Biófilo Panclasta : Différence entre versions
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<blockquote>''Je ne suis pas, moi, un anarchiste. Moi je suis moi. Je ne quitte pas une religion pour une autre, un parti pour un autre, un sacrifice pour un autre. Moi, je suis un esprit libéré, égotiste. J’œuvre comme je le ressens, je n’ai pas d’autre cause que la mienne.''<ref name="#pue">Lettre datée du 15 avril 1910 à Aurelio de Castro, publiée dans ''El Pueblo'', Barranquilla, n° 219, 1910</ref></blockquote> | <blockquote>''Je ne suis pas, moi, un anarchiste. Moi je suis moi. Je ne quitte pas une religion pour une autre, un parti pour un autre, un sacrifice pour un autre. Moi, je suis un esprit libéré, égotiste. J’œuvre comme je le ressens, je n’ai pas d’autre cause que la mienne.''<ref name="#pue">Lettre datée du 15 avril 1910 à Aurelio de Castro, publiée dans ''El Pueblo'', Barranquilla, n° 219, 1910</ref></blockquote> | ||
− | Membre de la délégation de la FORA, il part en 1907 en direction de La Haye aux Pays-Bas pour participer au congrès international anarchiste prévu en août. Arrivé en Espagne, il traverse l'Europe pour rejoindre les Pays-Bas. À Paris, il prend contact avec le journal ''Les temps nouveaux'' dirigé par Jean Grave<ref>Jean Grave</ref> et rencontre Kropotkine. Arrêté pour un "resto-basket"<ref>"resto-basket"</ref>, il est brièvement incarcéré puis expulsé. Son passage sur Paris ne laisse pas un souvenir impérissable. Un proche de Kropotkine dit qu'il ne veut rien avoir à faire avec lui<ref>''Les Temps nouveaux'', 6 juillet 1907 - [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6348463d/f10.image En ligne] </ref>. Il rejoint les Pays-Bas par ses propres moyens. Resté dans ce pays après le congrès anarchiste, il intervient début décembre lors d'une conférence intitulée "L'Anarchie contre la vie" où il accuse les intervenants de ne pas être anarchistes et de ne rien comprendre à la chose. Il est brièvement arrêté. Jusqu'au tout début de 1908, il parcourt l'Europe, traversant la Belgique, l'Italie, la Suisse, la Grande-Bretagne, la France, les Pays-Bas et l'Espagne. De courtes étapes lors desquelles il dit rencontrer aussi Jean Grave, Sébastien Faure<ref>Sébastien Faure</ref>, E. Armand<ref>E. Armand</ref>, Errico Malatesta<ref>Errico Malatesta</ref> et Francisco Ferrer<ref>Francisco Ferrer</ref>. Des biographies imaginaires parlent de rencontres avec Ravachol ou Élisée Reclus, morts respectivement en 1892 et 1905 ! Voir d'une évasion de Sibérie avec le camarade Lénine<ref>J.A. Osorio Lizarazo, "Biófilo Panclasta, el anarquista colombiano, amigo y compañero de Lenin que conoció los horrores de la estepa siberiana", ''El Tiempo'', février 1939 - [En ligne]</ref> ! Arrêté en Espagne à la demande des autorités colombiennes, il est expulsé par bateau vers l'Amérique du sud. Lors d'une escale à Puerto Colombia, avant d'arriver à Bogota, Biófilo Panclasta parvient à s'enfuir et à rejoindre le Panama. Une nouvelle fois, il est arrêté et transféré aux autorités colombiennes qui l'incarcère quelques mois dans la région frontalière entre Panama et Colombie vers la fin 1908. Libéré, il annonce la parution prochaine du journal ''El Anticristo'' mais est de nouveau arrêté, et, au prétexte de la nationalité de sa mère, il est emprisonné à Carthagène en 1909 puis renvoyé vers le Panama où il est incarcéré à la prison de Colon. Finalement, la cour suprême de la justice de ce pays décide de son expulsion en décembre de cette année. Il est abandonné à la frontière. Les autorités colombiennes l'emprisonne de nouveau en 1910 à Barranquilla<ref name="#pue" />, puis l'expulse vers Caraçao<ref>Caraçao</ref>, une île néerlandaise au nord de la Colombie, qui se débarrasse rapidement de l'individu encombrant. La Dominique l'expulse aussi, retour en Colombie. Accusé de "''perturber l'ordre social avec ses idées révolutionnaires''"<ref>D'après l'appel au meurtre "Muera Biófilo Panclasta" dans ''Maquetas'', Bogota, 23 février 1911 - [https://www.flickr.com/photos/159445112@N07/32107018068/ En ligne]</ref> il est envoyé en 1911 à la prison de Bogota d'où il parvient néanmoins à faire publier deux entretiens dans des journaux<ref name="#rep" /><ref>''El Gráfico'', Bogota, n° 27, 11 février 1911 - [En ligne]</ref>. Transféré à Carthagène, il y écrit en 1912 un texte intitulé ''Et rèves d'ambition'', qui paraît dans un journal de Bogota<ref>Biófilo Panclasta, "Y sueños de ambición", ''El Domingo'', Bogota, n° 166, 28 avril 1912 - [En ligne]</ref>, où il explique, avec une dialectique biscornue et quelques préconcus masculins, que le combat féministe se doit de prôner l'égalité totale, et que ce combat se mène ensemble avec les hominines mâles. Pour lui, seuls ou seules, il n'y à rien à attendre. Le même numéro publie ''Ephémères''<ref>Biófilo Panclasta, "Efímeras", ''El Domingo'', Bogota, n° 166, 28 avril 1912 - [En ligne]</ref>, un poème écrit après sa sortie de prison et signé le 30 mars 1912 des "''rivages de Magdalena''" sur la côte caribéenne de la Colombie. | + | Membre de la délégation de la FORA, il part en 1907 en direction de La Haye aux Pays-Bas pour participer au congrès international anarchiste prévu en août. Arrivé en Espagne, il traverse l'Europe pour rejoindre les Pays-Bas. À Paris, il prend contact avec le journal ''Les temps nouveaux'' dirigé par Jean Grave<ref>Jean Grave</ref> et rencontre Kropotkine. Arrêté pour un "resto-basket"<ref>"resto-basket"</ref>, il est brièvement incarcéré puis expulsé. Son passage sur Paris ne laisse pas un souvenir impérissable. Un proche de Kropotkine dit qu'il ne veut rien avoir à faire avec lui<ref>''Les Temps nouveaux'', 6 juillet 1907 - [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6348463d/f10.image En ligne] </ref>. Il rejoint les Pays-Bas par ses propres moyens. Resté dans ce pays après le congrès anarchiste, il intervient début décembre lors d'une conférence intitulée "L'Anarchie contre la vie" où il accuse les intervenants de ne pas être anarchistes et de ne rien comprendre à la chose. Il est brièvement arrêté. Jusqu'au tout début de 1908, il parcourt l'Europe, traversant la Belgique, l'Italie, la Suisse, la Grande-Bretagne, la France, les Pays-Bas et l'Espagne. De courtes étapes lors desquelles il dit rencontrer aussi Jean Grave, Sébastien Faure<ref>Sébastien Faure</ref>, E. Armand<ref>E. Armand</ref>, Errico Malatesta<ref>Errico Malatesta</ref> et Francisco Ferrer<ref>Francisco Ferrer</ref>. Des biographies imaginaires parlent de rencontres avec Ravachol ou Élisée Reclus, morts respectivement en 1892 et 1905 ! Voir d'une évasion de Sibérie avec le camarade Lénine<ref name="#len">J.A. Osorio Lizarazo, "Biófilo Panclasta, el anarquista colombiano, amigo y compañero de Lenin que conoció los horrores de la estepa siberiana", ''El Tiempo'', février 1939 - [En ligne]</ref> ! Arrêté en Espagne à la demande des autorités colombiennes, il est expulsé par bateau vers l'Amérique du sud. Lors d'une escale à Puerto Colombia, avant d'arriver à Bogota, Biófilo Panclasta parvient à s'enfuir et à rejoindre le Panama. Une nouvelle fois, il est arrêté et transféré aux autorités colombiennes qui l'incarcère quelques mois dans la région frontalière entre Panama et Colombie vers la fin 1908. Libéré, il annonce la parution prochaine du journal ''El Anticristo'' mais est de nouveau arrêté, et, au prétexte de la nationalité de sa mère, il est emprisonné à Carthagène en 1909 puis renvoyé vers le Panama où il est incarcéré à la prison de Colon. Finalement, la cour suprême de la justice de ce pays décide de son expulsion en décembre de cette année. Il est abandonné à la frontière. Les autorités colombiennes l'emprisonne de nouveau en 1910 à Barranquilla<ref name="#pue" />, puis l'expulse vers Caraçao<ref>Caraçao</ref>, une île néerlandaise au nord de la Colombie, qui se débarrasse rapidement de l'individu encombrant. La Dominique l'expulse aussi, retour en Colombie. Accusé de "''perturber l'ordre social avec ses idées révolutionnaires''"<ref>D'après l'appel au meurtre "Muera Biófilo Panclasta" dans ''Maquetas'', Bogota, 23 février 1911 - [https://www.flickr.com/photos/159445112@N07/32107018068/ En ligne]</ref> il est envoyé en 1911 à la prison de Bogota d'où il parvient néanmoins à faire publier deux entretiens dans des journaux<ref name="#rep" /><ref>''El Gráfico'', Bogota, n° 27, 11 février 1911 - [En ligne]</ref>. Transféré à Carthagène, il y écrit en 1912 un texte intitulé ''Et rèves d'ambition'', qui paraît dans un journal de Bogota<ref>Biófilo Panclasta, "Y sueños de ambición", ''El Domingo'', Bogota, n° 166, 28 avril 1912 - [En ligne]</ref>, où il explique, avec une dialectique biscornue et quelques préconcus masculins, que le combat féministe se doit de prôner l'égalité totale, et que ce combat se mène ensemble avec les hominines mâles. Pour lui, seuls ou seules, il n'y à rien à attendre. Le même numéro publie ''Ephémères''<ref>Biófilo Panclasta, "Efímeras", ''El Domingo'', Bogota, n° 166, 28 avril 1912 - [En ligne]</ref>, un poème écrit après sa sortie de prison et signé le 30 mars 1912 des "''rivages de Magdalena''" sur la côte caribéenne de la Colombie. |
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Version du 3 avril 2021 à 19:50
Biófilo Panclasta. Vagabond solitaire et explosif de la fin du deuxième millénaire après JCⒸ[1]
SommairePaysage bolivarienDepuis la rencontre géologique entre l'Amérique du nord et celle du sud, cette dernière s'est peuplée d'espèces animales qui n'étaient pas encore présentes sur son sol. D'autres disparaissent. Arrivant du nord, le lama s'installe et fait souche au sud, puis disparaît du nord. Les mammifères marsupiaux reculent sur l'ensemble du continent et déclinent face à l'expansion des mammifères placentaires, pour ne survivre que dans le sud. L'arrivée des hominines n'est pas datée précisément et les routes utilisées pour cette implantation sont des sujets de controverses sérieuses entre les spécialistes. N'y a-t-il eu que les chemins terrestres venus du nord ou des hominines se sont-illes implantés à partir du sud venant de la mer ? Ou les deux ? Sont-illes passés du nord au sud, ou l'inverse, à pied ou par cabotage ? Quelle que soit l'hypothèse, la certitude partagée est l'existence d'hominines dans les parties nord et sud du continent américain depuis des dizaines de milliers d'années[2]. Lorsque des hominines, venant d'Europe, arrivent en Amérique du sud vers la fin du XVème siècle après JCⒸ, illes y trouvent de vastes sociétés organisées et des États puissants[4]. Dans la confrontation qui s'en suit, ces derniers perdent le contrôle politique sur les populations au bénéfice des hominines d'Europe qui instaurent de nouvelles formes d'organisation politique. Exploitées et soumises depuis des siècles par les pouvoirs politiques locaux, les populations d'hominines se retrouvent dorénavant dominées par différents États européens implantés durablement sur le sol sud-américain. L'Espagne et le Portugal sont les premiers à prendre pied sur ce sous-continent, puis les Pays-Bas, et plus tardivement la France, l'Angleterre, puis les États-Unis d'Amérique du nord. Pendant des siècles, ces territoires conquis sont gérés comme des zones périphériques, des colonies où les ressources naturelles sont pillées afin de bénéficier aux métropoles européennes et les populations locales sont administrées avec encore plus de violence que celles d'Europe. Des millions d'hominines mâles et femelles sont importés d'Afrique pour être mis en esclavage dans les cultures et les mines de ces colonies[5]. Quoiqu'en disent les déclarations d'intention, les discours racistes ou les considérations religieuses, les hominines d'Amérique du sud, d'Afrique et d'Europe se métissent. Hormis les histoires singulières, le brassage se fait selon les stratifications sociales qui s'établissent au long de la colonisation. Le racisme des hominines d'Europe impose une hiérarchie entre les différentes populations et métissages. Mâles ou femelles, les esclaves africains et les amérindiens sont au bas de cette échelle, puis viennent les métis des uns ou des autres avec des européens qui n'hésitent pas à se toiser entre elleux. Alors que les Pays-Bas, la France et l'Angleterre s'installent confortablement sur le pourtour de la mer des Caraïbes[6], l'Espagne est contestée dans ses colonies sud-américaines dès le début du XIXème siècle. Les réformes proposées par la métropole ne satisfont pas les pouvoirs politiques locaux favorables à plus d'autonomie, ni ne calment les velléités d'indépendance qui se font jour. Les guerres — dont la figure emblématique est Simon Bolivar[7] — qui opposent entre 1810 et 1825 les armées espagnoles et les revendications d'autonomie accrue se soldent par l'émiettement progressif de l'empire colonial espagnol en Amérique du sud. Après l'indépendance du Paraguay quelques années plus tôt, les Provinces-Unies de la Plata proclament leur indépendance de l'Espagne en 1816 puis se scindent dix ans plus tard entre Argentine et Uruguay. Le Chili accède à l'indépendance en 1818, le Pérou en 1821 et la Bolivie quatre années plus tard. Au nord de l'empire, la Colombie naît en 1819 et le royaume du Mexique en 1821. Après un peu plus de dix ans, la Colombie se divise entre le Venezuela, l’Équateur et la Nouvelle-Grenade. Les frontières de cette dernière incluent l'actuelle Colombie, le Panama et la côte des Mosquitos au Nicaragua. Le Mexique se fracture entre le Mexique, au nord, et les Provinces-Unies d'Amérique centrale après deux ans d'existence. Les provinces centre-américaines se divisent en 1839 entre Guatemala, Salvador, Honduras[8], Costa Rica et Nicaragua, et le Mexique perd ses territoires du nord, Texas et Californie[9], dans la guerre qui l'oppose aux États-Unis d'Amérique dans la décennie 1840. Les dynamiques qui mènent à ces indépendances sont un mélange de revendications sociales pour les plus pauvres des hominines et une volonté d'émancipation des élites coloniales vis-à-vis de la métropole. Les pays naissant n'hésitent pas à se faire quelques guerres pour redéfinir leurs frontières. Ces luttes concernent presque exclusivement les hominines d'ascendance européenne car les esclaves ne sont pas inclus et les amérindiens sont traités avec mépris. Ces deux "catégories sociales" mènent leurs propres luttes pour répondre à leurs situations spécifiques.
Du projet bolivarien d'une Grande Colombie regroupant les anciennes colonies espagnoles il ne reste, à sa mort en 1830, que la République de Nouvelle-Grenade. L'opposition entre les partisans du fédéralisme ou du centralisme — qui mena à l'indépendance du Venezuela et de l'Équateur — est toujours un sujet qui divise la république. Parfois lors de guerres locales sanglantes. En 1858, une constitution fédéraliste la transforme en Confédération grenadine, puis de 1863 à 1886 en États-Unis de Colombie regroupant neuf États, dont huit constituent la Colombie et un le Panama actuels. À la fin du XIXème siècle, hormis leurs possessions caraïbes, les seules présences coloniales sur le continent sud-américain sont les Guyane britannique[11], hollandaise et française qui deviendront respectivement, le Guyana en 1966, le Surinam en 1975 et le département français de Guyane depuis 1948. En Amérique centrale, seul le Honduras britannique demeure une colonie jusqu'à son indépendance en 1981 sous le nom de Belize. Avec l'effacement de l'Espagne et l'influence relative des autres pays européens, l'Amérique du sud devient une extension de la politique de la nouvelle puissance continentale, les États-Unis d'Amérique[12]. Bas-âge santanderienVicente Lizcano naît en octobre 1879 à Chinácota dans l’État fédéré de Santander[13] — composante des États-Unis de Colombie l'ex-confédération grenadine — à la frontière avec le Venezuela, d'un père mystérieux, Bernardo Rojas, et d'une mère servante, Simona Lizcano, issue d'une famille de paysans de Silos, dans le nord de Santander. Pour fuir la stigmatisation sociale d'avoir donné naissance à un enfant hors mariage, elle quitte Chinácota. Travaillant au palais épiscopal de Pamplona, elle élève seule son enfant car le père est aux abonnés absents. Le jeune Vicente fait ses études secondaires dans cette ville, où il est un brillant élève en histoire, puis intègre l'école normale de Bucaramanga où il poursuit ses études pendant deux ans avant de se faire expulser pour ses prises de position publiques dans un journal fait-main contre un prétendant candidat aux élections présidentielles de 1898. Il quitte l'année suivante les États-Unis colombiens pour rejoindre le Venezuela où il aide à l'ouverture de la première école publique de la ville de Capacho Nuevo dans la province de Tachira, frontalière du Santander colombien. Décidé à prendre une part active aux secousses politiques qui traversent le Venezuela, il quitte tout et s'engage avec les troupes irrégulières de Cipriano Castro qui parviennent fin 1899 à renverser le président élu. Partisan d'une Grande Colombie, économiquement libéral et anti-colonialiste, Cipriano Castro chasse un nationaliste et conservateur, et instaure un pouvoir centralisé et autoritaire. Ses réformes dans le domaine économique lui valent des critiques de la part de grands propriétaires terriens qui voient d'un mauvais œil la reprise en main par l’État de secteurs dominés jusqu'alors par les acheteurs européens. Pendant trois ans, la guerre civile oppose les forces armées de Cipriano Castro et les unités combattantes mise en place par les grands propriétaires avec l'aide de certains États européens. Vicente Lizcano se bat dans le nord-ouest du Venezuela et devient le conseiller de Cipriano Castro. Il obtient le grade de colonel. En désaccord avec les politiques autoritaires et l'absence de réformes sociales libérales, il s'éloigne de son ancien compagnon d'armes à partir de 1901. Les britanniques, les allemands, les italiens et les étasuniens, principaux pays bénéficiaires du commerce vénézuélien, n'hésitent pas à tenter parfois des coups de force directs pour renverser le pouvoir. Sans succès. Soucieux de préserver leur pré carré sud-américain, les États-Unis œuvrent à écarter les puissances européennes. Ils tentent de déstabiliser le Venezuela et soutiennent les indépendantistes du Panama qui réclament leur sécession de la république de Colombie, les anciens États-Unis de Colombie. La nouvelle constitution colombienne de 1886, plus centraliste, est le facteur déclenchant de la guerre civile qui oppose, entre 1899 et la fin 1902, les libéraux et les conservateurs colombiens. La victoire de ces derniers aboutit à la proclamation d'indépendance du Panama en 1903, avec le soutien des États-Unis d'Amérique[14]. Alors que des navires nord-américains protègent les eaux du Panama d'une quelconque attaque de l'armée colombienne, Vicente Lizcano propose ses compétences militaires pour aider à lutter contre les indépendantistes panaméens[15]. Devant le refus colombien et les risques d'être emprisonné, il part en 1904, direction l'Équateur. Ce pays est alors sur le sentier de la guerre avec le Pérou qui conteste le tracé des frontières et revendique des territoires équatoriens[16]. Des affrontements irréguliers opposent les forces armées des deux pays dans les zones frontalières. Finalement, la guerre n'a pas lieu.
Passage stirnérienL'année 1904 est, pour la protivophilie, celle de l'abandon du bas-âge santanderien pour Vicente Lizcano qui, empruntant un obscur passage stirnérien, change son nom. Dorénavant, il est Biófilo Panclasta. Non pas Monsieur Plancasta mais Biófilo Panclasta, comme deux parts indissociables de ce qu'il veut être. Basés sur des racines grecques, Biófilo — de bios "vivant" et philos "qui aime" — signifie "Amant de la vie" et Panclasta — construit sur pan "tout" et klasta "qui brise" — signifie "Destructeur de tout"[18]. "Biófilo Panclasta plus qu'un nom, est une manière d'être, de penser, d'agir, de sentir, d'aimer, de haïr, de tuer. C'est la synthèse de la contradiction que nous portons en nous. Qui n'a jamais eu l'envie profonde de tuer, de raser, de détruire tout ? Nous avons tous un Biófilo Panclasta en nous, certains plus Biófilo que Panclasta, d'autres plus Panclasta que Biófilo"[19]. Très similaire à l'argumentaire développé par Max Stirner[20], cette dualité est résumée par Biófilo Panclasta lui-même dans ce triptyque protivophile :
Son rejet catégorique se base essentiellement sur une volonté absolue d'égalité entre les hominines. Rien n'est au dessus de cela. Une forme d'individualisme intransigeant qu'il n'assimile ni au nihilisme qui lui "donne mal à la tête"[21], ni au terrorisme dont il se dit terrorisé. Vagabond, Biófilo Panclasta erre dans le nord de l'Amérique du sud, puis rejoint l'Argentine en 1906. Bien que l'anarchisme soit présent en Colombie depuis la fin du XIXème siècle, sous la forme de journaux ou d'associations, il reste plus discret qu'en Argentine et rien ne dit que Biófilo Panclasta soit en contact avec cette mouvance politique même s'il affirme que "gouverner est aussi répugnant qu'être gouverné", ce qui est le credo anarchiste. À son arrivée en Argentine il se lie avec des membres de la puissante organisation syndicale anarchiste qu'est alors la Fédération Ouvrière Régionale Argentine (FORA)[22]. Il participe à des réunions et écrit dans quelques journaux. Il se sent très proche de l'idéal anarchiste pour moult raisons mais il s'en démarque pour ses aspects idéologiques.
Membre de la délégation de la FORA, il part en 1907 en direction de La Haye aux Pays-Bas pour participer au congrès international anarchiste prévu en août. Arrivé en Espagne, il traverse l'Europe pour rejoindre les Pays-Bas. À Paris, il prend contact avec le journal Les temps nouveaux dirigé par Jean Grave[24] et rencontre Kropotkine. Arrêté pour un "resto-basket"[25], il est brièvement incarcéré puis expulsé. Son passage sur Paris ne laisse pas un souvenir impérissable. Un proche de Kropotkine dit qu'il ne veut rien avoir à faire avec lui[26]. Il rejoint les Pays-Bas par ses propres moyens. Resté dans ce pays après le congrès anarchiste, il intervient début décembre lors d'une conférence intitulée "L'Anarchie contre la vie" où il accuse les intervenants de ne pas être anarchistes et de ne rien comprendre à la chose. Il est brièvement arrêté. Jusqu'au tout début de 1908, il parcourt l'Europe, traversant la Belgique, l'Italie, la Suisse, la Grande-Bretagne, la France, les Pays-Bas et l'Espagne. De courtes étapes lors desquelles il dit rencontrer aussi Jean Grave, Sébastien Faure[27], E. Armand[28], Errico Malatesta[29] et Francisco Ferrer[30]. Des biographies imaginaires parlent de rencontres avec Ravachol ou Élisée Reclus, morts respectivement en 1892 et 1905 ! Voir d'une évasion de Sibérie avec le camarade Lénine[31] ! Arrêté en Espagne à la demande des autorités colombiennes, il est expulsé par bateau vers l'Amérique du sud. Lors d'une escale à Puerto Colombia, avant d'arriver à Bogota, Biófilo Panclasta parvient à s'enfuir et à rejoindre le Panama. Une nouvelle fois, il est arrêté et transféré aux autorités colombiennes qui l'incarcère quelques mois dans la région frontalière entre Panama et Colombie vers la fin 1908. Libéré, il annonce la parution prochaine du journal El Anticristo mais est de nouveau arrêté, et, au prétexte de la nationalité de sa mère, il est emprisonné à Carthagène en 1909 puis renvoyé vers le Panama où il est incarcéré à la prison de Colon. Finalement, la cour suprême de la justice de ce pays décide de son expulsion en décembre de cette année. Il est abandonné à la frontière. Les autorités colombiennes l'emprisonne de nouveau en 1910 à Barranquilla[23], puis l'expulse vers Caraçao[32], une île néerlandaise au nord de la Colombie, qui se débarrasse rapidement de l'individu encombrant. La Dominique l'expulse aussi, retour en Colombie. Accusé de "perturber l'ordre social avec ses idées révolutionnaires"[33] il est envoyé en 1911 à la prison de Bogota d'où il parvient néanmoins à faire publier deux entretiens dans des journaux[17][34]. Transféré à Carthagène, il y écrit en 1912 un texte intitulé Et rèves d'ambition, qui paraît dans un journal de Bogota[35], où il explique, avec une dialectique biscornue et quelques préconcus masculins, que le combat féministe se doit de prôner l'égalité totale, et que ce combat se mène ensemble avec les hominines mâles. Pour lui, seuls ou seules, il n'y à rien à attendre. Le même numéro publie Ephémères[36], un poème écrit après sa sortie de prison et signé le 30 mars 1912 des "rivages de Magdalena" sur la côte caribéenne de la Colombie. Pressage matonnerienDepuis sa libération en 1912, Biófilo Panclasta multiplie inlassablement ses critiques systématiques contre les autorités politiques et poursuit son œuvre de destruction. En 1914, il décide de retourner au Venezuela après dix années d'absence. À l'été, quelques semaines après le déclenchement de la Première guerre mondiale, il est arrêté dans le nord du pays sous un prétexte fallacieux à l'instigation de l'ex-président vénézuélien. Celui-là même qui prit le pouvoir en 1908 en chassant Cipriano Castro, arrivé à la présidence presque dix ans plus tôt avec l'aide de Biófilo Panclasta. Que ce soit par simple vengeance ou parce qu'il est véritablement considéré dangereux, Biófilo Panclasta est envoyé à la prison de Valencia dans le nord vénézuélien.
La prison de Valencia est un vaste mouroir où s'entassent des prisonniers faméliques, souffrant de troubles psychologique, malades ou abîmés. Les conditions sanitaires sont déplorables et les prisonniers sont exposés en permanence aux violences de la matonnerie. Dans ce lieu d'enfermement échouent tous les hominines que le président vénézuélien décrète ennemis. Réformateur de l'économie, proche des intérêts européens et instigateur de grands travaux d'infrastructures (routes et voies ferrées), ce despote gère le pays avec une main de fer. Son opposition, réelle, supposée ou fantasmée, est pourchassée. Pendant sept années, Biófilo Panclasta va endurer les mauvais traitements avec de nombreux autres prisonniers qui partagent son sort. Beaucoup meurent de maladie ou de faim. D'autres sombrent dans la folie. Quelques-uns sont libérés. Très affaibli par ces conditions de détention dans des cachots, Biófilo Panclasta est transféré en 1921 à la prison de Puerto Cabello, puis libéré quelques mois plus tard. Il relatera en 1932 ses sept années d'emprisonnement dans un livre titré Sept années enterré vivant dans un des cachots du Gomezuela[38][37]. Brassage prolétarienLes prédictions des Témoins de Jéhovah qui fixent la fin du monde en 1914, puis 1915, et finalement 1916[39], sont rendues caduques par la réalité des choses. Biófilo Panclasta est bien vivant. Lui qui espérait tant que "le monde prenne fin de lui-même" ![21] Il abandonne ses prétentions pacifiques pour modifier le cours de l'histoire tragique des hominines et repense l'articulation entre l'individu et le collectif, non plus vu comme une coercition mais comme un moyen pour activer l'effondrement. En 1923, il se rend à Barcelone pour un congrès anarchiste en tant que membre de la délégation de l'Association Anarchiste Mexicaine. Il propose un large plan d'attaques coordonnées appelé Opération Europe qui vise à déstabiliser l'ensemble des pays de ce continent :
Bien que s'ancrant dans une longue tradition anarchiste d'assassinats de personnalités politiques[40], cette proposition n'est pas retenue. Et, malgré la tentative de Germaine Berton de le tuer, Léon Daudet court toujours. De retour en Amérique du sud, il se rend au Brésil pour soutenir une grève dans une plantation de café près de Sao Paolo mais, arrêté, il est transféré dans la prison d'Oiapoque à la frontière entre le Brésil et la Guyane française. Parvenu à s'évader, il franchit la frontière et se réfugie à Cayenne. Pris en charge par la Ligue des Droits de l'Homme, il est évacué vers la petite île de la Martinique, un des territoires français dans la mer des Caraïbes. Retour en Colombie. La grève des ouvriers dans le secteur pétrolier entamée en janvier 1927 s'étend à plusieurs villes colombiennes et dure pendant presque un mois. L'état d'urgence décrété par les autorités disperse les milliers de grévistes et les arrestations se multiplient. Des syndicalistes et des ouvriers, dont Biófilo Panclasta, sont envoyés à la prison de San Gil. Il y fait la rencontre du syndicaliste Raul Mahecha, accusé d'être l'un des instigateurs de la grève, et les deux hominines sympathisent. Les grévistes sont libérés en juillet. Motivé par de nouvelles perspectives de mettre fin à ce monde honni, Biófilo Panclasta lance en 1928 le Centre d’Union et d'Action Révolutionnaire dont le slogan, emprunté au couple de poètes Karl Marx et Friedrich Engels, et déchiqueté par la panclastite, est "Révolutionnaires de tous les idéaux, unissez-vous !" Les moyens d'arriver à cela restent mystérieux et la pertinence discutable.
Notes
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