Qarmates : Différence entre versions
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<blockquote>''Inutile de s’évertuer à tuer dieu, car il n’existe pas. Le même raisonnement est applicable avec le Père Noël ou le dahu.''<ref name="#FM">"Vie et œuvre de F. Merdjanov" dans ''Analectes de rien'', 2017 [http://analectes2rien.legtux.org/index.php/vie-t-oeuvre-de-f-merdjanov En ligne] </ref></blockquote> | <blockquote>''Inutile de s’évertuer à tuer dieu, car il n’existe pas. Le même raisonnement est applicable avec le Père Noël ou le dahu.''<ref name="#FM">"Vie et œuvre de F. Merdjanov" dans ''Analectes de rien'', 2017 [http://analectes2rien.legtux.org/index.php/vie-t-oeuvre-de-f-merdjanov En ligne] </ref></blockquote> | ||
− | [[Fichier:perenoel.png|200px|thumb|right|Afin de respecter le refus de représenter Mahomet, nous illustrons ce chapitre par un autre personnage de contes merveilleux qui enchante, lui-aussi, enfants et adultes.<ref>Les plus iconoclastes des mahométans refusent néanmoins ce type de représentation du Père Noël car elle permet selon eux que les enfants puissent - en les détournant habilement - en faire une figurine en papier imitant le prophète lors de leurs jeux. Les moins obtus trouvent que c'est un bon outil pédagogique introductif à la parole de Mahomet, une sorte de méthode Freinet mahométane.</ref>]]Les approches critiques (non-religieuses) des origines des mahométans s'affrontent sur le sujet<ref>Avec des arguments parfois fallacieux qui sous-tendent qu'une absence de "preuve" est une "preuve". Pour une critique, voir Marc Orcel, ''L'invention de l'islam. Enquête historique sur les origines'', Perrin, 2012</ref>. Il n'est aujourd'hui pas possible d'en savoir plus, mais peu nous importe de savoir si, oui ou non, il a véritablement existé un certain Mahomet qui réussit à se faire reconnaître prophète par des adeptes de tel ou tel courant monothéiste. Il ne peut être prophète car dieu est une illusion. Au même titre, le Coran n'est qu'un livre, écrit progressivement par un ou plusieurs hominines, dont le contenu ne vaut pas plus qu'un autre écrit sur des sujets proches<ref>Alfred-Louis de Prémare, ''Aux origines du Coran. Questions d'hier, approches d'aujourd'hui'', Téraèdre, 2015. Voir aussi le cycle "Histoire du Coran. Texte et transmission" de François Déroche [https://www.college-de-france.fr/site/francois-deroche/index.htm En ligne]</ref>. Son contenu n'est en rien original et regorge de références aux autres fois monothéistes. Il n'est pas une rupture mais une continuité possible, il est une tentative de syncrétisme de polythéisme bétylique, de monothéisme abrahamique et de quelques nouveautés nécessaires à marquer sa différence<ref>Jacqueline Chabbi, ''Le Coran décrypté. Figues bibliques en Arabie'', Fayard, 2008</ref>. Comme les Torah mosaïques ou les Bibles christiennes, le livre saint des mahométans est un recueil de mythologies et croyances. | + | [[Fichier:perenoel.png|200px|thumb|right|Afin de respecter le refus de représenter Mahomet, nous illustrons ce chapitre par un autre personnage de contes merveilleux qui enchante, lui-aussi, enfants et adultes.<ref>Les plus iconoclastes des mahométans refusent néanmoins ce type de représentation du Père Noël car elle permet selon eux que les enfants puissent - en les détournant habilement - en faire une figurine en papier imitant le prophète lors de leurs jeux. Les moins obtus trouvent que c'est un bon outil pédagogique introductif à la parole de Mahomet, une sorte de méthode Freinet mahométane.Voir Silvia Naef, ''Y a-t-il une "question de l'image" dans l'islam'', Téraèdre, 2015. </ref>]]Les approches critiques (non-religieuses) des origines des mahométans s'affrontent sur le sujet<ref>Avec des arguments parfois fallacieux qui sous-tendent qu'une absence de "preuve" est une "preuve". Pour une critique, voir Marc Orcel, ''L'invention de l'islam. Enquête historique sur les origines'', Perrin, 2012</ref>. Il n'est aujourd'hui pas possible d'en savoir plus, mais peu nous importe de savoir si, oui ou non, il a véritablement existé un certain Mahomet qui réussit à se faire reconnaître prophète par des adeptes de tel ou tel courant monothéiste. Il ne peut être prophète car dieu est une illusion. Au même titre, le Coran n'est qu'un livre, écrit progressivement par un ou plusieurs hominines, dont le contenu ne vaut pas plus qu'un autre écrit sur des sujets proches<ref>Alfred-Louis de Prémare, ''Aux origines du Coran. Questions d'hier, approches d'aujourd'hui'', Téraèdre, 2015. Voir aussi le cycle "Histoire du Coran. Texte et transmission" de François Déroche [https://www.college-de-france.fr/site/francois-deroche/index.htm En ligne]</ref>. Son contenu n'est en rien original et regorge de références aux autres fois monothéistes. Il n'est pas une rupture mais une continuité possible, il est une tentative de syncrétisme de polythéisme bétylique, de monothéisme abrahamique et de quelques nouveautés nécessaires à marquer sa différence<ref>Jacqueline Chabbi, ''Le Coran décrypté. Figues bibliques en Arabie'', Fayard, 2008</ref>. Comme les Torah mosaïques ou les Bibles christiennes, le livre saint des mahométans est un recueil de mythologies et croyances. |
<blockquote>''De tous les fondateurs de religion, Mohammed est probablement celui dont la personnalité a le plus de caractère historique''<ref>Claude Cahen, ''L'Islam des origines au début de l'empire ottoman'', Collection Histoire Universelle n°14, [[1970]]</ref></blockquote> | <blockquote>''De tous les fondateurs de religion, Mohammed est probablement celui dont la personnalité a le plus de caractère historique''<ref>Claude Cahen, ''L'Islam des origines au début de l'empire ottoman'', Collection Histoire Universelle n°14, [[1970]]</ref></blockquote> |
Version du 30 janvier 2018 à 11:18
Qarmates. Mouvement hétérodoxe mahométan[1] insufflé par Hamdan Qarmat Ibn al-Ach'ath (حمدان قرمط بن الاشعث) vers la fin du IXème siècle.
Sommaireex nihilo ?
Loin de l'imaginaire populaire qui en fait un endroit empli de rien, la péninsule arabique est un vaste territoire qui abrite depuis des millénaires des hominines qui y ont bâti cités et empires. Elle est un carrefour des caravanes de commerce qui y transitent pour relier la Chine et l'Afrique à la Méditerranée ; une voie incontournable pour les marchandises alimentant, dans les deux sens, les marchés et les besoins des différents pouvoirs politiques comme le puissant royaume nabatéen (dans l'actuelle Jordanie) ou l'empire romain qui lui succède en le conquérant. Du sel, des esclaves, des métaux précieux, des soieries, des épices et divers objets manufacturés ; mais aussi échanges de techniques et de savoirs, de croyances et de superstitions. Dans les régions côtières et montagneuses humides du sud-ouest de la péninsule se sont développées de nombreuses cités, dont certaines sont au centre d'empire régionaux puissants. Si les rastafariens ont en mémoire le seul[3] royaume de la reine de Saba[4], les historiens décrivent une succession d'entités politiques, diverses et concurrentes, dès le quatrième millénaire avant le présent. A contrario de ces régions que les antiques grecs nomment alors l'Arabie Heureuse, la partie intérieure de la péninsule est un vaste territoire de montagnes et de sable avec, au sud, le désert des déserts, le Rub al-Khali (Quart Vide). Les oasis qui s'y développent à ses marges sont autant des lieux de vie que des relais sur ces routes qui traversent des étendues de sable et de chaleur harassante.Au VIIème siècle, la population est diverse dans ses croyances religieuses. Aux côtés des quelques oasis peuplées de mosaïques[1][5] et de plusieurs communautés nomades de marchands ou de propagandistes appartenant à la myriade d'opinions christiennes rivales[1], la plupart des autres hominines vouent un culte aux pierres et croient à des créatures mythologiques peuplant le désert. Ces pierres, appelées bétyles selon une étymologie sémitique beth-el signifiant "maison de dieu", sont souvent sanctifiées. Elles sont choisies pour leur spécificités géologique, leur origine météorique ou leur proximité avec des points d'eau. Il n'y a pas de culte unifié mais des pratiques et des croyances locales qui subissent des influences diverses. Comme pour les christiens, les mosaïques ou les sabéens, leurs passés se peuplent de héros mythiques ou de reines légendaires, de royaumes anciens ou de personnages imaginaires. Ces croyances bétyliques sont alors partagées du golfe d'Aden jusqu'à la Méditerranée. La société péninsulaire n'est pas qu'une organisation bédouine et nomade de l'espace, elle se compose aussi de quelques concentrations urbaines qui maillent les routes marchandes. S'ils ne sont pas des centres politiques, ces relais permettent l'émergence de riches familles de marchands qui s'accaparent un peu de pouvoir politique local de part leur importance économique. La Mecque, par exemple, est alors dirigée par des familles de marchands appartenant à la tribu de Quraych qui s'impose - politiquement et militairement - aux autres ou avec qui elle fait des alliances. Les quraychites sont ainsi divisés entre différents clans familiaux. Les alliances entre les tribus nomades, pourvoyeuses de marchandises, et les citadines sont des équilibres fragiles. Certaines tribus nomades préfèrent le pillage des caravanes marchandes. La Mecque est aussi un lieu de pèlerinage local lors duquel les trois divinités féminines Al-Lât, Al-Uzzâ et Manât sont invoquées lors de circumambulations bétyliques - c'est-à-dire en tournant autour d'une pierre - à proximité d'une source d'eau quasi-permanente. D'autres bétyles sont vénérés dans la péninsule ainsi que d'autres divinités et donnent lieu aussi à des pèlerinages pour les tribus locales. La Mecque est alors un lieu de culte parmi d'autres[6] où des adeptes des monothéismes mosaïco-christiens vivent ou sont de passage. Ces hominines du presque-rien ont des pratiques linguistiques diversifiées. Dans le sud de la péninsule se parlent des langues sudarabiques qui se différencient des parlers arabiques du nord qui, eux-mêmes, ne forment pas une unité mais une sorte de continuum linguistique qui s'étend jusqu'à la côte méditerranéenne. La mise par écrit ne comporte pas encore les voyelles car elles ne sont pas totalement indispensables pour une bonne compréhension du texte. Les poètes et les adeptes du tag raffolent de cette absence qui décuple les sens. Les influences politiques et culturelles les plus fortes sont exercées du nord par deux royaumes christiens rivaux (Lakhmides et Ghassanides) : le premier allié aux perses et le second aux byzantins. Toute la région partage alors - d'une manière ou d'une autre - l'héritage des civilisations araméennes, grecques, romaines ou nabatéennes qui se greffent et s'entrecroisent avec des substrats culturels plus locaux dans une sorte de macédoine. L'alphabet utilisé pour noter la langue parlée est dérivé de celui des nabatéens qui s'étaient eux-mêmes inspirés de l'écriture araméenne. Pour tous les adeptes des monothéismes, ex nihilo renvoie à l'idée d'un dieu créateur de rien. Des recherches récentes - en terme de protivophilie - tendent à montrer que les copistes ont tronqué le latinisme ex nihilo nihil fit, "rien ne vient de rien", en laissant croire que cela change rien. Et insinuer ainsi que "Rien est divin" est similaire à "Rien n'est divin".
Graffitis & CieAu début du VIIème siècle, la région du Hedjaz - où est située La Mecque - est dans un contexte régional de conflits politiques permanents entre les empires romain (byzantin[8]) et perse, dans lesquels ils ont chacun des alliés locaux. Après les nombreuses guerres qui se sont menés, les deux empires sont très affaiblis et leurs alliés perdent en influence dans le premier quart du VIIème siècle. Dans le camp byzantin, le royaume d'Aksoum, au sud, recule et se retire de la péninsule pour laisser la place aux perses, et les ghassanides, au nord, qui ont résisté sont finalement persécutés par leur allié pour leur dissidence religieuse. Les lakhmides et tous les petits royaumes le long des côtes de la péninsule sont vassalisés par l'empire perse qui s'étend un peu plus. Après la chute du royaume de Kindah - dans le centre - détruit par les lakhmides au milieu du VIème siècle, ce nouvel affaiblissement des royaumes et empires environnants fait diminuer encore un peu plus la pression militaire et politique sur le Hedjaz et le centre de la péninsule, laissant ainsi plus de latitudes aux dynamiques locales.Le terme de hedjaz signifie "barrière" et désigne une zone côtière située dans la partie nord des Monts Sarawat qui cheminent tout le long des côtes de la mer Rouge jusqu'à l'océan Indien. La chaîne montagneuse est un rempart naturel qui, sur son versant maritime, est fait de falaises abruptes qui rendent difficiles les incursions venues de la mer. La région du Hedjaz est une zone située entre la façade maritime et les vallées des Monts Sarawat, arrosée par de petits cours d'eau (oued). Une de ces vallées abrite La Mecque. De l'autre côté des montagnes, plus à l'est, l'environnement est désertique et difficile d'accès. Cette relative tranquillité profite aux familles marchandes qui n'interrompent pas les voies commerciales et continuent d'alimenter les empires - même affaiblis - et les royaumes environnants. Sa situation géographique fait de la péninsule un passage obligé pour les marchandises. Les quraychites prétendent détenir leurs droits sur la cité de La Mecque d'un lointain ancêtre, dans une généalogie discutable d'une multitude de clans familiaux qui se répartissent - ou se disputent - le pouvoir politique et économique. Parmi les croyances religieuses, le monothéisme est présent dans la péninsule sous différentes formes qui mélangent les traditions issues des multiples mosaïsmes alors existant et qui, pour certaines, croient en l'existence d'un nouveau messie nommé Jésus. Ces "sectes" monothéistes mosaïco-christiennes s'affrontent théologiquement sur la nature de dieu et de son hypothétique messie[9]. L'adoption par l'empire romain d'une forme de christianisme parmi d'autres comme religion d’État en 380 et les politiques répressives menées contre les autres courants mosaïco-christiens ont poussé beaucoup de leurs adeptes à fréquenter les marges des empires. Leurs idées suivent les voies de commerce. Des graffitis retrouvés sur des vestiges archéologiques attestent d'une croyance monothéiste - pré-mahométane ? - à travers une sorte de profession de foi qui déclare qu'il n'y a qu'un seul dieu, sans mentionner un quelconque prophète[10]. Un peu à l'image de l'univers de Conan le Barbare ou des contes pour enfants, les religions monothéistes abrahamiques sont peuplées de magiciens et de superstitions, de miracles et de prophètes dans des sagas construites pendant des siècles, dont la complexité surpasse Le Seigneur des Anneaux et la profondeur de pensée rivalise avec la pauvreté des dialogues de Star Wars. Les prétendants au titre de prophète sont légion. Les plus entreprenants affirment être en contact direct avec une divinité dont ils se proclament les représentants sur terre. Comme cela était prévu par les légendes. Les carrières sont diverses, et si certains accèdent à une certaine reconnaissance, d'autres devront se contenter du statut de poète ou d'idiot. Voir être lapidés.
Même si cela est pour les dénigrer, beaucoup de sources historiques religieuses ou profanes mentionnent tous les malheureux qui ne furent pas reconnus. Ou finalement rejetés par leurs adeptes. Faire carrière dans le prophétisme n'est pas chose sans risque. Par principe, il ne peut y avoir trop en même temps. Les places sont chères et la concurrence est sévère. De manière plus synthétique que la série documentaire Corpus Christi consacrée à ChristⒸ, un collectif de documentaristes britanniques spécialistes des origines des christianismes nommé Monty Python, retrace de manière émouvante et tragique dans La vie de Brian le destin de celui qui fut désigné prophète alors qu'il ne demandait rien[12].
MahométansVu la quasi-absence de sources d'époque[14], il est difficile d'affirmer l'historicité d'un Mahomet qui naît en 570 à La Mecque et meurt en 632 à Médine[15]. Sa biographie se construit à travers des sources religieuses qui prétendent regrouper l'ensemble des propos et attitudes qui lui sont prêtés. Aucune fouille archéologique[16] ne confirme pour l'instant ce qu'il est possible d'en savoir par les textes coraniques et l'ensemble de la tradition mahométane. Les sources disponibles se contredisent parfois. Il en est de même pour le Coran. Les premières versions sont le résultat des choix de ses successeurs [17]. Les approches critiques (non-religieuses) des origines des mahométans s'affrontent sur le sujet[19]. Il n'est aujourd'hui pas possible d'en savoir plus, mais peu nous importe de savoir si, oui ou non, il a véritablement existé un certain Mahomet qui réussit à se faire reconnaître prophète par des adeptes de tel ou tel courant monothéiste. Il ne peut être prophète car dieu est une illusion. Au même titre, le Coran n'est qu'un livre, écrit progressivement par un ou plusieurs hominines, dont le contenu ne vaut pas plus qu'un autre écrit sur des sujets proches[20]. Son contenu n'est en rien original et regorge de références aux autres fois monothéistes. Il n'est pas une rupture mais une continuité possible, il est une tentative de syncrétisme de polythéisme bétylique, de monothéisme abrahamique et de quelques nouveautés nécessaires à marquer sa différence[21]. Comme les Torah mosaïques ou les Bibles christiennes, le livre saint des mahométans est un recueil de mythologies et croyances.
Autant dire que pour les autres prophètes des monothéismes abrahamiques il n'y a quasiment rien. Abraham, Moïse et ChristⒸ n'ont probablement aucune réalité historique. La seule certitude possible est que ce personnage - fictif ou réel - de Mahomet et les mythes qui l'entourent permettent à certaines familles quraychites de se construire une légitimité au fil des conquêtes militaires qui suivent la mort de ce supposé prophète. Profitant de la faiblesse des empires romain et perse, les tribus coalisées attaquent et avancent rapidement. Si à la mort de Mahomet le premier successeur semble faire consensus, il est assassiné par des opposants. Comme les deux seconds. Les difficultés d'une passation de pouvoir consensuelle sont un problème persistant au sein des familles quraychites[23]. Ali, époux de Fatima la fille de Mahomet, et cousin de ce dernier, est le quatrième prétendant à la succession. Ali est assassiné par ses partisans qui lui reprochent d'avoir accepté sa défaite face à son rival, Muʿawiya - membre de la famille du troisième calife - le fondateur en 661 de la dynastie omeyyades qui régnera de Damas sur le nouvel empire jusqu'en 750. Les quatre premiers califes font la quasi-unanimité parmi les croyants mais la mort de Ali est un tournant dans la nouvelle religion mahométane. Les critiques se font plus précises et se structurent progressivement en différentes factions qui chacune revendique une légitimité et une forme de succession du pouvoir spécifique. Les partisans d'Ali qui le punissent par la mort de sa prétendue trahison se nomment kharidjites[24]. Ils avancent que la direction de la communauté des croyants revient au meilleur d'entre eux, qu'elle que soit son origine tribale ou sociale. Même un ancien esclave est apte à diriger. Les alides, quant à eux, désignent ceux qui veulent que les descendants mâles directs d'Ali succèdent à leur ancêtre. Les autres reconnaissent la légitimité des omeyyades et donc le pouvoir en place. L'argumentation pour contester les successions s'appuie sur une interprétation du texte coranique et sur une lente construction idéologique et théologique à travers les écrits des érudits mahométans[25]. Les alides n'ont de cesse de contester le pouvoir des omeyyades et établissent leur propre généalogie du pouvoir, à travers une lignée d'imams qui descendent tous de Ali. Pour autant, ils se divisent aussi sur lequel choisir parmi les différents prétendants. A la mort de leur quatrième imam en 713, deux de ses fils se disputent sa place. Les uns choisirent Zayd ibn Ali, les autres Muhammad al-Bâqir. Les premiers, minoritaires, sont alors connus sous le terme de zaydites. Ils mènent des révoltes contre le pouvoir omeyyade et subissent en retour une terrible répression. Les zaydites se réjouissent lorsque Abû al-`Abbâs, descendant d'un oncle de Mahomet, renverse les omeyyades en 750. Il fonde la dynastie des abbassides qui, rapidement, se retournent contre les alides, qu'ils soient zaydites ou non. Les survivants du pouvoir omeyyade s'installent en Andalousie et plusieurs dynasties zaydites forment des pouvoirs locaux sur les marges de l'empire, sur les bords de la mer Caspienne, en Arabie Heureuse ou au Maghreb et plus tard dans une partie de la péninsule ibérique. En parallèle de ces contestations politiques, les écoles juridiques affirment leur différences philosophico-théologiques. Elles se nourrissent tout autant de leur histoire propre, d'une tradition maintenant plus que centenaire, que de nombreux apports des philosophies antiques ou d'autres religions monothéistes. Toutes les écoles juridiques se composent petit à petit un corpus politico-religieux d'auto-légitimation. L'empire abbasside se renforce. Les alides, toutes tendances confondues, ne parviennent pas à s'imposer politiquement et leur acceptation par le pouvoir est toujours fragile. La mort en 765 de Ja`far as-Sâdiq, le sixième imam alide, provoque de nouveau de profondes dissensions. Face à l'absence de directives claires laissées par le défunt, les uns soutiennent son fils cadet alors que les autres lui préfèrent Muhammad ben Ismâ`il, le fils de son aîné Ismâ`il - mort avant lui. Surnommés ismaéliens, ils se distancient des autres alides et fondent plusieurs communautés dans des régions excentrées de l'empire. Une dynastie ismaélienne se détache. Face à la répression ou pour cacher l'impossibilité d'assurer une succession, les ismaéliens développent le concept d'imam caché. Cela signifie que même s'il n'est visible de personne, l'imam est vivant et s'exprime par l'intermédiaire de son représentant, le daï. Confrontés aux mêmes problématiques que les ismaéliens, les alides développent aussi leur concept d'imam caché qui se différencie de celui des ismaéliens car ils acceptent la croyance en l'occultation du douzième imam et misent tout sur son retour, ce qui leur vaudra le qualificatif de duodécimains. A ce jour, nous sommes toujours sans nouvelles de lui[26]. Pour fuir la répression abbasside, le douzième imam ismaélien se réfugie au Maghreb où des communautés ismaéliennes sont implantées et très influentes auprès de certaines tribus berbères[27]. Il se proclame calife en 909 lorsque les forces militaires ismaéliennes renversent les petits imamats locaux, puis conquièrent l’Égypte en 969. Il fonde ainsi l'empire fatimide, avec Le Caire pour capitale, dont les principaux rivaux sont l'autre califat, celui des abbassides de Bagdad, et l'empire byzantin. Les fatimides règnent jusqu'en 1171, s'étendant de l’Égypte à Jérusalem. Les guerres menées par les Croisés venus d'Europe et la pression de prétendants locaux effritent le califat qui se disloque petit à petit. Les Croisés créent des États autour de Jérusalem, des dynasties émergent au Maghreb pour s'affirmer royaumes indépendants, et l’Égypte puis une partie du Levant sont récupérées par la dynastie des ayyoubides - initiée par Ṣalāḥ ad-Dīn (Saladin) - qui gouverne jusqu'à son renversement en 1250 par la caste militaire des Mamelouks. Très affaiblis et sous tutelle des turcs seldjoukides, les abbassides ne résistent pas à l'arrivée des troupes mongoles. Bagdad tombe en 1258 et les survivants abbassides se réfugient auprès des mamelouks égypto-levantins. Bétyles mahométansDepuis l'apparition des mahométans, La Mecque est devenue ville-sainte dans laquelle trône la Kaaba. Interdite aux non-mahométans. Intégrant pleinement les croyances anté-mahométanes les bétyles sont toujours vénérés et tous les mahométans - hommes et femmes - se tournent vers eux pour effectuer leurs prières. Dans sa configuration actuelle, la Kaaba est une construction cubique recouverte d'un grand tissu. Deux bétyles sont incrustés à deux des coins. L'un est appelé Pierre Bienheureuse et l'autre Pierre Noire. A quelques mètres de la Kaaba est installé un autre bétyle nommé Station d'Abraham, prétendument marqué de traces de pas du prophète biblique Abraham[29]. Sans prétendre qu'Abraham en soit à l'origine, il est probable que ce bétyle puisse effectivement être marqué d'une trace de pas d'homine : les préhistoriens retrouvent parfois de tels traces fossilisées avec le temps. Par exemple, dans la région de l'ancien royaume d'Axoum, des traces datées de 800 000 ans ont été mise à jour dans le désert de Danakil (actuelle Érythrée). L'entomo-fabuliste Bernard Werber, connu pour sa trilogie sur les fourmis - un sujet cher aux mahométans[30] -, tente lui-aussi en 1998 dans Le Père de nos pères une théorie à partir d'une trace de pas préhistorique. Adam, le "premier humain", serait issu des amours entre une truie et un hominine. Thèse certes hasardeuse et non-conforme aux croyances des monothéismes mosaïco-christo-mahométans, mais à peine plus romancée. Néanmoins, elle n'a pas donné naissance à une nouvelle religion.En plus de la circumambulation qu'il est nécessaire de faire autour de la Kaaba, le rituel du pèlerinage intègre un autre rite pseudo-bétylique. A environ 5 km de la Kaaba trois piliers espacés de 150 mètres symbolisant le diable doivent être lapidés par les fidèles. Des travaux récents ont transformé ces trois piliers en de longs murs courbes. Le rituel impose aussi d'aller sur deux petites montagnes proches. Le rituel complet actuel - outre les quelques nouveautés propres aux mahométans - reprend celui pratiqué par les citadins anté-mahométanes de La Mecque et celui des Bédouins, intégrant les bétyles et les lieux de sacralité alentours. Les fidèles y voient une preuve - par l'absence - de l'ancienneté d'un rituel institué par Adam[31] lui-même, les autres une simple récupération d'anciennes croyances selon des procédés déjà utilisés par les mosaïco-christiens. Très éloignées des pratiques dionysiaques de François Augiéras qui - des siècles plus tard - préfère voir en la pierre une source de plaisir, une texture sur laquelle frotter son sexe pour en jouir[32]. Plutôt que de tourner autour, une autre manière de sanctifier des pierres consiste pour les mosaïco-christiens à en rapprocher une multitude de plus petites sur des hominines grâce à des jets, souples et déterminés, effectués par plusieurs autres hominines. Prenant garde de ne toucher que le bénéficiaire de ce rituel dans ce qui relève aussi d'un jeu d'habilité. Appelée "Jetée bétylique" par les mosaïco-christo-mahométologues, la lapidation est une pratique souvent considérée comme punition par celui ou celle qui en est la cible. Qui d'ailleurs souvent en meurt. Cette tradition est présente dès les premiers textes mosaïco-christiens. Puis mahométans. Ils conservent un rituel punitif employé parmi d'autres communautés politico-religieuses en reformant légèrement les justifications de cet amoncellement bétylico-hominine. La lapidation n'a pas attendu les mahométans pour ravir les adeptes. Entre Moïse et Mahomet, Jésus aka ChristⒸ propose une pause dans la pratique de la "Jetée bétylique". Il lui semble plus efficace de privilégier le glaive dans l'argumentation face aux "incroyants", inventeur de fait du concept guerrier que les mahométans nommeront jihad plusieurs siècles après[33]. Extraits de quelques propos tenus par ChristⒸ selon ses biographes officiels :
Avec ChristⒸ les monothéistes tentent de s'extraire de l'âge de pierre. Ses successeurs, christiens et mahométans, y affûtent leurs lames et font une entrée sanglante dans l'âge de fer. PrécisionsLe terme de sunnite renvoie généralement à ceux qui ont opté pour les ommeyades, puis plus largement aux croyants qui suivirent les règles théologiques développées par différentes écoles juridiques depuis les omeyyades et leurs successeurs abbassides. Les mahométologues considèrent qu'il existe quatre grandes écoles parmi les sunnites (hanbalisme, chaféisme, hanafisme et malikisme d'après le nom de leur fondateur). Celui de chiite englobe tous les alides : zaydites, ismaéliens et duodécimains (ou jafarites du nom du sixième imam) pour ne citer que les plus importants[37]. Le kharidjisme est une école spécifique, la plus ancienne de toute. Très minoritaire, elle subsiste encore de nos jours en Tunisie, en Libye et en Oman sous une forme réformée que l'on appelle ibadisme. Aucune de ces écoles ne peut donc prétendre à représenter une orthodoxie, ni prétendre être les "vrais mahométans". A partir du IXème siècle, les érudits et théologiens mahométans commencent à fixer les dogmes et les interprétations de ces écoles, renforçant de fait les différences entre elles. Malgré cela, les frontières entre ces écoles ne sont pas nettes et leurs théologies ou jurisprudences s'entrecroisent. Par exemple, les fondateurs du malikisme et du hafafisme sont élèves de Jafar, le sixième imam alide, et le zaydisme - estampillé chiite - est plus proche des écoles sunnites que le sont les ismaéliens ou les duodécimains. Il existe aussi plusieurs courants mystiques ou confrériques qui ne correspondent pas exactement aux répartitions selon les madhhab et font des jonctions entre certaines sur des sujets théologiques ou des rituels particuliers.Les croyances et mythologies des adaptes de Mahomet se rattachent à celles des adeptes de Moïse ou de ChristⒸ, avec qui elles partagent les mêmes prophètes et la même divinité. Pour résumer quelques millénaires de théologie monothéiste, disons qu'il existe un dieu créateur de tout, omniprésent et omniscient. Il est Tout. Les hominines sont ses créatures préférées. Parfois, cette divinité envoie aux hominines des messagers qui viennent rappeler que "Il n'y a aucune raison qu'il soit facile d'être hominine". Ou, pour le dire en termes monothéistes - "Les voies du seigneurs sont impénétrables". Car, généralement, les messagers emploient des formes d'expression peu claires et alambiquées - appelées paraboles - qui transforment considérablement le sens profond et permettent de justifier le monde existant. Cette divinité monothéiste[38] est joueuse et cruelle par nature, rancunière par principe et jalouse par ennui[39] : elle met les hominines en demeure de suivre aveuglément les règles d'un jeu, avec des menaces permanentes de punitions horribles en cas de non-respect, tout en leur faisant croire qu'il serait possible d'y échapper. Un jeu auquel personne n'a demandé à jouer.
Les religions et les croyances non-monothéistes regorgent aussi de divinités les plus improbables dont les mythes fondateurs sont tout aussi abracadabrants : un acte zoophile entre un "Ancêtre" et un autre animal, une tortue par exemple ou un raton-laveur, un être imaginaire géant dont les excréments font naître la vie, des esprits arboricoles qui décident d'expérimenter la bipédie ou une catastrophe causée par des ancêtres distraits qui contraint maintenant les hominines à chasser le mammouth et gratter la terre, etc. Dissidences et qarmatesDepuis la mort de Mahomet, la bataille pour sa succession politique divise profondément la communauté de ses adeptes. Dans certains cas, cela s'apparente à un état de "guerre civile" que se mène les prétendants et leurs troupes. Alors qu'au nord de la Méditerranée les christiens se structurent en Église entrecroisée au pouvoir politique - souvent dynastique - mais qui agit "indirectement" sur lui, les mahométans préfèrent s'organiser en dynasties - un peu sur le modèle tribal - qui détiennent directement le pouvoir. Par l'expansion des mahométans, les fidèles sont de plus en plus divers dans leurs origines ou leurs conditions sociales. Tous et toutes ne sont pas originaires de la péninsule arabique - donc sans lien de "famille" avec le prophète - et parlent parfois d'autres langues que celles qui s'y pratiquent. Si les kharidjites sont les premiers à contester le "lien de sang" dans la succession du pouvoir, les alides ne sont pas en reste. ExagériensParmi les multiples "courants" qui existent au sein des kharidjites et des alides vont apparaître des formes extrémistes, dite ghulât qui signifie "exagéré"[37]. Ces "exagériens" sont régulièrement accusés d'avoir des interprétations trop symboliques qui réduisent finalement les restrictions religieuses à rien.
Dans ce verset obscur et contradictoire, les mahométans non-exagériens - trop sensibles à la poésie - voient ce qu'ils nomment un "septain oxymorique" - en sept pieds - qui est pour eux la marque du style poétique inimitable et de la beauté des textes mahométans, alors que les exagériens y décèlent une invitation à mettre fin à tout. Mais pour cela ils attendent quelques signes leur indiquant le moment exact. Entre autre la venue d'un mahdi qui guidera le monde et annoncera la fin des temps ! Il est attendu fiévreusement par nombres d'alides. Parfois cela se transforme en révoltes armées ou en soulèvements populaires. QarmatesOutre la propagande et l'implantation dans le Maghreb, les daï ismaéliens créent des communautés à travers l'empire abbasside. Dans la ville de Koufa - actuel Irak - s'installe un petit groupe sous la direction de Hamdan "Qarmat" Ibn al-Ach'ath qui, selon la tradition mahométane, était un laboureur, exploité et en révolte contre le pouvoir abbasside, gagné à la cause par un daï en 874. Tout en résistant au pouvoir abbasside, Hamdam Qarmat envoie quelques daï vers le sud de la péninsule arabique et le long de ses côtes orientales pour y implanter de nouvelles communautés.La création de l'empire fatimide à partir des bases ismaéliennes au Maghreb ne suffit pas à convaincre Hamdam Qarmat que le nouveau calife est le mahdi qu'il prétend être. Il rejette catégoriquement cette revendication. A la mort de Hamdam Qarmat, ses deux successeurs continuent à se battre militairement dans des attaques lancées contre le territoire abbasside. Alors qu'elles menacent Bagdad, les troupes qarmates sont défaites en 907. Plus au sud, le long de la côte orientale de la péninsule, les communautés qarmates résistent aussi, puis progressent face aux abbassides. La prise de plusieurs oasis et ports permet la création d'un État qarmate viable dès le début du Xème siècle. En 913 lorsque l'instigateur de cet État meurt, son frère lui succède pendant 10 années en attendant la majorité du fils aîné. Lorsqu'en 923 Abû Tâhir prend les rênes du pouvoir qarmate, il a tout juste 17 ans[41]. Dans les premières années du règne guerrier d'Abû Tâhir, le territoire qarmate s'étend de l'actuel Qatar jusqu'au Koweit, englobant les oasis de Al-Hassa et Qatif (actuelle Arabie saoudite) et les îles Awal (actuel Bahreïn) jusqu'aux limites du désert de la péninsule. Depuis l'apparition des ismaéliens, le corpus théo-philosophique s'est étoffé au fil des décennies de travaux, de traductions et d'interprétations de nombreux textes issus des pensées philosophique et mythologique de la Grèce antique. Plusieurs courants christiens et les religions pré-mahométanes non-monothéistes influent aussi sur la mise en place d'une pensée ismaélienne originale. On retrouve ainsi la réincarnation chères aux anciens grecs, ou la nature divine de l'hominine proclamé porte-parole de la divinité unique, idée défendue par certains christiens. La littérature ismaélienne est riche et touche des domaines aussi diversifiés que la philosophie, les mathématiques, la géographie ou l'astronomie pour n'en citer que quelques-uns. Par cet enrichissement, les ismaéliens affirment se conformer au mieux à leur religion et être au plus prêt du sens caché des textes sacrés mahométans. Notes
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