Nanette Escartefigues : Différence entre versions
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− | <blockquote>"''Ce brigandage, qui fut l'élément central de l'histoire régionale à la fin du Directoire et dans les deux premières années du Consulat, a sévi surtout, comme il est naturel, dans les zones escarpées et boisées naturellement propices au refuge, et traversées pourtant de routes importantes où circulaient, comme autant de proies, voyageurs riches et | + | <blockquote>"''Ce brigandage, qui fut l'élément central de l'histoire régionale à la fin du Directoire et dans les deux premières années du Consulat, a sévi surtout, comme il est naturel, dans les zones escarpées et boisées naturellement propices au refuge, et traversées pourtant de routes importantes où circulaient, comme autant de proies, voyageurs riches et commerçants. La région qu'il a intéressée avant tout forme le Nord-Ouest du département du Var, le Nord-Est des Bouches-du- Rhône, le Sud-Est du Vaucluse et le Sud-Ouest des Basses- Alpes. Un quadrilatère Brignoles-Aix-Pertuis-Manosque l'enfermerait assez bien. Géographiquement, c'est un pays complexe, qui va des montagnes de la Sainte-Baume à celles du Lubéron, en passant par ces hautes et ces grands plans arides que traverse le Verdon inférieur avant de se jeter dans la Durance. C'est un pays de transition entre Haute et Basse-Provence, pas encore montagneux sans doute, mais déjà trop froid pour l'olivier. L'on y vivait du blé, du mouton et de la forêt; et surtout l'on voyait s'effectuer une intense activité d'échanges, dont la route d'Italie et la route des Alpes n'étaient que les deux axes principaux<ref>La route d'Italie est l'actuelle Nationale 7, la route des Alpes l'actuelle Nationale 96</ref>, mais pas du tout les seuls, loin de là ! La majeure partie de cette région appartient au Var''"<ref name="#instru">Maurice Agulhon, "Sur l'instruction élémentaire en Provence intérieure au temps du Consulat", ''Annales du Midi'', Tome 76, N°68-69, 1964 (1989) - [http://www.persee.fr/doc/anami_0003-4398_1989_hos_2_1_2932 En ligne]</ref></blockquote> |
− | Les tentatives de venir à bout de ce phénomène par une présence militaire accrue, via des patrouilles et des battues, ne suffisent pas à éradiquer les différentes bandes qui se constituent et n'hésitent pas à s'unir au gré des opportunités et des "bons-coups". Énervées, les autorités française désignent les arbres bordant les chemins nouvel "ennemi intérieur" dont il faut se débarrasser. Le 19 pluviôse VIII (8 février 1800), le commissaire du département des Basses-Alpes ordonne aux administrateurs des cantons situés dans l'arrondissement de Digne de faire couper jusqu'à soixante toises (une centaine de mètres) les bois longeant certaines routes, et le 15 thermidor VIII (3 août 1800) une amnistie est proclamée dans les départements de l'Ardèche, de la Drôme, de Vaucluse et des Basses-Alpes pour ceux des réquisitionnaires qui rejoignent les rangs et des menaces sont lancées contre les brigands accusés d'être des "sectateurs du système anti-social"<ref>15 thermidor VIII (3 août 1800) - [http://analectes2rien.legtux.org/wikimerdja/images/1/1f/Ammirep.pdf En ligne]</ref> | + | Les tentatives de venir à bout de ce phénomène par une présence militaire accrue, via des patrouilles et des battues, ne suffisent pas à éradiquer les différentes bandes qui se constituent et n'hésitent pas à s'unir au gré des opportunités et des "bons-coups". Énervées, les autorités française désignent les arbres bordant les chemins nouvel "ennemi intérieur" dont il faut se débarrasser. Le 19 pluviôse VIII (8 février 1800), le commissaire du département des Basses-Alpes ordonne aux administrateurs des cantons situés dans l'arrondissement de Digne de faire couper jusqu'à soixante toises (une centaine de mètres) les bois longeant certaines routes, et le 15 thermidor VIII (3 août 1800) une amnistie est proclamée dans les départements de l'Ardèche, de la Drôme, de Vaucluse et des Basses-Alpes pour ceux des réquisitionnaires qui rejoignent les rangs et des menaces sont lancées contre les brigands accusés d'être des "sectateurs du système anti-social"<ref>15 thermidor VIII (3 août 1800) - [http://analectes2rien.legtux.org/wikimerdja/images/1/1f/Ammirep.pdf En ligne]</ref>. |
Pour les autorités, ce brigandage est le fait de cinq bandes surnommées selon le nom de certains villages locaux, tout en reconnaissant qu'elles se font et se défont au gré des opportunités, qu'elles unissent temporairement des hominines et qu'elles se restructurent en permanence en réaction aux nombreux morts parmi elles ! | Pour les autorités, ce brigandage est le fait de cinq bandes surnommées selon le nom de certains villages locaux, tout en reconnaissant qu'elles se font et se défont au gré des opportunités, qu'elles unissent temporairement des hominines et qu'elles se restructurent en permanence en réaction aux nombreux morts parmi elles ! | ||
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* 15 pluviôse (4 février) : Une personne tuée à Pourrières | * 15 pluviôse (4 février) : Une personne tuée à Pourrières | ||
* Début de ventôse (mi février) : Un bijoutier est détroussé à Puimoisson | * Début de ventôse (mi février) : Un bijoutier est détroussé à Puimoisson | ||
− | * 17 germinal (7 avril) : Deux personnes, dont un soldat, sont retrouvées | + | * 17 germinal (7 avril) : Deux personnes, dont un soldat, sont retrouvées mortes dans la rivière Sambuc à Nans |
* Vers 15 prairial (vers 4 juin) : Attaque de la voiture postale au Logis Neuf à Pourcieux | * Vers 15 prairial (vers 4 juin) : Attaque de la voiture postale au Logis Neuf à Pourcieux | ||
* 27 floréal (5 juillet) : Deux personnes tuées dans la forêt à Nans | * 27 floréal (5 juillet) : Deux personnes tuées dans la forêt à Nans | ||
* 21 messidor (10 juillet) : Une personne tuée à Esparron au quartier de Fontenouille | * 21 messidor (10 juillet) : Une personne tuée à Esparron au quartier de Fontenouille | ||
− | * 26 messidor (15 juillet) : Une dizaine de brigands attaquent le village de Brue-Auriac pour y débusquer trois personnes qu'ils accusent d'être | + | * 26 messidor (15 juillet) : Une dizaine de brigands attaquent le village de Brue-Auriac pour y débusquer trois personnes qu'ils accusent d'être responsables de l'arrestation de l'un d'entre eux. Deux des trois sont abattus et la femme de l'un d'eux violée. La maison du percepteur est pillée et l'impôt volé. |
* 26 thermidor (14 août) : Une personne tuée à Nans | * 26 thermidor (14 août) : Une personne tuée à Nans | ||
* 8 vendémiaire IX (30 septembre) : Deux gendarmes tués à Nans | * 8 vendémiaire IX (30 septembre) : Deux gendarmes tués à Nans | ||
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* 8 frimaire (29 novembre) : Déguisés en soldats des brigands pillent neuf maisons à Varages, blessent deux propriétaires, en tuent un autre avant de prendre la fuite devant l'arrivée d'une quarantaine de soldats. Ils abattent le fils du percepteur, pris en otage pour protéger leur fuite. L'un des brigands, Esprit Arbaud, de Joucques, meurt rapidement de ses blessures. | * 8 frimaire (29 novembre) : Déguisés en soldats des brigands pillent neuf maisons à Varages, blessent deux propriétaires, en tuent un autre avant de prendre la fuite devant l'arrivée d'une quarantaine de soldats. Ils abattent le fils du percepteur, pris en otage pour protéger leur fuite. L'un des brigands, Esprit Arbaud, de Joucques, meurt rapidement de ses blessures. | ||
* 17 frimaire (8 décembre) : Deux militaires tués à Pourcieux | * 17 frimaire (8 décembre) : Deux militaires tués à Pourcieux | ||
− | * Nuit du 29 au 30 frimaire (20 au 21 décembre) : Opération d'encerclement de Pourrières menée par des militaires. Les brigands réussissent à s' | + | * Nuit du 29 au 30 frimaire (20 au 21 décembre) : Opération d'encerclement de Pourrières menée par des militaires. Les brigands réussissent à s'échapper. |
* 3 frimaire (24 décembre) : François Silvy est retrouvé mort à Pourrières | * 3 frimaire (24 décembre) : François Silvy est retrouvé mort à Pourrières | ||
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− | Suzanne Escartefigues est interrogée le 23 thermidor XI (11 août 1803)<ref>''Copie de la procédure...,'' Tome II, p 539</ref> mais, rapidement disculpée par la balance, elle est libérée le 23 fructidor XI (10 septembre 1803). Thérèse Préveraud, la mère, est interrogée le 28 fructidor XI (15 septembre 1803<ref name="#therese">''Copie de la procédure...,'' Tome II, p 598 - [http://analectes2rien.legtux.org/wikimerdja/images/8/8d/InterrogTherese.pdf En ligne]</ref>. Elle déclare ne rien savoir à propos d'objets volés et dit ne pas connaître qui sont le ou les amants de sa fille Nanette. Cette dernière est interrogée le 30 fructidor XI (17 septembre 1803 )<ref>''Copie de la procédure...,'' Tome II, p 604 - [http://analectes2rien.legtux.org/wikimerdja/images/e/ec/NanetteKeuf.pdf En ligne]</ref>. Le juge la questionne pour savoir si elle a connaissance de la présence d'objets volés chez elle et si elle connaît Tisté Penas, son supposé amant. Elle nie pour les objets, admet connaître Tisté Penas qui cultive depuis trois ans des lopins de terre de la famille Escartefigues-Gacon mais sans pour autant le présenter comme son "amoureux". Comme il se doit en de telles circonstances, Nanette ne sait rien, ne dit rien. Ne jamais dire quoi que ce soit à la justice ou la police est - [[ACAB|ici et toujours]] - le maître mot. Reprenant les mots - ci-dessus - de "Turrier", le juge insiste sur son hypothétique pratique de la prostitution, ce qu'elle rejette catégoriquement. Des trois | + | Suzanne Escartefigues est interrogée le 23 thermidor XI (11 août 1803)<ref>''Copie de la procédure...,'' Tome II, p 539</ref> mais, rapidement disculpée par la balance, elle est libérée le 23 fructidor XI (10 septembre 1803). Thérèse Préveraud, la mère, est interrogée le 28 fructidor XI (15 septembre 1803<ref name="#therese">''Copie de la procédure...,'' Tome II, p 598 - [http://analectes2rien.legtux.org/wikimerdja/images/8/8d/InterrogTherese.pdf En ligne]</ref>. Elle déclare ne rien savoir à propos d'objets volés et dit ne pas connaître qui sont le ou les amants de sa fille Nanette. Cette dernière est interrogée le 30 fructidor XI (17 septembre 1803 )<ref>''Copie de la procédure...,'' Tome II, p 604 - [http://analectes2rien.legtux.org/wikimerdja/images/e/ec/NanetteKeuf.pdf En ligne]</ref>. Le juge la questionne pour savoir si elle a connaissance de la présence d'objets volés chez elle et si elle connaît Tisté Penas, son supposé amant. Elle nie pour les objets, admet connaître Tisté Penas qui cultive depuis trois ans des lopins de terre de la famille Escartefigues-Gacon mais sans pour autant le présenter comme son "amoureux". Comme il se doit en de telles circonstances, Nanette ne sait rien, ne dit rien. Ne jamais dire quoi que ce soit à la justice ou la police est - [[ACAB|ici et toujours]] - le maître mot. Reprenant les mots - ci-dessus - de "Turrier", le juge insiste sur son hypothétique pratique de la prostitution, ce qu'elle rejette catégoriquement. Des trois mises en cause, seule Nanette n'est pas confrontée au délateur "Turrier". |
− | Au long de ces procédures qui eurent lieu de la fin de l'an XI au début de l'an XII, 293 personnes - 56 femmes et 237 hommes - sont entendues, soit en tant que | + | Au long de ces procédures qui eurent lieu de la fin de l'an XI au début de l'an XII, 293 personnes - 56 femmes et 237 hommes - sont entendues, soit en tant que témoins, soit en tant que mises en cause. Parmi ces dernières, la plupart sont issues des couches sociales les plus pauvres et en grande partie illettrées<ref name="#instru" />. Sur 56 femmes, 54 - dont Nanette - déclarent ne pas savoir signer, 2 savent. Sur 237 hommes, 132 ne savent pas et 105 savent. Sur ce dernier chiffre, il est a remarqué que 41 font partie des classes "bourgeoises"<ref>Maurice Agulhon, "Les notables du Var sous le Consulat", ''Revue d'histoire moderne et contemporaine'', tome 17, n° 3, 1970 - [http://www.persee.fr/doc/rhmc_0048-8003_1970_num_17_3_2105 En ligne]</ref> et qu'elles sont entendues en tant que témoins. |
− | Disculpées, 26 personnes sont libérées. Thérèse Préveraud et Nanette le sont le 13 ventôse XII (4 mars 1804)<ref>''Copie de la procédure...'', Tome IV, page 633 - [http://analectes2rien.legtux.org/wikimerdja/images/a/ae/Liberations.pdf En ligne]</ref>. Beaucoup des personnes incriminées par la justice dans ces affaires de brigandage sont décédées avant les procès, tuées dans des accrochages avec des militaires ou lors d'actions de brigandage. À l' | + | Disculpées, 26 personnes sont libérées. Thérèse Préveraud et Nanette le sont le 13 ventôse XII (4 mars 1804)<ref>''Copie de la procédure...'', Tome IV, page 633 - [http://analectes2rien.legtux.org/wikimerdja/images/a/ae/Liberations.pdf En ligne]</ref>. Beaucoup des personnes incriminées par la justice dans ces affaires de brigandage sont décédées avant les procès, tuées dans des accrochages avec des militaires ou lors d'actions de brigandage. À l'issue du procès le Tribunal spécial du Var annonce ses sentences et ainsi, entre 1803 et 1805, les exécutions des quelques survivants se succèdent à Draguignan. |
Jean Pierre "Turrier" Pons meurt en prison dans le courant de l'année 1805. | Jean Pierre "Turrier" Pons meurt en prison dans le courant de l'année 1805. |
Version du 11 avril 2018 à 13:25
[En cours de rédaction] Anne "Nanette" Catherine Escartefigues. Héroïne malgré elle de romans pseudo-historiques, née dans le sud de la France - à une centaine de km de Nice - à la fin du XVIIIème siècle.
SommaireFille du rienAnne Catherine Escartefigues naît le 18 janvier 1774 à Saint-Martin-de-Pallières dans le Var[1], un village d'environ 400 habitants[2]. Surnommée "Nanette", elle est la dernière-née du couple Joseph "Martegau" Escartefigues et Thérèse Justine Préveraud qui ont déjà procréé cinq autres enfants depuis leur mariage en 1762 - quatre mâles et une femelle, selon l'état civil, nés entre 1763 et 1772[3]. Des deux précédents mariages de son père, Nanette possède quatre demi-sœurs qui sont déjà toutes mariées. Martegau exerce le métier de charbonnier et Thérèse celui de blanchisseuse.Après la mort de Joseph en octobre 1774, Thérèse Préveraud se remarie avec François "Franciau" Gacon, charbonnier de métier. La famille recomposée habite une maison à Saint-Martin-de-Pallières appartenant à Joseph Icard (Ycard) qui y vit aussi et y tient une auberge. En 1788, Suzanne, la sœur de Nanette, se marie avec Claude Gacon et quitte le village pour s'installer à Cuers. Mais après la mort de Claude, elle part s'installer en septembre 1800 à Aix. Elle trouve un travail de domestique chez un charcutier de la ville et n'a que très peu d'occasion de retourner voir sa famille dans le Var. Lorsque le dernier de la fratrie à se marier en 1794 quitte la maison familiale, Nanette reste avec sa mère et son parâtre. Elle exerce aussi l'activité de blanchisseuse pour survivre. Elle est, selon certains[4], illettrée. Sans savoir si cela relève de la "rumeur" publique et du dénigrement ou d'une réalité, elle "jouit dans le pays de la réputation d'une fille débauchée" selon deux de ses voisines[5], dont l'une d'elles sous-entend que Nanette est une prostituée. Mi-novembre 1802, profitant de l'absence du parâtre, deux inconnus s'introduisent dans la maison, menacent Thérèse et violent par deux fois Nanette[6]. Rien de plus n'est connu de la vie de Nanette à cette époque. Enrobage historiqueLes régions de la Provence intérieure vivent au rythme des secousses des lendemains révolutionnaires[7] : les plus pauvres cherchent ce qu'ils sont censés avoir gagné, et les plus aisés tentent de conserver ce qu'ils sont censés avoir perdu. Les oppositions entre monarchistes et républicains sont une succession d'affrontements armés, de révoltes populaires villageoises, de pillages, d'assassinats ciblés et de demandes répétées à plus de "répartition des richesses". Le redécoupage administratif de la Provence après la Révolution française de 1789 et l'annexion de nouveaux territoires[8] instaure à la place quatre départements[9] : les Bouches-du-Rhône, le Vaucluse, les Basses-Alpes[10] et le Var. Var dévariéLa loi du 23 août 1793 sur les réquisitions est votée afin de faire face aux besoins de nouveaux soldats pour se battre contre les anglais et les espagnols, soutiens de la monarchie déchue. Tous les hominines mâles sont ainsi invités à venir gaiement donner leurs vies pour la "patrie en danger". Beaucoup refusent. Ceux qui le peuvent parviennent à fuir à l'étranger, d'autres se cachent dans les grandes villes et d'autres encore préfèrent se réfugier dans les arrière-pays de la côte méditerranéenne varoise. La loi du 4 nivôse IV punit de la peine de mort quiconque incite à la désertion, à rejoindre l'ennemi ou des bandes de brigands et rebelles. Celle du 24 brumaire VI punit d'une amende et de un an ou deux ans de prison toute personne accusée d'avoir caché un "réquisitionnaire" ou aidé à son évasion. Les incitations à rejoindre les rangs de l'armée française sont multiples, faisant appel aux récents sentiments patriotiques, à la crainte d'une répression féroce ou à un argumentaire qui ferait perdre la tête à Olympe de Gouges[11] :
Les guerre napoléoniennes accentuent la pression contre les jeunes hominines mâles, toujours plus nombreux à mourir pour les rêves de grandeur du nouvel empereur, toujours plus nombreux à refuser de rejoindre les armées. Contraints à une certaine forme de clandestinité, de jeunes varois déserteurs (ou réquisitionnaires) de l'arrière-pays s'organisent en bandes pour résister aux militaires qui les traquent. Régulièrement rejoints par des citadins, déserteurs eux-aussi ou "malfrats", à la recherche d'une vie plus "paisible". Se forment ainsi des bandes de brigands qui multiplient les attaques contre des convois postaux, des marchands et des marchandises en transit, les vols dans des maisons isolées et s'affrontent régulièrement avec des militaires qu'ils n'hésitent pas à abattre.
De part sa configuration géographique, l'arrière-pays fournit un endroit idéal pour qu'y apparaisse des phénomènes de brigandage :
Les tentatives de venir à bout de ce phénomène par une présence militaire accrue, via des patrouilles et des battues, ne suffisent pas à éradiquer les différentes bandes qui se constituent et n'hésitent pas à s'unir au gré des opportunités et des "bons-coups". Énervées, les autorités française désignent les arbres bordant les chemins nouvel "ennemi intérieur" dont il faut se débarrasser. Le 19 pluviôse VIII (8 février 1800), le commissaire du département des Basses-Alpes ordonne aux administrateurs des cantons situés dans l'arrondissement de Digne de faire couper jusqu'à soixante toises (une centaine de mètres) les bois longeant certaines routes, et le 15 thermidor VIII (3 août 1800) une amnistie est proclamée dans les départements de l'Ardèche, de la Drôme, de Vaucluse et des Basses-Alpes pour ceux des réquisitionnaires qui rejoignent les rangs et des menaces sont lancées contre les brigands accusés d'être des "sectateurs du système anti-social"[15]. Pour les autorités, ce brigandage est le fait de cinq bandes surnommées selon le nom de certains villages locaux, tout en reconnaissant qu'elles se font et se défont au gré des opportunités, qu'elles unissent temporairement des hominines et qu'elles se restructurent en permanence en réaction aux nombreux morts parmi elles !
Contrairement à quelques petites bandes royalistes actives dans la région, les brigands n'ont pas de revendications politiques. D'après Joseph-Marie Maurel, parmi les jeunes brigands, il se disait qu'après des attaques de magasins ou de passants, des bandits marseillais, dans un geste de défiance vis-à-vis de la police, placardaient des affiches sur les murs avec le slogan suivant :
Outre qu'il permet à des réquisitionnaires d'échapper à la capture, le brigandage induit tout un réseau de connivences entre celles et ceux qui y participent et en tirent profit selon leur implication : informateur ou receleur, hébergeur ou soutien logistique. L'économie du brigandage met du "beurre dans les épinards" - mais ne permet pas un enrichissement - de celles et ceux qui ne se contentent pas de leurs "métiers" qui, bien souvent, est insuffisant pour survivre. À de très rares exceptions, le brigandage est une activité de "pauvres". Des papiers retrouvés après l'explosion d'Aups sur le cadavre de Daurel sont signés de "Pauvres fuyards"[18]. Faits et méfaitsListe de quelques uns des actes de brigandages[19].
Rien à déclarerAprès l'affrontement du 3 frimaire X (24 novembre 1802) à l'auberge de Joseph Icard, les autorités se lancent - à partir de leurs maigres informations - dans une vague d'arrestations pour "complicité d'aide aux brigands". Outre l'aubergiste, les autres locataires de la maison sont suspectés dès le 18 nivôse XI (8 janvier 1803) "d'entretenir des intelligences avec les brigands" et ordre est donné par le préfet de les arrêter. Le 14 ventôse XI (5 mars 1803), un mandat d'arrêt est lancé contre Nanette, sa mère et son parâtre. D'après la note de l'autorité judiciaire, Nanette est "la maîtresse déclarée de l'un" des brigands. Absent au moment de la venue des militaires le 28 ventôse XI (19 mars 1803), François Gacon échappe à l'arrestation mais Thérèse, Suzanne - venue rendre visite à sa famille - et Nanette sont arrêtées, transférées à la maison d’arrêt de Vinon puis à Brignoles[27], et enfin à Draguignan[28]. Arrêté peu de temps après, François Gacon meurt en prison le mois suivant[29].L'arrestation de Jean-Pierre "Turrier" Pons[22], le 18 germinal (8 avril 1803), est un tournant pour les autorités judiciaires. D'abord fuyant, il admet quelques faits. Impliqué entre autre dans la fusillade du 3 frimaire, il est condamné à mort avec quelques autres de ses compagnons. Croyant pouvoir ainsi sauver sa peau, "Turrier" déclare avoir de nouvelles révélations à faire. Bref, qu'il était prêt à "balancer". Le 14 thermidor (2 août) il se lance dans un long témoignage[30] qui entraîne de très nombreuses arrestations. Avec force détails, il énumère tous les actes de brigandages auxquels il a participé et ceux dont il a entendu parler, et nomme toutes les personnes qui, selon lui, y ont participé. Feu François Gacon, la parâtre de Nanette Escartefigues, est dénoncé comme étant un receleur et informateur des brigands. Nanette est suspectée par les autorités judiciaires d'être la maîtresse de Tisté Penas[31] et de profiter des butins. À la question du juge qui lui demande s'il est vrai qu'elle est "la maîtresse de plusieurs bandes", Jean Pierre Pons se lâche :
Suzanne Escartefigues est interrogée le 23 thermidor XI (11 août 1803)[32] mais, rapidement disculpée par la balance, elle est libérée le 23 fructidor XI (10 septembre 1803). Thérèse Préveraud, la mère, est interrogée le 28 fructidor XI (15 septembre 1803[33]. Elle déclare ne rien savoir à propos d'objets volés et dit ne pas connaître qui sont le ou les amants de sa fille Nanette. Cette dernière est interrogée le 30 fructidor XI (17 septembre 1803 )[34]. Le juge la questionne pour savoir si elle a connaissance de la présence d'objets volés chez elle et si elle connaît Tisté Penas, son supposé amant. Elle nie pour les objets, admet connaître Tisté Penas qui cultive depuis trois ans des lopins de terre de la famille Escartefigues-Gacon mais sans pour autant le présenter comme son "amoureux". Comme il se doit en de telles circonstances, Nanette ne sait rien, ne dit rien. Ne jamais dire quoi que ce soit à la justice ou la police est - ici et toujours - le maître mot. Reprenant les mots - ci-dessus - de "Turrier", le juge insiste sur son hypothétique pratique de la prostitution, ce qu'elle rejette catégoriquement. Des trois mises en cause, seule Nanette n'est pas confrontée au délateur "Turrier". Au long de ces procédures qui eurent lieu de la fin de l'an XI au début de l'an XII, 293 personnes - 56 femmes et 237 hommes - sont entendues, soit en tant que témoins, soit en tant que mises en cause. Parmi ces dernières, la plupart sont issues des couches sociales les plus pauvres et en grande partie illettrées[4]. Sur 56 femmes, 54 - dont Nanette - déclarent ne pas savoir signer, 2 savent. Sur 237 hommes, 132 ne savent pas et 105 savent. Sur ce dernier chiffre, il est a remarqué que 41 font partie des classes "bourgeoises"[35] et qu'elles sont entendues en tant que témoins. Disculpées, 26 personnes sont libérées. Thérèse Préveraud et Nanette le sont le 13 ventôse XII (4 mars 1804)[36]. Beaucoup des personnes incriminées par la justice dans ces affaires de brigandage sont décédées avant les procès, tuées dans des accrochages avec des militaires ou lors d'actions de brigandage. À l'issue du procès le Tribunal spécial du Var annonce ses sentences et ainsi, entre 1803 et 1805, les exécutions des quelques survivants se succèdent à Draguignan. Jean Pierre "Turrier" Pons meurt en prison dans le courant de l'année 1805. Et après ?De retour à Saint-Martin-de-Pallières, Nanette s'y marie le 7 septembre 1807 avec Pierre Paul Arnoux[37], trois mois après la mort de sa mère Thérèse. Le nouveau couple s'installe à Vinon, d'où est originaire Pierre, et deux enfants naissent de cette union : Marie Claire le 20 mars 1808[38] et Jean Joseph le 26 mars 1810[39]. Pierre décède le 25 mars 1836 à l'hôpital maritime de Toulon[40]. À une date indéterminée, Nanette Escartefigues déménage à Aix. Elle meurt chez elle le 4 novembre 1847[41]. Deux voisins viennent faire enregistrer la mort. L'acte de décès précise qu'elle exerçait le métier de journalier. Sa dernière adresse est le 27 rue du boulevard Saint-Jean[42], actuelle Rue Pavillon.Pour l'instant, la vie de Nanette Escartefigues reste un grand mystère. Les quelques informations disponibles ne permettent pas d'en savoir plus[43] . Des recherches supplémentaires ne permettraient sans doute pas de déterminer qu'elles furent ses implications réelles dans les actes de brigandages, ni de connaître quelles furent ses mœurs, tout au plus est-il possible de trouver des informations de type domestique après son installation à Aix. Malgré les évidentes proximités entre la nécrophilie et la protivophilie, il ne semble pas utile pour cette dernière d'en exhumer plus sur Nanette Escartefigues. Et les vomissements provoqués par la lecture des sources policières et du témoignage d'une "balance" ne permettent jamais d'écrire une vie sans en livrer sa version policière. Il n'y a aucune raison de croire les paroles d'une personne qui ne pense qu'à sauver sa vie grâce à ses révélations, pas plus que celles affirmées lors d'un interrogatoire par un témoin ou un accusé. Face à la police et la justice la règle n'est pas de dire la vérité mais de raconter ce que l'on veut afin d'y échapper. Sans ne jamais impliquer d'autre que soi.
CimetièreDe 1799 à 1804, beaucoup de personnes impliquées dans le brigandage sont abattues (A) lors d'affrontements avec les militaires ou tuées (T) pendant des attaques, exécutées (E) ou condamnées au bagne (B) après décisions judiciaires. Les autres sont mortes sans plus de précision. Presque 200 personnes, très majoritairement issues de la proche région, meurent ainsi pendant cette période. Toutes ne figurent pas dans la liste ci-dessous. L'ampleur du phénomène et la dureté de la répression est considérable pour une si petite zone, avec des répercussions directes sur nombre de familles et individus. La source principale de cette nécrologie est la Copie de la procédure contre les prévenus de brigandage comme auteurs ou comme complices publiée en 1804 à Draguignan, dont "il ne reste que quelques exemplaires, la majorité ayant été détruite par les familles compromises dans les poursuites"[46], selon L'affaire des brigands d'Aups[47]Selon un historien de la Veuve de Draguignan, "le condamné était généralement ligoté et basculé sur le ventre au moyen d'une planche coulissante. Avant que le couperet tombe". Plus d'un siècle d'utilisation de la guillotine a permis aux autorités judiciaires d'offrir aux badauds le spectacle d'environ 150 exécutions[48].
Enrobage romanesqueNotes
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