Jargon
Jargon (Жаргон en macédonien - Jargon en nissard) Langue internationale.
SommaireÉtymonsTravail d'archéologie linguistique, la recherche étymologique est une reconstruction a posteriori de l'évolution d'une racine ou d'un mot à travers le temps. Lorsqu'elle ne s'appuie pas sur des sources écrites, quels que soient leurs supports, elle reconstruit le cheminement et propose des hypothèses. Certaines font consensus, d'autres non. Une origine commune ne signifie pas des histoires similaires. Des variantes régionales peuvent apparaître ou, au contraire, disparaître. Des variations peuvent se multiplier au fil des siècles et se superposer. Des divergences orthographiques ou de sens s'entrecroisent parfois. La coexistence est un fait linguistique et la seule limite est l'incompréhension. Une étymologie fictive de communiquer [1] peut laisser croire qu'il se compose de commun et niquer, à l'image d'un coït de langues. Une simple dérive orthopornographique de cunnilingus [2] à cummilingus. Les frontières politiques ou les barrières géographiques ne sont pas suffisantes pour stopper les processus linguistiques et les interpénétrations langagières. Tout au plus peuvent-elles les orienter ou tenter de les contraindre. Des phénomènes de résilience qui ne sont pas propres aux hominines [3] et que l'on retrouve aussi chez d'autres espèces animales. Pour autant, la proximité ou l'éloignement géographiques de deux pratiques linguistiques ne suffisent pas à expliquer à elles seules leurs différences ou leurs ressemblances. La géographie n'est pas un critère totalement pertinent. Les "langues" ont une histoire, modelée par les sociétés d'hominines qui les utilisent. Il n'existe pas de processus linguistiques naturels ! Des choix politiques peuvent accentuer des différenciations entre deux pratiques linguistiques proches par leur origine et leur géographie, et des organisations spatiales distendues peuvent inciter à chercher plutôt du commun. Des enjeux présents, par exemple, dans la fragmentation de l'espace slavophone balkanique entre serbe, croate et bosnien, ou entre macédonien et bulgare. Les différenciations sont au cœur de rudes batailles politiques. Pour rien, faut-il écrire "ништа" ou "ništa" pour dire \niʃ.ta\ ? Faut-il mieux le bulgare "нищо" que le macédonien "ништо" pour \niʃ.to\ ? Au contraire, le vaste espace qu'est le désert du Sahara est linguistiquement moins fragmenté, malgré les grandes distances et les conditions climatiques difficiles, car les hominines qui y habitent s'interconnectent avec une nécessité plus grande et ne cultivent donc pas leurs différences avec exagération. Les plus anciennes occurrences connues de jargon datent du XIIème siècle après JCⒸ [4]. Alors que les pratiques linguistiques issues de la rencontre entre le latin et les parlers germaniques ou celtiques ne sont pas encore uniformisées, le mot actuel existe sous de multiples graphies. Avec des sens similaires, jargoun, jargun et jargon côtoient gargon, ghargun, gergon, gorgon ou encore gargun. [5] L'étymon de tous ces mots est garg. Il dérive du latine gurges qui a le sens de gouffre, "passage étroit entre deux montagnes". Par extension, il équivaut à gorge. Autant dans le sens anatomique que géographique. Une proximité que les Frères Jacquard illustrent à gorge déployée, ingurgitant l'air de Fonkytown et en régurgitant une ode aux Gorges du Tarn. [6] L'espace francophone moderne comporte de très nombreux mots basés sur cette racine latine. Inutile de les citer tous. Pour quelques exemples, en plus de la gorge anatomique ou géographique, il y a gorgée, gargouillis, gargarisme, se gargariser, engorger ou soutien-gorge. Et tous leurs dérivés. Servant essentiellement à faire s'écouler les gouttières des toits loin des murs, les gargouilles [7] sont des sculptures constituées d'un orifice long duquel s'écoulent les eaux par une extrémité en forme de bouche. De garg, "gorge", et de goule "gueule". Cet étymon a donné lieu aussi à deux noms propres internationalement connus : Gargantua et Gargamel. Le premier est un géant glouton du XVIème dont François Rabelais a fait la biographie [8]. Le Lexique de l'ancien français indique que garganton signifie "glouton". [9] Cette thématique de la nourriture se retrouve dans les mots gargote et gurgulio, l'un est un lieu où l'on mange et bois, où il est possible de s'emplir le gosier, et le second est le nom de l'espèce des charançons, un insecte considéré glouton. Plus contemporain, Gargamel, de la même taille que les hominines, est un sorcier en conflit avec de très petites créatures bleues qui vivent dans un village près de chez lui. Selon ses biographes. Cette starisation de Gargantua et Gargamel invisibilise leurs proches qui ont pourtant des liens évidents avec cet étymon. Gargantua est le fils de Grangousier et de Gargamelle, d'un père prénommé "grand gosier" et d'une mère dont le prénom signifie "gorge". [10] Bien que très peu mentionné, Gargamel a un frère jumeau nommé, selon les versions, Gourmelin ou Gargamelon. Et parmi ses rares amis figure le géant glouton Grossbouf qui, de fait, doit être une gorge profonde. [11] Chacune de ses visites fait la Une de la presse locale.
Au cours de leur histoire, les pratiques linguistiques francophones se sont transformées et la phonologie a évolué. Il n'y a pas de règle générale. De fait, les prononciations ont changé les orthographes. Ainsi le son \g\ a parfois muté en \ʒ\, comme entre gargon et jargon. Cette mutation se retrouve par exemple entre gambette et jambe qui coexistent et ont le même sens, ou entre l'ancienne forme gardineus qui en français moderne s'orthographie jardin et se dit \ʒaʁ.dɛ̃\. Plusieurs raisons sont évoquées pour expliquer ces changements phonologiques que les linguistes nomment palatalisation. Exemples classiques de palatalisation dans la construction historique de la langue française moderne standardisée, le processus de passage de \g\ à \ʒ\ est semblable à celui entre \k\ et \ʃ\. Le glissement entre canin et chien, entre castelet et château, entre caprin et chèvre, etc. Les normes actuelles de la francophonie fixent que la lettre g peut avoir deux prononciations possibles. Soit \g\ devant les consonnes et les voyelles a, o et u, soit \ʒ\ avec e et i. Pour prononcer le son \g\ avec la lettre g et ces deux voyelles, il est nécessaire d'intercaler les voyelles u. La lettre j se prononce toujours \ʒ\, quelle que soit la voyelle qui la suit. TypologieLe suffixe -on qui compose jargon implique trois sens possibles. Un diminutif, un augmentatif et un descriptif. Pour rester dans la thématique gargantuesque, les définitions des mots garganton, glouton ou gueuleton ont une dimension plus augmentative que diminutive. Il y a profusion et non l'inverse. Les formes diminutives en -on se retrouvent dans des mots tel que chaton ou oisillon. Parfois, le diminutif se fait dépréciatif. Le suffixe avec une aspect descriptif est présent dans des termes comme berrichon ou bourguignon dans les cas où la référence est géographique, linguistique ou culturelle, ou dans bûcheron ou vigneron lorsque le mot indique d'autres références. Dans le cas de jargon, toutes ces nuances de sens sont présentes. Ainsi, au plus proche de l'étymon et de son suffixe, le jargon est ce qui provient de la gorge avec profusion, soit, pour le diminutif, il est une version amoindrie de ce qui est attendu. Pour la tendance péjorative, ce qui sort d'une gorge n'est pas a considérer avec égalité avec ce qui sort d'une autre gorge. Soit, il précise simplement que cela est issu de la gorge. Les plus anciennes définitions connues de jargon et des formes proches tournent autour du langage. Il est employé pour nommer les sons produits par les hominines et les oiseaux et qui sortent par la bouche. Bien plus que la seule sonorité, le jargon est un langage. Un outil de communication inter-espèce. À son entrée "jargon", le Dictionnaire de l'ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle donne pour définition "babil, bavardage, gazouillement, langage en général". Les dimensions diminutive, augmentative, dépréciative et descriptive sont présentes. Selon lui, le verbe jargonner peut signifier "jaser, bavarder, gazouiller, murmurer, médire [ou] parler en général", pour les hominines, et jargonnement, jargonnerie ou jargonneis sont des gazouillements d'oiseaux. Avec le sens de murmurer, la poésie fait même jargoillier ou jargouiller un ruisseau ! Le proche gargouiller est probablement moins un mot du vocabulaire poétique que ne l'ont été gazouillements et autres gazouillis. Comme le remarque Charles Nodier au début du XIXème siècle dans son Dictionnaire raisonné des onomatopées françoises, "employés jusqu'à satiété par nos poètes pastoraux, et cousus depuis deux siècles aux plus misérables bouts-rimés de la langue, [gazouillement et gazouiller] ont perdu toute leur grâce et toute leur fraîcheur, et sont tombés dans la classe des lieux communs les plus fastidieux." [13] Une critique des lieux communs et du concept même d'œuvres que les rienistes russes du début du XXème siècle ont porté avec radicalité et étendu à l'ensemble du monde artistique.
Notes
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