Terra nullius

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Terra nullius. Terme juridique désignant des territoires qui ne sont revendiqués par aucun pays.


Origines

Jouet à bulles
D'origine latine, cette expression juridique signifiant "terre sans maître" est édictée au XIème siècle par le pape Urbain Jr (Deuxième du nom) dans sa fameuse bulle Terra Nullius. Par celle-ci, il accorde avec beaucoup de générosité les terres non-chrétiennes aux royaumes chrétiens qui veulent bien s'en emparer. Les Croisades sont lancées. Jusqu'à la fin du XIIIème siècle, pas moins de dix croisades rependront leurs flots de pauvres en guenilles, de mercenaires et de rejetons royaux de toute l'Europe sur la rive sud-est de la Méditerranée[1]. Des États chrétiens sont fondés. Militairement, ils font tampon face à l'avancée des turcs seldjoukides et assurent l'accès et le contrôle de Jérusalem, économiquement ils sont des relais vers les routes commerciales d'Orient, et politiquement ils prolongent l'opposition entre l'empire chrétien d'Orient et l'empire arabo-musulman. Une sainte trinité.

"Un miracle n'arrivant jamais seul" selon l'envahissante théologie, les autorités papales autorisent au XVème siècle, dans une nouvelle bulle, les royaumes d'Espagne et du Portugal à se partager le Nouveau-Monde. Pendant les premiers siècles de cette colonisation outre-Atlantique, le concept de terra nullius évolue doucement pour s'adapter aux besoins du moment. D'une justification théologico-délirante il se transforme en une pseudo démonstration politico-scientifique qui voit les régions sans État ou sans agriculture être désignées terra nullius. Un rien de vernis culturel et de prétentions civilisatrices et le concept est prêt à justifier la colonisation et le partage du monde conquis entre les puissances européennes. "Le temps béni des colonies" pour l’Église, les États colonisateurs et leur économie. Un temps honni pour celles et ceux qui les subirent ou les combattirent.

C’est au nom de ce fallacieux principe de terra nullius que la grande île coincée entre la Tasmanie au Sud et la Papouasie au Nord, l’Australie, fut colonisée par des apiculteurs – mais pas que – venus pour l’essentiel de l’ouest de la Macédoine et feignant penser n’y trouver personne.[2]

Les différents traités entre les puissances européennes, en guerre tout au long de la première moitié du XXème siècle, entérinent un "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes". Les luttes de décolonisation et les indépendances nationales qui en découlent redéfinissent de fait la terra nullius. Dorénavant, seul un territoire sans population peut-être considéré terra nullius.

Vestiges

Dans la seconde moitié du XXème siècle, cette nouvelle définition de la terra nullius amène tous les pays à revoir leurs prétentions.

Le Traité de 1959 sur le partage de l’Antarctique divise le continent entre les 12 États signataires. Seule la partie, appelée Terre Marie Byrd, reste sans attribution. Techniquement, il ne s'agit pas de terra nullius car tous les États ont des vues sur cette région mais, par ce traité, suspendent leurs revendications respectives.

Revendications en mer de Chine en 2017
En 1992, sans doute après avoir visionné l'intégralité des documentaires sur les aborigènes locaux, la justice australienne a "enfin" reconnu que le territoire de l'actuelle Australie n'était pas vide d'hominines lors de la colonisation et que ceux-ci, même sans agriculture, vivaient évidemment des ressources de la faune et de la flore.

Depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, les pays limitrophes de la mer de Chine méridionale[3] se disputent les nombreux îlots, rochers et récifs coralliens. La Chine, Taïwan, le Vietnam, les Philippines, la Malaisie, Brunei, l'Indonésie, Singapour, la Thaïlande et le Cambodge ont tous des revendications territoriales sur les quelques 200 "objets terrestres marins", inhabités et souvent inhabitables, et dont l'enjeu est l'extension des zones maritimes commerciales et économiques. L'archipel des Spratleys, par exemple, qui comporte 14 îles coralliennes et une centaine de récifs est revendiqué par la Chine et cinq autres États. L'intérêt pour cet archipel tient à sa situation sur les voies de commerce maritime, à sa position stratégique, aux récentes découvertes de pétrole et de gaz, ainsi qu'aux ressources halieutiques considérables. Le droit maritime international est tel que les quelques 2 km2 de territoire terrestre des Spratleys repartis sur une superficie de 400 000 km2 augmente considérablement les eaux accessibles à la pêche. Tous les pays en conflit autour de cet archipel ont investi une ou plusieurs de ses îles et construit des bâtiments ou des aéroports pour renforcer leur présence. La situation est identique dans l'ensemble des îles disputées en Mer de Chine méridionale. En 2017, le statu quo est fragile et les tensions diplomatiques ou militaires sont régulières entre les pays convoiteurs. De fait, plus aucune de ces îles n'est terra nullius.

Avec la fin de la guerre en Yougoslavie et l'éclatement de celle-ci, la frontière entre la Croatie et la Serbie est délimitée par le cours actuel du Danube. Mais la Croatie se base sur l'ancien cours du fleuve pour revendiquer 8 territoires situés sur la rive gauche, en Serbie. Selon cette version, 4 petits territoires sur la rive droite du Danube doivent revenir à la Serbie. Mais cette dernière ne reconnaît pas les revendications croates et ne veut donc pas de ces quatre bouts de terre. Ils étaient terra nullius jusqu'en 2015, date de la création du Liberland sur le plus grand d'entre eux (~ 7km2), appelé Gornja Siga. Une petit paradis du libéralisme qui prend en exemple la Suisse ou Monaco.

L’aspect pointu de la protivophilie nous pousse à préciser ici que certains de ces territoires ont été accaparés récemment par des adeptes de la liberté qui y ont fondé un pays du même nom, le Liberland ! Libéral ou libertaire, libéralisé ou libérateur, libéré ou libertarien ? Peu importe pour nous de nuancer et de choisir le moins illusoire, la racine liber – libre – nous indique le degré d’illusions que tout cela contient.[2]

Bir Tawil

Bir Tawil et Triangle de Hala'ib
La colonisation britannique de l'Afrique du nord-est s'installe le long du Nil. En 1889, les autorités coloniales trace un trait sur une carte le long du 22è parallèle nord et le concrétise par 1250 km rectiligne de frontières entre l’Égypte et le Soudan. Peut-être sous les conseils de leurs ethnologues, les britanniques décident en 1902 de rectifier cette frontière afin de faire correspondre au mieux les espaces de pâturage pour les nomades. Le triangle de Hala'ib - au nord du 22e - est donné au Soudan et Bir Tawil - au sud du 22e - à l’Égypte. Depuis, le Soudan revendique les frontières de 1902 qui lui donne le triangle et laisse Bir Tawil à l’Égypte, alors que cette dernière réclame le tracé de 1889. L'enjeu est le triangle de Hala'ib. D'une superficie de 20 580 km2, il est un accès à la mer et une région hypothétiquement pétrolifère. Les deux pays se désintéressent de fait complètement de Bir Tawil. Bir Tawil (Biˈr بئر signifiant puits, Ṭawīl طويل signifiant long ou profond) est une zone de 2000 km2 inhabitée mais servant de pâturage pour des pasteurs nomades. Bir Tawil est véritablement terra nullius car l’Égypte n'en veut pas et le Soudan ne réclame rien

Traces

Dans le texte "Vie et œuvre de F. Merdjanov", les auteurs relatent une discussion avec B. Smotivni dans laquelle :

[il est] évoqué une histoire de voyage en Égypte, direction les sources du Ni[hi]l, en route pour le paradis (artificiel) rastafarien ! Par anticipation, nous pouvons d’ores et déjà refuser toutes les hypothèses [...] qui voudraient voir dans ce voyage une tentative d’installation à Bir Tawil ("Puits Profond"), à la frontière entre l’Égypte et le Soudan, dans ce minuscule bout de territoire de 2000 km² qu’aucun des deux pays ne revendique : ce qu’une expression latine désigne sous le nom de terra nullius.[2]

Ils précisent d'ailleurs, quelques lignes plus loin :

L’incongruité de tels périples et le peu de vraisemblance historique nous poussent à penser, d’une part que la mémoire n’est pas une source très fiable et que, d’autre part, les glissements linguistiques sont toujours des raccourcis pourvoyeurs d’illusions. Par conséquent, nous ne pouvons qu’évoquer ces faits, sans jamais, toutefois, les confirmer.[2]

F. Merdjanov

Notes

  1. Amin Maalouf, Les Croisades vues par les arabes
  2. 2,0 2,1 2,2 et 2,3 "Vie et œuvre de F. Merdjanov" dans F. Merdjanov, Analectes de rien En ligne
  3. Évidemment appelée "mer des Philippines occidentales" par les Philippines et "Mer orientale" par le Vietnam