Projet Darién : Différence entre versions
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[[Fichier:lune.jpg|300px|thumb|right|Opération #payetonscaph en faveur de l'envoi d'un scaphandre de protection pour les albinos<ref>Pour une générosité intersectionnelle, faire parvenir ses dons à [http://www.animaux-albinos.com/ animaux-albinos.com]</ref>]] | [[Fichier:lune.jpg|300px|thumb|right|Opération #payetonscaph en faveur de l'envoi d'un scaphandre de protection pour les albinos<ref>Pour une générosité intersectionnelle, faire parvenir ses dons à [http://www.animaux-albinos.com/ animaux-albinos.com]</ref>]] | ||
− | Dans la province panaméenne à l'est du Darièn, la construction d'une ligne de chemin de fer par la France entre 1850 et 1855, puis sa tentative de percement d'un canal interocéanique à partir de 1880 mobilisent plus de 20 000 ouvriers venus essentiellement d'Europe du sud : Italie, Espagne, Grèce et Portugal. Pour la reprise du projet de canal du Panama en 1904, les États-Unis d'Amérique mettent en place une organisation du travail s'inspirant d'un modèle ségrégationniste. Jusqu'en 1914, 45 000 ouvriers seront importés. Les participants à ce chantier sont divisés en deux catégories : "gold" (or) et "silver" (argent). La première regroupe les ingénieurs, les contremaîtres et les ouvriers d'origine étasunienne et quelques exceptions. Ils sont mieux payés que les "silver" et bénéficient de nombreux aménagements tels des espaces de sport et de détente, de nourriture en qualité et en quantité satisfaisante, de maisons ou de logements décents... La catégorie "silver" est celle des ouvriers importés d'Europe, d'Amérique hispanophone et des îles des Caraïbes, ainsi que des amérindiens, pour réaliser les travaux de percement les plus durs et les plus dangereux. Ils sont moins bien payés que ceux de l'autre catégorie et n'ont pas accès à leurs différents avantages. Les logements sont insalubres, la nourriture insuffisante et il n'y a aucun lieu de distraction et de détente. Les maladies et les blessures lors d'accidents de travail font de nombreuses victimes parmi les ouvriers qui ne bénéficient ni de congés payés ni d'assurance maladie. La ségrégation entre les ouvriers est faîte sur des critères racistes qui attribuent à tels ou tels une supposée blancheur de la peau, ou non. Les ouvriers originaires du sud de l'Europe sont généralement classés dans la catégorie "silver" à l'exception de ceux qui sont employés en tant que contremaître. En 1907, les autorités étasuniennes du chantier décident d'exclure des "gold" tous ceux qu'elles jugent "non-blancs", à l'exception des "noirs" policiers, instituteurs ou postiers. Selon les nécessités, les espagnols, les grecs ou les italiens sont estampillés "blancs" ou "mi-blancs" ! Les ouvriers originaires d'Europe sont mis en concurrence avec ceux venus de la Jamaïque et de la Barbade, classés en tant que "noirs". De même manière qu'ils le sont avec les amérindiens, eux aussi désignés comme "noirs". Les heurts avec les contremaîtres, accusés par les ouvriers d'être violents et orduriers, sont réguliers. Le lynchage de l'un d'entre eux en 1907 provoque l'arrestation d'une douzaine d'ouvriers et, en réponse, le déclenchement d'une grève sauvage d'environ 200 personnes pour les faire libérer. L'enjeu monétaire d'être dans la catégorie "gold" et la menace étasunienne de faire venir de plus en plus d'ouvriers des Caraïbes opposent les ouvriers importés d'Europe à leurs homologues caribéens. Les discours mélangent des revendications sur les salaires, les conditions de travail et de logement à des propos racistes sur les "noirs". Ils ne veulent ni être assimilés à eux, ni être logés avec eux. En 1909, des ouvriers espagnols refusent que des ouvriers de la Barbade - en panne de bus - montent dans le leur et s'affrontent à la police qui tente d'empêcher le lynchage. Quatre cent ouvriers arrêtent le travail pour se solidariser avec les espagnols. En fonction des besoins ou de revendications défendues lors de grèves, les ouvriers européens bénéficient partiellement des avantages de la catégorie "gold". Sur les chantiers, les ouvriers originaires des Caraïbes font tous les travaux les plus durs. En 1909, les autorités du chantier décrètent finalement que le statut "gold" est exclusivement réservé aux citoyens étasuniens et à quelques panaméens. Le 27 juillet 1911, le chantier à hauteur de la coupe de Culebra se met en grève pour protester contre la violence des contremaîtres et pour récupérer une partie des avantages perdus comme le droit de manger sur son lieu de travail. Le long du canal en construction, plusieurs groupes d'ouvriers rejoignent le mouvement. Plus de 800 personnes participent à cette grève qui s'étale jusqu'au 3 août. Les contremaîtres incriminés sont maintenus à leur poste et 500 ouvriers sont licenciés. Les États-Unis d'Amérique augmentent leur volume d'importation d'ouvriers caribéens pour remplacer les ouvriers licenciés, tués, blessés ou déserteurs. | + | Dans la province panaméenne à l'est du Darièn, la construction d'une ligne de chemin de fer par la France entre 1850 et 1855, puis sa tentative de percement d'un canal interocéanique à partir de 1880 mobilisent plus de 20 000 ouvriers venus essentiellement d'Europe du sud : Italie, Espagne, Grèce et Portugal. Pour la reprise du projet de canal du Panama en 1904, les États-Unis d'Amérique mettent en place une organisation du travail s'inspirant d'un modèle ségrégationniste. Jusqu'en 1914, 45 000 ouvriers seront importés. Les participants à ce chantier sont divisés en deux catégories : "gold" (or) et "silver" (argent). La première regroupe les ingénieurs, les contremaîtres et les ouvriers d'origine étasunienne et quelques exceptions. Ils sont mieux payés que les "silver" et bénéficient de nombreux aménagements tels des espaces de sport et de détente, de nourriture en qualité et en quantité satisfaisante, de maisons ou de logements décents... La catégorie "silver" est celle des ouvriers importés d'Europe, d'Amérique hispanophone et des îles des Caraïbes, ainsi que des amérindiens, pour réaliser les travaux de percement les plus durs et les plus dangereux. Ils sont moins bien payés que ceux de l'autre catégorie et n'ont pas accès à leurs différents avantages. Les logements sont insalubres, la nourriture insuffisante et il n'y a aucun lieu de distraction et de détente. Les maladies et les blessures lors d'accidents de travail font de nombreuses victimes parmi les ouvriers qui ne bénéficient ni de congés payés ni d'assurance maladie. La ségrégation entre les ouvriers est faîte sur des critères racistes qui attribuent à tels ou tels une supposée blancheur de la peau, ou non. Les ouvriers originaires du sud de l'Europe sont généralement classés dans la catégorie "silver" à l'exception de ceux qui sont employés en tant que contremaître. En 1907, les autorités étasuniennes du chantier décident d'exclure des "gold" tous ceux qu'elles jugent "non-blancs", à l'exception des "noirs" policiers, instituteurs ou postiers. Selon les nécessités, les espagnols, les grecs ou les italiens sont estampillés "blancs" ou "mi-blancs" ! Les ouvriers originaires d'Europe sont mis en concurrence avec ceux venus de la Jamaïque et de la Barbade, classés en tant que "noirs". De même manière qu'ils le sont avec les amérindiens, eux aussi désignés comme "noirs". Les heurts avec les contremaîtres, accusés par les ouvriers d'être violents et orduriers, sont réguliers. Le lynchage de l'un d'entre eux en 1907 provoque l'arrestation d'une douzaine d'ouvriers et, en réponse, le déclenchement d'une grève sauvage d'environ 200 personnes pour les faire libérer. L'enjeu monétaire d'être dans la catégorie "gold" et la menace étasunienne de faire venir de plus en plus d'ouvriers des Caraïbes opposent les ouvriers importés d'Europe à leurs homologues caribéens. Les discours mélangent des revendications sur les salaires, les conditions de travail et de logement à des propos racistes sur les "noirs". Ils ne veulent ni être assimilés à eux, ni être logés avec eux. En 1909, des ouvriers espagnols refusent que des ouvriers de la Barbade - en panne de bus - montent dans le leur et s'affrontent à la police qui tente d'empêcher le lynchage. Quatre cent ouvriers arrêtent le travail pour se solidariser avec les espagnols. En fonction des besoins ou de revendications défendues lors de grèves, les ouvriers européens bénéficient partiellement des avantages de la catégorie "gold". Sur les chantiers, les ouvriers originaires des Caraïbes font tous les travaux les plus durs. En 1909, les autorités du chantier décrètent finalement que le statut "gold" est exclusivement réservé aux citoyens étasuniens et à quelques panaméens. Les protestations auprès du consulat d'Espagne n'y changent rien. Le 27 juillet 1911, le chantier à hauteur de la coupe de Culebra se met en grève pour protester contre la violence des contremaîtres et pour récupérer une partie des avantages perdus comme le droit de manger sur son lieu de travail. Le long du canal en construction, plusieurs groupes d'ouvriers rejoignent le mouvement. Plus de 800 personnes participent à cette grève qui s'étale jusqu'au 3 août. Les contremaîtres incriminés sont maintenus à leur poste et 500 ouvriers sont licenciés. Les États-Unis d'Amérique augmentent leur volume d'importation d'ouvriers caribéens pour remplacer les ouvriers licenciés, tués, blessés ou déserteurs. Ce que certains appellent - de leur vœu - la "solidarité de classe" n'est pas le maître mots des conflits qui secouent les chantiers du canal. Jugés trop récalcitrants, les ouvriers espagnols sont bientôt considérés ''personna non grata'' par les autorités du chantier qui tentent par tous les moyens de diminuer leur nombre. En 1912, ils ne sont plus que 4000. |
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Version du 10 septembre 2018 à 16:12
[En cours de rédaction] Projet Darièn. Nom donné au projet d'implantation coloniale écossaise en 1698 dans la province de Darièn, dans le sud de l'actuel Panama.
SommaireHadrienPour préserver son autorité sur la partie sud de l'île de Grande-Bretagne, l'empereur romain Hadrien érige un mur afin d'arrêter les attaques des hominines venus du nord de l'île. Entamée en 122 après Jésus aka ChristⒸ[2] la construction se termine cinq ans plus tard. Ce mur d'Hadrien, d'une longueur de 117,5 km, relie l'embouchure du fleuve Tyne - à l'est - et le golfe de Solway - à l'ouest - dans une partie étroite de l'île grande-bretonne. Un autre mur est construit plus au nord par le successeur d'Hadrien mais cette nouvelle construction ne parvient pas à contenir les barbares et les militaires romains doivent se replier sur le mur d'Hadrien. Il est la frontière qui sépare la province romaine de Britania de la Calédonie, peuplée d'hominines réfractaires à l'autorité impériale. La Calédonie occupe environ 30% de la superficie de l'île de Grande-Bretagne. Ce mur est une sorte de Grande Muraille de Chine miniature[3]. Les romains se retirent de Grande-Bretagne au début du Vème siècle. L'émergence de royaumes de part et d'autre du mur, tout au long du "Moyen-Âge", le transforme d'outil défensif en point de passage. Les hominines du nord du mur ne se différencient en rien de celles et ceux du sud mais, par jeu ou par défi[4], ces hominines font de ce mur une marque de différenciation. Étrangement, les mêmes qui se targuent d'être outre-Hadrien, reprochent aux autres de l'être aussi. Les hominines au nord du mur sont progressivement conquis militairement par des populations - dites "Scots" - venues de l'île d'Irlande. Les petits royaumes de Calédonie sont intégrés au sein d'un unique royaume d'Écosse. Au sud du mur, les conquêtes anglo-saxonnes aboutissent à la création du royaume d'Angleterre. Ces deux royautés héréditaires se partagent l'île de Grande-Bretagne. Leur frontière commune correspond approximativement au tracé du mur d'Hadrien. Le royaume d’Écosse conquiert les petites îles environnantes et quelques territoires situés au nord du mur. L'Angleterre tente plusieurs fois d'annexer l'Écosse, sans y parvenir. Les autorités politiques écossaises sont partie prenante dans les nombreuses guerres entre les royaumes d'Europe continentale et dans le jeu de succession entre ces différentes familles royales consanguines. DariènDarièn est le nom d'une région géographique située actuellement à cheval sur le Panama et la Colombie. Elle est la jonction entre Amérique centrale et du sud. Au nord, la partie montagneuse est couverte d'une forêt tropicale humide. Au sud, un vaste marais de plus de 80 km de large provoqué par le delta du fleuve Atrato. La densité écologique du Darièn empêche jusqu'à maintenant tout projet routier[5]. GéolocalisationExplorant plus au nord de leur point d'arrivée de 1492 sur le continent outre-atlantique, les envoyés du royaume d'Espagne abordent la région en 1501. Ils y fondent leurs premières villes sur le sol ferme autour de 1510. Santa Maria la Antigua del Darien[6] et Acla sont les deux premières cités coloniales espagnoles dans ce qui deviendra les Amériques. En 1513 des navigateurs espagnols parviennent à franchir l'isthme en traversant la jungle[7]. Aidés par des hominines autochtones qui connaissent les méandres des rivières, ils passent par le Rio Chuchunaque, puis le Rio Tuira qui se jette dans ce qu'ils appellent alors la Mer du Sud - minime portion de l'immense l'océan Pacifique. L'hostilité des hominines autochtones à l'encontre des colons et les difficultés d'implantation découragent nombre d'entre eux qui quittent la région pour fonder la ville de Panama en 1519. En quelques années, Santa Maria et Acla se vident progressivement avant d'être abandonnées, puis petit à petit, recouvertes par la végétation. Le royaume français n'est pas en reste. Dès 1545 il déporte dans le Darièn des rescapés - parfois des familles entières - des massacres contre les protestants dans le sud de la France[8]. L'occasion d'installer des comptoirs commerciaux pour les échanges avec les hominines locaux, renommés "indiens". Les français différencient les "Indiens des Sambres" avec qui ils cultivent le cacao et les "Indiens Chocó" qui habitent la région où une mine d'or est "découverte" par des colons. Les dénominations pour désigner les groupes d'hominines nouvellement colonisés seront fluctuantes, au fil des décennies et des colonisateurs. Une partie des migrants installés sur la côte atlantique du Darièn - face aux îles San Blas - se mêlent à la population indienne par des mariages et une descendance métissée. Les autres s'installent à côté et tentent de commercer. La France n'envoie dans le sud des Amériques qu'une très petite partie des christiens protestants qu'elle persécute et massacre au XVIème et XVIIème siècle [9]. Ces colonies "informelles" regroupent souvent des protestants exilés, des marins et des déserteurs, des esclaves et des colons pauvres, des ex-pirates et des commerçants. Elles se spécialisent dans la chasse, le commerce de viande et de peaux, et la contrebande. Appelés "boucaniers", ils sont une interface entre terre et mer pour les marchandises, les pirates et le commerce international. L'alliance la plus connue entre des boucaniers et des pirates est celle des "Frères de la côte" active dans la seconde moitié du XVIIème autour de la grande île d'Hispaniola dans la mer des Caraïbes - sur laquelle se situe actuellement Haïti et la République dominicaine. Les relations entre ses communautés et le royaume de France sont complexes car ce dernier, en restant toujours un peu à distance, y voit tout autant une épine dans le commerce qu'un excellent moteur pour les échanges.
La protivophile relativise le caractère libertaire qu'une forme de romantisme aiguë prête facilement à ces "communautés pirates" :
La possibilité de passer de l'océan atlantique au Pacifique suscite l'intérêt des brigands de la mer, flibustiers, corsaires et autres marins adeptes de la rapine. Explorer pour piller la côte pacifique et ensuite se réfugier sur l'atlantique et y revendre le butin. Dès 1679, et ce jusqu'en 1688, des brigands des mers s'organisent avec des indiens de la région pour traverser l'isthme atlantico-pacifique. Ils se donnent un rendez-vous annuel, appelé "Rendez-vous de l'île d'Or", pour attaquer des colonies ou des navires espagnols sur la côte pacifique[12]. La marchandise ainsi dérobée est revendue via les comptoirs marchands et les réseaux indiens à des colons ou des bateaux-marchands. Blessé en 1684, le flibustier et chirurgien Lionel Wafer passe quatre mois de convalescence parmi les indiens du Darièn. Rentré en Angleterre, il relate ses faits de piraterie et son séjour à terre dans un ouvrage publié en 1695 et intitulé Nouveau voyage autour du monde, contenant une description très exacte de l'isthme d'Amérique et toute la Nouvelle-Espagne[13]. Il décrit les communautés de colons français, installés et métissés, qui vivent en paix et commercent avec les indiens. Il fait une description du quotidien de ces derniers et de leurs mœurs, établie un petit lexique et procède à la première description précise de l'albinisme[14]. Il constate, à son grand étonnement, que des individus naissent avec une pigmentation de la peau et des cheveux différente, qualifiée de blanche, au sein même de groupes d'hominines dont la pigmentation est beaucoup plus foncée. Pour leurs tentatives d'exploitation des gisements d'or les espagnols importent des milliers d'esclaves originaires d'Afrique. Certains parviennent à s'enfuir et créent des communautés auto-organisées d'esclaves en fuite, appelés "marrons"[15], dans les régions denses du Darièn. A l'abandon des gisements, de nouveaux esclaves rejoignent ces marronnages. DélocalisationLe livre de Lionel Wafer a un grand succès de deux côtés du mur d'Hadrien. Au sud, le royaume d'Angleterre est devenu une puissance commerciale internationale grâce à sa marine et ses nombreux comptoirs de part le monde. Au nord, le royaume d’Écosse ne bénéficie pas directement de l'expansion coloniale et de ses retombées financières. Le parlement écossais autorise en 1695 le lancement de navires en vue de découvrir des lieux où s'installer pour faire du commerce dans les Indes ou en Afrique. Des fonds sont levés une première fois par William Paterson, un artisan/parlementaire/financier écossais, parmi de riches anglais mais le projet n'aboutit pas. La rencontre entre Lionel Wafer et William Paterson, et la description idyllique que fait le pirate, convainc le financier de lancer le Projet Darièn. Cette fois-ci, il lève des fonds parmi de riches écossais désireux d'expérimenter une autre manière de "faire le mur" ! 400 000 livres anglaises sont ainsi récoltées en six mois. Le projet est simple. Sous la direction de William Paterson, des bateaux chargés de colons doivent accoster dans la baie en face de l'île de l'Or. Chacun reçoit des terres et le commerce doit enrichir le quotidien par les échanges avec les indiens et permettre aussi de lucratives exportations de produits. Le départ est prévu pour 1698. Partis en juillet 1698 de Grande-Bretagne, les premiers navires arrivent au Darièn en novembre : le Caledonia, le St Andrew, l' Unicorn, le Dolphin et le Endeavour. Cette première expédition comprend 1200 personnes : cultivateurs, marins, marchands, prêtres et fils de "bonne-famille". Dans la baie de l'île de l'Or, ils installent des canons en protection et construisent une petite place forte qu'ils nomment le fort St Andrew. Des messages sont envoyés aux autorités espagnoles pour faire reconnaître la nouvelle colonie, et des négociations sont entamées avec les indiens de la côte atlantique du Darièn. En référence à l'antique nom de la partie nord de la Grande-Bretagne, la nouvelle colonie écossaise est baptisée New Caledonia et sa cité "New Edinburgh"[16] se monte près des décombres de Acla. Les relations nouées avec les indiens qui comprennent l'aspect définitif et "massif" du projet colonial ne sont pas un long fleuve tranquille et les espagnols tentent militairement de les empêcher de s'installer. Inspirés de l'exemple d'Hadrien, les newcalédoniens construisent un mur de 3 mètres de haut et de 400 mètres de long - doublé d'un fossé de 3 mètres - pour protéger leur petite péninsule des attaques[17]. Le retard annoncé de plusieurs mois du prochain bateau de colons et l'arrivée de la saison chaude dans cette région tropicale complique considérablement la situation. Les vivres se raréfient et les maladies liées à la malnutrition apparaissent. La maladie et les morts se multiplient parmi les colons. Deux des bateaux envoyés en renfort de vivres et de matériels sont détruits par les eaux ou par les flammes. Pour échapper à une mort certaine, la colonie est évacuée par bateau en juillet 1699. Le Dolphin est au main des espagnols depuis qu'il s'est échoué au large la Colombie. Le St Andrew et le Endeavour font route vers l'île de Jamaïque. Les conditions de voyage causent de nombreux morts et les bateaux font naufrage avant d'arriver à bon port : plus de 250 morts. Le Caledonia et l'Unicorn rejoignent New-York, puis le Caledonia poursuit jusqu'en Grande-Bretagne où il arrive en novembre 1699.Sans ne rien savoir de l'abandon de New Caledonia, quatre nouveaux bateaux de colons quittent la Grande-Bretagne en août 1699. Sur les 1200 personnes présentes à bord, presque deux cent meurent au cours du voyage. Lorsqu'ils arrivent en novembre au Darièn, ils ne trouvent sur place que trois personnes. Rapidement, les nouveaux venus décident d'envoyer 500 hommes et toutes les femmes vers la Jamaïque. Les attaques espagnoles contre la colonie dès février 1700 contraignent à reporter ce projet de départ. La résistance se maintient jusqu'en mars 1700, date du traité de paix dans lequel les espagnols leur donnent deux semaines pour quitter la région. New Caledonia est abandonnée début avril 1700. Le Rising Sun - avec 140 colons à son bord -, le Duke of Hamilton et le Hope rejoignent la Jamaïque. Les deux premiers disparaissent lors d'ouragans dans le golfe de Floride et le troisième fait naufrage au large de l'île de Cuba. Le Hope of Bo'ness, quant à lui, est abordé par des navires espagnols au large de leur colonie de Colombie [18]. Sur les 2400 colons envoyés pour le projet Darièn, seule moins d'une cinquantaine a survécu[19]. A ce chiffre s'ajoute la mort des marins des bateaux qui, venus en aide aux colons, ne sont jamais parvenus à destination. Ainsi prend véritablement son sens l'expression "bienfaits de la colonisation". RelocalisationHormis Francis Borland qui en profite pour raconter son périple dans History of Darien (1715) [20], rares sont les survivants qui parviennent à retourner à Grande-Bretagne. L'inspirateur du "Projet Darièn", William Paterson est de ceux-là. Les conséquences humaines de ce projet sont certes terribles mais, plus inquiétant pour lui, les investisseurs demandent à être remboursés. La somme de 400 000 livres Sterling est à l'époque considérable et représente une vingtaine de pourcent de la richesse du royaume écossais. La crise financière est proche. En 1707, le royaume d'Angleterre propose à celui d'Écosse de s'unir au sein d'un Royaume-Uni de Grande-Bretagne - avec un seul parlement - et de rendre l'intégralité de l'argent par des actions rémunérées dans une société financière créée pour l'occasion. En 1727, cette société devient la Scottish Banking Company, première banque commerciale d'Europe, avant de se transformer en Banque royale d'Écosse. L’Union Act de 1707 est ainsi négocié dans un contexte où le royaume anglais est en position de force par rapport à l'écossais. L'affranchissement du mur d'Hadrien permet à l'Angleterre, par la création du Royaume-Uni de Grande-Bretagne, de mettre fin - en sa faveur - aux discordes politiques entre les deux royaumes outre-Hadrien et de renforcer la capacité financière de son empire colonial, maintenant britannique. SuccursalesAlors que l'opposition entre les royaumes français et britannique ne cessent de faire bouger les frontières de leurs colonies au nord de continent américain, des colons écossais s'installent dans quelques régions. Dans la province britannique de Nouvelle-Écosse (dans l'actuel Canada), la colonisation d'écossais se heurte aux résistances indiennes et aux rivalités entre les empires dominants. La cession de la Nouvelle-Écosse aux français contraint nombre de colons à partir vers d'autres régions. La France colonise de nouveau la région avant d'accepter le déplacement des populations francophones pour la restituer aux britanniques : le "Grand dérangement" des Acadiens[21]. La situation instable pousse des colons écossais à essaimer dans le nord du continent. En 1735, un groupe de colons écossais se posent en Géorgie britannique - actuels États-Unis d'Amérique - et fondent la ville de New Inverness, en référence à une région de Nouvelle-Écosse. Finalement, il change pour le nom de Darien [22]. D'Aryen ?L'arrivée du colonisateur espagnol au début du XVIème siècle bouleverse considérablement les équilibres politiques et sociaux des hominines locaux. Dans le Darièn, les indiens cueva sont exterminés rapidement au fil des avancées militaires. Les descriptions de la fin du XVIIème siècle mentionnent les indiens "Choco" et "Kuna". Les français nomment Sambres les hominines vivant dans les îles de l'archipel de San Blas. Après des guerres meurtrières et la chute de la population indienne qu'il s'en suit, en 1637, le traité de paix signé entre les autorités kuna et espagnoles libéralise l'accès au territoire et autorise la venue d'un évangélisateur christien. Des colons s'installent le long de la côte, en face des San Blas, et certains se marient avec des femmes kuna (sambre). Dans son récit, William Wafer parle de plusieurs centaines de ces colons français. La ville de Conception est le centre de ce réseau de colons. Le traité signé en 1741 entre les espagnols et les kuna parle de 61 familles franco-kuna. Mais en 1757, les indiens kuna se lancent dans des attaques contre les installations coloniales et en expulsent les habitants.[23]. Après plusieurs guerres menées contre les kuna, la région du Darièn est intégrée à la province espagnole de Nouvelle-Grenade - qui regroupe les actuels Panama, Colombie, Venezuela et Équateur. La colonie espagnole parvient à obtenir son indépendance définitive de la métropole en 1821. L'opposition politique entre les centralistes et les fédéralistes entraînent la dislocation de l'ex-colonie. Les élites post-coloniales - souvent issues d'une bourgeoisie métissée d'anciens colons espagnols, de descendants d'esclaves africains ou d'indiens - ne parviennent pas à s'entendre sur le "partage du gâteau". Le Venezuela prend son indépendance en 1829 et l’Équateur en 1830. Ce qu'il reste[24] se renomme République de Nouvelle-Grenade. Les débats houleux quant au fédéralisme interne vont engendrer une multitude de changements de nom avant de se fixer en 1863 sur États-Unis de Colombie. Le Darièn change de statut administratif au fil des réformes, parfois région distincte, parfois simple sous-division administrative de l’État fédéré de Panama. Progressivement, les kuna refluent de l'intérieur des terres vers les zones de la côte atlantique. En 1870, un statut particulier est octroyé à la région côtière et aux îles par lequel le gouvernement central reconnaît l'autorité traditionnelle, le droit coutumier et une certaine autonomie : ce territoire se nomme Comarca Tulenega. Une comarque est une division administrative différente de la région et le terme Tulenega est construit sur nega qui signifie "maison" et tule qui signifie "peuple, gens" et est parfois utilisé par les kuna pour s'autodésigner [25]. En 1903, alors que les États-Unis de Colombie peinent à négocier avec les États-Unis d'Amérique sur la question du percement du canal de Panama, les étasuniens nord-américains soutiennent les indépendantistes panaméens en guerre depuis presque trois ans[26]. En novembre 1903 est proclamée la République de Panama. La frontière de 225 km séparant les deux pays coupe le Darièn en deux. GunaDepuis son apparition dans la littérature spécialisée au XVIIème siècle, le terme de kuna désigne les populations indiennes qui vivent alors dans l'intérieur des terres, puis qui partent s'installer plus au nord dans les montagnes de la côte atlantique du Darièn et dans l'archipel de San Blas. Les études n'ont pas permis de mettre en évidence un lien direct entre les kuna du XVIIème siècle et les cueva exterminés un siècle plus tôt. Les approches ethnographiques et linguistiques montrent l'interconnexion entre les kuna et les autres sociétés sud-américaines. Tule - prononcer tulé - ou dule est un terme kuna signifiant "peuple", "gens" ou plus généralement "Humains" au sens d'hominines[25]. La topographie locale regorge de dénomination à base de langue kuna, et l'emploi de kuna est préféré à celui de tule. Par exemple, dans la mythologie kuna, leur lieu de création est la montagne Tacarcuna qui culmine sur le Darièn à 1875 mètres d'altitude. Ainsi, même si le terme de tule est parfois utilisé pour se désigner en tant que groupe distinct d'hominines, celui de kuna, et plus récemment de guna, est adopté par ces mêmes hominines. Au fil des siècles, au fil des guerres, des échanges commerciaux, des mariages mixtes ou des traités de paix, la société "traditionnelle" kuna est devenue perméable aux idées des colonisateurs. La pacification coloniale a ébranlé les structures sociales, les espaces et les esprits. Les tenants du pouvoir politique kuna sont parvenus à négocier le maintien de leurs prérogatives coutumières et un statut particulier pour le territoire sur lequel ils se sont retranchés. Comme la quasi totalité des sociétés d'hominines dans le monde, du point de vue de son organisation, la société kuna est une gérontocratie, la répartition des taches est genrée binairement, une mythologie abracadabrante explique les "commencements" et justifie l'état des choses. Sur ces différents aspects il est a noté que la colonisation n'a que peu changé la donne, hormis à vouloir remplacer - sans trop y réussir - les mythes kuna par ceux de Jésus aka ChristⒸ[28]. Avec le reflux des kuna vers la côte, les indiens choco, les descendants d'esclaves africains et les colons occupent le reste du territoire du Darièn. L'installation sur des îles de l'archipel San Blas - dernière migration des kuna - est datée de la seconde moitié du XIXème siècle. Enfants de la luneDepuis sa première mention au XVIIème siècle, aucune nouvelle description précise d'albinisme parmi les kuna ne sera faîte par des scientifiques avant le XIXème. Pour autant, dans cette même période, ceux-ci vont se servir de l'unique témoignage de Lionel Wafer pour argumenter leurs théories naissantes. La remise en cause du schéma biblique de l'Adam et Eve originels entraîne des questionnements sur les origines des hominines. L'expansion coloniale au niveau mondiale, les expéditions scientifiques et les récits d'aventuriers fournissent des plus en plus de données et révèlent que l'albinisme est présent sur tous les continents[29]. La définition de ce qu'est l'albinisme est alors très floue, et le constat général est la présence d'individus à la peau et aux cheveux très blancs parmi des populations d'hominines dont la pigmentation est totalement différente. Sans que cela implique nécessairement une hiérarchie entre elles, la vision du monde dominante parmi les sciences en Europe divise alors les hominines en plusieurs races dont il faudrait retracer l'histoire et les origines. Si, progressivement, les sciences médicales qui se mettent en place reconnaissent l'albinisme en tant que conséquence d'un dysfonctionnement naturel attendu, les tenants de l'approche essentiellement raciale continuent d'échafauder d'autres théories. La présence de personnes considérées "blanches" parmi des populations qui ne le sont pas ne peut s'expliquer, selon eux, que par un mélange raciale récent où, au contraire, très ancien entre des populations d'hominines à la pigmentation et aux origines différentes. Les observations des cas d'albinisme dans le monde et les études qui sont menées montrent clairement que ces albinos sont bien engendrés par des non-albinos et que deux albinos ne conçoivent pas obligatoirement un albinos, mais certaines théories persistent alors à croire qu'il existe des groupes d'hominines "blancs" vivant avec, à côté ou captifs d'autres groupes d'hominines à la pigmentation plus foncée. Se fiant aux descriptions et à la subjectivité d'un individus du XVIIème siècle qui se croit dans les Indes et découvre des personnes plus blanches que lui, les adeptes de ces théories raciales des siècles suivants classent les kuna parmi les populations suspectes d'être ou d'asservir une large population d'hominines "blafards"[30]. Insaisissables comme les hommes sans tête de l'antiquité, les hommes à queue d'Asie, le Big Foot ou le Yéti que l'on croise parfois dans les récits. En comparaison avec d'autres groupes d'hominines de l'ensemble du continent américain, les kuna ont en leur sein une forte proportion d'albinisme. Fluctuantes au fil des siècles, les coutumes kunas concernant les albinos ont varié de l'infanticide, systématique ou non[31], à l'insertion pleine et entière dans la société. La sensibilité extrême des albinos à la lumière solaire, et les risques encourus pour la peau ou les yeux, fait qu'ils se maintiennent à l'abri. Plus à l'aise au coucher du soleil, les albinos sont associés à l'astre lunaire[32]. Les mythes kuna de la création du monde intègrent - évidemment - une explication de leur existence.Au XIXème, les récits des explorateurs et scientifiques qui se rendent dans le Darièn constatent l'existence de quelques albinos dans des villages kuna, sans pour autant en dénombrer le chiffre exact. Les rares descriptions semblent indiquer que les albinos fuient ou sont cachés par leurs familles à l'approche de ces "étrangers". Il se peut aussi que la nécessité de rester à l'abri du soleil occulte de fait leur présence à celles et ceux qui ne font que passer. Après son passage dans les années 1870 dans le Darièn pour estimer s'il est possible de percer le futur canal inter-océanique dans la région[33], Armand Reclus, publie son rapport dans lequel il décrit les kuna sans mentionner l'existence d'albinisme parmi eux. Envoyé en mission entre 1887 et 1888 dans le Darièn par le Ministère de l'Instruction Publique français, Louis Catat fait paraître Les Habitants du Darien méridional à son retour. En 1891, Élisée Reclus, poétographe et frère d'Armand, reprend les argumentaires de son époque et mélange albinisme et métissage :
Le peu de travaux scientifiques, tout au long du XIXème siècle et au début du XXème, sur les kuna et l'albinisme en leur sein a laissé la porte ouverte aux théories racistes qui naissent au long de ces deux siècles et qui s'appuient sur des sciences humaines encore balbutiantes qu'elles imprègnent largement. Cette absence alimente toutes les spéculations et ce "racisme scientifique" met à contribution l'ethnologie, l'archéologie, la philologie, la linguistique ou l'histoire pour tenter de démontrer une supériorité, une antériorité ou une subordination d'une "race" sur une autre. République tuleAvec l'indépendance du Panama en 1903, le territoire de la comarque Tulenega se retrouve divisé entre ce pays et la Colombie. Les nouvelles autorités panaméennes abolissent le statut particulier de la région obtenu en 1870 et se lancent dans une politique dite de "modernisation" des communautés amérindiennes. En clair, les autorités traditionnelles perdent une grande partie de leurs prérogatives, des interdits vestimentaires sont décrétés pour les femmes et les différentes protections des territoires de chasse et de pêche sont suspendues. La scolarisation s'implante progressivement dans certaines communautés guna de la côte atlantique, via des réseaux de christiens, parfois de tendances protestantes[9]. Deux semaines après l'indépendance panaméenne, les États-Unis d'Amérique signe un accord par lequel il achète la concession pour le percement du canal de Panama et la libre jouissance des territoires le long du tracé[35]. En 1904, les ouvriers importés par les étasuniens reprennent les travaux là où les français avaient arrêté et, dix ans plus tard, le canal interocéanique est ouvert à la navigation. L'installation de nombreux travailleurs sur la côte atlantique à la fin des travaux du canal et la concession accordée aux États-Unis d'Amérique pour l'exploitation d'une mine de manganèse par des milliers de travailleurs importés des Antilles suscitent un fort mécontentement parmi la population guna qui voit d'un mauvais œil ces nouveaux venus. Une grande partie des terres cultivables sont attribuées à des compagnies étasuniennes[36] et les forêts exploitées par les chercheurs de caoutchouc.
La politique de "modernisation" entreprise par le gouvernement panaméen est violente : elle s'opère par l'obligation de scolarisation, la construction d'une prison et la mise en place d'un gouverneur et d'une police dans la région. Les forces de police sont recrutées parmi les panaméens "latinos" et noirs, et très occasionnellement parmi les gunas. Agissant en troupe d'occupation, la police se livre à plusieurs exactions contre des villages, à des meurtres et des viols. L'accueil fait à la scolarisation polarise la société guna : certains "caciques" sont demandeurs d'une éducation moderne et en anglais alors que d'autres refusent, les différentes générations ne perçoivent pas la salle de danse de manière identique et les mariages "exotiques" sont proscrits. Les discours contre la politique panaméenne se focalisent sur la pression démographique et la police, toutes deux qualifiées de "noires". Après un court séjour dans la région courant 1923, un employé des chemins de fer panaméen, l'étasunien William Markham, envoi une lettre au président du Panama pour lui demander de faire cesser les violences policières, les contraintes, les humiliations et les interdictions, et de reconnaître aux gunas des droits sur les terres. Cette même année 1923, l'ingénieur en pneumatique Richard Oglesby Marsh[38] est envoyé par les étasuniens Henry Ford et Harvey Firestone[39] en mission dans le Darièn pour y découvrir des zones propices à la culture de l'arbre à caoutchouc. Lors de ce voyage il constate la présence d'hominines à - selon ses dires - la peau blanche et aux yeux et aux cheveux clairs. Empreints de préjugés racistes, il est alors persuadé qu'il est en présence d'une population d'origine européenne, probablement nordique, arrivée des siècles avant Christophe Colomb et dont la venue sur ce continent est la seule explication à la "grandeur" des civilisations pré-colombiennes incas, mayas ou aztèques. Bouleversé par sa "découverte", R. O. Marsh quitte ses employeurs qui veulent l'envoyer prospecter aux Philippines - alors possessions étasuniennes - pour monter une expédition dans le Darièn à la recherche de villages composés entièrement de ces hominines "blancs" et d'anciennes cités "nordiques" recouvertes par la jungle. Début février 1924 R. O. Marsh monte une équipe de sept scientifiques, accompagnée de militaires panaméens et de porteurs noirs, qui part de Panama City pour rejoindre la côte atlantique du Darièn. Seules trois personnes - dont Marsh - de l'équipe arrivent en avril dans le Darièn, décimées par les insectes ou les maladies et en partie abandonnées par leurs soutiens militaires et leurs porteurs[27]. Aucune trace de vestiges "nordiques" n'est décelée dans la jungle. Lorsqu'il rejoint la côte atlantique, Marsh constate que les communautés gunas sont confrontées à un quotidien fait d'abus des autorités panaméennes et de violences policières. Bien reçu par des "caciques" gunas, il les persuade d'envoyer une délégation aux États-Unis d'Amérique pour plaider leur cause. Huit gunas - cinq adultes "bruns" et trois adolescents "blancs" - partent avec Marsh, direction les États-Unis et le Canada pour une grande tournée où l'enjeu est tout autant de faire connaître la situation faite aux gunas, que de démontrer que les "blancs" ne sont pas des albinos. Marsh fait paraître, ou suscite, de nombreux articles dans la presse spécialisée ou populaire. Contrairement aux théories de Marsh, des scientifiques étasuniens, canadiens et britanniques statuent unanimement que cette "blancheur" n'est rien d'autre qu'une forme particulière d'albinisme[32] :
S'inscrivant dans les schémas racistes d'explication de la diversité des hominines et de leur histoire du XIXème siècle, théorisés par Arthur de Gobineau ou Houston Stewart Chamberlain par exemple, Marsh est persuadé qu'il n'est pas en présence d'albinos quoi qu'en pensent les scientifiques consultés. Partout où se trouvent de "grandes civilisations", en Afrique, en Asie ou aux Amériques, il se doit d'y avoir une explication à chercher du côté d'une influence ou d'une présence directe - à des époques antiques - d'européens[41], seuls, selon ces théories, à être en mesure de créer de telles choses... La langue des guna serait même liée au sanskrit parlé en Inde ! Certains évoquent un ancien métissage avec des survivants écossais du Projet Darièn. Après plusieurs mois à parcourir les États-Unis et le Canada, Marsh et les huit gunas qui l'accompagnent retournent dans le Darièn début 1925. Un généticien prend part à ce voyage afin d'éclaircir les choses. Il constate que les "blancs" de Marsh sont effectivement des albinos, mais d'un albinisme particulier, et dans des proportions élevées au sein des gunas[32]. Et toujours aucune trace de cités perdues ![42] Mais les tensions grandissantes entre les communautés gunas et l’État panaméen le contraignent à quitter le territoire rapidement. Marsh reste sur place. Face à l'impasse, le 12 février 1925, un conseil de "caciques" guna proclame l'indépendance d'une république. La République tule est née. Marsh explique qu'il sert de rédacteur pour établir la traduction de la Déclaration d'indépendance et des droits humains du peuple Tule de San Blas et du Darièn [43]. Outre quelques aspects de la mythologie guna sur les albinos et la situation actuelle des gunas, ce texte comporte un appel clair à l'intervention des États-Unis d'Amérique, une critique de l'implantation massive d'ouvriers noirs dans la région et leur présence dans les forces de police, et une partie historique qui revient sur la violente colonisation espagnole[44]. Le 22 février, un policier - noir - tue une jeune femme guna. Le meurtrier est immédiatement abattu à la hache par le frère de la défunte. C'est l'embrasement. Armés, des groupes de gunas attaquent les postes de police. Le bilan des affrontements est de 34 morts : 22 panaméens et 12 gunas. Peu rassurés de voir la région proche du canal interocéanique sombrer dans une instabilité non maîtrisée, les États-Unis d'Amériques interviennent pour forcer à la négociation. Le 4 mars 1925 un accord est signé sur l'île de Porvenir entre le gouvernement panaméen et des représentants des gunas. Il précise que la reconnaissance de l’État panaméen par les gunas et le retour au calme sont conditionnés à la fin de la scolarisation obligatoire, des interdits vestimentaires, le retrait de la police hors des villages, la démission du gouverneur, l'absence de poursuites judiciaires pour les affrontements, la restitution des armes confisquées. Marsh est expulsé du Panama avec ordre de ne jamais y revenir. Il publie en 1925 "Blond Indians of the Darien Jungle"[45] dans la revue new-yorkaise The World's Work. ÉpilogueLe 1er janvier 1926, l'American Association for the Advancement of Science (AAAS), la plus grande organisation étasunienne de scientifiques de différentes disciplines, fondée en 1848 et éditrice du magazine Science, se prononce pour la "protection" des gunas et la mise en place de réserves sur les territoires qu'ils occupent[46]. Les années 1930 marquent le début d'une étude éthnologique plus sérieuse des gunas par plusieurs universitaires européens[47]. Une nouvelle génération de gunas post-révolution apparaît[48] et certains d'entre eux participent activement aux études menées par les anthropologues et autres curieux[49]. En 1934, R. O. Marsh publie le livre White indians of Darien[51] dans lequel il relate ses voyages et son implication dans le soulèvement. Il relativise son influence auprès des gunas et dit être un acteur mineur de ce conflit. Tout au plus admet-il sa participation à quelques affrontements et avoir été un conseil amical. Pour autant, sans ne plus avoir de théorie des origines de "ses blancs", il persiste dans son rejet de l'albinisme. Il meurt en 1953[52].Treize ans après la fin du soulèvement, le Panama octroie en 1938 un statut particulier à certaines régions peuplées de gunas : Une autonomie relative, une sanctuarisation de leur territoire et des bribes de prérogatives pour les autorités politiques du nouveau territoire, le comarque de San Blas, renommé Kuna Yala en 1998, puis Guna Yala en 2010. Guna Yala signifie "montagne guna" ou "terre guna". Cette région autonome comprend la côte atlantique du Darièn et les îles. Les gunas de l'intérieur des terres devront attendre pour obtenir un statut similaire. Cette autonomie relative inspirera la création d'autres régions indiennes, les comarques, dans l'ensemble du Panama. Actuellement le Panama est divisé en 10 provinces et reconnaît 7 communautés amérindiennes[53]. Les gunas sont répartis sur une comarque et deux districts, les emberás et les wounaans - tout deux chocos - sont regroupés dans une comarque, comme le sont aussi les ngäbes et les buglés. Les teribes et les bri-bris sont en attente d'un statut similaire. Au début des années 2000, les hominines amérindiens de Panama sont environ 280 000, soit 10% de la population du pays. Les gunas sont environ 60 000 et la moitié vit hors de la comargue dont 20 000 dans la province-capitale de Panama. Environ 80% des hominines de la comargue Kuna Yala vivent en "situation de pauvreté extrême" contre 25% au niveau national[54]. Les bouleversements climatiques dus à l'activité des hominines entraînent une montée des eaux. Cette nouvelle situation touche de nombreuses îles et îlots habités sur tous les océans. Carti Sugdup, l'une des plus grande île habitée de l'archipel de Guna Yala, est menacée de disparition. Depuis le début des années 2000, environ deux mille personnes s'organisent pour quitter l'île et s'installer progressivement sur les terres mise à disposition par les autorités panaméennes dans des zones forestières. La cinquantaine d'îles habitées par les gunas sont amenées à disparaître dans les décennies à venir[55]. Rien d'aryenNé dans le milieu des années 1950, le réalisme fantastique est un style littéraire qui puise dans l'histoire officielle, les mythes et les légendes, pour les mixer dans des récits pseudo-historiques. Le procédé permet de se référer à des sujets très divers, parfois fort éloignés dans le temps et dans l'espace, dont le réalisme fantastique se charge de rendre visibles les invisibles liens. Un présent revisité et un passé réinventé. Après le succès de Le matin des magiciens [56] en 1960, de nombreux auteurs s'emparent de ce courant. Le réalisme fantastique se décline ainsi du simple roman à la démonstration scientifique, du récit biographique à la conspiration ancienne ou présente, sans que les délimitations soient clairement exposées. Pour certains, la prétention semble toute aussi littéraire qu'historique. La plus connue des collections est sans conteste "L'aventure mystérieuse", chez J'ai lu, ces fameuses couvertures rouges des années 1970 qui emplissent encore les bacs des bouquinistes et des vide-greniers, et dont les titres évoquent les extra-terrestres, des mondes perdus, des sociétés secrètes, du surnaturel et de grands mystères - enfin - dévoilés. La liste des titres est éloquente[57]. Les thématiques abordées recyclent pour la plupart des textes et des croyances du XIXème siècle et s'appuient encore sur des récits anciens. Le yéti que personne n'a jamais capturé, les hommes sans têtes de l'antiquité que l'on connaît par les livres, les hominines "blancs" du Darièn sont mis sur le même plan. Ils sont de celles et ceux qui croient les récits fantastiques de Marco Polo, les prédictions de Nostradamus ou sont dans l'attente d'une rencontre du troisième type. Ce ne sont pas toujours les mêmes [58] : L'on peut sans doute croire que des géants vivent cachés parmi les hominines depuis des millénaires et trouver risible les voyages astraux, ou penser que l'Atlantide ou Mu sont des continents disparus et se moquer des croyances dans les vampires et autres loup-garous. Tout oppose les adeptes de la terre plate et les tenants de la théorie de la terre creuse. Le livre de Robert O. Marsh et les théories qu'il y développe concernant la présence et l'origine de ce qu'ils nomment des "blancs" est une des pièces du puzzle fantastico-réaliste. Son témoignage fait persister le mythe d'une origine européenne des gunas ou d'autres hominines amérindiens. Plus généralement, tous les récits anciens mentionnant d'obscures peuplades claires activent les f(r)anges droitières du réalisme fantastique qui s'en saisissent. Le livre Drakkars sur l'Amazone [41], édité en 1977 par une maison d'édition de la "Nouvelle Droite", reprend la théorie d'une colonisation ancienne d'hominines venus d'outre-atlantique pour expliquer la présence de tels ou tels vestiges, de tels ou tels signes ou représentations. Dans le premier cas parce qu'il ne peuvent avoir été construits par des hominines locaux vu la complexité de la chose, dans le second cas tout est réduit à du diffusionnisme. Les troyens, les vikings puis les templiers sont, pour l'auteur, à l'origine de ce qui est valorisable à ses yeux sur le continent américain. Dans son Histoire inconnue des hommes depuis 100.000 ans [41], Robert Charroux cherche des réponses du côté de Vénus alors que Le livre des Anciens Astronautes de Jacques Bergier reste discret sur la planète d'origine des amérindiens. Si tout les auteurs de réalisme fiction, ou apparenté, ne fricotent pas avec des visions racistes, certains d'entre eux exploitent ce créneau pour recycler les thèmes favoris d'une certaine extrême-droite folklorisée : la prétendue "race blanche", ses origines, ses liens ou ses influences sur la naissance des civilisations anciennes, disparues ou légendaires... dans le monde entier. Et inversement, l'extrême-droite est un sujet récurrent dans ce genre littéraire, tant elle offre prise pour ce qu'elle véhicule de mythes, de complots et de mystères dans ses constructions théoriques. Qu'ils soient proches ou non des théories défendues par la "Nouvelle Droite", ces auteurs écrivent de nombreux ouvrages qui en reprennent ainsi les imaginaires, les interrogations et les raisonnements, et ressortent les sociétés ésotérico-politiques qui pullulent en Europe occidentale au XIXème siècle. Comme le fait très bien Mircea Eliade dans sa volumineuse Histoire des croyances et des idées religieuses [60], le réalisme fantastique est une fiction à l'allure sérieuse ou érudite. A l'écart des maisons d'éditions clairement étiquetées, telle la collection Les énigmes de l'univers chez Robert Laffont, des ouvrages à prétention scientifique sont écrits pour défendre la présence d'écriture runique (nordique) en Amérique du Sud, pour expliquer la présence de swastika (croix gammée), pour justifier des similitudes ou des imprévus... Toutes les théories émises à partir du XIXème siècle sur les origines des hominines tentant de répondre aux "découvertes" récentes, parfois en respectant le schéma biblique, parfois en le critiquant, ne sont pas nécessairement motivées par des raisonnements racistes au sens moderne du terme. Elles explorent, déconstruisent, reconstruisent, se fourvoient ou s'acharnent. Quelques raisonnements et conclusions seront conservées pour fonder le "racisme scientifique" qui entretient l'illusion qu'il offre une réponse scientifique à une situation politique alors qu'il est avant tout une option politique qui s'auto-justifie par les sciences. Par manque d'informations, il est difficile de discerner les opinions politiques de Robert O. Marsh sur le sujet du racisme. Quel était son niveau de connaissance sur les différentes théories, son accès aux textes et ses motivations personnelles réelles ? Notons qu'en 1910 il fait campagne avec les conservateurs panaméens contre l'élection du candidat libéral. Ce dernier est finalement élu comme troisième président du Panama et devient ainsi le premier président "afro-descendant" du continent. Dans ses écrits il ne semble pas montrer une condescendance vis-à-vis des gunas - albinos ou pas - et dit être rester les aider pour les liens d'affection qu'il a tissé avec eux. Il admet l'existence de l'albinisme mais pas dans le cas des gunas "blancs" dans lesquels il persiste à voir une population différente. A sa décharge il est utile de rappeler que l'albinisme particulier et la forte proportion dans cette population amérindienne est un cas particulier qui l'a maintenu dans l'erreur. Quelques particularités de l'éphémère "République tulé" sont à noter car elles sont parfois des arguments pour ses détracteurs, une manière d'incriminer Marsh ou les ingrédients d'un scénario de réalisme fantastique nauséabond, tant elles semblent cumulatives. Le drapeau adopté en 1925 par la république autoproclamée est fait de trois bandes aux couleurs du drapeau espagnol avec, dans la bande centrale, une swastika ; le nom de tulé que se donne les gunas - population à forte proportion d'albinos - ressemble fortement au thulé des mythologies racistes qui y voient le cœur de la "race blanche", une île inaccessible [61] ; le texte de la déclaration d'indépendance "reconnaît" la supériorité de la "race blanche" mais refuse d'être mis à égalité avec les hominines noirs et de se métisser. Tout comme avec les blancs. Le roman national guna explique que le drapeau a été créé par la petite-fille d'un cacique après des visions nocturnes (des rêves) et que la swastika - présente dans des représentations traditionnelles[62] - symbolise un poulpe, une plante spécifique ou les quatre points cardinaux [63]. Le terme de tulé est déjà utilisé en 1870 comme autonyme par les gunas qui l'emploient pour nommer leur territoire autonome. Refuser le systématisme diffusionniste, c'est accepter qu'un symbole, une idée ou un son, parfois dans des sens proches, puissent apparaître à des endroits du monde sans lien entre eux : comme la naissance de l'écriture, les cultes du soleil ou le calcul par exemple. Si ce roman national dit vrai, rien d'étonnant à ce qu'une swastika se retrouve sur le drapeau puisqu'elle est attestée à plusieurs endroits du continent, et l'ancienneté du terme tulé plaide en faveur d'un véritable autonyme. Néanmoins, si l'on postule d'une influence de Robert O. Marsh sur l'écriture de ce roman national elle est peut-être à chercher derrière certains choix fait par les caciques gunas. A une époque où la croix gammée n'est pas encore le symbole associé aux hitléristes, retenir le drapeau avec la swastika plutôt qu'un autre est une manière d'accentuer cette prétendue origine nord-européenne ou de faire un lien avec le sanskrit, une langue ancienne parlée en Inde que Marsh imagine être à l'origine de la langue guna. Le terme tulé est utilisé à cette époque par les gunas pour s'autodésigner et n'est pas une indication géographique, ainsi il est faux de parler de république de tulé. République "tulé" ou "des tulés" semblent plus juste. Voire "République tulée" selon les règles grammaticales du français. Cette dénomination de "République tulé" est-elle la traduction moderne de l'expression Tulenega - "maison des tulés" - qui désignait le territoire autonome jusqu'à sa disparition en 1903 ? Exit donc le parallèle entre le mythique royaume de Thulé et la république de tulé. En ce qui concerne le discours fournit dans la déclaration d'indépendance sur le rapport aux hominines noirs qui peuplent la région, deux options s'ouvrent. Si Marsh est raciste, ou pragmatique, ou les deux, il peut conseiller de développer un argumentaire qui recevra un bon accueil auprès des étasuniens à qui les caciques gunas demandent de l'aide, un discours qui va dans le sens de ce qui se passe aux États-Unis d'Amérique, la ségrégation raciste. S'il ne l'est pas, il laisse les caciques développer eux-mêmes leur propre analyse sociale et politique de la situation des gunas en ce début de XXème siècle. La pression démographique et géographique créée par l'installation de plusieurs milliers d'ouvriers noirs immigrés et la présence de nombreux panaméens noirs dans les forces de police n'est pas articulée dans un argumentaire plus large sur l'ordre colonial ou le système étatique, et laisse place à des rhétoriques usuelles dans les théories racistes pour expliquer la perte de leurs terres, la misère sociale et la surexploitation commerciale de leurs ressources vitales. Pour autant, la déclaration demande l'égalité avec tous les autres panaméens. Très largement influencés par des siècles de coexistence avec les ancêtres des colons européens, les gunas ne sont pas une société "traditionnelle" et autarcique mais une communauté moderne d'hominines qui intègre, diffuse et s'imprègne des choses de son époque : des gunas voyagent, se scolarisent, migrent vers des centres urbains, entrent dans la police ou deviennent ouvriers. Une élite guna - composée de caciques et d'individus instruits - est en mesure de négocier avec un État central son autonomie en des termes très modernes [64]. Les gunas n'ont pas attendu ces critiques sur la présence de noirs pour se résoudre à vivre sans se métisser aux autres populations d'hominines. Après leurs mauvaises expériences avec les colons espagnols, écossais ou français, et leur reflux progressif de l'intérieur du territoire vers les côtes, l'exogamie a été, selon les époques, largement proscrite par de nouvelles règles coutumières qui pouvaient aller jusqu'à la mort. Ce qui n'est plus le cas de nos jours. S'il y a une influence néfaste à rechercher, il est possible de mentionner aussi les missions protestantes[9] qui s'implantent au début du XXème siècle pour convertir et scolariser en anglais des communautés gunas [65]. Outre les balivernes christiennes habituelles et les règles morales strictes, nous ne savons rien d'un hypothétique racisme des missionnaires transmettant la bonne parole. Après le traité de paix, les autorités panaméennes ont mis en cause Marsh et quelques missionnaires protestants pour avoir inciter les gunas à la révolte. Simples fusibles ou sous-entendus racistes sur l'incapacité des gunas à penser eux-mêmes leur propre révolte ? Le réalisme fantastique peut s'emparer des quelques écrits et témoignages sur les gunas, sur leur histoire récente, pour broder une histoire propre à ce style littéraire. Le scénario peut classiquement parcourir les continents perdus et autres hominines disparus, regarder dans un télescope ou s'abreuver de new-age, mais celles et ceux des auteurs qui raffolent de l'imaginaire hitlériste vont se régaler. La swastika, la couleur de la peau des protagonistes, un lien possible avec la mythique Thulé, une action civilisatrice et un racisme anti-noir prononcé sont des ingrédients à faire baver tous les apprentis cuisiniers littéraires adeptes de mélanges désuets et/ou fervents, mais discrets, défenseurs de théories racistes qui font tourner une telle macédoine et la rendent immangeable. Imaginons, avec eux, des membres d'une communauté pangermaniste - c'est-à-dire d'allemands racistes - telle que l'éphémère Nueva Germania[67] fondée par Elisabeth Nietzsche, la sœur de Friedrich, et son mari en 1886 au Paraguay. Après le suicide de ce dernier, les survivants tentent de rejoindre ce qu'il pense être Thulé : le Darièn. Ils tiennent leurs informations de la société Thulé, une organisation militaro-philosophique raciste active en Allemagne, qui a déjà envoyé certains de ses membres pour prendre contact avec des représentants de Thulé. Elle pense y trouver les descendants et les détenteurs d'une sagesse perdue qui lui permettra de contrôler le monde entier. Après un long voyage à travers la jungle, les marais et les montagnes, les survivants de Nueva Germania ne sont plus que quelques uns. L'environnement n'a clairement montré aucune marque de respect pour la race supérieure dont se sont régalés les chitras[66], les moustiques[68], les ténias ou les animaux sauvages. Aussi bienveillant que son homologue moïso-christo-mahométien, le dieu protecteur des anciens germains n'a pas voulu non plus leur épargner les intempéries. Sur place, le lexique sanskrit-français n'est d'aucun secours pour communiquer et il est impossible de savoir si des membres de la société Thulé sont arrivés à bon port. Seule la présence de la swastika est constatée avec soulagement. Sans savoir que les envoyés de la société se sont perdus en mer du Nord, tous finissent par mourir des conditions climatiques trop chaudes et humides, mal équipés avec leurs vêtements grand-froid. Des tenues d'astronautes ? L'imaginaire qui fixe Thulé dans des régions froides du Grand Nord les a tué.Depuis maintenant plus d'un demi siècle, les théories sur l'existence des aryens - synonyme de "race blanche originelle" et ses descendants - sont battues en brèche[69], hormis dans la science-fiction et chez quelques hominines en voie de disparition[70]. Ainsi les aryens n'existant pas[71], les gunas n'ont rien d'aryen. Darien
La géographie du Darièn faite de montagne, de forêt et de marécage empêche depuis des décennies les travaux pour finir la route panaméricaine - qui relie l'Alaska à la Terre de Feu sur plusieurs milliers de km - interrompue sur 87 km. Cette région à cheval sur le Panama et la Colombie n'a accessible qu'à pied ou par bateau. Une partie des territoires sont classés parcs naturels par les deux États et les hominines amérindiens s'opposent à toute traversée routière de la zone. La première expédition motorisée est montée en 1960. Avec deux véhicules 4x4, l'anthropologue Reina Torres de Araúz, son mari et deux autres personnes, traversent le Darièn en 136 jours. Ils sont contraints d'utiliser souvent des bateaux pour avancer. Reina Torres de Araúz devient une spécialiste des hominines de la régions auxquels elle consacre de nombreux travaux et articles[72]. La première traversée en moto a lieu en 1975. Dix ans plus tard, après 741 jours pour faire 201 km, un véhicule automobile traverse pour la première fois la région sans l'aide de bateau.
Né Georges Hippolyte Adrien en 1862 à Paris (France), Georges Darien est un individualiste, proche des anarchistes[73], auteur de plusieurs romans, de pièces de théâtre et de nombreux articles dans les journaux anarchistes et antimilitaristes de son époque[74]. Publié en 1890, son second roman, Biribi, discipline militaire[75], retrace ses 33 mois passés dans les bataillons disciplinaires de l'armée française en Afrique du nord. Sévère condamnation de l'institution militaire, Biribi ouvre en France un large débat public sur les violences dans ces bagnes[76] dont s'empare les chansonniers, les écrivains et les antimilitaristes. Le roman le plus connu de Georges Darien - en partie autobiographique ? - reste Le voleur[77], réédité en 1955 et adapté pour le cinéma en 1967 par Louis Malle sous le même titre. Malgré les apparences phonologiques et protivophiles, rien ne permet d'affirmer que ce pseudonyme de Darien et le titre de Biribi[78] soient des références masquées au Darièn panaméen et aux amérindiens bri-bris. Ad'rienDans la province panaméenne à l'est du Darièn, la construction d'une ligne de chemin de fer par la France entre 1850 et 1855, puis sa tentative de percement d'un canal interocéanique à partir de 1880 mobilisent plus de 20 000 ouvriers venus essentiellement d'Europe du sud : Italie, Espagne, Grèce et Portugal. Pour la reprise du projet de canal du Panama en 1904, les États-Unis d'Amérique mettent en place une organisation du travail s'inspirant d'un modèle ségrégationniste. Jusqu'en 1914, 45 000 ouvriers seront importés. Les participants à ce chantier sont divisés en deux catégories : "gold" (or) et "silver" (argent). La première regroupe les ingénieurs, les contremaîtres et les ouvriers d'origine étasunienne et quelques exceptions. Ils sont mieux payés que les "silver" et bénéficient de nombreux aménagements tels des espaces de sport et de détente, de nourriture en qualité et en quantité satisfaisante, de maisons ou de logements décents... La catégorie "silver" est celle des ouvriers importés d'Europe, d'Amérique hispanophone et des îles des Caraïbes, ainsi que des amérindiens, pour réaliser les travaux de percement les plus durs et les plus dangereux. Ils sont moins bien payés que ceux de l'autre catégorie et n'ont pas accès à leurs différents avantages. Les logements sont insalubres, la nourriture insuffisante et il n'y a aucun lieu de distraction et de détente. Les maladies et les blessures lors d'accidents de travail font de nombreuses victimes parmi les ouvriers qui ne bénéficient ni de congés payés ni d'assurance maladie. La ségrégation entre les ouvriers est faîte sur des critères racistes qui attribuent à tels ou tels une supposée blancheur de la peau, ou non. Les ouvriers originaires du sud de l'Europe sont généralement classés dans la catégorie "silver" à l'exception de ceux qui sont employés en tant que contremaître. En 1907, les autorités étasuniennes du chantier décident d'exclure des "gold" tous ceux qu'elles jugent "non-blancs", à l'exception des "noirs" policiers, instituteurs ou postiers. Selon les nécessités, les espagnols, les grecs ou les italiens sont estampillés "blancs" ou "mi-blancs" ! Les ouvriers originaires d'Europe sont mis en concurrence avec ceux venus de la Jamaïque et de la Barbade, classés en tant que "noirs". De même manière qu'ils le sont avec les amérindiens, eux aussi désignés comme "noirs". Les heurts avec les contremaîtres, accusés par les ouvriers d'être violents et orduriers, sont réguliers. Le lynchage de l'un d'entre eux en 1907 provoque l'arrestation d'une douzaine d'ouvriers et, en réponse, le déclenchement d'une grève sauvage d'environ 200 personnes pour les faire libérer. L'enjeu monétaire d'être dans la catégorie "gold" et la menace étasunienne de faire venir de plus en plus d'ouvriers des Caraïbes opposent les ouvriers importés d'Europe à leurs homologues caribéens. Les discours mélangent des revendications sur les salaires, les conditions de travail et de logement à des propos racistes sur les "noirs". Ils ne veulent ni être assimilés à eux, ni être logés avec eux. En 1909, des ouvriers espagnols refusent que des ouvriers de la Barbade - en panne de bus - montent dans le leur et s'affrontent à la police qui tente d'empêcher le lynchage. Quatre cent ouvriers arrêtent le travail pour se solidariser avec les espagnols. En fonction des besoins ou de revendications défendues lors de grèves, les ouvriers européens bénéficient partiellement des avantages de la catégorie "gold". Sur les chantiers, les ouvriers originaires des Caraïbes font tous les travaux les plus durs. En 1909, les autorités du chantier décrètent finalement que le statut "gold" est exclusivement réservé aux citoyens étasuniens et à quelques panaméens. Les protestations auprès du consulat d'Espagne n'y changent rien. Le 27 juillet 1911, le chantier à hauteur de la coupe de Culebra se met en grève pour protester contre la violence des contremaîtres et pour récupérer une partie des avantages perdus comme le droit de manger sur son lieu de travail. Le long du canal en construction, plusieurs groupes d'ouvriers rejoignent le mouvement. Plus de 800 personnes participent à cette grève qui s'étale jusqu'au 3 août. Les contremaîtres incriminés sont maintenus à leur poste et 500 ouvriers sont licenciés. Les États-Unis d'Amérique augmentent leur volume d'importation d'ouvriers caribéens pour remplacer les ouvriers licenciés, tués, blessés ou déserteurs. Ce que certains appellent - de leur vœu - la "solidarité de classe" n'est pas le maître mots des conflits qui secouent les chantiers du canal. Jugés trop récalcitrants, les ouvriers espagnols sont bientôt considérés personna non grata par les autorités du chantier qui tentent par tous les moyens de diminuer leur nombre. En 1912, ils ne sont plus que 4000. Notes
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