Tromelin

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Tromelin. Petite île corallienne de l'océan Indien, isolée, située à environ 500 km de Madagascar, de Maurice et de la Réunion.


Géographie

En vert, une carte anglaise de 1669-1701, en jaune hollandaise de 1616-1675, en rouge française de 1739
L'île est au plus long de 1,7 km et au plus large de 600 mètres. Quasiment plate, elle est recouverte de sable et sa végétation se compose de quelques buissons et arbustes. Des oiseaux marins et des tortues sont sa seule faune. Selon la géologie elle s'est constituée par amas coralliens sur un relief sous-marin, peut-être volcanique. Elle est ceinturée par des récifs coralliens sur lesquels les vagues viennent se briser. Les vents sont permanents pendant 9 mois de l'année et la région est régulièrement traversée par des cyclones. Les précipitations sont faibles.

Isolée des routes du commerce maritime, elle est située à environ 500 km de Madagascar, de Maurice et de la Réunion. Sa plus ancienne mention - connue - par des hominines date d'août 1722 lorsqu'un bateau de commerce français mouille au large et, en l'absence d'une meilleure idée, la dénomme "Isle de Sable"[1]. Les conditions climatiques et les risques encourus avec les récifs dissuadent les marins de débarquer sur l'île.

Au XVIIIème siècle la cartographie marine n'est pas chose précise[2]. Les coordonnées de l'île sont modifiées en 1739 puis, en 1752, lors de la parution d'une nouvelle cartographie marine l'île est positionnée une quarantaine de km plus au nord. Malgré quelques essais, aucun navire n'a pourtant réussi à revenir dans les parages de l'île. L'absence de relief ne la rend pas facilement repérable par les navigateurs, d'autant plus que les passages de cyclones ou de tempêtes tropicales rasent parfois complètement la végétation. A cette époque il est encore nécessaire pour les différentes compagnies commerciales (française, anglaise ou hollandaise) de cartographier au mieux les océans afin de sécuriser les routes du commerce maritime. Pour cela, elles financent des expéditions puis l'impression de nouvelles cartes à jour. Les méthodes de calcul des coordonnées sont limitées à la latitude (nord/sud) alors que la longitude (est/ouest) se fait à l'estimation. Ainsi en 1752 l'Isle de Sable est encore positionnée plus de 200 km à l'ouest de ses coordonnées réelles.

Hominisation

Après un voyage de 5 mois depuis la France, la navire marchand L'Utile arrive à Maurice en avril 1761. Il y débarque sa marchandise, puis est envoyé sur Madagascar pour en ramener 50 tonnes de riz et 150 bœufs. En plus de cette cargaison classique, le commandant accepte de charger 160 personnes destinées à être vendues comme esclaves. La plupart d'entre elles - hommes, femmes et enfants - viennent des hauts plateaux de l'Emerina à Madagascar. Tous et toutes sont enfermés dans les cales du bateau. Avant de regagner Maurice, le commandant veut faire un détour par l'île Rodriguez, à 600 km à l'est de Maurice, pour les revendre. Avec l'interdiction officielle de la traite esclavagiste, il est soucieux d'éviter d'autres bateaux - anglais ou français - et fait le choix de contourner par le nord les routes commerciales classiques, en se basant sur la carte de 1739.

Dans la nuit du 31 juillet 1761, L'Utile heurte par deux fois les récifs de l'Isle de Sable. Les vagues le fracasse lentement et violemment. L'équipage abandonne le bateau et les futurs esclaves toujours enfermés dans la cale. Lorsque le bateau se rompt en deux, une partie réussie à s'en échapper. Sans être secouru par les membres de l'équipage. Avant d'expliquer comment il tente de sauver un des marins, l'écrivain de bord notera dans son journal :

J’avais attrapé une grande planche de sapin sur laquelle j’étais accroché. Il y avait quelque temps, un noir esclave se noyant voulut aussi s’en saisir, mais 2 coups de pieds que je lui donnais finirent de lui ôter ses forces.[3]

Carte de l'occupation de l'Isle de Sable selon un rescapé
18 personnes de l'équipage et environ 70 des esclavagisées meurent lors du naufrage. 123 survivent parmi les marins et un peu moins de 100 parmi les raflées de Madagascar. Les survivantes sont toutes blessées. Au matin du 1er août, toutes œuvrent à récupérer tout ce qui peut l'être : 22 barriques de farine, 8 de vin rouge, une de cidre, un baril d'huile, un de beurre, 200 litre de lard et de bœuf en morceaux, des bouteilles de vin et de l'eau-de-vie. La nourriture et la boisson sont rationnées pour l'équipage. Rien n'est donné aux autres survivants. La diminution rapide de vivres incite les survivants à se mettre à la recherche d'une source d'eau possible. Un puits de 5 mètres de profondeur est creusé pour y trouver deux jours plus tard un mélange d'eau moins salinisée. De l'eau est distribuée à l'ensemble des naufragés, équipage et esclavagisés. Trente de ces derniers décèdent avant d'avoir pu goûter cette eau.

La survie et la ségrégation s'organisent. Tout ce qui peut être récupéré des restes de l'épave l'est : bois, voiles, ustensiles et outils divers, armes et nourriture. Deux campements séparés sont installés, l'un avec l'équipage de L'ex-Utile, l'autre avec celles et ceux qui ne sont pour eux que marchandise. Un four et une forge sont construits. A partir de l'épave, les marins se lancent dans la construction d'un nouveau bateau. Plus petit. Le 27 septembre 1761, 121 membres de l'équipage - c'est-à-dire tous - embarquent à bord pour rejoindre Madagascar. Ils abandonnent une soixantaine de personnes, avec trois mois de vivre, et le commandant promet de revenir les chercher. D'après l'écrivain de bord :

Ils ne sont pas estimables les secours que nous avons tirés depuis le premier moment jusqu’au dernier de ces malheureux esclaves que nous avons été obligés d’y abandonner à la honte de tous.[3]

Les mois passés sur l'Isle de Sable sont documentés par ce journal de bord, retrouvé en 2006[3]. Le bateau arrive quatre jours plus tard à Madagascar. Malgré les demandes, les démarches et la médiatisation par le commandant, les autorités françaises ou la compagnie de commerce refusent d’affréter un bateau pour aller récupérer les malgaches. En 1769, la compagnie maritime française fait faillite et perd son monopole sur les îles des Mascarègnes (Réunion, Maurice et Rodriguez) qui passent sous l'autorité directe du pouvoir royal trois ans plus tard.

Sablo-îliens

Originaires des hauts plateaux luxuriants de Madagascar, les néo-îliens - hommes, femmes et enfants - ne sont pas accoutumés au mode de vie propre à un environnement marin[4]. Sans nouvelles des prétendants sauveurs, la vie s'organise, non ségréguée, autour d'un petit village de huttes construites avec les restes du bien nommé L'Utile. Mais ces premières constructions ne survivent pas au passage d'un cyclone et les sablo-îliens sont contraints de reconstruire autrement leur habitat. un petit hameau et un ensemble de plusieurs pièces est mis en place avec des murs de 2 mètres de haut fait de sable et de corail. Une cuisine fonctionne grâce à un feu entretenu en gérant au mieux le stock de bois limité à celui des restes de l'épave. Une exploitation optimisée des maigres ressources locale est imaginée afin de réduire l'aspect dévastateur des premiers mois de la présence des hominines. Les ustensiles sont réparés et entretenus avec ingéniosité, d'autres objets sont détournés pour faire des hameçons ou des outils par exemple. Les oiseaux et les tortues, ainsi que leurs œufs, constituent la source principale de leur nourriture. Les ailes des oiseaux sont utilisées pour confectionner des couvertures ou des habits. Malgré des eaux poissonneuses, la pêche reste une activité dangereuse. Des chemins sont entretenus entre les différentes partie de l'île où des activités sont implantées : habitation, forge, puits, cimetière.

Vers 1764, 18 sablo-îliens tentent de fuir l'île. Ils construisent un radeau dont la voile est faite de plumes d'oiseaux et prennent la mer. Personne n'a plus entendu parler d'eux.

En 1773, un bateau français arrive au large de l'Isle de Sable. Il signale la présence d'hominines aux autorités françaises mais ne parvient pas à débarquer. L'année suivante, un nouveau bateau parvient jusqu'à l'île et met à la mer une chaloupe. Les conditions météorologiques sont difficiles et seul un marin, blessé, parvient de justesse à rejoindre la terre ferme. Dans l'impossibilité de récupérer les personnes à terre, le bateau décide de faire demi-tour. Le marin rescapé entreprend, avec d'autres, de se lancer dans la construction d'un nouveau radeau. En 1775, 3 femmes et 3 hommes - dont le marin - montent sur leur embarcation de fortune. Plus de nouvelles.

Plusieurs tentatives de rejoindre l'île sont menées par des navires français mais sans succès. Le 29 novembre 1776, un bateau français, mené par le commandant Tromelin, parvient enfin à faire accoster une petite embarcation pour récupérer les sablo-îliens. Seules sept femmes et un enfant de 8 mois sont encore vivants. Ramenées à Maurice, elles sont déclarées libres. Toutes refusent d'être renvoyées vers Madagascar. L'enfant - rebaptisé Jacques Moyse -, sa mère Tsimiavu - rebaptisée Ève - et sa grand-mère - rebaptisée Dauphine du nom du navire français venu les secourir - sont recueillis par l'intendant des îles Mascareignes.

Leur sort m’a si fort intéressé que j’ai offert à cette mère, sa fille et son enfant l’asile de ma propre maison. Ils l’ont accepté avec joie et j’en ai une grande de les faire soigner et de les rendre heureux.[5]

Le nom du commandant Tromelin est dorénavant utilisé pour nommer l'Isle de Sable.

Vestiges

Au cours du XIXème siècle plusieurs bateaux se sont rendus dans les alentours de l'île. Les descriptions parlent de restes de constructions encore visibles et du cimetière. L'île a abrité à plusieurs reprises et pour de courtes périodes les rescapés de naufrages sur ces récifs. En 1830 une position est de nouveau calculée pour affiner la cartographie.

Quatre expéditions archéologiques entre 2006 et 2013[6] ont permis de mettre à jour de nombreux outils et ustensiles, des ruines d'habitations et deux squelettes d'hominines, permettant de mieux comprendre la façon de (sur)vivre mise en place pendant 15 années[7][8].

Île de Tromelin

Carte des Îles Éparses de l'océan Indien
Rattachée à la Réunion en 1814, l'île de Tromelin reste inhabitée. De nouvelles coordonnées cartographiques sont définies plus précisément en 1955. L'île est incluse en 1960 dans la zone française des Îles Éparses de l'océan Indien[9] à plus de 1700 km de Tromelin. Les Îles Éparses sont un ensemble de 4 îles coralliennes[10] (Europa, Bassas da India, Juan de Nova et les îles Glorieuses[11]) près de Madagascar. Les indépendances de Madagascar et de Maurice pousse la France à réaffirmer son autorité dans une région stratégique, riche en poissons et susceptible d'accueillir des essais nucléaires. Dès 1950, la France y construit des stations météorologiques et des aéroports. Depuis 1973 trois des îles sont habitées en permanence par une rotation de militaires, et ponctuellement, par des météorologistes et des scientifiques. La superficie totale des Îles Éparses n'excède pas 44 km2, certaines sont partiellement noyée lors de fortes marées, mais permet à la France de s'accaparer une zone économique exclusive[12] (ZEE) de 640 400 km2 dans laquelle elle peut piller les ressources halieutiques librement. En parallèle, la France déclare réserve naturelle la zone des Îles Eparses ![13]

En 2005, puis en 2007, des réformes administratives rattachent les Îles Éparses aux Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) auxquelles appartiennent déjà l'archipel Crozet, les îles Kerguelen, les îles Saint-Paul et Nouvelle-Amsterdam et La Terre-Adélie situées à environ 4000 km plus au sud. L'ensemble du petit territoire des TAAF porte à 2 274 277 km2 la zone économique exclusive grâce à ces confettis. Ce n'est pas rien lorsque l'on compare aux 334 604 km2 de la métropole. Les autres territoires d'outre-mer représentent 7 556 214 km2. La France est placée au second rang des pays pour l'extension de sa ZEE qui représente environ 8% des ZEE mondiales[14].

Les Terres australes et antarctiques françaises ne sont ni une région, ni un département ou un territoire d'outre-mer. Elles ne sont pas membres de l'Union Européenne et non contraintes par sa législation. Leur statut particulier permet à la France d'offrir un pavillon de complaisance, dit "Pavillon Kerguelen", depuis 1986 qui autorise des armateurs de commerce ou de plaisance à déroger au droit du travail français dans la ZEE des TAAF. Et pour la plus grande joie des philatélistes, l'émission par les TAAF de séries spéciales consacrées à la faune et la flore locales, une des prérogatives dévolues aussi aux Territoires d'Outre-Mer (TOM).

Contestations

Madagascar revendique trois des Îles Éparses[15] (Europa, Bassas da India et Juan de Nova), les Comores les îles Glorieuses et Maurice réclame la souveraineté sur Tromelin[16].

Les hypothétiques réserves sous-marines en gaz et en pétrole ne font que tendre un peu plus les relations.

Cas isolé ?

La France n'est pas l'unique pays à bénéficier de confettis planétaires permettant d'étendre les zones d'influences politiques et économiques. Le Royaume-Uni, autre ancienne puissance maritime, multiplie par neuf sa ZEE avec ses territoires ultra-marins. Les possessions britanniques dans l'océan Indien[17] se limitent à l'archipel des Chagos, au nord-est de Maurice[18], et ses 60 km2 de terres émergées mais représentent une ZEE de plus de 600 000 km2 - presque autant que le seul Royaume-Uni - soit 10% de la ZEE britannique au niveau mondial.

La présence de la France à travers tous les océans du globe par le jeu de ses possessions territoriales/coloniales lui permet - comme on dit dans le langage diplomatique - de "Taper l'incrust" dans moults organismes internationaux africains, asiatiques, pacifiques ou océaniens.

Nombreux sont les territoires (ultra) marins inhabités à travers le monde dans la souveraineté est revendiquée par plusieurs pays. Parfois à la limite de la guerre, à l'exemple des Spratleys en mer de Chine méridionale.

D'autres pays ne possèdent tout simplement pas de ZEE car ils n'ont aucun accès maritime direct ou ultra-marin, comme la Macédoine.

Île de rien

Notes

  1. Max Guérout, Tromelin, mémoire d'une île, CNRS Editions, 2015
  2. Numa Broc, "Voyages et géographie au XVIIIe siècle", Revue d'histoire des sciences et de leurs applications, tome 22, n° 2, 1969 En ligne
  3. 3,0 3,1 et 3,2 Relation du naufrage de l’Utile sur l’île de Sable ou pour mieux dire de corail par 15°52′ observé sur l’île attribuée à l’écrivain du bord, Hilario Dubuisson de Keraudic. Retrouvé en 2006 lors de la campagne de fouille
  4. Herivola Nirina Ralison, "L’environnement matériel de la vie quotidienne des esclaves de Tromelin" En ligne
  5. Cité dans "Seul(e)s au monde" sur le blog de BD Histoire en bulles
  6. Le blog des différentes missions sur http://archeonavale.org/gran2012/index.php/traccueil
  7. Max Guérout, Thomas Romon, Tromelin - L'île aux esclaves oubliés, CNRS Editions, 2015. En BD, voir Sylvain Savoia, Les esclaves oubliés de Tromelin
  8. En 1760, un bateau portugais chargé d'esclaves s'échoue sur l'atoll d'Astove, au nord de Madagascar. D'environ 5 km2 avec une faune et une flore plus riches que sur Tromelin. Abandonnés par les marins, les naugrafés survivent 36 ans sur l'île avant d'être secourus par un navire britannique.
  9. Europa , Bassas da India, Juan de Nova sont possession française depuis 1896. Les îles Glorieuses depuis 1892. Voir Alain Hoarau, Les îles éparses, histoire et découverte, Alizées Éditions, 1993.
  10. Ces îles sont connues depuis plusieurs siècles par les marins car elles représentent un risque sur la route commerciale qui passe par le canal du Mozambique. De nombreux naufrages eurent lieu sur leurs côtes. Voir par exemple, Philippe Bille,‎ Xavier De castro, Le naufrage du Santiago : Sur les Bancs de la Juive (Bassas da India - 1585), Chandeigne, 2006
  11. Jean-Paul Calteau, "La découverte et la dénomination des îles Glorieuses dans l'Océan Indien (du XVe siècle au début du XIXe siècle)", Outre-mers, vol 92, n° 348, 2005 En ligne
  12. Une zone économique exclusive (ZEE) d'un pays s'étend à 200 miles de la côte - un peu plus de 370 km. Elle peut parfois être étendue.
  13. André Oraison, "Gestion ou cogestion des "réserves naturelles" créées sur les îles Eparses de la zone sud-ouest de l'océan Indien et du canal de Mozambique ? (Le cas spécifique du récif de Tromelin, de l'archipel des Glorieuses et des îlots Juan de Nova, Europa et Bassas da India)", Revue Juridique de l'Environnement, vol 26, n° 1, 2001 En ligne
  14. Derrière les Etats-Unis et devant l'Australie.
  15. Le conflit est porté devant l'Organisation des Nations Unies (ONU) par Madagascar. Voir la résolution 34/91 de décembre 1979 En ligne
  16. Madagascar revendique, timidement, sa souveraineté sur l'île de Tromelin
  17. André Oraison, "Histoire et actualité de la base militaire de Diego Garcia. Les circonstances de la création et de la militarisation du British Indian Ocean Territory (BIOT)", Outre-mers, vol 92, n° 348, 2005 En ligne
  18. Maurice revendique l'archipel des Chagos.