Invisibilité sociale (Genrée)
Invisibilité sociale. L'invisibilité sociale est la situation faîte aux catégories, humaines[1] ou non[2], considérées ou traitées en tant que subordonnées et dont la présence, le rôle ou l'histoire ne sont pas pertinents à retenir pour celles et ceux qui bénéficient de ce rapport de subordination. De la sorte, on peut être invisibilisé pour son "appartenance" à plusieurs catégories. Cela serait une erreur de se fier aux listes ci-dessous pour rendre compte de la présence des invisibles dans l'histoire des sociétés humaines, et plus juste de penser à toutes celles et ceux qui n'y sont pas et dont il ne reste – peut-être – rien. Ces listes seront mis à jour au fur et à mesure de l'avancement de ce wikimerdja…
GenréeLa catégorisation de genre[3] distribue souvent les humains de façon bipolaire[4] (hommes / femmes) en liant des critères biologiques génitaux à des considérations sociales qui imposent des normes. Ainsi chaque personne a qui l'on assigne un sexe (masculin / féminin) se doit de correspondre aux attentes sociales qui lui sont attribuées : vestimentaires, langagières, comportementales, techniques[5], émotionnelles, etc. Cette bipolarité (masculinité / féminité) contraint tous les humains et nie la diversité des situations en ne reconnaissant pas d’existence sociale aux queers, aux intersexes[6] et aux personnes transgenres[7] par exemple. Dans beaucoup de pays, le prénom – comme l’indique sa construction linguistique – est situé avant le nom de famille (patronyme) dans l’usage social et la légalité étatique. Il est un des marqueurs sociaux de genre. En France, peu de prénoms ne comportent aucune référence genrée, la plupart se déclinant entre une version masculine et une féminine d’une étymologie commune. Certains offrent une homonymie qui cache la bipolarité de genre comme Frédéric et Frédérique. De manière plus marquée, les diminutifs sont facilement trans-genres. Seule une infinité des prénoms peuvent être considérés neutres, Dominique, Camille ou Claude par exemple[8]. Le genre de F. Merdjanov n’est pas connu. Même si on se livre à une analyse précise, le F. initial de son hypothétique prénom ne nous renseigne en rien. F. Merdjanov peut tout aussi bien subir une assignation au genre masculin ou féminin. Les usages sociaux dans l’espace de langue française ne laissent pas de place à un prénom neutre commençant par F. Le choix de l’attribution d’un prénom ancien ou désuet semble parcouru par des phénomènes de mode, avec des périodicités différentes[9]. Dans l’espace bulgaro-macédonien, les prénoms sont aussi genrés. Il arrive que d’une langue à une autre le genre d’un prénom soit inversé ou passe au neutre. Dans toutes les régions du monde il existe des formes de transgression de cette bipolarité de genre. Certaines sont combattues, d’autres sont acceptées ou encadrées par les lois étatiques ou le droit coutumier. Depuis quelques années, les législations évoluent doucement vers des formes de reconnaissance de l’existence de personnes transgenres dont les revendications sont multiples et ne se recoupent pas obligatoirement[10] : reconnaissance d’un droit à "changer de sexe" et possibilité de modifier l’état civil, création d’un troisième genre, fin des restrictions et interdictions diverses, refus des stérilisations obligatoires, etc. Les demandes de personnes transgenres vont du simple refus des assignations vestimentaires aux opérations chirurgicales ou de chimie pour changer "d’identité de genre" dans son corps. L’Inde a reconnu en 2014 l’existence d’un troisième genre qui intègre la caste des hijra, c’est à dire les émasculés et les intersexes (entre 500000 et un million de personnes). Le revers de la médaille est qu’ainsi elle entérine un peu plus une organisation sociale existante et renforce de fait les rapports d’exploitation inhérents à cette caste. Organisés par des gurus auxquels ils se rattachent par une filiation réinventée, les hijras forment une basse caste hindouiste dont les membres vivent essentiellement de mendicité et de prostitution. Nombreux sont les exemples d’organisations sociales « traditionnelles » permettant de devenir homme (burrneshë et ostajnica dans les Balkans, bacha posh en Afghanistan et au Pakistan par ex.) ou femme (mukhannath et khanīth dans le monde arabe, mudoko dako en Afrique, fa'afafine et mahu en Polynésie, berdache et muxhe dans les Amériques, katoï en Asie par ex.) ou d’être accepté comme transgenre (hijra et bissu en Asie par ex.) Dans les Balkans, plusieurs termes désignent le statut de "celle qui devient lui" : harambasa au Monténégro, tobelija en Bosnie, ostajnica dans les régions serbophones, ou sadik par les turcs. Dans les régions albanophones d’Albanie et de Macédoine occidentale, le code traditionnel (kanun) établi au XVème siècle par Lekë Dukagjini, un noble local héros de la lutte contre les ottomans, persiste jusqu’au XXème. Le kanun de Lekë Dukagjini est divisé en 12 sections qui doivent régir l’ensemble de la vie des « Albanais » qu’ils soient chatoliques, orthodoxes ou musulmans. Tout y passe, le mariage, l’héritage, l’honneur, la vengeance, etc. Le licite et l’illicite dans une vision très patriarcale d’une "société albanaise idéale". Il s’inspire des traditions guègues du nord de l’espace albanophone. La douzième, appelée shlirime e perjashtime "exemptions et exceptions", mentionne la possibilité pour des femmes de vivre comme des hommes. Il définie le statut des "vierges jurées"[11], appelées burrneshë (de burrë "homme" avec le suffixe féminin -neshë) ou virgjineshë "femme vierge". Ce droit coutumier est effectif lorsque dans des familles il n’y a plus assez de jeunes hommes ou adultes – pour des raisons de guerre ou de vendetta – une des femmes est désignée ou s’auto-désigne pour devenir vierge jurée afin de pouvoir gérer les biens familiaux et travailler la terre. Ce qui en tant que femme lui est impossible selon le kanun. Elle devient chef de famille avec toutes ses prérogatives dans une société patriarcale. Elle peut hériter de son père mais elle ne peut léguer ses biens. Lorsque une femme devient vierge jurée, elle peut effectuer tous les travaux ou occupations réservés aux hommes, à la stricte condition de renoncer à toute vie sexuelle. Certaines changent de prénom, d’autres non. Certaines optent pour une tenue vestimentaire masculine, d’autres conservent leur tenue féminine. Elles peuvent fréquenter les bars, discuter avec des hommes, fumer, boire de l’alcool, faire de la musique, et être armées. Dans le prix du sang de la vendetta, une vierge jurée est considérée comme un homme. Il arrive que des vierges jurées participent aux prises de décisions dans des assemblées non-mixtes d’hommes. Pour des femmes, devenir une de ces vierges est aussi une manière d’échapper aux mariages arrangés sans froisser les susceptibilités sociales ou d’obtenir un petit plus d’émancipation contre un renoncement à la sexualité. Cela permet aussi à des femmes homosexuelles d’avoir une réalité sociale moins contraignante et de pouvoir vivre en couple avec une "sœur spirituelle"[12]. La période communiste a fait reculer cette pratique par les droits accordés aux femmes par le régime en place. En 2008, leur nombre est estimé entre 40 et quelques centaines en Albanie. Leur existence en Macédoine n’est plus mentionné. Dans les autres pays des Balkans, cette pratique semble tombée complètement en désuétude. Même si elles ne sont pas nulles, les probabilité pour que F. Merdjanov ait eu dans sa famille une vierge jurée, une tobelija ou une ostajnica, ne sont vraiment pas très élevées malgré les origines balkaniques de la famille Merdjanov. Nous ne pouvons affirmer que dans cette famille une personne ait pu avoir nécessité d’échapper à sa condition sociale de la sorte. Mais pourquoi pas ! Néanmoins, dans les milieux révolutionnaires de la fin du XIXème et du début du XXème siècle c’est le mariage qui est détourné de sa divine fonction pour en faire un outil d’émancipation. En Russie, les jeunes étudiants révolutionnaires se marient entre eux pour pouvoir se libérer mutuellement du carcan familiale et amoindrir, pour les unes, les pressions sociales faites aux femmes. Nous n’avons trouvé aucune mention d’une telle pratique à la même époque parmi les révolutionnaires en Macédoine. Voir aussi
Notes
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