancées des tatars puis des ottomans. Tout au long des XVIème et XVIIème siècles, ces cosaques zaporogues[6] se soulèvent contre les polonais et résistent à leur annexion par l'empire tsariste. Installés jusqu'au Dniestr, ils sont de fait dans les marges de l'empire et constituent une sorte d'entité para-étatique servant de garde-frontières qui perdurera jusqu'au XVIIIème siècle. Elle est alors intégrée au tsarat de Moscou. D'origine slave, le terme yкраїна[7] (prononcer oukraïna) signifiant "à la marche" est utilisé pour désigner ces régions qui séparent la Russie de ses ennemis occidentaux, le royaume de Pologne et le grand-duché de Lituanie réunis au sein de la République des Deux Nations[8].L'alliance lituano-polonaise est mise à mal vers la fin du XVIIIème siècle et son territoire est divisé entre la Prusse, l'Autriche-Hongrie et la Russie. Les populations d'hominines qui vivent dans ces régions sont très diverses par leurs pratiques linguistiques, leurs croyances religieuses ou leurs conditions de vie. Les territoires récupérés par la Russie tsariste abritent plusieurs millions d'hominines moïsiens qui bénéficiaient d'une relative autonomie depuis des siècles dans la République des Deux Nations, constituant ce que l'on appelle de nos jours le Yiddishland[9]. La tsarine instaure une "Zone de résidence" dans ses nouveaux territoires où les moïsiens sont contraints de vivre, sans droit d'en sortir. Après avoir tenté de convertir "ses" propres moïsiens, elle décide de déplacer dans cette zone ceux qui vivent à travers l'empire. Certaines villes comme Kiev, Sebastopol ou Yalta sont interdites à l'installation de moïsiens, sauf autorisations spéciales, alors que d'autres (Odessa, Chisinau) leur sont permises. Ce statut spécial oblige aussi les moïsiens à ne pas s'installer dans des zones rurales ou à les quitter. Avec des frontières fluctuantes au fil des décisions des autorités russes, cette zone inclue les actuelles Lituanie méridionale, Biélorussie, Pologne, Moldavie, Ukraine et l'ouest de la Russie. Les restrictions d'installation poussent de nombreuses familles de moïsiens vers les villes et renforcent les shtetl[10] existants, ces villages, petites villes ou quartiers exclusivement peuplés de moïsiens. La coexistence n'est pas toujours simple et, imprégnés d'un anti-judaïsme christien[11], des groupes d'hominines attaquent des shtetl et se livrent à des massacres sur les moïsiens à qui il est reproché de tuer rituellement des enfants, de fomenter des assassinats, d'apporter la misère et de répandre la maladie, bref d'être responsables de tous les malheurs du monde. Même si ce phénomène de pillages et de tueries contre des communautés de moïsiens n'est pas le propre de l'Europe orientale[12], le terme погром (pogrom) qui signifie "massacre, pillage" en russe est entré dans la langue courante pour nommer ces attaques sanglantes. Les pogroms ne sont pas exclusivement tournés contre les moïsiens mais il n'en reste pas moins qu'ils furent les cibles favorites de ces révoltes populaires.
Au cours du XIXème siècle, la plupart des empires ou nations d'Europe sont secouées par l'émergence des nationalismes. A travers tout le continent, des élites intellectuelles, économiques et politiques s'emparent de thèmes tels que la langue, les frontières, la nation, l'ethnie ou la race, l'histoire, le folklore pour construire un argumentaire justifiant des redécoupages de frontières et la création de nouveaux États-nations. Ces nationalismes inventent des identités collectives qui, même si elles sont des illusions, mobilisent des groupes d'hominines prêts à en découdre pour cette nouvelle cause. Chaque nouveau projet d’État-nation puise dans le passé pour se créer une légitimité et une profondeur historique, une artificielle langue nationale est décrétée langue commune, une fallacieuse "communauté de destin" est prétendue et une origine commune est imaginée... Les marches de l'empire russe n'échappent pas à ce phénomène. Une partie de l'intelligentsia citadine se passionne pour le monde paysan[14] dont elle fait un modèle pour la construction d'un nationalisme ukrainien. Les pratiques linguistiques sont répertoriées puis uniformisées dans une langue ukrainienne commune[15] présentée comme différente du russe, le monde paysan est fait archétype pour être l'essence de la future nation, les cosaques sont fantasmés et la principauté de Kiev devient l'argument d'une légitimité historique pour les prétendants à l'indépendance. Un important travail littéraire, poétique ou ethnographique a largement contribué à l'écriture de cette mythologie nationale. Un processus similaire se passe plus au nord pour constituer le nationalisme biélorusse. Les autorités tsaristes répriment durement toutes velléités nationalistes et interdisent les mouvements et les écrits exaltant les aspirations à un État-nation ukrainien indépendant[16]. Dans ce contexte, les pogroms anti-moïsiens lors desquels des villages sont détruits et de nombreuses personnes assassinées s'intensifient entre 1881 et 1884 au sud de la Zone - dans l'actuelle Ukraine. En parallèle de ces revendications nationalistes, l'empire tsariste doit faire face à de très fortes contestations sociales et politiques. L'absolutisme du tsar, le servage et la misère paysanne ou les conditions de travail dans le monde ouvrier sont autant de point d'accroche pour, au minimum, revendiquer plus de droits ou pour réclamer un changement de régime politique. La seconde moitié du XIXème siècle est une période d'effervescence révolutionnaire. ArgentineNotes
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